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Joanna Connor : au nom du groove [Interview]

Une signature sur le label de Joe Bonamassa, qui produit et joue sur l’album, un groupe de classe mondiale et un jeu tout en feeling, il n’en fallait pas plus à la chanteuse et guitariste JOANNA CONNOR pour se retrouver en tête des Charts Blues américains. « 4801 South Indiana Avenue » vient grandir le Blues de Chicago, grâce à une prestation hors-norme, une slide sauvage et groovy et une empreinte vocale saisissante. Rencontre avec cette artiste qui vit un rêve éveillé…

Photo : Margaret Speed

– Avant de parler de ce très bon nouvel album, j’aimerais que tu retraces ton parcours. Tu es née à New-York, a grandi dans le Massachusetts et musicalement tes influences se situent du côté de Chicago. Comment es-tu venue à la musique, au chant et à la guitare ?

Ma mère était une mélomane passionnée. Elle m’a initié au Jazz, au Blues, à la Funk, au Rock, au Gospel, à l’Afro-Pop et au Reggae toute mon enfance. Je continue cependant de croire que la muse m’a choisi. J’ai été fasciné par la musique toute ma vie. Je chantais constamment à la radio ou sur ma chaîne Hi-fi et je m’imaginais sur une scène. Ma mère m’a offert une guitare à 7 ans, j’ai chanté dans les chœurs d’école à partir de 4 ans et ensuite j’ai joué du saxophone de 12 à 20 ans. J’étais fasciné par le Blues de Chicago. Je voulais désespérément étudier tous les grands maîtres et faire partie de cette culture. J’ai donc finalement déménagé là-bas à 22 ans.

– Peu de temps après ton arrivée à Chicago, tu as joué avec les plus grands avant de fonder ton propre groupe. C’est une vraie bénédiction d’être ainsi intronisée, non ?

Ce fut une véritable bénédiction, la meilleure et la plus fructueuse façon de faire. J’ai été extrêmement privilégié d’avoir reçu une éducation musicale et un enseignement aussi riches. Cela n’a cependant pas été facile tout le temps. Mais en regardant en arrière, ce sont certains de mes mentors qui ont été les plus durs. Ils m’ont appris le plus musicalement et m’ont endurci. Toute cette expérience a fait de moi la musicienne que je suis aujourd’hui. Je pense que c’était un grand avantage, car cela m’apporté plus de caractère que je n’aurais pu en avoir si je n’avais pas déménagé à Chicago. Cela m’a également donné une connaissance approfondie de la façon dont se joue le Blues de l’après-guerre.

– Dès le départ, tu as mené de front le chant et la guitare. C’est indissociable selon toi ?

Il y a des chanteurs qui vous épateront juste en chantant. Et il y a des instrumentistes qui ont du génie. Mais faire les deux est absolument merveilleux. J’ai commencé comme chanteuse qui jouait de la guitare rythmique. Et sans me vanter, j’étais une sacrée guitariste rythmique et cela m’a donné une excellente base. Mais je me sentais incomplète. Je voulais avoir un jeu plus expressif.

Photo : Allison Morgan

– Parlons de ce nouvel album et tout d’abord de son titre « 4801 South Indiana Avenue », qui est lourd de sens. Tu nous expliques un peu ?

C’est l’adresse d’un des clubs les plus importants de l’histoire du Blues : le Theresa’s Lounge, au sud de Chicago. Les plus grands y ont joué : Howling Wolf, Muddy Waters, Buddy Guy, JR Wells. Je m’y suis produite trois fois avant sa fermeture. C’était un endroit sympa et un peu difficile même. Mais il y avait une grande énergie, une atmosphère et une mémoire musicale dans ces murs.

– L’album sort sur le label de Joe Bonamassa, KTBA Records. Il l’a produit avec le grand Josh Smith. Un beau duo qui offre un son très organique et presqu’analogique. Comment l’enregistrement s’est-il passé ? J’imagine que ce doit être un vrai plaisir de travailler avec des gens si exigeants ?

