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Post-HardCore

Junon : viscéral

Sorte de mariage forcé entre souffrance et colère et entre mélodies et brutalité, « Dragging Bodies To The Fall » se lit comme une plaie que la formation de Béthune ne cherche d’ailleurs pas forcément à refermer ou à panser, mais plutôt à extraire. Les morceaux sont combatifs, jamais résignés, ils prennent aussi de la hauteur dans des sphères plus élevées laissant passer un halo de lumière dans cette noirceur, parfois abyssale. Tout en contrôle, JUNON met la pression, impose son style et son jeu avec autant de force que de précision.  Un véritable modèle du genre !  

JUNON

« Dragging Bodies To The Fall»

(Source Atone Records)

La tension est loin d’être retombée chez JUNON. Il y a deux ans, les Nordistes nous avaient livré avec l’EP « The Shadow Lenghten » (2021) un avant-goût de son Post-HardCore à travers quatre morceaux, qui avaient déjà fait l’effet d’une bombe à fragmentation. Aussi changeants qu’insaisissables, ils se présentent cette fois sur la longueur avec « Dragging Bodies To The Fall », un premier album où ils se déploient dans une certaine fureur. Avec Francis Castre du Studio Sainte-Marthe aux commandes, les ex-General Lee ont mis toutes les chances de leur côté et l’ensemble bénéficie d’une production massive et équilibrée.

Parce que sans un son irréprochable, impossible de saisir toutes les subtilités à l’œuvre ici. JUNON dispose toujours de ce mur de guitare, formé par ses trois six-cordistes, qui trouvent vraiment l’harmonie dans ce dédale de riffs. Mais on est loin du chaos. Personne ne joue sa partition dans son coin, et chacun œuvre à une même dynamique. Là aussi, toute la pertinence du jeu du sextet se trouve dans les détails… et ils sont nombreux. Le sextet articule ses compos sur des rythmes à géométrie variables, tantôt fulgurants ou plus aériens. La rythmique basse/batterie s’avère redoutable et donne le cap de manière magistrale.

L’univers de JUNON est obscur, parfois terrifiant et oppressant à l’instar du chant d’Arnaud Palmowski, rugueux et tenace. En ouvrant avec « Segue 1 – The Final Voyage », sorte de capsule, dont on retrouve une seconde partie un peu plus tard (« Segue 2 –Dragbody »), le groupe fait dans la nuance et scinde ce nouvel opus en deux parties distinctes. Les émotions se bousculent, s’entrechoquent et se percutent sans jamais perdre le fil. Les déchirures sont nombreuses, mais la solidité et le refus d’abdiquer aussi. Il y a dans ce « Dragging Bodies To The Fall » beaucoup plus de résistance que de résilience, et ça : c’est bien ! Bravo !

Photo : Emmanuel Poteau

Retrouvez la chronique du premier EP, « The Shadows Lenghten » :

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Post-HardCore Post-Metal

20 Seconds Falling Man : obsédant

Pour pouvoir jouer sur autant de textures sonores et d’ambiances musicales différentes, 20 SECONDS FALLING MAN englobe dans son post-HardCore des éléments de Noise, de Fuzz, d’un post-Black Metal ultraviolent et d’un Hard-Core radical. Introspectif et souvent céleste, les Français dévoilent un univers particulier, où des rythmiques pachydermiques côtoient des parties de guitares d’une grande finesse, et dans lequel le frontman se fait très versatile. « Resilience » domine les abîmes à travers de multiples climats avec beaucoup d’élégance.  

20 SECONDS FALLING MAN

« Resilience »

(Independant/Blood Blast Distribution)

La suite de « Void », sorti en 2021, nous est enfin livrée par le quintet nantais. Avec « Resilience », 20 SECONDS FALLING MAN boucle son diptyque avec une maestria déjà très largement perçue sur son précédent album. Très polymorphe, le post-HardCore du groupe est toujours aussi insaisissable et imposant. D’une incroyable lourdeur sur son premier opus, il est cette fois peut-être plus aérien, même si les fulgurances Metal, Hard-Core et Noise s’entrechoquent avec toujours autant de puissance et de volume. Cela dit, il semble tout de même que la noirceur omniprésente auparavant ait levé l’un de ses voiles dans cette obscurité dense et épaisse.

