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No One Is Innocent : un combat politiquement Rock [Interview]

C’est avec un dixième album et une sérieuse envie d’en découdre que se présente NO ONE IS INNOCENT avec « Ennemis ». Près de 30 ans après leur formation, les Parisiens n’ont pas levé le pied et continuent leur ‘Combat Rock’, imperturbables aux modes et plus que jamais attentifs à notre société. Kemar, emblématique chanteur du groupe, revient sur l’élaboration de ce nouvel opus et livre aussi sur sa vision d’une époque en perdition. Le frontman a une fois encore trempé une plume acide, afin de livrer des textes engagés et directs. Entretien.

– Commençons par le titre de ce nouvel album, « Ennemis ». D’autres groupes s’y sont déjà essayés, mais il était toujours question de fiction ou d’histoires. Or là, vous les pointez du doigt certaines choses, laissant place à la réalité. Certes, vous êtes un groupe engagé depuis vos débuts, mais on vous sent beaucoup plus virulents. Et « Ennemis » est un titre très violent quand on y pense, non ?

C’est finalement un titre qui est en rapport avec l’évolution de la société médiatique, politique et économique… Il y a dans tous les titres cette notion d’ennemis qui transpire un peu à chaque fois, comme dans « Force du Désordre », « Humiliation », « Bulldozer »… En fait, ça revenait dans les discussions qu’on avait entre nous, et j’ai un peu synthétisé tout ça. Et puis, on a aussi senti qu’en ce moment il y avait des gens qui avaient une espèce de désir d’exister absolue avec cette tentation permanente de désigner un ennemi. Aujourd’hui, on existe constamment en désignant un ennemi ! Je pourrais t’en citer plusieurs qui sont justement dans cette position. On ne désigne plus les amis et c’est hyper-dérangeant.  

– En parlant de cet engagement que vous nourrissez depuis votre premier album, j’ai l’impression que c’est votre disque le plus politique, au sens noble du terme, jusqu’à ce jour. L’état de la société et le comportement de certains sont au cœur d’ « Ennemis ». Et vous dressez un constat, que je partage, très sombre et aussi très colérique pour ne pas dire plus. Il est grand temps de se réveiller ?

Oui, par rapport à des choses qu’on a banalisé. Aujourd’hui, on laisse une Marine Le Pen dire tout et n’importe quoi, on laisse un Zemmour aux télés, aux radios et à la candidature présidentielle, alors qu’il a été condamné pour incitation à la haine raciale et on laisse un Sarkozy faire la promo de son bouquin, alors qu’il a pris un an de prison ferme ! Il y a des choses dans la fonction politique qui déconnent et on banalise tout ça. On aurait pu donner à cet album un titre autour de la banalisation de plein de choses. C’est vrai qu’avec notre musique, on essaie de pointer du doigt tout ça pour alerter un peu.

– Depuis la sortie de « Frankenstein » il y a maintenant trois ans, notre société a subi beaucoup de choses, qui vont de la pandémie bien sûr jusqu’aux actions gouvernementales en France, mais aussi partout dans le monde (George Floyd, Black Live Matters, …). On ne vous a rarement senti si vindicatifs et rageurs. Et pourtant, on a encore le sentiment que vous en avez encore sous le pied. « Ennemis » aurait presque pu être beaucoup plus long, non ?

Oui, mais nous ne sommes pas le supermarché de l’engagement ! Ce qui nous importe avant tout, c’est d’écrire de la bonne musique ! C’est notre métier à la base. Sans bonne musique, a cappella, je ne ressemble à rien, tu vois ? (Rires)

– Sur « Ennemis », on retrouve Charles de Schutter à la production avec Shanka. C’est lui qui avait réalisé « Drugstore » (que je considère d’ailleurs comme votre meilleur album) et on retrouve ce son direct, brut et très massif. Là encore, il n’y a aucune fioriture et des arrangements très efficaces. On sent une certaine urgence dans vos morceaux. C’est ce que vous aviez en tête dès le début de la composition, puis de l’enregistrement ?

C’est très bizarre, car nous avons beaucoup composé pendant la période de confinement. Dans notre rythme, il n’y avait pas de notion d’urgence. Nous nous sommes focalisés sur le son en nous demandant ce que nous pouvions écrire et ce qui pourrait nous surprendre. Shanka est allé chercher un peu du côté des musiques orientales et indiennes notamment. Peut-être que les gens ne vont pas capter toute de suite ces influences-là, mais en tout cas, elles ont été déterminantes sur « Force du Désordre », « Armistice » ou certains mouvements dans « Les Hyènes de L’info », par exemple. On voulait aller chercher un peu ailleurs pour les intégrer aux compos et pas forcément seulement au son.      

