Editée en version anglaise en 2015, « Devil’s Conquistadors », la biographie officielle de BEHEMOTH, a enfin sa traduction française. Elle devrait ravir ses fans, celles et ceux qui aiment le Black Metal et plus largement les curieuses et les curieux désireux de voir de quelle manière les Polonais se sont hissés au sommet de ce registre extrême. Et on doit ce beau et consistant livre à l’iconographique très soignée aux Editions des Flammes Noires.
BEHEMOTH : Devil’s Conquistadors
Lukasz Dunaj
Editions des Flammes Noires
Si certaines productions discographiques extrêmes peuvent me laisser complètement indifférent, c’est beaucoup plus rarement le cas avec les livres. C’est donc cette curiosité qui m’a poussé à ouvrir et parcourir dans un premier temps ce bel ouvrage consacré au géant du Black Metal : BEHEMOTH. Et histoire de se mettre complètement dans le bain, je me suis repassé la récente réédition du deuxième album « Grom », puis « The Satanist » et « Opvs Contra Natvram » sorti l’an dernier. Au diapason, en somme !
Pour mémoire, le groupe a vu le jour en 1981 à Gdansk et compte aujourd’hui douze albums au compteur. Issu de la scène underground, il est considéré comme l’un des piliers du Metal extrême combinant dans son Black Metal des éléments Death et Thrash et est devenu au fil du temps LA référence du genre. Et BEHEMOTH, c’est surtout le binôme Adam ‘Nergal’ Darski (guitare, chant) et Zbigniew ‘Inferno’ Prominski (batterie), figures de proue du combo depuis ses débuts.
A travers « Devil’s Conquistadors », on plonge dans l’univers obscur et satanique, qui a forgé l’identité si particulière de la formation et qui a également entretenu certains mythes et pas mal de fantasmes aujourd’hui encore très présents. BEHEMOTH a fait couler beaucoup d’encre et alimenté bien des rumeurs. Ecrit par Lukasz Dunaj qui les a côtoyé de très près, le livre retrace l’histoire de ses membres à travers des interviews notamment et depuis la création du groupe jusqu’à l’album « The Satanist » (2014), devenu culte.
Richement illustré et fourmillant d’anecdotes aussi croustillantes qu’édifiantes parfois, la biographie de Lukasz Dunaj se lit presque comme un roman. Il faut bien avouer que l’ascension de BEHEMOTH, qui démarre dans un pays faisant partie alors du bloc soviétique, ne manque pas de sel… notamment dans ses rapports avec l’Eglise évidemment. Sans compromis, les Polonais ont suivi leur propre modus vivendi sans jamais se renier. Une aventure faite de Metal et franchement immersive !
Toujours aux Editions des Flammes Noires, retrouvez le deuxième tome de « Noire France : Black Metal Français » par Pierre Avril, ainsi que « Mayhem 1984-1994 : Les Archives de la Mort » par Jørn ‘Necrobutcher’ Stubberud. Les livres, et bien d’autres sont disponibles sur le site de l’éditeur :https://edt-flammes-noires.com
Emotionnellement intense, le nouvel effort (c’est peu de le dire !) de JOURS PÂLES vient confirmer la singularité du groupe et sa faculté à se démarquer de la scène Metal hexagonale de la plus belle des manières. Agressif et présentant une écriture fine et percutante, « Tensions » se nourrit de colère, de rage et laisser errer un spleen aussi étouffant que nerveux.
JOURS PÂLES
« Tensions »
(Les Acteurs De l’Ombre Productions)
Moins de deux ans après « Eclosion », JOURS PÂLES fait déjà son retour et toujours pas le moindre rayon de soleil à l’horizon. Toujours guidé par Spellbound dont le chant en français transcende littéralement ce nouvel album, la formation semble s’être resserrée mais les morceaux, eux, ont gagné en densité, en efficacité et se révèlent redoutables. Entre Metal et poésie, la connexion est établie.
