Avec seulement deux albums à son actif, sortis avant et après la pandémie, AZILIZ MANROW s’est pourtant et naturellement fait une place sur la scène bretonne au point d’en être aujourd’hui incontournable. Dans la lignée de son premier opus « Earth », la chanteuse fait son retour avec « Et Tout Prend Vie », où s’entremêlent Pop et Folk dans une atmosphère celtique omniprésente. Ecrit en français, en anglais et en breton, elle impose sa personnalité dans un univers musical dorénavant facilement identifiable. Entretien avec une artiste aimantée et inspirée par un pays qui se rappelle constamment à elle.

– « Earth », ton premier album, est sorti il y a six ans déjà. S’il y a eu la pandémie, bien sûr, c’est un délai assez long entre deux disques. Tu as eu besoin de plus de temps cette fois-ci pour la réalisation de « Et Tout Prend Vie » ?
Même si les années me semblent être passées en un clin d’œil, il est vrai que mon parcours artistique a été stoppé en plein vol, suite à la crise que nous avons traversée. 2020 et 2021 ont été des années à la fois sombres et surprenantes. Elles m’ont amené à réfléchir à mon avenir dans le milieu musical, il m’a même traversé l’esprit de me lancer dans une autre activité professionnelle. C’est ma rencontre et ma collaboration avec Denez (Prigent – NDR) qui m’a convaincu de continuer. Avec le recul, je me rends compte que j’ai beaucoup appris et grandi pendant cette période plus qu’inédite. Le confinement m’a ramené dans ma chambre d’adolescente, dans laquelle j’ai beaucoup écrit et composé, ce qui a d’ailleurs donné naissance à la chanson « Emotion ».
– Sur « Et Tout Prend Vie », tu as également conservé la même équipe de musiciens. C’était important pour toi de garder ce socle avec lequel tu as commencé ? Pour garantir ta touche sonore, ou peut-être juste maintenir une certaine confiance ?
Je suis une personne assez fidèle et la stabilité de l’équipe qui m’accompagne a toujours été importante pour moi, pour créer en toute confiance. Mais au milieu du parcours de réalisation de ce deuxième album, une nouvelle collaboration avec le label One Hot Minute m’a ouvert d’autres possibilités pour la suite du projet. Aussi, certaines chansons ont été arrangées par John Sainturat, le guitariste qui m’accompagne depuis de nombreuses années, et d’autres chansons par Thierry Gronfier. Ce qui apporte une nouvelle direction à ma musique, et c’est plutôt positif !

– Sur ce nouvel album, tu chantes encore en français, en anglais et en breton. Cela convient d’ailleurs parfaitement à ton registre. Tu ne t’es jamais résolu à faire un choix ?
Je chanterai toujours dans ces trois langues, et dans bien d’autres si l’occasion se présente. C’est mon identité artistique et ma vision personnelle de la création ‘libre’. L’inspiration qui me traverse dans mes séances d’écriture a une vraie raison d’être pour moi et je ne veux pas perdre cette vérité, cette spontanéité.
– D’ailleurs, chaque langue a aussi sa propre couleur musicale. Le breton penche naturellement vers des mélodies celtiques, le français a un côté plus Pop, tandis que l’anglais apporte une touche Folk, Americana et Country. Est-ce une distinction volontaire, ou quelque chose qui se fait naturellement au moment de l’écriture ?
Je commence toujours par composer les mélodies à la guitare, en ayant déjà une idée du thème que je vais aborder, j’ai parfois même déjà le titre de la chanson. C’était d’ailleurs le cas lorsque j’ai composé « Douar ». En revanche, la langue choisie n’est pas toujours déterminée. Lorsque je compose, je chante toujours dans une langue imaginaire et ce sont les sonorités qui ressortent et qui me guident jusqu’aux paroles que je vais écrire.

– S’il y a quelques collaborations sur « Et Tout Prend Vie », comme c’était aussi le cas sur « Earth », tu signes l’essentiel des paroles et de la musique. Y a-t-il un processus d’introspection dans ta manière d’écrire et de composer qui nécessite d’être seule ? Dans un premier temps du moins…
Hormis une certaine pudeur qui me bloquait dans l’écriture de textes en français, je ne me sentais pas légitime d’écrire, pensant ne pas avoir le talent pour ça. Mais ces dernières années d’introspection, depuis le premier album, m’ont appris à me ‘lâcher la grappe’, apprivoiser la feuille blanche, me connecter à mon jardin secret et me laisser guider par l’énergie qui en ressort, au plus près de la vérité qui m’anime.
– Entre tes deux albums, il y a donc aussi eu ta rencontre avec Denez, dont on connaît le talent et l’attachement viscéral à la Bretagne. Tout a commencé en 2021 avec le morceau « Waltz Of Life » avec Oxmo Puccino, puis sur scène à plusieurs reprises. Il signe d’ailleurs aussi l’adaptation du texte en breton de « Merch’ed Kelt ». Outre la connexion musicale, vous avez en commun l’amour de la Bretagne. Quelle relation artistique entretenez-vous justement ?
Oui, comme je le disais un peu plus haut, Denez fait partie de ces rencontres déterminantes, qui apportent à votre existence un sens tout particulier. Il est aussi pour moi un ami sincère et authentique. Nous avons, je pense, une vision artistique et humaine similaire et je suis admirative de son parcours et de sa forte identitaire bretonne. Il suit son intuition quoi qu’il advienne et c’est un très bel héritage pour la nouvelle génération d’artistes en Bretagne.