– Cela n’empêche nullement le gros travail que vous avez effectué sur la production, qui est très soignée. Et puis, il y a cette irrésistible impression d’énergie live et toujours très fédératrice et communicative. Vous pensez à la scène en composant vos morceaux, car certains refrains vont faire très mal…

On a un mode de fonctionnement bien à nous. Il faut aussi savoir que nous sommes toujours de l’école du riff. On cherche encore le riff ultime, c’est toujours notre démarche. Il faut que la compo, à un moment donné, fasse bouger le chanteur physiquement. C’est un mot d’ordre chez nous. Tout le monde le sait et tout le monde le sent. Quand je commence à ressentir quelque chose, c’est que c’est bon.

– Il y a aussi « Armistice », qui se place au milieu de l’album et qui est une sorte d’interlude. Pourtant, et malgré son titre, on ne sent pas beaucoup de sérénité…  

Il l’est dans le sens où, tout autour, c’est la guerre. Au départ, j’avais proposé à Shanka de chanter un morceau avec moi, car j’aimais bien l’idée. Il n’était pas très chaud, alors je lui ai proposé de regarder parmi tous ses instruments quelque chose qui pourrait sortir de l’ordinaire. On avait comme référence « Planet Caravan » de Black Sabbath. Et comme depuis quelques temps, il s’est mis à la viole de gambe, et qu’il est extrêmement doué, on lui a laissé toute liberté, car ça nous plaisait beaucoup et nous avions aussi besoin d’un morceau comme ça.  

– A propos de scène, vous qui donnez l’impression de ne jamais vous arrêter, le confinement, puis la privation de concerts, ont dû avoir un énorme impact sur le groupe. Comment avez-vous vécu cette (trop) longue période de repos forcé ?

On a eu de la chance, parce que nous avons terminé la tournée fin 2019 et quand le confinement est arrivé, on avait déjà commencé à composer un peu le nouvel album. On n’a pas du tout ressenti de frustration live, parce qu’on était pleinement dans l’élaboration d’ « Ennemis ». Finalement, ça a été un moment de réflexion. Personnellement, ça m’a fait beaucoup de bien, car j’ai besoin que mon corps et mon cerveau soient hyper-posés pour être bien et composer. Paradoxalement, ce confinement nous a fait du bien.

– D’ailleurs, je me posais la question récemment. Je vous suis depuis vos tout débuts et c’est toujours assez difficile de nous définir. Rock, Hard-Core ou Metal, votre leitmotiv reste le combat, la revendication et surtout la prise de conscience, non ? C’est quelque chose qui ne vous quitte pas…

Oui, c’est vrai. Dans une démarche de compo, je dis souvent aux gars qu’il faut que notre musique raconte une histoire. Même si j’ai des thèmes dans mes tiroirs, j’ai besoin que l’instrumental raconte déjà une histoire. C’est ça qui fait qu’on arrive à donner un vrai liant entre ce qui est raconté et ce qui est joué.

– « Ennemis » est aussi votre dixième album studio. C’est toujours un cap particulier dans la carrière d’un groupe, car il marque une étape importante. Vous y avez pensé, ou pas du tout ? Vous aviez la volonté de marquer encore plus les esprits avec « Ennemis » ?

Non, on n’est pas dans le comptage ou la nostalgie. L’album n’est pas plus important qu’un autre. Il marque l’histoire d’un groupe qui est ensemble depuis des années, qui construit ensemble et qui se connait bien. Nous avons une façon de composer apaisante. Il n’y a pas d’histoire égo entre nous, car on cherche le meilleur de nous-mêmes. C’est juste la bonne évolution d’un groupe qui aime faire de la musique ensemble.

– En 2021, la scène musicale française n’est plus aussi contestataire ou engagée comme elle a pu l’être par le passé, alors que nous vivons dans une société de plus en plus inégalitaire. Comment l’expliques-tu, alors que les intérêts ont changé pour devenir essentiellement individuel au détriment du bien-être collectif ?

