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Editions des Flammes Noires : les reliures de l’extrême [Interview]

Avec 7.000 livres vendus en l’espace de quatre ans, Emilien Nohaïc est parvenu à installer LES EDITIONS DES FLAMMES NOIRES parmi les maisons incontournables de la scène Metal et plus particulièrement extrême en France. Entre traductions de livres biographiques d’artistes incontournables et récits consacrés aux scènes nationales comme celles du Black Metal finlandais, d’Arménie et de France, le Breton a également édité des romans et de beaux livres plus graphiques comme ceux de Jeff Grimal. Si le domaine est réservé, la palette n’en est pas moins large ! Moments choisis d’une longue et passionnante conversation avec un vrai passionné, qui nous en dit plus sur son travail au sein de cette entreprise en plein essor.

– Parce que tout le monde ne connait pas encore LES EDITIONS DES FLAMMES NOIRES, j’aimerais que tu nous dises quand est-ce que tu as créé la société, pour quelles raisons et combien de livres ont été publiés à ce jour ?

L’entreprise a été crée fin 2019 et le premier livre consacré à Rotting Christ est sorti en mars 2020. On vient de sortir notre quinzième livre autour de la scène Black Metal finlandaise. Nous faisons essentiellement des ouvrages autour du Metal et du Metal extrême. Cela peut être de la biographie, comme pour Behemoth très récemment, ou alors plus documentaire sur des scènes françaises et étrangères et également des beaux livres comme avec Jeff Grimal. D’ailleurs, on va en faire d’autres à l’avenir.

– Pourquoi as-tu jeté ton dévolu sur le Metal extrême, qui est plutôt un style de niche ? C’est un registre que tu affectionnes tout particulièrement, un univers qui te fascine ou c’est plus simplement pour combler un manque ?

Un peu tout ça finalement. J’écoute essentiellement et uniquement du Metal extrême comme le Black Metal et le Death Old School. Ce sont vraiment des styles que j’affectionne depuis de nombreuses années. Par ailleurs, je faisais déjà des traductions en 2015-2016 pour ‘Camion Blanc’, une autre maison d’édition, car j’avais beaucoup de temps libre à l’époque en étant prof de français à la FAC aux Etats-Unis. Et c’était aussi un désir personnel de développer des acquis dans le domaine de la traduction. En 2019, j’ai proposé le projet sur Rotting Christ, mais il y avait d’autres livres en cours et il aurait fallu attendre plusieurs années. Comme il y avait d’autres ouvrages dans le même style sur d’autres groupes du genre, je me suis dit que ce serait dommage qu’il ne sorte pas. Ça a été un déclic pour me pencher sur le travail d’entrepreneur, puisque l’Education Nationale ne me proposait rien d’intéressant. Et je me suis lancé très rapidement fin 2019. Je voulais aussi aller voir ce qui se faisait ailleurs, en dehors des groupes et des musiques plus grand public.

Au coeur des festivals, une présence devenue indispensable…

– Au départ, ton intention était d’abord de faire découvrir une musique très peu médiatisée, ou plutôt de faire découvrir de nouveaux auteurs, de belles plumes ?

Ni l’un, ni l’autre, figure-toi ! Je voulais tout d’abord faire des bouquins en français sur des groupes, dont on est tous fans dans le Metal extrême : Paradise Lost, Moonspell, Morbid Angel, etc… Ils ont tous une grosse communauté de fans dont beaucoup ne parlent pas anglais, ou n’ont pas envie de lire en anglais. Je voulais leur proposer ces livres-là et à des prix tout à fait corrects. Et le fait que cette musique ne soit pas très médiatisée n’est pas forcément un souci. Dans le Metal extrême, il y a des moyens de communication très efficaces à travers les réseaux sociaux, les webzines et les magazines, dont ‘Metallian’ qui m’a toujours soutenu. Donc, on n’a pas forcément besoin des gros médias nationaux.

– Quels sont tes critères pour décider d’éditer un livre et comment cela se passe-t-il ? Tu reçois un manuscrit ou une idée que tu peux éventuellement développer avec l’auteur ?