– Un mot justement sur « Merc’hed Kelt », ‘Les Femmes Celtes’, où tu as réuni six chanteuses bretonnes. Comment est née l’idée de cette chanson et quelle signification a-t-elle pour toi ? Y a-t-il un rapport, même lointain, avec #Me Too ou d’autres revendications du même genre ?
Mon projet de « L’Hymne des Femmes Celtes » me tenait à coeur depuis longtemps, mais il me semblait difficile à concrétiser, parce qu’il fallait réussir à convaincre et rassembler plusieurs artistes, ce que je n’avais encore jamais expérimenté. « Merc’hed Kelt » ne devait d’ailleurs pas faire partie du nouvel album au départ. Ce projet a finalement vu le jour grâce à ma collaboration avec One Hot Minute, qui a souhaité produire ma chanson, dans les tout derniers temps de la réalisation du disque.
Pour la création de cette chanson, j’ai souhaité travailler avec mon père, Gwendal Le Goarnig. Il a composé la mélodie, puis j’ai écrit le texte en français. Comme c’était important pour moi que cette chanson soit chantée en breton, j’ai donc proposé à Denez d’adapter le texte et il m’a fait l’honneur d’accepter.
Enfin, à travers ce projet je souhaitais mettre en valeur l’histoire de ces femmes qui, d’après les quelques écrits que j’ai pu trouver, nous racontent qu’elles avaient la même place et les mêmes droits que l’homme dans le peuple celte. Elle pouvait être reine, druidesse ou encore cheffe de guerre. Je pense qu’il est plus que temps que l’homme et la femme retrouvent cette équité et que l’on intègre enfin que chaque être humain détient une place particulière et unique sur Terre. Je trouvais donc intéressant de remettre l’Histoire de la femme celte dans le contexte actuel, en réussissant des artistes féminines, qui constituent la scène actuelle bretonne. J’ai contacté plus d’une dizaine d’artistes de Bretagne et six d’entre-elles ont souhaité faire partie de l’aventure. Merci encore à Laurène Bourvon (duo Lunis), Clarisse Lavanant, Elise Desbordes (duo Emezi), Madelyn Ann, Sterenn Diridollou et Morwenn Le Normand.
– Il y a sur l’album un thème qui revient à plusieurs reprises, c’est celui du rêve. Et c’est vrai qu’il laisse le champ libre à l’imagination au sens large. En quoi est-ce qu’il t’inspire et peut-il d’ailleurs devenir réalité ? Et est-ce que tu le souhaites ?
Je suis fascinée par la capacité que nous avons tous à rêver. Je suis quelqu’un qui rêve beaucoup, et parfois de situations tellement réelles que j’ai l’impression d’avoir une deuxième vie. Mes rêves m’ont permis de concrétiser dans la matière un souhait, une idée, une rencontre. Il m’est arrivé de rêver d’une mélodie, de me réveiller en pleine nuit et de l’enregistrer à moitié endormie.

– J’aimerais qu’on dise un mot aussi de ton rapport à la Bretagne. Tu es Finistérienne, d’un lieu que je connais d’ailleurs bien, et issue d’une famille aussi très engagée. Même si c’est difficile à exprimer de manière rapide, qu’est-ce qui t’inspire le plus dans notre beau pays ? Sa musique, ses légendes, ses paysages et ses reliefs, sa langue, sa culture celtique très opposée celle latine de la France, son peuple, son caractère, … ?
J’ai grandi à Moëlan-sur-Mer, dans une famille passionnée, investie, active et viscéralement attachée à sa culture bretonne. Même si nous avons toujours eu des liens très forts, j’ai eu besoin de partir loin, pour expérimenter la vie en dehors du cocon familial, découvrir d’autres cultures, d’autres paysages, d’autres ambiances et évoluer dans un environnement moins confortable, ou moins apaisant. Je crois que durant mes 20 ans de vadrouille, je n’ai finalement jamais été très épanouie loin de la Bretagne. Malgré la distance et les belles rencontres sur mon chemin, mon héritage familial m’a ramené vers la terre magnétique du Finistère. La Bretagne pour moi est un havre de paix infini, c’est à la fois mon innocence et ma plus grande force. Comme une évidence, je suis connectée à sa langue, sa lumière et sa beauté authentique, libre et sauvage. Et son énergie m’a aidé à réaliser ce deuxième album « Et Tout Prend Vie ».
– Enfin, j’ai remarqué aussi que tu étais allée un peu à l’encontre de ce qui se fait aujourd’hui à la parution d’un album, c’est-à-dire que tu l’as d’abord sorti en physique. Il sera ensuite disponible en numérique un peu plus tard. Je ne peux que saluer ton initiative et j’aimerais que tu m’en dises un peu plus sur cette démarche très rare. C’est un choix étonnant…
Avec One Hot Minute, nous avons privilégié la sortie physique de mon nouvel album en Bretagne, en collaboration avec la ‘Scarmor’, qui réunit les Espaces Culturels E. Leclerc, suite au ‘Prix de Soutien Culturel E. Leclerc’, qui m’a été attribué. L’écriture de ce nouvel album a été longue et mouvementée, j’ai mis beaucoup d’énergie et de coeur dans chacune de ses nouvelles chansons, ainsi que l’équipe qui a travaillé à mes côtés. Nous avons voulu prendre le temps de dévoiler cet album sur la toile, au juste moment. Même si je suis consciente que les lecteurs de disques sont en voie d’extinction, c’est aussi l’occasion de dire qu’il n’est pas obligatoire de livrer sa musique, en un clic, comme une évidence établie. Et puis, je fais partie de celles et ceux qui prennent le temps d’écouter un bon disque, en feuilletant son livret de paroles, tout comme l’on savoure un grand cru, au coin du feu.
Le nouvel album d’AZILIZ MANROW, « Et Tout Prend Vie », est disponible chez One Hot Minute et plus tard sur les plateformes.

Photos : Zoé Satche