Toujours aussi abrasif, mais emprunt cette fois de beaucoup plus de sensibilité, le deuxième album des Parisiens a de quoi surprendre pour qui les suit depuis leur premier EP « Look At The Sky » sorti en 2017. Le style s’est affiné, bien sûr, mais il a aussi gagné en diversité sonore, en impact et se veut nettement plus libre aussi dans l’écriture. Jouant sur les émotions, POINT MORT passe de la lumière à la noirceur absolue d’un claquement de doigt avec une cohérence déroutante. Avec « Le Point De Non-Retour », le quintet affiche une polyvalence de chaque instant, doublée d’une fermeté imparable dans son déroulé. Quelques jours avant sa sortie, Damien Hubert (basse), Olivier Millot (guitare) et Sam Pillay (chant) reviennent sur leurs envies artistiques, l’évolution du groupe et la conception de ce nouvel opus.

– Vous sortez votre deuxième album, « Le Point De Non-Retour », après deux premiers EPs et des prestations scéniques aussi nombreuses qu’explosives. Et puis, POINT MORT a aussi franchi la décennie d’activité. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur ce parcours de dix ans d’existence ?
Damien : On regarde assez peu en arrière et d’ailleurs, on ne joue d’ailleurs pas beaucoup d’anciennes chansons en live. On a aussi beaucoup fait évoluer la musique du groupe au fur et à mesure du temps, et nous avons aussi changé, ce qui fait qu’on ressasse assez peu les événements passés du groupe au final !
– Depuis vos débuts, vous avez habillement enrichi et fait évoluer votre post-Hardcore, et POINT MORT reste unique en son genre avec de multiples facettes que vous nourrissez de nombreux styles. Comment procédez-vous justement pour garder une identité si forte ?
Damien : Il n’y a pas de recherche d’identité particulière. J’ai surtout l’impression que sur les textes, la compo, les visuels, on travaille sur ce qui nous parle nous et comme on est plusieurs avec des goûts différents, ça donne cette mixture. Ce qui fait qu’on est vraiment très content quand quelqu’un clique avec nous, mais la contrepartie c’est que ça ne parle pas à tout le monde.
Olivier : Rien n’est prémédité. Quand il y a une envie, on décide d’y aller jusqu’au bout. Peu importe si cela colle, ou pas, avec le style dans lequel on est affilié.

– Pour « Le Point De Non-Retour », vous avez de nouveau fait appel au duo Sauvé/Chaumont pour l’enregistrement, le mix et la production. Vous donnez l’impression de grandir ensemble et d’ailleurs, un palier est encore franchi. Quelle était votre ambition première pour ce deuxième album, tant au niveau de la composition que du son ?
Damien : Moins de dissonances et de guitares zinzins, plus de travail sur les voix, mais tout autant de structures à tiroir et de ‘trucs-alambiqués-qui-s’entendent-pas-à-la-première-écoute’. Moins de musique aussi en durée à enregistrer aussi, y’en a marre des albums de plus de 50 minutes !
Olivier : Quand j’ai commencé à écrire cet album, je voulais plus de lisibilité dans la narration et accentuer le côté ‘cinématographique’ des morceaux. Aussi, de prendre le temps pour aller plus loin dans les arrangements des voix et qu’il y ait plus de matière au mixage. Effectivement, on progresse ensemble avec Amaury et Thibault. La communication est plus simple et directe, donc on va plus vite. En plus, pour cet enregistrement, on a eu Etienne Clauzel, qui a complété cette fine équipe.
– Ce nouvel album va bien plus loin que « Pointless… » dans les contrastes notamment. Il est à la fois plus massif et percutant d’un côté et il aborde aussi un aspect plus mélodique et très poétique au niveau des textes. C’est un équilibre que vous avez longtemps cherché, ou s’est-il finalement fait assez naturellement ?
Damien : Olivier et Sam ont trouvé cet équilibre-là ensemble, puisqu’ils sont les principaux compositeurs et auteurs de tout ce bazar. Rien n’est laissé au hasard. Mais oui, je crois que c’est quelque chose qu’on cherchait depuis quelques années quand même, et on a pris le temps de développer ce côté mélodique.
Olivier : Avec Sam, on voulait plus de chant clean, plus de mélodies, plus de contrepoint ! J’ai beaucoup réécrit les instrus en fonction de ce que Sam composait sur les démos. Comme disait Damien, je ne voulais plus écrire de lignes de guitare/basse qui partaient dans tous les sens. Je voulais que cela soit plus compact, sans perdre cette idée de contrepoint pour les instruments également. Donc, le tout sonne forcément plus massif !