Ça, c’est valable uniquement pour les auteurs francophones. Pour les traductions, il faut que le bouquin me plaise, le groupe est assez secondaire finalement. Mais pour le français, il faut d’abord que la relation se passe bien avec l’auteur, puisque je suis seul à gérer tout ça. Il faut aussi qu’il y ait un bon accompagnement, c’est-à-dire que je puisse les aider et les guider et surtout que le projet m’intéresse. Par exemple, si on prend Pierre Avril qui travaille sur une série sur le Black Metal, son projet était très intéressant, notamment sur sa dimension. En revanche, quand il est arrivé, il m’a proposé 800 pages illisibles, qui partaient dans tous les sens. Je lui ai donc dit que je ne pouvais pas faire ce genre de livre, parce que c’était tout simplement imbuvable. Il a bien compris les choses. Je lui ai proposé de faire cinq chapitres répartis sur cinq livres différents. Et plutôt que d’avoir les pochettes d’albums, les mêmes logos, les mêmes photos présentes partout sur Internet, je lui ai proposé que ce soit un même artiste qui illustre chaque livre en intégralité. Et Maxime Taccardi a eu la gentillesse de travailler avec nous pour le premier et il a réalisé une quarantaine d’illustrations. Pour le deuxième, Von Kowen a interprété à sa manière les classiques gothiques de Gustave Doré. Et ça donne des livres qui sont concentrés sur des sujets très précis du Black Metal. L’idée est d’avoir un seul artiste qui va illustrer l’un des livres, ce qui apporte une cohérence et une âme à chaque fois. C’est très intéressant, car on a un travail différent sur les livres. Finalement, pour tous les livres, le travail est particulier et se distingue des autres.

– Récemment, tu as sorti la biographie de Behemoth, qui est donc une traduction. Dans ce cas-là, il y a des droits d’auteurs et j’imagine qu’il faut les obtenir ou peut-être même les acheter ? Comment cela se négoce-t-il ?

Effectivement, c’est un milieu très mercantile. Tout est monnayable. Donc à partir du moment où tu as les budgets, tu peux avoir globalement qui tu veux. Sans entrer dans les détails, pour Behemoth, c’était un véritable plaisir et un honneur de pouvoir avoir un groupe comme ça. Ils ont commencé très, très bas et aujourd’hui, ils sont au sommet de leur art et en tête d’affiche de tous les gros festivals. Ils seront d’ailleurs à la Philharmonie à Paris le 4 avril 2024. C’est un groupe qui est véritablement impressionnant. Qu’on n’aime pas leur musique, on peut le comprendre, mais leur parcours est exceptionnel. Pour la traduction, il a donc fallu acheter les droits, et c’est un budget ! Je n’ai pas le droit justement de donner les montants, car les négociations ont été compliquées. Et ce n’est pas Behemoth en tant que tel, ce sont les détenteurs des droits sur les livres. Dans certains cas, les groupes ne touchent pas forcément d’argent sur les ventes des livres, car le texte ne leur appartient pas. Et puis, ce n’est même pas non plus forcément l’auteur qui détient les droits. Ça peut être une maison d’édition, des agents… il y a des cas qui peuvent être assez complexes. Je n’ai pas traité avec Behemoth en tant que personne morale en direct, mais avec leur label américain ‘Metal Blade Records’, qui les produit depuis très longtemps.

– LES EDITIONS DES FLAMMES NOIRES publient les livres d’un ou de plusieurs auteurs, comme pour « Furie Arménienne », par exemple. Est-ce qu’il t’est déjà arrivé d’être à l’origine d’un projet, d’être le commanditaire en quelque sorte d’un ouvrage ?

Non, sauf quand je fais les démarches pour avoir les droits sur un livre dans une autre langue. Je fais part de mon intérêt et je fais une proposition avec aussi un pourcentage sur les ventes derrière. Ensuite, on négocie. Mais je ne fais pas d’appel à projet à proprement parler. J’ai déjà beaucoup de travail et de publications à sortir, et je n’ai pas encore le besoin d’en arriver là. De temps en temps, j’ai aussi des propositions intéressantes sur lesquelles je m’appuie.

