Catégories
International Metal Progressif Symphonic Metal

Ignea : entre colère et douleur [Interview]

Parler des groupes ukrainiens est plus que jamais une question de soutien à un peuple et à ses artistes. C’est donc tout naturellement que Rock’n Force donne aujourd’hui la parole à IGNEA, groupe de Metal Symphonique et Progressif, basé à Kiev. Signé il y a quelques mois chez Napalm Records, les musiciens étaient en plein enregistrement de leur premier album sur une major, lorsque le conflit a éclaté. Entretien avec Helle Bohdanova, chanteuse du quintet, sur les récents événements qui ont bouleversé leur projet, mais surtout fait entrer la douleur dans leur vie au quotidien.

Photo : Darina Momot

– Avant toute chose, comment allez-vous ? Et sans donner de précisions, êtes-vous toujours à Kiev et surtout est-ce que vous êtes tous sains et saufs ?

Tous les membres du groupe IGNEA vont bien, compte tenu des circonstances. Oui, nous restons tous à Kiev. Il est difficile de dire que nous sommes en sécurité, car il n’y a pas d’endroit sûrs en Ukraine, tant que la guerre continue.

– Avant de revenir sur ces tragiques événements qui secouent votre pays, j’aimerais aussi que l’on parle du groupe. Depuis ces cinq dernières années, vous avez sorti deux albums et un split EP plus récemment. Comment avez-vous démarré et de quelle manière avez-vous mené IGNEA jusqu’à présent ?

Le groupe a été fondé par notre claviériste et compositeur Yevhenii. L’histoire du groupe a commencé en 2013 avec notre premier EP « Sputnik ». Cependant, au cours de toutes ces années, nous avons été confrontés à de nombreux défis, qui nous ont empêchés d’être actifs tout le temps. Nous avons eu des partenaires commerciaux indignes, puis la pandémie et aujourd’hui la guerre. Cela fait beaucoup de bouleversements et d’aléas malheureux. Mais, pendant ce temps, nous avons agrandi notre base fans dans le monde entier, et nous les en remercions chaque jour.

– Justement, le fruit de tout ce travail a été récompensé avec la signature il y a quelques mois chez Napalm Records. Dans quelles circonstances cela s’est-il passé et j’imagine que c’est aussi une belle récompense pour vous ?

Je dis toujours qu’un contrat avec un label doit être bénéfique pour tout le monde. Je pense que nos progrès en tant que groupe ont attiré Napalm Records à nous, et notre désir de changer de label a favorisé les choses. Dans les faits, ils nous ont contactés, nous avons travaillé sur les conditions d’un contrat, nous avons trouvé un accord et nous voici donc chez eux. Cependant, notre collaboration démarrera véritablement au prochain album.

Photo : Veronika Gusieva

– Alors que vous étiez en plein enregistrement, la guerre vous a stoppé net dans votre élan. Où en étiez-vous sur l’album et comment cela se passait-il en studio jusqu’à présent ? Vous aviez bien avancé malgré tout ?

Nous avons réussi à enregistrer toutes les parties de guitare et de basse, quelques arrangements orchestraux et de synthé et la moitié des voix. Cependant, il reste encore beaucoup à faire, et c’est assez compliqué avec les sirènes d’alerte de raids aériens, qui ont lieu chaque jour dans la ville. Mais nous essayons maintenant de faire tout notre possible pour au moins terminer l’enregistrement.

– D’ailleurs, peut-on avoir quelques informations sur l’album ? Quel sera son titre, par exemple ? Et qui le produit ?

Je ne peux encore divulguer aucun détail autre que le fait qu’il est produit par Max Morton, qui a façonné le son de toutes nos réalisations jusqu’à présent.

– J’imagine que l’enregistrement ne va pas pouvoir reprendre avant un moment. A ce sujet, le studio est-il intact et avez-vous pensé à poursuivre l’album ailleurs à l’étranger ?

Il faut savoir que cette guerre à grande échelle en Ukraine inclut une mobilisation générale. Tous les hommes de 18 à 60 ans ne sont pas autorisés à quitter le pays, tant que la guerre n’est pas terminée. Même si nous voulions partir à l’étranger en tant qu’artistes, ce n’est pas possible. Et, en dehors du travail du groupe, nous avons fait du bénévolat et aidé comme nous le pouvions pour combattre l’agresseur ici, à Kiev. Notre producteur reste également dans la ville. Donc, il n’y a aucune raison et aucun moyen pour nous de quitter le pays. Nous essaierons donc de terminer l’enregistrement à Kiev.