Très créatif, le Metal très noir de JOURS PÂLES se nourrit de nombreux courants, ce qui le rend assez singulier et riche de saveurs multiples. Et même si l’atmosphère globale est clairement mélancolique, il n’est pas question ici de renoncement tant la combativité affichée à travers les textes est manifeste. Violent et lourd, ce nouvel opus est une fusion de Black/Death, de Doom et de quelques passages Folk éthérés.
Et comme son titre l’indique très justement, il y a beaucoup de « Tensions » sur cette deuxième production des Auvergnats. Dès « Jour De pluie, Jour De Fête », on est saisi par la précision et l’aspect clair et massif du son. Vocalement, Spellbound sait autant se faire conteur et crieur que chanteur et growler, ce qui offre à JOURS PÂLES beaucoup de latitudes musicales (« Saint-Flour Nostalgie », « Hâve », « Ode A La Vie », « Dose(s) ». Unique !
Même les registres les plus extrêmes obéissent à des codes, sortes de frontières imposées ou souvent même résultantes d’une autocensure rassurante. Mais chez DELIVERANCE et depuis trois albums maintenant, on fait fi de ce type de recommandations analgésiques pour s’affranchir de toutes formes de dictats musicaux. Guidé par cette liberté sans limite, les Français expérimentent, repoussent et s’engouffrent dans un post-Black Metal teinté de Sludge et d’un Psych Prog unique, mais peu lénifiant, c’est vrai. Unique donc et incontrôlable surtout.
DELIVERANCE
« Neon Chaos In A Junk-Sick Dawn »
(Les Acteurs de l’Ombre)
Comme il y a deux ans, DELIVERANCE revient jeter un énorme pavé d’une heure dans nos fragiles oreilles. Après l’excellent « Holocaust 26 :1-46 » qui n’aura malheureusement que trop peu goûté aux joies de la scène, le quatuor est parvenu à composer un album d’égale puissance et surtout à recréer des atmosphères aussi titanesques. Plus ambitieux encore, le groupe dépasse les limites de son post-Black Metal qu’il agrémente toujours de Sludge et cette fois d’un Psych Prog cathartique.
Pour ce troisième opus, le line-up reste inchangé. Tandis que Sacha Février (basse) et Fred Quota (batterie) martèlent une rythmique surpuissante, Etienne Sarthou (guitare) enchaine les riffs tranchants et épais. Quant à Pierre Duneau, on le sent littéralement habité par un chant imprévisible et sauvage. DELIVERANCE se déploie dans un univers sonore singulier, qui gagne en profondeur grâce à quelques effets savamment dosés et pertinents. Et que dire que cette production qui le rend incroyablement immersif ?
Afin de passer un cap dans la compréhension de « Neon Chaos In A Junk-Sick Dawn », un passage par le livret de l’album et une lecture des textes s’imposent. Ecrits dans des conditions très particulières et presqu’extrêmes, ils posent le concept et rendent les morceaux encore plus saisissants. Tout en percussion sur « Salvation Needs A Gun » et « Neon Chaos », DELIVERANCE est impérial sur les mastodontes « Odyssey » et « Fragments Of A Diary From Hell » longs de 18 minutes chacun. Gigantesque !
La scène Metal extrême française a depuis bien longtemps perdu de sa timidité et aussi peut-être d’un léger manque de savoir-faire, elle est aujourd’hui l’une des plus créatives, techniques et prolifiques. Certes, les membres d’ALTA ROSSA ont déjà fait leurs preuves, il n’en demeure pas moins qu’avec « Void Of An Era », le quintet signe un premier album massif et très abouti.
ALTA ROSSA
« Void Of An Era »
(Source Atone Records)
Né du rapprochement il y a deux ans entre des membres des groupes Horskh et Asidefromaday, ALTA ROSSA se présente avec un premier album brutal et saisissant. « Void Of An Era » dépeint de manière sombre l’état de notre monde et de notre époque avec une vision peu optimiste, c’est vrai, mais à travers laquelle le quintet affiche une vraie force emplie d’une belle résistance.