« The Stoner Freaks Anthology », une bible pour tous les fans…

– En plus de l’édition, il t’arrive aussi d’être le distributeur d’un livre que tu n’as pas publié, comme c’est le cas pour « The Stoner Freaks Anthology ». On fait appel à toi pour ton réseau, ou c’est surtout pour développer ton activité ?

C’est un peu des deux. C’est vrai aussi qu’entre « The Stoner Freaks Anthology » et le Black Metal, plusieurs mondes les séparent ! En fait, les auteurs avaient lancé le projet avec un crowdfunding, qui avait cartonné et qui leur a permis de lancer l’impression de 750 exemplaires sur le premier volume. Quelques mois plus tard et parce qu’il y avait une grosse demande, ils m’ont proposé de reprendre le projet, de le publier sous le nom des FLAMMES NOIRES, mais sans toucher au texte et au prix. On a donc dû trouver des compromis avec l’imprimeur pour que ce soit viable avec un volume de livres assez conséquent pour que ce soit rentable aussi. On en a fait 1.000 exemplaires, qui sont partis sur un an et demi/deux ans. Il s’est donc vendu au total à plus de 1.700 exemplaires très rapidement. Sur le deuxième volume, ils ne voulaient pas gérer la logistique des envois et la réception, ce que je comprends bien. Pour l’anecdote, quand le premier volume est arrivé chez moi, cela représentait trois tonnes de livres ! C’est conséquent quand tu vis en appartement ! Et quand tu vois que tout est parti, c’est quelque chose qui fait vraiment très plaisir d’autant qu’il s’est passé la même chose sur le deuxième ! 

– L’été vient de s’achever avec de nombreux festivals Metal sur lesquels tu étais régulièrement en tant qu’exposant. C’est important d’aller au contact des fans de Metal et de pouvoir directement leur parler des livres des EDITIONS DES FLAMMES NOIRES ?

Complètement, parce qu’aujourd’hui sur les réseaux sociaux et même sur Internet plus largement, c’est difficile d’émerger et de se faire une petite place. On est noyé dans la masse et rien de concret ne se produit derrière. Et surtout, je ne vends que des objets physiques et c’est donc important d’avoir une relation physique avec les gens. Il faut qu’ils puissent le prendre dans les mains, le regarder, le feuilleter et toujours sans obligation d’achat. Les festivals sont nécessaires pour aller vers les gens, car ils ne viendront pas forcément vers toi. Il y a un choix devenu très important et très différent, et qui va bien au-delà des livres avec notamment du merchandising en tout genre, les vinyles et même les cassettes, par exemple.

L’histoire du Black Metal finlandais…

– Tu travailles essentiellement en faisant de la VPC et tu es donc présent sur les festivals, ainsi que dans quelques librairies. Quels sont les principaux obstacles que tu rencontres au niveau de la distribution ?

Une fois encore, c’est un peu plus compliqué que ça en a l’air. Au début, tout passait par moi et le site internet (lien en bas d’interview – NDR), où il y a l’ensemble du catalogue avec une grande variété d’ouvrages comme des romans également. Les principaux obstacles viennent du fait que l’auteur soit connu, ou pas, et que les ventes aient un volume suffisant, parce que cela coûte très cher. Pour le moment, je n’ai pas encore atteint le niveau de vente nécessaire ou de catalogue pour que ce soit intéressant pour les distribuer un peu partout. En 2024, il va y avoir du changement, car j’ai signé les contrats de distribution des livres avec la société Geodif, qui appartient à Gallimard (groupe Eyrolles – NDR). Et ça fait vraiment plaisir ! Ce sont donc eux qui vont gérer les stocks, assurer de la promotion des livres et de leur mise à disposition dans les librairies indépendantes, ainsi que les FNAC, Cultura, les points Leclerc, etc… C’est une super évolution et qui s’est faite en très peu de temps.

– Aujourd’hui, LES EDITIONS DES FLAMMES NOIRES sont focalisées sur les musiques extrêmes. Est-ce que tu envisages à l’avenir de t’ouvrir à d’autres registres, voire d’éditer des ouvrages d’un tout autre genre littéraire ?