– Même si vos morceaux sont achevés au niveau de l’écriture, pensez-vous qu’à la reprise, la guerre puisse les faire évoluer en raison de probables sentiments endurcis et d’une colère légitime ?

Les chansons ont été achevées avant le début de la guerre, et c’est un concept-album qui n’a rien à voir avec la guerre. Par conséquent, nous ne changerons rien au niveau des compositions. Peut-être que ce sera plus facile pour moi d’enregistrer les growls, parce que je pourrais y mettre toute ma colère et ma douleur. Cependant, je dois avouer que ces événements nous ont changés en tant que personnes pour toujours. Notre musique dans le futur sera différente, c’est certain. Si nous survivons.

Photo : Veronika Gusieva

– Un petit mot sur « Bestia », qui est un split EP-concept que vous avez sorti avec le groupe Ersedu en octobre dernier. D’où est venue l’idée de ce concept et du choix de vos deux morceaux ? Et puis, il y a ce titre symphonique de 15 minutes également…

Cet EP est le résultat d’une amitié de dix ans avec ERSEDU (groupe de Metal ukrainien originaire d’Odessa) Nous étions chez eux au milieu de la pandémie et avons décidé de faire quelque chose ensemble. Ils avaient l’instrumental d’une chanson, j’ai écrit les paroles et c’est devenu « Mermaids ». Ensuite, le concept du disque est né et chacun a contribué à hauteur de deux chansons de son côté. Et enfin, parce que tous les titres ont une grande teneur symphonique, nous avons également décidé de faire un mix à partir des arrangements orchestraux utilisés dans ces morceaux.

– A l’heure actuelle, votre nouvel album aurait du être enregistré et vous deviez aussi être en tournée. Comment vivez-vous tout ça, et quand et comment imaginez-vous votre retour sur scène et plus globalement à la musique ?

C’est une question très difficile pour nous. Mis à part tous les événements horribles qui se produisent dans notre pays, il est très douloureux de voir d’autres groupes tourner et sortir de la musique pendant que notre carrière est suspendue et tout cela après deux ans de pandémie. Nous avons encore le temps de terminer l’enregistrement de l’album avant la date limite, mais vous devez comprendre que nous ne sommes pas en mesure de faire de photos promotionnelles, ni de filmer de vidéos ou de proposer autre chose. Beaucoup de gens ont quitté le pays et beaucoup ont perdu leur maison. Nos villes sont encore bombardées chaque jour. Et quand on va dormir, on ne sait pas si on se réveillera. Et tout cela malgré le fait qu’en ce moment, Kiev n’est pas encerclée par les troupes russes. Nous ne savons pas quand tout cela s’arrêtera et quand nous pourrons reprendre complètement les activités du groupe. Tout ce que nous pouvons faire, c’est croire en nos forces armées et les aider autant que nous le pouvons.

– Enfin, quand cette guerre sera terminée, et souhaitons-le le plus vite possible, comment voyez-vous le futur d’IGNEA ? Une reprise dans des conditions normales ne sera pas tout de suite possible…

Mentalement, nous pensons que nous ne nous en remettrons jamais. Parce que nous aurons toujours une trace de cette guerre dans notre âme et notre esprit. Mais nous voulons vraiment continuer et réaliser nos rêves de sortir de nouvelles musiques et de faire des tournées. L’une des choses que cette guerre nous a apprises est de ne rien remettre au lendemain, car il peut ne pas y en avoir. Une fois la guerre terminée, nous continuerons notre chemin musical, tout en restaurant nos villes après les destructions massives causées par les Russes.

Un grand merci à Helle, à qui je renouvelle bien sûr tout mon soutien, ainsi qu’à l’ensemble du groupe, et à Mike de Coene de Hard Life Promotion pour la mise en contact.

L’interview a été réalisée le 7 avril dernier.

Vous pouvez aider le groupe en vous procurant le split Ep sur son Bandcamp: https://ignea.bandcamp.com/album/bestia