Baigné dans une nébulosité parfois terrifiante, « Void » se voulait sombre, écrasant et presqu’étouffant, tandis que « Resilience » montre déjà plus de teintes différentes et s’aère aussi, reprend son souffle et laisse même entrer quelques passages lumineux… une note d’espoir qui se traduit par des cris perçants et volontaires. 20 SECONDS FALLING MAN semble investi d’une quête et il la mène à bien. Les ombres parcourent cette nouvelle réalisation, dont la production est d’ailleurs à la hauteur du travail fait sur les arrangements et dans la complexité des morceaux, qui avancent tels des tableaux mouvants et évanescents.

Avant de se replonger dans « Resilience », l’idéal est de réécouter « Void », afin de mieux saisir l’ambitieuse entreprise et toute la détermination mise dans la création de ces deux réalisations, qui se complètent de manière étonnante. Ténébreux sur « In The Gloom » en ouverture, 20 SECONDS FALLING MAN poursuit avec force sur le morceau-titre, puis suspend son élan à l’envie comme pour mieux exploser quelques instants plus tard (« Shadow Of The Past », « Our Life Is Now »). Le combo joue très habillement sur les atmosphères (l’instrumental « New Moon ») et surprend jusqu’au bout, grâce aussi à un chant tout en contraste. Aussi libérateur que déchirant.

Photo : Gregory Dutein
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Alternative Rock Atmospheric Post-HardCore post-Rock

Codeseven : la renaissance

Après un long sommeil, la formation de Caroline du Nord réapparait enfin avec ce « Go Let It In » d’une grande classe et bénéficiant d’une somptueuse production. Assez éloigné de la lourdeur du son de ses premières réalisations, CODESEVEN n’en a pourtant pas perdu de son identité. Moins post-HardCore, plus Rock et progressif, et jouant sur les ambiances avec habilité, technique et feeling, ce retour est exceptionnel.

CODESEVEN

« Go Let It In »

(Equal Vision Records)

Si vous aviez tendu l’oreille au milieu des années 90 jusqu’en 2004, vous avez probablement un souvenir de CODESEVEN, un quintet qui bousculât un peu les codes en s’attelant à l’élaboration d’un post-HardCore mélodique mâtiné d’Alternative Rock. Depuis « Dancing Echoes/Dead Sounds », les Américains s’étaient mis en veille, une longue pause de 19 ans. Et c’est avec le même line-up et sur le même label qu’ils sont de retour et « Go Let It In », qui mérite que l’on s’y penche de très près.

A chacun de ses albums, six avec celui-ci, le groupe s’est toujours évertué à proposer quelque chose de différent et c’est encore le cas près de deux décennies plus tard. Bien sûr, CODESEVEN n’est pas resté figé dans une époque aujourd’hui presque lointaine. Toujours aussi mélodique, il peut compter sur la voix de Jeff Jenkins, qui s’est même bonifiée avec le temps. Apportant beaucoup de douceur, tout en restant capable de se montrer plus féroce, le frontman est un vrai guide et il illumine « Go let It In ».

Très atmosphérique, ce sixième opus livre un aspect très cinématographique en combinant des sonorités électroniques mesurées avec des guitares omniprésentes, à la fois musclées et aériennes. Naviguant entre post-Rock et Space Rock avec un fond progressif, CODESEVEN fait l’équilibre entre légèreté et force sur des morceaux souvent très captivants et hypnotiques (« Fixated », « Hold Tight », « Starboard », « A Hush… Then A Riot », « Mazes And Monsters », « Suspect » et le morceau-titre). Brillant !

