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Yojimbo : astral connexion [Interview]

Trois ans après des débuts très prometteurs, les Strasbourgeois réalisent leur premier album, « Cycles », et la surprise est belle. Toujours dans un registre Stoner Rock, le spectre du quatuor s’est considérablement élargi, laissant entrer des sonorités Heavy, post-Rock, progressives et Doom. Très aérien, le groupe joue sur un groove épais pour libérer des paysages sonores très nuancés, appuyant sur les tessitures instrumentales et vocales avec soin. Et la galaxie de YOJIMBO s’élargit aussi avec de multiples projets autour d’un collectif d’artistes, afin de développer encore un univers déjà riche. Entretien collégial avec un combo plein de ressources et d’envie.

– Je me souviens très bien de votre premier EP éponyme sorti en 2022, dont les cinq morceaux m’avaient déjà fait forte impression. Que s’est-il passé ces trois dernières années ? J’imagine que les concerts vous ont permis d’acquérir de la confiance et aussi de mûrir votre projet…

Beaucoup de choses ! Déjà un changement de line-up en 2023 avec l’arrivée de Dom (Pichard – NDR) à la basse et aux chœurs, qui a remplacé Aurélien. Sophie (Steff, guitare et chant – NDR) et Flo (Herrbach – NDR) ont aussi quitté leur boulot pour se consacrer pleinement à la musique, et on a tous investi beaucoup plus de temps dans le projet. On répète deux jours complets par semaine, en plus du temps qu’on consacre à d’autres aspects du groupe, comme notre démarche multidisciplinaire et les collaborations artistiques. On travaille notamment avec le collectif M33, ce qui nous permet d’explorer d’autres champs que la musique pure. Les concerts nous ont aussi permis de gagner en assurance. On a bossé dur sur notre autonomie technique, et on a su bien s’entourer. En bref, on a fait en sorte de se donner les moyens de donner de l’ambition au projet.

– Sans parler de métamorphose, on vous retrouve avec un premier album, « Cycles », qui marque une évolution notable chez YOJIMBO. L’énergie y est décuplée, tout comme votre univers qui s’affirme clairement. Quelles ont été les principales étapes de cette maturité acquise ?

On a bossé dur, tout simplement. Beaucoup d’exploration, de remises en question, d’introspections aussi sur l’intention qu’on voulait faire porter à notre musique. On a pris le temps de chercher le bon son, de comprendre ce qu’on voulait vraiment transmettre. Le fait d’avoir Flo dans le groupe, qui est ingé son de métier, a été un vrai plus. Avec les moyens du bord, il a drivé toute la partie technique de la pré-production jusqu’à l’enregistrement avant que les copains du studio La Turbine mettent ça brillamment en forme au mix. Tout ça nous a permis d’aller loin dans les détails.

– Ce qui est aussi assez étonnant, et on le pressentait déjà sur l’EP, c’est cette sensation de liberté, qui s’épanouit dans un registre toujours aussi Stoner bien sûr, mais où l’aspect progressif, Doom et post-Rock sont plus présent. Vous aviez besoin de prendre de la hauteur musicalement ? De développer un côté plus aérien ?

Ça s’est fait assez naturellement. Quand on compose, on ne se dit pas ‘il faut que ça sonne Stoner’ ou ‘mettons une touche de Doom là’. On a un panel d’influences très large à nous quatre, et ça ouvre des portes qu’on n’hésite pas à pousser. On aime l’idée que notre musique soit écoutée comme un voyage, et on a sans doute davantage assumé ça dans « Cycles ». Et c’est vrai que les touches post/prog apportent une forme de carburant à cette volonté d’ouvrir les espaces dans ce voyage.

– Bien sûr, la production de « Cycles » n’a plus grand-chose à voir avec celle de « Yojimbo ». Est-ce que c’est une simple question de production, donc de moyen, ou au contraire, vous êtes parvenus à obtenir le son que vous aviez toujours souhaité ? Entre une puissance massive propre au Stoner et des passages plus légers et très sinueux…

Un peu des deux. On a accordé plus de temps, mais surtout on savait ce qu’on voulait. Ce n’est pas qu’une question de matos ou de studio, c’est aussi le fruit d’une vraie démarche sonore et artistique qu’on a affinée avec le temps. On a notamment beaucoup œuvré à ce que chaque instrument trouve sa place.

– YOJIMBO a toujours revendiqué ce côté cosmique que vous qualifiez même d’intergalactique. Sur « Cycles », il est encore très présent et plus poussé, je trouve. Est-ce qu’il y a, selon vous, un aspect de votre style, c’est-à-dire, le Stoner, le Prog ou le post-Rock qui prend un peu le dessus, et qui domine ce bel équilibre ?

On navigue vraiment à vue, mais le Stoner reste dans notre branche principale. Il y a des morceaux très Doom, d’autres très planants, d’autres plus Heavy… On essaie de ne pas prioriser un style au détriment d’un autre, mais plutôt de créer une continuité d’énergie ou d’évocation. L’esthétique intergalactique nous permet de lier tout ça sans cloisonner : c’est ce qui fait qu’on parle de ‘Stoner Intergalactique’.

– Même si l’on pourrait penser que votre propos pourrait être décalé, compte tenu d’une musique assez intemporelle, vos textes traitent de thématiques très actuelles comme l’écologie, le capitalisme, les conflits comme des choses plus personnelles. Comment conciliez-vous votre aspect ‘cosmique’, qui pourrait se prévaloir d’un certain détachement avec des sujets aussi concrets et sociétaux ?