Oui, non et pas du tout, en fait ! (Rires) Ma ligne éditoriale est très simple : il faut que ça parle de Metal et de Metal extrême. Si tu me proposes un bouquin sur Led Zeppelin, je te dirai d’emblée que je ne suis pas intéressé, car ça ne rentre pas dans ma ligne éditoriale justement. Ce n’est pas que je n’aime pas le groupe, c’est tout simplement que ce n’est pas ce que je veux. Et il y a d’autres maisons qui font ça très bien et qui le feront mieux que moi. Si quelqu’un vient avec un projet sur Nightwish, par exemple, qui est un groupe un peu plus grand public, et que c’est bien fait, que c’est intéressant, que ça se lit bien et qu’il y a plein de belles photos : je serai partant, alors que Nightwish n’est pas un groupe que j’apprécie. Il faut que ça reste dans cette optique-là. Le plus important est la pertinence par rapport à la ligne que je me suis fixée.

L’histoire des Norvégiens d’Ulver, le petit dernier…

– Il y a une chose de remarquable avec les livres que tu édites, c’est l’importance et le soin apportés à la mise en page et surtout à l’iconographie. Tu les places au même niveau que l’écriture dans le sens où un bon texte se doit d’être accompagné de visuels de qualité ?

Il faut que je prenne du plaisir avec mes bouquins et si je n’en prends pas, ça ne sert à rien. C’est aussi simple que ça. Les images et les photos permettent d’illustrer un texte et de prendre des respirations aussi. Si tu prends le livre sur Behemoth, l’image et le texte sont placés au même niveau, car ils sont complémentaires. L’image raconte aussi beaucoup de choses, qui ne sont pas forcément perceptibles dans le texte. C’est super de pouvoir visualiser ce que tu lis. Mes livres sont loin d’être parfaits, car il y a toujours des petites coquilles qui traînent, une mise en page qui peut être un peu trop tassée parfois ou des choix qui ne sont pas toujours judicieux. On apprend et on s’améliore au fur et à mesure. On apprend aussi de ses erreurs, tout simplement pour grandir. Je n’avais aucune expérience en commençant et j’ai appris en faisant les choses, en étant attentif aux détails. Pour les visuels, il faut toujours trouver le juste milieu, car il faut que ça respire. Et puis, étant aussi amateur de livre et de cette musique, j’ai envie de m’y retrouver et d’avoir envie de le lire. Cela nécessite également une prise de distance avec le temps, pour regarder les choses dans leur globalité. Et puis, chaque livre a sa propre identité et c’est exactement ce qui me plait. La recherche d’équilibre est toujours centrale finalement. Et cela n’empêche d’ailleurs absolument pas d’aborder un groupe sous des angles très différents, car il y a tout un monde derrière et autour des musiciens.

– Depuis la création de la maison d’édition, t’est-il déjà arrivé de refuser un manuscrit ou un projet et pour quelles raisons ?

Oui, j’en refuse régulièrement, car cela ne correspond, une fois encore, pas à la ligne éditoriale. On me propose du polar, de la science-fiction ou autre et je refuse, car cela ne m’intéresse pas. Et puis, il y a aussi le côté affectif. Il faut que je me sente en confiance avec l’auteur. C’est un bon point de départ, parce qu’on va s’engager sur plusieurs années et si le courant ne passe pas, ça peut vite devenir compliqué. Après, il y a forcément des moments de crispation, d’incompréhension et de malentendu. C’est normal, puisque qu’on parle de relations humaines. Il faut ensuite que ce soit bien pensé, viable et pertinent. Le parcours de l’auteur est aussi très important, car il apporte un témoignage sur quelque chose qu’il a vécu et/ou qu’il connait très bien. Ecrire un livre demande énormément de travail sur la longueur et beaucoup jettent aussi l’éponge. Des idées, on en a tous, mais les concrétiser est plus compliqué, car ça demande de la pugnacité, de l’engagement et de l’acharnement. Et puis, il faut aussi être en capacité de se voir dire non à de nombreuses reprises pour des raisons qui ne sont d’ailleurs pas toujours légitimes. Il faut savoir faire des choix et ensuite les assumer. Ce que j’ai vraiment appris, c’est que rien n’est jamais simple…. Et comme j’aime bien me faire chier, je suis plutôt heureux ! (Rires)

– Enfin, est-ce que lorsqu’on est éditeur, on a des désirs d’écriture ?