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Post-HardCore

Polar : une charge sonore

Après l’excellent « Nova » sorti en 2019, les Anglais ont pris leur mal en patience et ressurgissent avec le monumental « Everywhere, Everything », nourri de la frustration de la pandémie, qui est parfaitement distillée sur ce nouvel opus avec une force incroyable et chargé de refrains imparables. POLAR s’impose et en impose.

POLAR

« Everywhere, Everything »

(Arising Empire)

Devenu incontournable sur la scène post-HardCore depuis un peu plus de dix ans, POLAR s’est posé beaucoup de questions début 2020, quand sa tournée avec After The Burial, Spiritbox et Make Them Suffer s’est brutalement arrêtée. Le monde entier s’est mis sur pause et le groupe a même failli déposer les armes. Mais les Londoniens se sont repris et ont remis le bleu de chauffe pour livrer cet album très personnel.

C’est à un véritable travail d’introspection que s’est livré le quatuor en puisant au plus profond de lui-même pour bâtir ce « Everywhere, Everything » assez étonnant dans son contenu. Finalement, la pandémie semble avoir été profitable à POLAR, mettant les Britanniques dos au mur, poussés dans leurs retranchements et il en ressort dix morceaux percutants, puissants d’où il émane aussi de solides mélodies.

Explosif et agressif, ce cinquième album du combo affiche une constante pression, malgré quelques rares passages en clairs de son frontman Adam Wooford. Compact et véloce, « Everywhere, Everything » ne tombe pourtant pas dans une frénésie de décibels, mais parvient au contraire à développer des atmosphères saisissantes (« Rush », « Baptism Of Fire », « Burn », « Dissolve Me », « Snakes Of Eden »). Tout en puissance !

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Alternative Metal Alternative Rock France Post-HardCore

Bukowski : éclats de vie [Interview]

Paradoxalement, malgré la perte brutale de Julien Bottel, son bassiste et principal parolier, BUKOWSKI sort peut-être le meilleur de ses six albums en quinze ans de carrière. Sobrement éponyme, cette nouvelle réalisation montre un quatuor en pleine mutation, entre Rock et Metal, et affichant ouvertement des sonorités post-HardCore, Stoner et alternatives. « Bukowski » marque également la première apparition sur disque de son batteur, Romain Sauvageon, qui a répondu à quelques questions. Entretien.

Photo : Armen Balayan

– Vous sortez votre sixième album dans des conditions particulières, puisqu’il parait presqu’un an jour pour jour après la disparition tragique de Julien. Et pourtant, c’est bien sa basse qui résonne sur ces onze nouveaux morceaux. Au-delà de l’hommage naturel que cela représente, cela vous est apparu comme une évidence que « Bukowski » voit le jour ?

Oui, c’est exactement ça, c’était une évidence. On ne se voyait pas remballer tout ce qui avait été fait les mois précédents et surtout, il n’aurait jamais voulu que le groupe se termine après son départ. Cet album est devenu un véritable hommage à Julien.

– La pochette de l’album, toute en sobriété, dégage aussi beaucoup de force. Pour la première fois aussi, cette nouvelle réalisation est éponyme, ce qui en dit long sur votre état d’esprit. Ca peut paraître assez paradoxal, mais « Bukowski » se révèle comme votre disque le plus abouti avec une identité musicale très affirmée, et c’est peut-être même le meilleur…

Merci ! Effectivement, cet album s’est transformé en hommage à Ju. A la base, l’artwork (réalisé par Zariel) était totalement différent et l’album devait se nommer « Arcus ». Bref, tout était prêt. Mais avec les événements, on ne pouvait pas continuer sur notre lancée comme si de rien n’était. Concernant l’identité musicale, nous avions pris la décision pendant la composition de ne pas nous mettre de barrières et d’aller jusqu’au bout de toutes nos idées. On s’est dit dès le début que ce serait un album prise de risques, c’est un choix que nous avons assumé dès le début et vu les retours que nous avons depuis sa sortie, il semblerait que ce soit payant !