Les textes sont écrits par Sophie, mais on les travaille au besoin ensemble ensuite, notamment pour chercher les bons niveaux de lecture. On veut que nos paroles aient du fond, mais aussi qu’elles laissent de la place à l’interprétation personnelle. Notre univers est peut-être cosmique, mais il parle du monde dans lequel on vit : des violences systémiques, de nos dérives politiques, de nos rapports au pouvoir ou à la nature. Le filtre science-fictionnel, ou symbolique, est là pour créer une mise à distance poétique, mais il n’y a jamais de déconnexion.

– Je trouve aussi ce premier album techniquement plus complexe. Y avait-il des choses que vous n’aviez pas osées sur « Yojimbo », car le groupe était encore jeune ? Et vous sentez-vous aujourd’hui peut-être débridé par rapport à vos débuts, car le potentiel était déjà là ?

C’est sûr qu’au début, il y a toujours une forme de retenue, d’hésitation à pousser certaines idées jusqu’au bout et un manque de maîtrise aussi. Aujourd’hui, on s’autorise beaucoup plus de libertés, que ce soit dans les structures, les textures, ou les intentions. On a aussi beaucoup évolué individuellement en tant que musiciens, notamment en travaillant nos instruments. Et puis, le groupe est soudé, donc la confiance mutuelle permet d’aller plus loin. On compose pour se surprendre autant que pour surprendre les autres.

– Vocalement aussi, l’évolution est flagrante. Sophie, est-ce que le fait que tu sois peut-être plus entreprenante vient de la scène et des facilités qu’elle enseigne ? Ou alors, comme tu es également guitariste, tu as peut-être aussi décidé d’accorder plus d’attention au chant dans une certaine mesure sur l’album ?

La maturité et le travail, clairement ! (Rires) J’ai passé plus de temps à analyser mes forces et mes faiblesses, mais aussi à davantage interpréter que simplement chanter. J’ai également un autre projet musical dans un tout autre registre (Folk Blues) avec lequel je tourne beaucoup, et qui m’a énormément fait évoluer vocalement. C’est un peu un mélange de tout ça : la tournée, le studio, la répétition, la composition et surtout … le recul. Mais j’attache un point d’honneur à évoluer guitaristiquement aussi. Je cherche à sortir de ma zone de confort pour aller plus loin, que ce soit en tant que guitariste ou chanteuse.

– Parallèlement à la sortie de « Cycles », vous avez également entamé une démarche artistique originale, celle d’écrire une nouvelle de Science-Fiction, mais sous la formule d’un collectif rassemblant différentes activités. Pouvez-vous en dire un peu plus ? Et celle-ci pourrait-elle être la base, par exemple, de votre prochain album ?     

Oui, la nouvelle est un peu notre fil d’Ariane. C’est Stef (Legrand, batterie – NDR) qui en est à l’origine et on l’a retravaillée collectivement en 2023, avec l’accompagnement de Saïda Kasmi du collectif M33. Elle avait notamment déjà accompagné l’écriture de l’album concept de Mathieu Chedid. Cette nouvelle est à la fois un socle, un outil d’inspiration et un prétexte à collaboration. On partage des extraits ou des pitchs aux artistes avec qui on bosse, pour qu’ils puissent en proposer une lecture personnelle. On leur propose aussi de privilégier le réemploi quand c’est possible pour créer autour de cet univers. C’est une façon de sortir du cadre de la commande et d’ouvrir l’imaginaire. La nouvelle est déjà très présente dans « Cycles » et elle nous servira encore pour la suite, sous plein de formes possibles. Rien n’est décidé pour le moment et on ne veut pas figer le processus. Ce qui prime, c’est l’expérimentation.

– Enfin, j’aimerais qu’on dise un mot de cette magnifique pochette d’album que vous avez confié à l’équipe de Førtifem, dont on connait le travail pour de grands groupes, ainsi que pour les deux plus gros festivals Metal français. C’est assez rare de laisser carte blanche, surtout pour un premier album à des personnes extérieures. Comment s’est effectuée la connexion entre vous et leur avez-vous tout de même donné un fil rouge, voire vos nouveaux morceaux à écouter ?

C’est en réalité des amis de longue date de Dom. Il connaissait Jesse via des collaborations photo dans les années 2000, bien avant la création de Førtifem, et il a aussi rapidement accroché avec Adrien à leur rencontre. Dom squattait souvent leur canapé lors de ses passages réguliers à Paris. Depuis, leur travail a explosé, et à juste titre. Ils bossent avec des groupes mastodonte de la scène Rock/Metal et des marques de renom. Même si on aime travailler prioritairement avec des artistes de notre région, pour cette pochette on savait que c’était eux qu’il nous fallait. Pas seulement, parce que leur taf est incroyable, mais parce qu’ils ont une vraie démarche artistique et engagée qui résonne avec la nôtre. On a tout de même donné une idée très générale. Pour le reste la magie du duo a opéré et ils ont parfaitement saisi notre intention.

L’album de YOJIMBO, « Cycles », est disponible sur le Bandcamp du groupe : https://yojimbostonerband.bandcamp.com/album/cycles

Photos : Paola Guigou (1, 3, 5), P-Mod (2) et RésiFredo (4).