Au début, peut-être un petit peu, mais aujourd’hui pas du tout. Et puis, je n’ai pas le temps. Plus tard sans doute, j’aurais envie de me faire plaisir avec des groupes dont on ne parle peut-être pas assez. Pour le moment, je suis débordé et je n’ai pas la tête pour ça. J’ai déjà fait beaucoup de chroniques de livres, car j’ai tenu un blog pendant un moment, mais très éloigné du Metal. D’ailleurs, je préfère parler de présentation plutôt que de chroniques, et il s’agissait essentiellement de littérature américaine.

Tous les livres des EDITIONS DES FLAMMES NOIRES sont bien sûr disponibles sur le site : https://edt-flammes-noires.com

Retrouvez la présentation du livre consacré à Behemoth :

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Blues Shuffle Blues Swamp Blues

CadiJo : un Blues transatlantique

Le Bluesman du Sud-ouest fait partie de ce cercle très restreint de ceux qui chantent le Blues en français, preuve s’il en est, qu’il sonne aussi bien que ses homologues américains et qu’il présente aussi l’avantage d’être compris par tous. Et CADIJO, c’est aussi un, et même plusieurs, harmonica qui donne de la lumière, des couleurs et la tonalité d’un style qu’il est allé puiser du côté du Swamp et du Shuffle. « C’est Ainsi » est touchant, souvent drôle et toujours attachant.  

CADIJO

« C’est Ainsi »

(Independant/Inouie Distribution)

Cela fait déjà un bon moment que la scène Blues hexagonale se porte comme un charme avec une nouvelle génération également, qui vient confirmer sa bonne santé. Pourtant en dehors de quelques uns, Benoit Blue Bloy, Paul Personne et Bill Deraime pour ne citer qu’eux, très peu de musiciens osent franchir le pas pour s’exprimer dans la langue de Molière dans ce style aux saveurs tellement américaines. Mais CADIJO le fait, et il fait très bien.

Avec huit albums à son actif, le Gascon n’a plus grand-chose à prouver et, mieux, il s’est créé une identité musicale riche et originale, où son harmonica fait des merveilles et mène divinement la danse. Avec « C’est Ainsi », le chanteur et compositeur invite le Delta chez nous et nous fait voyager grâce à des textes plein d’humour, qui sont autant d’instants de vie authentiques. CADIJO raconte de belles histoires, le sourire aux lèvres, et où chacun peut se reconnaître.

Sur une base de Chicago Shuffle et de Swamp Blues, il délivre des paroles d’une douce poésie, d’une belle tendresse et de traits d’esprit bien sentis (« Quelle Sale Journée », « Tondre Le Gazon », « Faut Pas Rêver », « J’T’Attendrai », « Elle N’a Jamais le Temps »). Très bien entouré, CADIJO et son harmonica jouent à la fois la décontraction tout en se montrant parfois mordant. « C’est Ainsi » est un délicieux moment de Blues à travers un quotidien joyeux et enthousiaste.

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Bluesy Rock Country France

Bernie Bonvoisin : les ponts plutôt que les murs [Interview]

En observateur avisé de notre société et animé par une curiosité qui ne le quitte jamais, BERNIE BONVOISIN se livre en solo avec un cinquième album que l’on n’attendait pas forcément si tôt. Moins d’un an après « Propaganda » de Trust, c’est dans un registre très différent, mariant sa culture Rock au Blues et même par certains aspects à la Country, que le chanteur révèle une facette moins connue que celle affichée avec son groupe. Original, très acoustique et toujours guidé par des textes affinés et affûtés, « Amo Et Odi » offre des couleurs inattendues et attachantes. Entretien avec le mythique frontman français.