Travailler avec deux musiciens d’une telle compétence était un rêve. J’étais nerveuse au début… très nerveuse même ! Mais la musique jouée par ces musiciens fantastiques était si puissante, si expressive et avec tellement de groove que j’ai juste lâché prise, puis joué et chanté avec mon cœur. Toute la session a vraiment spéciale d’un bout à l’autre. Quelque chose en moi savait que nous faisions tous quelque chose qui allait avoir un impact.

– Tu as dit que Joe Bonamassa avait fait ressortir le meilleur de toi, qu’il t’avait demandé de repousser tes limites. De quelle manière cela s’est-il concrétisé ?

Il savait ce qu’il voulait et il a été très direct. Joe a également utilisé un humour assez sec pour faire valoir ses arguments et j’ai apprécié cela. J’avais, et j’ai toujours, énormément de respect pour lui en tant qu’artiste et maintenant aussi en tant que producteur, donc cela m’a inspiré. Joe m’indiquait quel type d’attaque ou quel feeling il voulait que je fasse passer sur les solos de guitare. Il a choisi l’ampli et les guitares sur lesquels jouer. Il m’a peint des scénarios fictifs, lorsque je chantais pour me faire comprendre la chanson et son émotion. Il a également chanté pour moi, montrant comment il voulait que j’utilise ma voix sur chaque morceau. J’ai tellement appris et je pense que nous avons réalisé ensemble ce dont chaque titre avait besoin.

Photo : Maryam Wilcher

– Sur l’album, tu es aussi accompagnée d’un groupe de classe mondiale. Peux-tu nous le présenter ? Il y a un feeling incroyable entre vous…

Le groupe était tellement incroyable. Les musiciens ont été si sensibles les uns les autres et aussi très polyvalents, fougueux, syncopés et sensuels. Tout ce que nous avons joué a été un pur délice. J’ai particulièrement été époustouflé par Reece Wynans. C’est un dieu du clavier ! Quel honneur de jouer avec lui et quelle histoire il a eu notamment avec Stevie Ray Vaughan! C’est un rêve devenu réalité que de jouer avec lui. Avoir aussi Joe Bonamassa et Josh Smith aux arrangements des chansons et jouant de la guitare tout au long de l’album a été vraiment fantastique ! C’était le paradis de la guitare. J’ai aussi beaucoup aimé le bassiste Calvin Turner et le batteur Lemar Carter, qui jouent avec les meilleurs bluesmen. Ils ont jeté une base brûlante à la musique qui m’a également donné l’impression d’être à Chicago avec mon groupe.

– Enfin j’aimerais que tu parles de ton jeu de guitare, et notamment de la façon dont tu joues de la slide. C’est une pure folie ! Il en dégage tellement de force et d’émotion…

Si vous ne jouez pas avec passion et intensité sans cherchez à communiquer ce qu’il y a en vous, alors pourquoi vous jouer ? Quand je prends une guitare, elle fait partie de moi. Nous sommes connectées. Je ressens également des sentiments très intenses, de l’agressivité et de la passion qui sortent de moi à travers l’instrument. Par ailleurs, en tant que guitariste femme, je sens que je dois prouver quelque chose et jouer aussi dur et ardemment qu’un homme. Certaines musiciennes sont trop passives. Je ne veux pas juste « être bonne pour une fille » comme on dit… vraiment pas.

– Encore bravo pour ce très bel album, Joanna. Il est d’ailleurs actuellement et logiquement numéro 1 des Charts américains de Blues et j’espère vite l’entendre en live… !

To all my fans in France, je t’aime.

Et pour se procurer ce petit bijou :

https://jbonamassa.com/albums/2021/joannaconnor/4801/

Retrouvez aussi la chronique de l’album :

https://rocknforce.com/joanna-connor-wild-slide-woman/

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Un appétissant et doux fumet

DOO THE DOO

Mené par les frères Jazz, Elmor et Jimmy, DOO THE DOO fait partie des groupes incontournables de la scène Blues hexagonale. Malgré une situation sanitaire incertaine, le quintet vient de sortir « Fishbone Juice », où l’on retrouve avec le même plaisir la fraîcheur et la bonne humeur des Bluesmen. Jimmy Jazz, chanteur et guitariste, nous en dit plus sur ce retour tant attendu.     