– Pour clore ce triste chapitre, c’est donc Max Müller, ancien guitariste de Full ThroIle Baby et ami de Julien, qui reprend la basse. Et comme un signe du destin, il est lui aussi gaucher et joue même maintenant avec son instrument et sur son matériel. Comment cette succession, ou ce relais, a-t-il eu lieu car un tel héritage peut être lourd à porter ?

Cela s’est fait assez naturellement pour être honnête. Quand la décision a été prise de continuer BUKOWSKI, s’est posée la question du remplaçant. Nous ne voulions pas de quelqu’un de trop extérieur, nous avons toujours aimé travailler ‘en famille’. Max était très proche de Julien et ça nous semblait être le plus logique. Quand on s’est rendu compte qu’il était gaucher, on a vu ça comme un signe. Aujourd’hui, on est ravis de  l’avoir avec nous et il est le meilleur successeur que l’on pouvait imaginer.

Photo : Armen Balayan

– Outre l’émotion qui émane de « Bukowski », ce nouvel album va encore plus loin que ce que vous avez l’habitude de proposer. Sur une base Rock et Metal, on retrouve des sonorités Stoner bien sûr, mais aussi post-Rock et Hard-Core, et plus alternatives à la Pearl Jam vocalement. On a l’impression de découvrir enfin tout le potentiel et la pluralité artistique du groupe. Comment êtes-vous parvenus à une telle éclosion ?

Je pense qu’un groupe parcourt un chemin pavé d’expériences et de rencontres. On sent sur cet album les influences de chacun d’entre-nous et que nous avons essayé de mélanger du mieux possible ! Chaque membre est déterminant dans les idées de compositions et d’arrangements. Entre les arrivées de Knäk (déjà sur l’album précédent) et la mienne, les choses changent forcément ! On se sent à l’aise dans nos sessions de travail, libres d’exprimer ce que l’on veut et je pense que c’est un facteur majeur pour une création saine !

– Etonnamment, malgré tous les courants et les styles que vous abordez, BUKOWSKI fait toujours du Rock français au sens noble du terme. C’est quelque chose à laquelle vous tenez, cette identité hexagonale dans le son et l’approche ?

Oui bien sûr, on a grandi avec la scène américaine et anglaise, mais aussi avec la scène française ! Ca fait partie de notre background. Et aujourd’hui, tourner avec des poids lourds de cette scène nous rend fiers de ce qu’on fait et de ce qu’on a accompli. Alors bien sûr, on a aussi envie d’aller explorer d’autres horizons, mais on se concentre pour le moment sur l’hexagone et on verra ce que nous réserve l’avenir.

Photo : Armen Balayan

– L’une des surprises de l’album est « Arcus » et sa partie en spoken-word interprétée par votre ami, le rappeur Wojtek. C’est une première en français pour vous et on retrouve une ambiance qui rappelle la scène des années 90. D’où est venue l’idée et comment le morceau a-t-il été composé ?

On avait envie de faire un morceau avec Wojtek qui est le roi du Battle Rap français. C’est vraiment parti de ça : on voulait faire un morceau avec notre pote ! Du coup, la composition est partie de cette idée-là, à savoir une base mid-tempo avec des relents Hip-Hop notamment dans la batterie. Ensuite, comme je te le disais plus haut : pas de barrières !

– L’autre featuring est celui de Tony Rizzoh d’Enhancer et de Perfecto pour un morceau d’une rare explosivité, « Vox Populi ». C’est un aspect extrême de BUKOWSKI que l’on voit assez peu souvent. Quel sens avez-vous voulu donner à ce titre, qui semble d’ailleurs taillé pour la scène ?

C’est le même principe que pour « Arcus », c’était une envie commune que de bosser ensemble. Alors la donne était différente puisque, comme tu le dis, Toni joue avec Mathieu et moi au sein de Perfecto. Tout est donc plus facile, car on se connait par coeur ! En gros, c’est un titre qui aborde le sujet des écarts qui se creusent dans la société avec des riches de plus en plus riches et des pauvres de plus en plus pauvres. On voulait exprimer une forme de rage autant dans les textes que dans le ressenti à l’écoute ! On a pu jouer ce morceau quelques fois sur scène avec Toni, et effectivement ça marche très bien en live !