– Ton nouvel album sort tout juste neuf mois après « Propaganda » de Trust, ce qui est très court. Les morceaux étaient déjà en boîte et les textes écrits, ou est-ce que tout s’est fait rapidement ? On te sait très créatif quand tu entres en studio et tu aimes aussi enregistrer en condition live…

Tout s’est fait dans la foulée. On est entré en studio presque sans rien. On avait préparé plusieurs choses chez moi, où on avait énormément travaillé en acoustique.

– Qu’est-ce qui t’a motivé à retourner aussi rapidement en studio ? C’est assez rare de voir quelqu’un sortir deux albums en moins d’un an, où alors c’est l’envie de vite retrouver la scène qui t’y a poussé ?

On me l’a proposé et j’ai accepté, tout simplement. Un album solo est toujours très différent, dans le travail comme dans l’approche. C’est une autre manière de faire les choses.

– Beaucoup de morceaux ont été écrits en studio. Comment as-tu sélectionné les 13 qui composent « Amo Et Odi » ? Est-ce que dans ces cas-là, on pense à l’intégralité du disque et à sa cohérence, ou plutôt aux moments forts ?

On a fait une sélection de 18 morceaux. En fait, on a fait 13 titres sans batterie et cinq autres avec. Oui, on a réfléchi au tracklisting ensemble. C’est un album qui s’est fait assez simplement et avec des gens en qui j’ai pleinement confiance. On a travaillé sereinement, on a cherché des choses. Ca a été une sorte de laboratoire en fait.

– Sur le même sujet, pour ce nouvel album solo, tu te distingues vraiment de ce que tu fais avec Trust, ce qui est très compréhensible. Pourtant, musicalement sur certains titres et surtout au niveau des textes, il y a aussi des similitudes dans l’engagement notamment …

Oui, mon écriture reste mon écriture. Ca se passe surtout dans la manière d’écrire, qui est cette fois plus intime et plus personnelle. Mais l’essence reste la même. Sinon, c’est un aspect des choses sur lequel je ne me penche pas plus que ça. Je sais comment je vais aborder les chansons. Ma source d’inspiration reste la même : je vis dans un monde et une société que j’essaie de comprendre. Je suis traversé par des choses et j’en parle. L’aspect qui est radicalement différent par rapport à Trust, c’est qu’il s’agit d’un album de chansons, plus encore que les quatre autres disques.

– D’ailleurs, ton avant-dernier album solo, « Organic », date de 2010. Ils sont tous très espacés depuis « Couleur Passion » en 1986. Est-ce que tu attends toujours le moment propice, celui de l’inspiration, ou ce sont tes autres activités qui guident un peu les sorties ?

Là, c’était vraiment une question d’opportunité. J’ai reçu un coup de fil un matin pendant la deuxième période Covid. On m’a proposé de faire un album solo, j’ai dit pourquoi pas et nous y sommes. Ca s’est vraiment passé aussi simplement que ça.

– Justement sur le même thème, notre époque incite clairement à la révolte, pour ne pas dire à la révolution, tant les injustices sont grandes et surtout n’épargnent pas grand-monde. J’imagine que cela doit aussi se bousculer dans ta tête au moment de coucher un texte. Tes choix se font sur ce qui te touche le plus et comment te places-tu par rapport à l’urgence de certains sujets ?

Il y a aussi une notion d’instant T. C’est très divers et varié. C’est ce qui est dans l’air, il n’y a pas de thématique appropriée ou de choses dont on peut parler spécifiquement. Une idée est quelque chose de volatile. 

Photo : Frédéric Dugit

– Izo, David Jacob et Jean-Pierre Bucolo et son dobro t’accompagnent et l’ensemble sonne très bluesy en dehors de du très beau piano/voix sur « A S’en Ouvrir Les Veines ». C’est plus facile de travailler avec une équipe restreinte ? Et est-ce cette tonalité était celle que tu avais en tête dès le départ ?