–  Vous revenez enfin avec ce nouvel album « Fishbone Juice », qu’on n’attendait presque plus. Vous en avez mis du temps, quel a été le déclic ?

En 2018, Patrick Lecacheur, le président du festival « Bain De Blues », nous avait soumis l’idée d’accompagner Paul Orta pour l’édition 2019 du festival. On avait déjà eu l’occasion de jouer avec Paul dans les années 90 et l’idée nous a tout de suite séduit. Paul était très enthousiaste de faire quelques dates avec nous en France. Tout était calé, sous le nom de « Paul Orta & The Rockin’ Guajillos ». Malheureusement Paul est tombé gravement malade quelques mois avant la tournée et nous avons du annuler sa venue. Nous avons donc assuré le concert sous notre propre nom. Ca a super bien fonctionné et le public était chaud bouillant. Mais malgré les nombreuses demandes, nous n’avions pas de disque à proposer à la fin de notre set ! Quelques jours plus tard, encore dans l’euphorie du concert, on s’est rappelé et on a rapidement pris la décision d’enregistrer un nouvel album.

– Justement, vous le prépariez de longue date ? Ce sont des titres que vous aviez déjà sous le coude ou que vous avez composé récemment ?

Non, on a commencé à travailler sur l’album au milieu du printemps 2019 et à part un titre qu’on avait en « stock », tous les morceaux ont été composés pour « Fishbone Juice ».

– Votre album le plus marquant est « Hex » sorti en 2000. Quelles sont les différences majeures d’avec « Fishbone Juice », selon vous ?

Il s’est passé 20 ans entre les deux enregistrements ! Mais on y retrouve un peu tous les éléments qui constituent l’ADN de DOO THE DOO : Texas Beat, Swamp pop, Rock & Roll, Early Chicago Blues… Mais sinon, on fonctionne toujours beaucoup à l’instinct lorsqu’on travaille un nouveau morceau, on le joue et on sait instantanément si ça va le faire ou pas. On a toujours aussi essayé aussi de privilégier les enregistrements dans des conditions « live ».  La configuration de la salle « Avel Dro » nous permettait de le faire, c’est ce qu’on voulait, pour garder la dynamique du groupe.

 – Malgré la situation actuelle, vous avez décidé de maintenir la sortie de « Fishbone Juice ». L’absence de concerts ne vient pas trop ternir le tableau ?

Initialement, nous devions sortir l’album fin Juin 2020. Suite aux annulations de tous les festivals et concerts de l’été, nous avions pris la décision de repousser la sortie du disque début décembre en espérant que la situation s’améliore. Alors que le gouvernement nous annonçait qu’il était hors de question d’envisager un nouveau confinement, celui-ci est quand même entré en vigueur. Le disque étant déjà parti en fabrication, il nous semblait impossible de repousser une nouvelle fois la parution de l’album.

– 2020 est presque derrière nous, encore un petit effort. Comment envisagez-vous l’an prochain et est-ce que vous parvenez à vous projeter un peu malgré tout, et à mettre des choses en place ?

Tous les corps de métiers liés à la culture vont être fortement impactés par la crise sanitaire. Les artistes, techniciens mais aussi toutes les branches qui vivent du secteur de la culture, les magasins d’instruments de musique, les luthiers, les brasseurs, les prestataires de sonorisation, hôtellerie, restauration, etc… Le réseau des cafés-concerts et des salles de spectacles vont avoir du mal à se remettre de cette crise sans précédent. L’impact négatif va être très difficile à surmonter. Ce n’est pas évident de sortir un disque quand on a si peu de visibilité sur l’année à venir ! On espère en 2021 qu’un retour à la normale puisse se faire rapidement et que les spectacles et les concerts reprennent, car ce sont ces moments de convivialité, de rencontre et de synergie, dont les artistes ont besoin afin de se sentir physiquement confrontés au public. C’est cette interactivité qui impulse l’énergie et engendre la créativité, qui est vitale pour l’avenir du spectacle vivant !

Photo : Thierry Catros.