– Enfin, ce sixième opus est d’une grande intensité avec des titres très denses, chargés en émotion et dont les mélodies sont tellement touchantes qu’on a qu’une envie, c’est de le découvrir en live et dans son intégralité. Comment allez-vous constituer vos setlists ? Ca risque d’être un vrai casse-tête, non ?

Alors oui, pour être honnête, c’est déjà un casse-tête! (Rires) Nous avons joué chez nous au Forum de Vauréal pour la release party le 15 Octobre dernier et ça a été très compliqué de choisir ! Cela fait quelques temps déjà que l’on voulait proposer autre chose sur scène, comme revenir à de vieux morceaux qui n’avaient pas, ou peu, été joués en live… Du coup, choisir des morceaux du nouvel album a été compliqué ! Mais au final, on a pris la décision de jouer quasiment deux heures au Forum, ce qui a simplifié la tâche. Malheureusement, on ne pourra pas faire des sets comme celui-ci à chaque fois, donc on mettra la priorité sur la nouveauté évidemment !

L’album éponyme de BUKOWSKI est disponible depuis le 23 Septembre chez At(h)ome.

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Doom Post-HardCore Post-Metal Sludge

Ahasver : Golgotha road

Mélodique et surpuissant, ce premier album des Occitans d’AHASVER est l’aboutissement d’un long travail et d’une créativité colossale. Composé de cadors du Metal extrême, le quintet élève son post-Metal aux reliefs saisissants et captivants pour en faire une matière musicale hypnotique et magnétique. Servi par une très bonne production, « Causa Sui » ouvre une multitude d’horizons musicaux.

AHASVER

« Causa Sui »

(Lifeforce Records)

Ce premier album d’AHASVER fait l’effet d’une gigantesque vague. Elle arrive, elle est très haute, le choc est violent et ensuite c’est la lessiveuse. Bâti autour de membres de Gorod, Eryn Non Dae, Psykup, Zubrowska, Dimitree et Drawers, le quintet ne donne évidemment pas dans l’easy listening. Poussant le post-Metal dans ses derniers retranchements, les français frappent un grand coup et sans retenue.

Mais au-delà de son impact sonore conséquent, « Causa Sui » est un album-concept très bien ficelé et surtout d’une grande finesse musicale. Le groupe tire son nom du personnage mythique ayant refusé de venir en aide à Jesus sur le chemin de Golgotha. Cela lui valut une errance éternelle sur terre. AHASVER en a imaginé la suite en inscrivant ses morceaux dans l’Histoire et en faisant un parallèle avec notre société.

Pour en saisir toutes les subtilités, plusieurs écoutes de « Causa Sui » s’imposent. Dans un climat extrême, tendu et nerveux, le combo enchaîne les phases Doom, Sludge et post-HardCore à grand renfort de blast monumentaux et réguliers (« Dust », « Tales, « Path »). Pourtant, AHASVER sait aussi nous emporter dans des atmosphères progressives et accrocheuses avec la même facilité (« Fierce », « Wrath », « Kings »).

Pas moins de quatre ans auront été nécessaires à l’écriture et à l’enregistrement de l’album et on comprend très bien vu le résultat obtenu. S’il a sans doute fallu faire converger les emplois du temps de chacun, c’est surtout la complexité des morceaux qui interpellent, tout comme le travail minutieux effectué sur les arrangements. AHASVER signe l’un des meilleurs albums du genre de cette rentrée, et c’est indiscutable !

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Alternative Rock Post-HardCore post-Rock

Cave In : conjurer le sort

La vie de CAVE IN n’est pas un long fleuve tranquille, mais malgré tout le combo américain continue sa route, guidé par une créativité qui ne faiblit pas. Mieux, avec « Heavy Pendulum » son septième opus, le groupe livre très probablement son meilleur album, passant d’un post-HardCore à un Alternative Rock avec une classe immense.