– Est-ce qu’on peut parler d’album-concept pour « Le Point De Non-Retour » parce que, si les morceaux ont des durées très différentes et font même parfois le grand écart, il y a un vrai fil directeur et beaucoup de cohésion dans le déroulé ?
Damien : Pas de concept-album, mais des thèmes qui se recoupent, puisque c’est Sam qui écrit les textes. Après il y a une cohérence dans cet album, mais rien qui peut le rattacher à un concept-album.
Olivier : Je dis cela à chaque album, mais pour moi, c’est un seul morceau, découpé en mouvements, comme dans un concerto.
– Comme toujours, vous ne manquez pas d’audace, puisqu’après une intro aux saveurs Electro, vous ouvrez l’album avec « An Ungrateful Wreck Of Our Ghost Bodies », long de dix minutes. Comment prend-on une telle décision ? Ce n’est pas banal…
Damien : Certains auraient dit qu’ils ont eu une idée de génie comme ça en buvant leur café le matin. Alors que c’était en buvant une tisane le soir. Non, comme d’habitude, rien n’est laissé au hasard, pas d’épiphanie, mais une fois que ce début d’album a été envisagé comme ça, ça n’a jamais plus évolué.
Olivier : C’est simple, c’est le premier morceau que j’ai écrit en pensant qu’il ouvrirait l’album. L’idée de l’intro est venue plus tard !
– Sam, vocalement, on retrouve ta grande polyvalence et cette fois, le chant clair et mélodique est aussi beaucoup plus présent. On te découvre même un peu plus, je trouve. C’était une condition pour réussir à délivrer plus d’émotion dans ces nouveaux morceaux ?
Sam : C’était un postulat de départ. On voulait plus de chant mélodique et harmonique. D’ailleurs, le dernier morceau de « Pointless… », « Ash To Ashes », annonçait déjà les fondements de cette direction artistique. La partie finale, avec toutes ces voix qui se superposent jusqu’à l’explosion, c’était en quelque sorte les prémices. J’aime varier les voix, les timbres, les interprétations. Cela enrichit forcément le discours. Le chant hurlé, pour l’usage que j’en fais, c’est la rage, la hargne, les tripes. Ça peut être déchirant, mais je pense que le chant clair permet une plus grande palette d’émotions. Quand on parle d’instrument, on dit jouer de la guitare, du piano… Et bien moi, je joue du chant. La variété de chant clair, me permet d’être espiègle, enfantine, suave, exaltée… Et j’en passe.