Il y a une grosse influence des réseaux sociaux. La consommation de la musique n’est plus la même, on est plutôt dans la quantité que dans la qualité. Aujourd’hui, il faut produire, produire, produire… On est peut-être moins dans l’exigence au niveau de la qualité de la musique. Après, l’engagement fait partie de l’ADN d’un groupe, ou pas…

– Oui, mais pourtant dans les années 80 et 90, c’était quand même autre chose…

Oui, c’est vrai. On était aussi poussé par des groupes comme Rage Against The Machine, Nirvana et d’autres qui ont été moteurs à leur façon d’un certain engagement propre à chacun d’eux. Et malheureusement, il y a aussi eu l’avènement d’un Hip-Hop, d’une Trap Music qui ne veut plus rien dire, qui n’explique plus rien, qui se noie dans de la prod’ minimaliste et des textes qui n’ont plus de sens. Alors, tout d’un coup, tu as une nouvelle génération très influencée par tout ça et qui se perd dans une espèce de truc mielleux et mièvre. Finalement, c’est très contradictoire car, aujourd’hui, il devrait y avoir de la colère partout. Cela dit, l’exposition médiatique de musiques comme la nôtre ou d’un Hip-Hop un peu rageur n’existe pas, parce qu’il faut que ce soit lisse, il ne faut pas que ça déborde et il ne faut pas trop d’engagement. En fait, ça ne donne peut-être pas envie à une nouvelle génération d’aller vers cette forme-là de musique, parce qu’ils savent pertinemment qu’ils vont rester dans une niche et dans l’ombre. Nous, ça fait 30 ans qu’on est là. On s’est construit autour de ça et c’est peut-être plus facile d’être écouté par rapport à un groupe qui commence aujourd’hui, ou même il y a cinq ans.

« Ennemis » de NO ONE IS INNOCENT est disponible depuis le 1er octobre chez Verycords.

Retrouvez la chronique de l’album :

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Hard-Core Metal Rock

No One Is Innocent : le poing levé

Une fois de plus, NO ONE IS INNOCENT monte à l’assaut avec une colère à peine contenue, livrée sur un dixième album, « Ennemis », qui sent la poudre. Militant et féroce, le quintet enrobe de riffs appuyés et assassins des textes cinglants et un discours responsable. Très live dans le son et la production, le groupe scande des vérités et rappelle que « Nous sommes des centaines et des milliers ».

NO ONE IS INNOCENT

« Ennemis »

(Verycords)

Dès la première écoute, ça saute aux oreilles : Kemar et sa bande se sont encore surpassés. Même si j’ai tendance à le dire à chaque nouvel album de NO ONE IS INNOCENT, il faut bien avouer qu’ « Ennemis » percute, fédère et donne des envies de grands changements, si ce n’est même un peu plus… Après 30 ans d’existence, ce dixième album confirme la rage intacte du groupe face à une oppression grandissante et un système qui se dérègle totalement (« Force Du Désordre »).

Ce qui tient toujours aux tripes du quintet, c’est ce combat Rock très Metal, incisif et engagé. Co-produit par son guitariste Shanka et Charles de Schutter, qui avait déjà officié sur l’excellent « Drugstore » en 2011, ce nouvel opus désigne sur dix morceaux (et un interlude « Armistice ») les « Ennemis » d’une société, d’une époque aussi, en montrant du doigt des responsables qui ne se cachent pas. Mais pas de leçon de morale ici, NO ONE s’implique juste généreusement (« J’ai fait De Toi Mon Collabo »).

Comme à l’habitude, les Parisiens cognent et giflent sur des textes précis et convaincants, où les phrases fortes sont légions et résonnent comme des slogans (« Dobermann », « Humiliation », « La Caste », « Bulldozer »). Dans une période très incertaine, NO ONE livre son album le plus politique, dénonce et appelle clairement au réveil et au sursaut (« We Are Big Brother », « Polit Blitzkrieg », « Les Hyènes De L’Info »). Puissant et très organique, « Ennemis » est la claque qu’on attendait et les concerts s’annoncent torrides (« Aux Armes, Aux Décibels »).

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Festival 666 : la bête fait son retour [Interview]

Après une édition 2020 annulée en raison de la pandémie, le Festival 666 remet le couvert les 20, 21 et 22 août prochain à Cercoux en Charente. Cette année, ce sont trois jours de concerts qui attendent les spectateurs avec une affiche toujours essentiellement française dans laquelle l’ex-Motörhead Phil Campbell s’est glissé. Tous les styles de Metal sont représentés, de quoi ravir celles et ceux privés de décibels depuis de trop longs mois. Revue d’effectif avec Victor, organisateur du festival, qui revient aussi sur les conditions un peu particulières de cette nouvelle édition.

– Pour commencer, j’imagine qu’en ces temps de pandémie, cela doit être une joie et une grosse satisfaction que cette troisième édition ait lieu après le report de l’an dernier ?

Oui, on est vraiment super content de pouvoir enfin organiser notre troisième édition. Ca fait un an et demi qu’on attend ça. J’ai franchement hâte de retourner dans les pogos et d’accueillir vos festivaliers à Cercoux.  

– Justement, est-ce que vous avez conservé l’essentiel de l’affiche de 2020, et dans quelles conditions cela a-t-il pu se faire ?