CAVE IN

« Heavy Pendulum »

(Relapse Records)

Suite au décès accidentel de son bassiste Caleb Scofield en 2018, également membre d’Old Man Gloom, nombre de questions s’est posé quant à la suite que donnerait CAVE IN à ses aventures musicales. En l’espace de six albums, « Heavy Pendulum » étant le septième et le second sans son bassiste originel, le quatuor du Massachusetts est parvenu à apporter beaucoup de s        ang neuf à son style et une suite s’imposait donc.

Finalement, c’est le bassiste Nate Newton qui assure maintenant la succession et il s’en sort franchement bien. Produit par leur ami et guitariste de Converge, Kurt Ballou, « Heavy Pendulum » tient toutes ses promesses en termes de créativité et CAVE IN se plait toujours autant à explorer, avec le talent qu’on lui connait, un large spectre Rock qui va du post-HardCore au Stoner jusqu’à l’Alternative.

De là à considérer ce nouvel album comme un exutoire, ce n’est pas vraiment le cas. Ici, tout est à sa place, parfaitement interprété et surtout très inspiré. Le quatuor se montre à la fois puissant, planant et bien sûr émouvant à de multiples reprises. Sans être trop sombre ou désespéré, CAVE IN poursuit sur sa dynamique dans un post-Rock fulgurant, mélodique et accrocheur.

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France Post-HardCore Progressif

Point Mort : post-format [Interview]

Clair, pertinent, audacieux et ascensionnel sont quelques adjectifs que l’on peut facilement attribuer à ce premier album de POINT MORT, « Pointless… ». Les Parisiens se livrent sur près d’une heure dans un post-HardCore percutent et aux reliefs étonnants, passant d’’ambiances progressives à des fulgurances Metal sans concession. Entretien avec Sam, chanteuse polymorphe s’il en est, et Simon, batteur métronomique et virevoltant du quintet.

– Le groupe existe depuis déjà sept ans et vous avez deux EP à votre actif. Et trois ans après le dernier, « R(h)ope », vous sortez votre premier album « Pointless… ». Il vous fallait être fin prêts afin de proposer un long format qui a dû demander beaucoup de travail, vu le résultat ?

Sam : Je pense que c’était le moment, que les planètes étaient alignées. (Sourires)
« Pointless… » nous a demandé du temps, en effet. Comme beaucoup de musiciens, on a bénéficié du confinement, de l’arrêt des concerts pour travailler dessus. Le groupe est plus solide aussi, humainement et musicalement. Un contexte plus favorable en tous points.

– Justement « Pointless… » est parfaitement réalisé, tant au niveau des compositions que de sa production. Vous aviez le sentiment que votre jeu n’était peut-être pas suffisamment mature jusqu’ici et qu’il vous fallait être encore patients pour pouvoir vous exprimer pleinement, surtout dans un registre aussi travaillé ?

Sam : Pas vraiment. Nous n’avons jamais vraiment réfléchi au format. Nous avons enregistré nos deux premiers EP en fonction du temps qui nous était disponible à ce moment-là. Pour « Pointless… », on avait plus de temps et on a décidé de s’en donner plus en studio aussi. C’est ce qui a permis d’enregistrer ces huit morceaux qui, pour nous, fonctionnaient comme un ensemble.

– Le Post-HardCore de POINT MORT se démarque également de la scène nationale de par, notamment, la complexité de vos morceaux. De quelle manière procédez-vous pour les composer, compte tenu de leurs structures et des innombrables détails, qui sortent franchement de l’ordinaire ?

Simon : J’espère ne pas avoir l’air trop prétentieux, mais je crois que c’est quelque chose qui nous vient assez naturellement, en fait. En tout cas, ce n’est pas prémédité, on ne recherche pas la complexité pour la complexité. C’est surtout un aspect très présent dans la musique qui nous influence, donc ça nous paraît évident de ne pas aller vers des structures trop linéaires quand on écrit.

Il est également bien plus simple, à mon avis, de se repérer dans un morceau dans lequel tous les passages sont différents que dans une structure classique, où tous les couplets et refrains sont les mêmes ! Les cassures et les changements d’ambiance font que nous restons alertes et engagés dans le morceau en le jouant. On a tendance à s’ennuyer assez vite sinon !