– D’ailleurs, en aparté, que penses-tu du nombre croissant de femmes qui se mettent au growl ? Et lesquelles ont tes faveurs, ou t’impressionnent ?
Sam : Chez les hommes comme chez les femmes, je suis peu impressionnée par le growl. Parce que c’est technique et non artistique. Ce serait comme dire à un chef étoilé que j’aime sa découpe de légumes, plutôt que de lui parler de l’ensemble de sa carte. Ce qui me parle davantage, c’est le timbre d’un chanteur ou d’une chanteuse, ou sa façon de livrer sa voix. J’aime une voix parce qu’elle me touche en premier lieu et du coup le seul point commun entre tous les artistes que j’affectionne, c’est que leur empreinte vocale ou leur musicalité m’émeut, me transporte.
Concernant le nombre croissant de femmes qui growlent, comment répondre autre chose que c’est bien ? Le fait qu’il y ait plus de femmes, tout instrument confondu, dans la musique, c’est forcément bien. Je dirai même plus, c’est juste normal ! D’ailleurs, je ne vois pas pourquoi la question est adressée seulement à moi, les gars, vous avez des growleuses favorites, vous ?
Olivier : Oui, toi Sam! Je ne vais pas être original, Julie Christmas forcément ! Pareil pour sa richesse de timbres ! Dans « The Wreck Of S.S Needle » (avec Cult Of Luna en 2016 sur l’album « Mariner » – NDR) son interprétation est stratosphérique !
Damien : Aller, pour ne pas répondre comme Olivier, à l’opposée du spectre, Candace Kucsulain de Walls of Jericho, Hard-Core à fond.
Sam : Je suis d’accord, deux voix et personnalités inspirantes !
– On l’a dit, ce nouvel album est chargé en émotion avec des passages très touchants, ce qui n’est pas si courant dans votre registre. Est-ce à dire que « Le Point De Non-Retour » est plus intime et plus personnel aussi dans son propos que son prédécesseur ?
Damien : Il y a toujours eu beaucoup de ‘personnel’ dans POINT MORT, car on ne cherche jamais la facilité, ni même la simplicité, à aucun moment, ni pendant la phase de compo, ni pendant l’enregistrement. Fatalement, cela fait ressortir des trucs qui font que la musique devient forcément intime. Mais celui-là est encore plus marqué par la personnalité des gens qui l’ont fait. En studio, quand le temps a manqué, on a mis l’accent sur l’artistique quitte à passer outre certaines étapes techniques. Ce n’était pas forcément le cas sur les disques d’avant pour lesquels le temps manquait pour tout ! (Rires)
Olivier : Oui, il est plus intime et personnel, et surtout sans concession. « Pointless… » avait un côté plus laboratoire et patchwork.

– Sam, c’est également toi qui signes la pochette de l’album qui incarne ‘La dame au cou penché’ liée, bien sûr, à votre dernier single « The Bent Neck Lady ». C’est vrai que le morceau est un moment fort de l’album. Cela a-t-il été une évidence de le mettre en avant ?
Sam : Pas forcément non, car c’est un morceau long. Et pour des raisons pratiques, il est préférable de sortir en single des morceaux courts. Ça passe mieux auprès des plateformes. C’est d’ailleurs pour ça qu’on a créé la version ‘radio edit’. C’est un morceau intense, on voulait vraiment le mettre en avant. Pour l’anecdote, tous les morceaux ont changé trois fois de noms avant d’être figés. Le titre « The Bent Neck Lady » a été trouvé sur la ligne d’arrivée. Ce n’est pas le titre qui a inspiré l’artwork, mais l’artwork qui a inspiré le titre. (Sourires)
Damien : Jetez un œil à au deuxième épisode du documentaire pour voir que ce morceau a été un temps fort de l’enregistrement également.
Olivier : Je confirme !
– Enfin, j’aimerais que l’on dise un mot de vos trois clips qui accompagnent l’album, ainsi que du making-of de sa conception. La vidéo est-elle devenu indissociable de votre musique, surtout aujourd’hui où la visibilité est devenue essentielle sur les réseaux notamment ?
Damien : Je crois qu’on aime bien le travail visuel aussi, vu que tout l’habillage est fait par les membres du groupe. Concernant le making-of, j’ai voulu documenter l’enregistrement de l’album, car je trouve qu’il y a une histoire à raconter, sans filtre, sans survendre ou minimiser quoique ce soit. Pas sûr qu’on refasse ça un jour, puisque c’est un enfer logistique. En effet, il y a plus de 50 heures de rushes et il y avait les caméras à gérer pendant que je jouais, même si pendant deux jours intenses Jessica Salitra est venue vraiment filmer. On a d’ailleurs fait le montage à deux. Pour les trois clips, d’un point de vue visuel, avec du recul, on a du clip classique (la chanson-titre), un truc plus ‘punkoïde’ à tendance nonsensique (« Skinned Teeth »), et enfin une proposition artistique hors du temps et délicate (« The Bent Neck Lady »). Finalement, cela reflète un peu la musique du « Point De Non-Retour », j’ai l’impression.
POINT MORT sortira son deuxième album, « Le point De Non-Retour » le 25 avril chez Almost Famous.

Photos : Jessica Salitra
Retrouvez la première interview du groupe à la sortie de « Pointless… » :