Oui et il y a même des choses Country sur l’album. Jean-Pierre est un ami depuis 1977. On est très proche et c’est un très grand compositeur. Il a apporté une manière différente de travailler, d’aborder les chansons. C’est vraiment une super expérience. Au final, en grande partie sur cet album, c’est la musique que j’écoute. J’ai un spectre d’écoute qui va de La Calas à Led Zeppelin. J’écoute énormément de Country comme du Rap colombien aussi. Je suis basiquement très curieux, comme pour tout dans la vie. Je n’ai jamais été dans une chapelle, je préfère les ponts que les murs. Durant cette période, on s’est beaucoup retrouvé chez moi, on a écouté de la Country, de choses comme ça. C’est pour ça qu’on a fait des morceaux avec juste un dobro et une voix. On a vraiment essayé des choses différentes.

Et c’est aussi plus facile de travailler en équipe restreinte dans la mesure où on n’est pas dans une contrainte de genre. Chacun peut vraiment amener toutes ses idées. Tout est bon à prendre et à essayer. Il y a des morceaux dans cet album qui ont été structurés et déstructurés trois/quatre fois jusqu’au dernier moment. Le morceau « Amy », par exemple, a été fait en cinq minutes, parce que notre ingénieur du son a eu l’intelligence de mettre un micro, lorsque nous avons improvisé le titre. On a fait deux prises et celle qui est sur l’album est la première. J’aime travailler comme ça, et que chacun puisse s’exprimer et exprimer sa différence. C’est essentiel ! C’est ce qui amène des couleurs et des tons différents.

– Un petit mot sur ce panneau qui sera sur scène et où sera indiqué : ‘On ne joue pas « Antisocial »’. Effectivement, il n’a rien à voir avec ton travail en solo, dont acte. J’aimerais juste savoir comment tu arrives à raviver l’envie de le chanter, plus de 40 ans après sa sortie ?

Oui, c’était une joke, parce que c’est quelque chose qu’on me demande à chaque concert. De toute façon, je ne mélange pas les choses. Maintenant, je souhaite à tous les artistes d’avoir une croix comme celle-là à porter.

Photo : Maury Golini

– Justement pour les concerts à venir, l’idée est de faire le focus sur ce nouvel album, ou est-ce que tu joueras également des morceaux de tes autres disques solos ?

Pour le moment, l’idée de travail est de jouer l’album tel qu’il est, c’est-à-dire sans batterie avec une formation où nous serons quatre avec David Jacob, Izo, Jean-Pierre Bucolo et moi-même. Izo va réaliser un gros travail de programmation que l’on va entrecouper avec une session acoustique et avec des anciens titres, bien sûr. En fait, les morceaux des autres albums solos seront abordés de cette manière et viendront s’intégrer au reste. C’est ça aussi qui est intéressant, de prendre juste une guitare acoustique sans autre ajout. On va essayer de monter une setlist pour se faire plaisir et aussi pour contenter les gens qui viendront aux concerts.

– Pour conclure, beaucoup se pose évidemment la question, car on a pu lire tout et n’importe quoi sur le sujet : qu’en est-il de Trust ? L’aventure va-t-elle continuer ?

Je ne sais pas. Quand on s’est reformé en 2016, on était parti pour jouer trois mois et on a joué deux ans et demi. En ce qui concerne « Re-Ci-Div », c’est différent, parce que j’avais eu cette idée en pleine période de pandémie où nous étions bloqués. Ca s’est passé pendant un déjeuner où j’ai soumis l’idée et le directeur du label, qui était là, a trouvé qu’elle était bonne et ça s’est monté comme ça. Mais je ne vois pas la nécessité d’en faire un systématisme pour les autres albums. Pour les trois premiers, c’était réjouissant et rigolo de le faire, c’était un challenge aussi, car on l’a fait en trois jours. En tout cas, l’adapter aux autres, on n’y a pas pensé.

L’album solo de BERNIE BONVOISIN, « Amo Et Odi », est disponible chez Verycords.

Retrouvez la chronique de l’album : https://rocknforce.com/bernie-bonvoisin-la-rage-au-coeur/

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Bluesy Rock Rock

Bernie Bonvoisin : la rage au cœur

D’une intégrité sans faille depuis plus de quatre décennies d’une carrière bien remplie, c’est sous son nom que le frontman présente « Amo Et Odi », un album de chansons entre Rock et Blues, où le verbe tient comme souvent le première rôle. Entouré des fidèles David Jacob, Izo Diop et de son ami Jean-Pierre Bucolo, BERNIE BONVOISIN est un éternel révolté, mais toujours très positif, volontaire et solidaire. Un disque authentique et réaliste.