– POINT MORT présente des arrangements très pointus, qui forment un édifice solide. Y pensez-vous dès le départ, ou c’est plutôt un travail de studio, qui se fait en aval ?

Simon : A l’échelle à laquelle nous travaillons, nous n’avons accès au studio qu’au moment d’enregistrer les morceaux. Tout le travail, de la composition, à l’arrangement puis à l’apprentissage des titres, doit avoir été fait avant d’arriver au studio, sans quoi, on est certain de perdre un temps précieux.

Pour autant, on ne peut pas dire que tout soit réfléchi ‘dès le départ’. Certaines idées d’arrangement n’arrivent qu’en fin de composition, mais il n’y a pas vraiment de règle préétablie…

– Pour revenir à votre album, il présente des atmosphères très variées qui pourtant débouchent sur un ensemble très cohérent. C’est difficile de vous suivre parfois, malgré un style très personnel qui devient d’ailleurs vite identifiable. Vous vous fixez un fil rouge, une ligne directrice ?

Simon : On cherche toujours à atteindre le fragile équilibre entre un morceau qui est intéressant à jouer pour nous les musiciens, mais qui reste cohérent pour les auditeurs. On écrit avant tout de la musique pour nous-mêmes, donc c’est important qu’on ne s’ennuie pas en jouant les morceaux. Mais si on ne suit que cette directive-là, on peut très vite se retrouver avec un morceau qui ne ressemble pas à grand chose. Parfois, il faut faire des compromis !

– Parlons de l’aspect vocal de POINT MORT avec ses passages clairs et d’autres growlés. J’imagine que ce sont les textes qui guident l’intensité et la puissance à employer à tel ou tel moment, non ?

Sam : Je compose de manière instinctive. C’est plutôt l’intensité qui dicte les mots en fait. Quand je commence à poser les lignes mélodiques, les morceaux sont généralement bien avancés. Je me jette un peu à l’eau et je lance les idées comme elles viennent. A partir de là, si les bases mélodiques nous plaisent, je commence à écrire. Les sonorités m’inspirent des mots, des thèmes. Je fonctionne plutôt dans ce sens-là. La mélodie est vraiment ce qui prime à mon sens.

– L’autre particularité du chant est de passer de l’anglais au français. Dans quels cas utilisez-vous l’un ou l’autre ? Pour faire passer certains messages ? Pour insister sur l’aspect poétique de certains textes ?

Sam : Ce sont les mélodies qui me dictent la langue. J’entends même parfois des langues que je ne maîtrise pas, à mon grand regret… D’ailleurs, on n’était tous pas très fan du français au départ. Mais c’est comme pour le reste : si on trouve tous que ça colle, on garde.

– Enfin, j’aimerais que l’on dise un mot sur le côté engagé et presque militant parfois de certains titres. L’inscrivez-vous pleinement dans votre démarche, au même titre que la musique en elle-même ?

Sam : Ah, je vois que tu as bien lu les textes. Parce qu’on nous en parle peu en fait. Pour la simple et bonne raison que j’aime utiliser une prose assez imagée quand j’écris. Mais oui, les thèmes sont engagés, car j’écris toujours sur des sujets qui me tiennent à cœur, me chamboulent, me révoltent… Mais comme ce n’est pas une écriture commune avec le reste des membres, et que je suis ‘la voix’ de ce groupe, on ne souhaite pas verser dans le  militantisme, non. Le groupe n’a pas à porter mes convictions intimes. Même si on est d’accord, la plupart du temps… et heureusement d’ailleurs. Disons que nous contestons,  mais que nous ne sommes pas là pour mobiliser l’opinion publique.

L’album de POINT MORT, « Pointless… », est disponible depuis le 29 avril chez Almost Famous.