En fait, on a pu conserver tous les groupes. En 2020, nous devions faire ça sur deux jours et au moment du report, ils ont tous répondu présents pour 2021. Mais je n’avais pas simplement envie de dire qu’on reportait, de dire à chacun garder ses billets pour l’année prochaine, donc on a ajouté une troisième journée avec une programmation supplémentaire. Et les détenteurs du pass 2 jours rentreront gratuitement la troisième journée.

– Comment se sont passés ces derniers mois ? Vous avez continué à travailler presque normalement en espérant que le festival puisse quand même se maintenir ?

On était dans l’idée de faire le festival cet été quoiqu’il arrive. On ne voulait pas être encore dans le doute par rapport au lancement de la billetterie et à la programmation. On a continué à aller de l’avant. En ce qui concerne les contraintes sanitaires, nous nous sommes mis dans les pires conditions possibles. Dans le doute, on a limité la jauge à 1.000 personnes/jour et on demande le pass sanitaire. On a aussi agrandi la surface du festival en se mettant en open-air.

No One Is innocent sera l’une des têtes d’affiche du festival… quelques semaines avant la sortie de son nouvel album !

– Petite nouveauté, l’ancien Motörhead Phil Campbell sera de la partie. Pourquoi est-il le seul étranger et comment cela s’est-il passé pour le programmer ? Vous avez du mettre certaines choses en place spécialement pour l’accueillir ?

Son management s’occupe de tout ce qui est sanitaire. Au départ, il s’était abonné sur notre compte Instagram et comme j’avais été assez honoré, je lui avais envoyé un petit mot pour le remercier. Il nous a répondu en nous disant : « pourquoi ne pas venir jouer dans votre festival ? ». J’ai tout de suite contacté son agent et on a mis tout ça en place.

– Vous avez une affiche très variée en termes de styles avec Mass Hysteria, No One Is Innocent, Loudblast, Trepalium, Sidilarsen et d’autres. Etant donné la situation, vous n’avez pas été assailli de demandes, sachant en plus que les groupes français seraient prioritaires ? Il a fallu faire des choix difficiles, ou pas ?

Tous les ans, on reçoit beaucoup de demandes, mais c’est vrai que cette année, nous en avons reçu plus de d’habitude surtout quand les groupes ont appris qu’on programmait une journée supplémentaire. Dans ces cas-là, on privilégie toujours les groupes locaux, parce que c’est sympa aussi de faire jouer des formations de la région. D’ailleurs, Carbone sera là sur la troisième journée.  

– Etant donné les difficultés rencontrées par les festivals, est-ce que les groupes ont fait un effort particulier financièrement, ou pas du tout ?

En fait, je n’ai pas été témoin d’une inflation, ou de l’inverse, concernant le cachet des artistes ou de leurs conditions. Lorsque j’ai reporté les groupes de 2020 à 2021, cela a été fait à l’identique. Du coup, par rapport à d’habitude, il n’y a pas de différence pour nous.

– Vous êtes l’un des rares festivals de Metal de cette envergure à avoir lieu cette année. J’imagine qu’il doit y avoir une certaine fierté et peut-être aussi un peu de pression, non ? Les projecteurs seront braqués sur le Festival 666…

C’est vrai qu’on va nous porté une attention plus importante que d’habitude. On est très content et fier d’être là, parce que cette année est aussi pour les petits festivals une belle occasion de montrer que nous valons. Tout le monde a l’opportunité de faire quelque chose de bien. On est sérieux et très motivés, et ça permet de montrer aussi qu’on  est vivant !

Fer de lance de la scène Death/Thrash française depuis 30 ans, Loudblast sera également de la partie !

– Actuellement, vous en êtes où des réservations ? Reste-t-il encore des pass 3 jours ou des billets à la journée ? Et comment peut-on encore se les procurer ? (Interview réalisée le 12/07 – NDR)

Nous avons lancé la billetterie il y a un mois et demi. 20% des billets sont partis en deux heures, ce qui nous a vraiment ravi. On n’imaginait pas qu’il y aurait autant de demandes. Actuellement, nous en sommes à 70%. Nous allons aussi lancer des pass à la journée, ce qui est une première pour le festival.

– Pour conclure, qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter pour cette troisième édition et quelle serait votre plus grande satisfaction à l’issue de ces trois jours ?

Déjà qu’il fasse beau ! Jusqu’à présent, on a été très chanceux de ce côté-là. Les préventes sont aussi très bonnes. Les gens ont aussi hâte de revoir des concerts et on espère que ce sera une belle fête !

Infos et réservations sur le site du festival : https://www.festival666.com/