BERNIE BONVOISIN

« Amo Et Odi »

(Verycords)

Ses albums solos, BERNIE BONVOISIN les distille au compte goutte. Il faut remonter en 1986 avec « Couleur Passion » pour voir l’emblématique chanteur se livrer pour la première fois sans son groupe. Puis, il a sorti « En Avoir Ou Pas » (1990), « Etreinte Dangereuse » (1993) et « Organic » (2010). Autant dire que « Amo Et Odi » s’est fait attendre et, plus surprenant, il arrive neuf petits mois après « Propaganda », le récent et douzième album de Trust, preuve d’une belle dynamique.

Cela dit, BERNIE BONVOISIN a toujours des choses à dire et dans cette société, et surtout par les temps qui courent, l’auteur ne manque pas de matière et avec le regard aiguisé qu’on lui connait, appuyer là où ça fait mal tient presque du réflexe. Cependant, cette cinquième réalisation a quelque chose de différent des autres. Sur ses premiers disques, on percevait un côté plus intime en le découvrant de manière plus personnelle et dans un contexte moins revendicatif.

Musicalement très acoustique et bluesy, « Amo Et Odi » se rapproche un peu de l’atmosphère et du ton des derniers Trust. Mais l’intention de BERNIE BONVOISIN n’est pas la même ici. Bien sûr, les textes restent engagés et très lucides (« A Nos Aînés », « Allons Zenfants », « A Genoux »), mais il se présente aussi avec pudeur et tendresse (« Si C’était A Refaire », « A S’en Ouvrir Les Veines »). L’auteur d’« Antisocial » (qu’il ne jouera pas en concert !) dénonce, combat et se révolte toujours face au cynisme ambiant et à l’injustice.

Photo : Maury Golini
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Erwan Bargain : et si les zombies, c’étaient nous ? [Essai/document]

En parcourant les œuvres sur les zombies au cinéma, ERWAN BARGAIN ne s’est pas contenté d’en faire une liste resserrée. Non, il a cherché à définir la dimension sociale et politique dans les films sur ces morts-vivants qui nous ressemblent à bien des égards. D’actualité, « Zombies – Des visages, des figures… » nous renvoie à notre propre existence et peut-être aussi à notre condition.

ERWAN BARGAIN

« Zombies – Des visages, des figures… »

(Editions Ocrée – 15€)

Depuis toutes ces années à œuvrer dans les colonnes du magazine « Ecran Fantastique », ERWAN BARGAIN en a vu défiler des zombies. Les morts-vivants, il les connait bien pour les avoir vu grandir et évoluer sur les grands comme les petits écrans. Quoi de plus naturel donc pour l’auteur breton que de décrypter leur condition ? « Zombies – Des visages, des figures… » se pose comme un regard sur le phénomène à travers le cinéma et des films souvent à double-lecture, en argumentant un engagement sur l’état de notre société.

Ouvrant le livre avec « La nuit des morts-vivants » de George A. Romero sorti en 1968 et qui a offert ses lettres de noblesse au genre, ERWAN BARGAIN établit une rétrospective historique des zombies dans le septième art. Tout en nous interrogeant sur les chemins empruntés par les hommes, ces films questionnent aussi sur nos comportements et sur une société de sur-consommation en roue libre. Plusieurs phénomènes de notre quotidien sont ainsi mis en exergue comme l’exclusion, nos dérives et nos désespoirs. 

Chaque film retenu met le doigt sur des problématiques très actuelles et permet d’aborder de nombreuses errances sociétales que l’on peut retrouver à travers notre égoïsme, l’indifférence ou la peur de l’autre. Le zombie vient-il pointer le déclin de notre monde à travers le cinéma ? Est-il l’incarnation d’un virus dans notre inconscient et qui éclaterait au grand jour à travers la pandémie que nous vivons ? La question est posée par ERWAN BARGAIN… entre les lignes et pas seulement.

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