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Post-HardCore Post-Metal

[Going Faster] : Yarotz / Wntrhltr

Parce qu’il y a beaucoup, beaucoup de disques qui sortent et qu’il serait dommage de passer à côté de certains d’entre eux : [Going Faster] se propose d’en mettre plusieurs en lumière… d’un seul coup ! C’est bref et rapide, juste le temps qu’il faut pour se pencher sur ces albums, s’en faire une idée, tout en restant toujours curieux. C’est parti !

YAROTZ – « Erinyes » – Independant/XL Tour

Baptisé The Third Eye à sa création, ce qui fut aussi le titre de sa première démo en 2019, le trio d’Aquitaine livre son premier album « Erinyes ». Fondé entre autres par deux membres de Junon, YAROTZ libère un Metal féroce et brutal dont les influences balaient un large spectre. Très impulsif dans son côté Hard-Core et plus mélodique dans ses aspects post-Metal, le groupe présente des compositions très convaincantes et aussi sombres que rageuses. Doté d’une excellente production, le premier effort de YAROTZ déploie une force à travers laquelle l’expérience du power trio peut s’exprimer pleinement (« Vergogna », « Deliverance », « Phoenix »). Et, cerise sur ce beau gâteau, le combo accueille Christian Andreu de Gojira sur l’incendiaire « Childish Anger ». Un disque sauvage et massif.  

WNTRHLTR – « Deu.Ils » – Independant

D’une beauté sombre et dans une intensité de chaque instant, WNTRHLTR refait surface avec « Deu.Ils », un EP très dense qui fait suite à un premier single, « Sonar », sorti il y a trois ans. Avec ce format court, la consonance est toute particulière pour son guitariste et chanteur Thomas Winterhalter, souhaitant à travers ces titres se libérer d’un deuil. Les six morceaux ont donc un écho très personnel, qui saisit dès les premières notes de « Prologue » jusqu’à « Deuil », deux titres où la voix de Laure Le Prunenec (ex-Igorrr, Rïcïnn) apporte un peu de lumière. WNTRHLTR propose un post-HardCore en forme de complainte puissante, hypnotique et froide. Une superbe libération artistique ténébreuse, qui aurait même mérité de s’étendre un peu plus encore.

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Hard-Core Post-HardCore

Anna Sage : sans sommation

Le magma dans lequel nous propulse ANNA SAGE sonne la révolte et donne l’assaut dans un Metal HxC brutal et sombre, qui n’en oublie pas pour autant de poser des ambiances savamment dissonantes et franches. Dans une veine post-HardCore sauvage, le quatuor parisien joue sur différents tableaux avec une redoutable efficacité. Rageur et captivant à la fois.

ANNA SAGE

« Anna Sage »

(Klonosphere)

A quelques mois près, ANNA SAGE fêtait ses dix ans d’existence. Un dixième anniversaire qui aurait pu être célébré de main de maître par ce premier album éponyme franchement digne de ce nom. Mais bon… Blague à part, avec « Anna Sage », les Parisiens entrent avec fracas dans la cour des grands, toujours armés du post-HardCore aussi ténébreux qu’incendiaire. Et le quatuor n’a rien laissé au hasard en appuyant là où il faut.

Après deux EP (en 2014, puis en 2018), ANNA SAGE n’a pas réduit la voilure et encore moins l’intensité de son jeu. Quatre ans plus tard, il renouvelle sa confiance à Francis Caste, celui-là même à qui l’on doit la superbe production du dernier album de Hangman’s Chair. Et bien leur en a pris, car on est d’emblée saisi par l’atmosphère de « Anna Sage » et  par la finesse des arrangements et du mix.

Moderne, technique et percutant, ANNA SAGE se veut à l’image du célèbre hors-la-loi, John Dillinger, coincé par le FBI grâce à une prostituée qui a donc donné son nom au groupe. Sans concession, parfois chaotique et toujours très frontal (« The Holy Mice », « Hostile Cage », « Sinner Ablaze »), les titres sont très compacts et cette première réalisation ‘long format’ offre des sonorités impactantes phénoménales (« Wall Of Hate », « Loveless »). Pleine face !