Dans une atmosphère lourde, à l’image de notre société, ALTA ROSSA se veut aussi fracassant que captivant. Dans un post-Metal où de nombreux registres extrêmes trouvent leur place, le combo ne laisse presqu’aucun répit, malgré quelques sonorités Noise à peine plus légères. Constitué de Sludge, de fulgurances Black Metal et parfois Hard-Core, le groupe exulte.
Gorgé d’une colère et d’une rage resserrées sur une demi-heure dense et bien tassée, ce premier opus rassemble tous les ingrédients propres à une explosion post-Metal en bonne et due forme faite d’urgence, de violence et une puissance envahissante (« Binary Cell », « Cycle », « Orbiting », « The Fall »). Et même si la batterie me paraît légèrement sous-mixée, ALTA ROSSA explore et brutalise à tout-va.
Avant-gardiste, c’est sûr et c’est aussi en soi très transcendant et assez perché. Cela dit, le projet présenté par le multi-instrumentiste helvétique Manuel Gagneux fait des étincelles ! De sa production à la structure-même des morceaux, parfois assez insaisissables, ZEAL & ARDOR séduit quand même, pour peu que l’on ait l’oreille un peu aiguisée.
ZEAL & ARDOR
« Zeal & Ardor »
(MKKA)
Il en a de la force chez Manuel Gagneux pour envoyer un tel album. De la force et beaucoup de créativité. Le multi-instrumentiste réalise une fois encore un mix étonnant entre Black Metal, Ambient avec des touches Gospel. Cela dit, il ne faut pas s’attendre à une partie de plaisir douce et conciliante… on est toujours loin du compte avec le musicien suisse, qui fait plus qu’expérimenter avec ZEAL & ARDOR.
Superbement produit (avec des respirations nécessaires) le Sieur envoie de grands coups de Blast et reste toujours très pointilleux (« Hole Your Head Low ». Alors à quoi faut-il s’attendre ? Les puristes de Black Metal, les fans d’Ambient et les amoureux de belles voix vont chercher (moi, le premier) une certaine cohérence, mais la trouveront-il ? Parce qu’avec ZEAL & ARDOR, il y a un peu de tout.
Si certains y détecteront même quelques touches de Blues, c’est bel et bien dans un univers Indus et très Dark que nous embarque ZEAL & ARDOR. Le troisième album du Suisse s’étale sur une grosse demi-heure, où le Replay aura finalement du bon. En pleine immersion, ce nouvel opus éponyme du musicien s’écoute vraiment au casque. Fraîcheur et joie garanties dans cette réalisation une fois encore très atypique.
Parce qu’il y a beaucoup, beaucoup de disques qui sortent et qu’il serait dommage de passer à côté de certains d’entre eux : [Going Faster] se propose d’en mettre plusieurs en lumière… d’un seul coup ! C’est bref et rapide, juste le temps qu’il faut pour se pencher sur ces albums, s’en faire une idée, tout en restant toujours curieux. C’est parti !
FERAL – « Spiritual Void » – Source Atone Records
Concentrés sur une bonne demi-heure, les douze morceaux de « Spiritual Void » ne font pas dans la dentelle. Entre Crust et GrindCore, le quatuor de Montpellier confirme la férocité et l’agressivité de son jeu, déjà entrevues sur « Doom Walk », son premier album sorti en 2016. Toujours composé de membres de Stuntman, Superstatic Revolution et Morgue, FERAL frappe avec une précision chirurgicale dans un maelström de blasts intenses, de growls incendiaires et sur un groove obscur (« Watchdogs », « Pools », « The Great Reset »). Façon rouleau-compresseur, le combo donne la charge sur des riffs tranchants, une rythmique aiguisée et un chant brutal. Taillés dans le béton armé, les nouveaux titres de FERAL sont cinglants et la violence dégagée par « Spiritual Void » risque d’en laisser plus d’un sur le carreau… ou en lambeaux. Le scud de la rentrée.
PENSEES NOCTURNES – « Douce Fange » – Les Acteurs de l’Ombre Productions
Derrière le chaos sonore apparent de ce nouvel album de PENSEES NOCTURNES se cache en fait une musique savamment construite et réfléchie. De prime abord, on pourrait croire à une rencontre plus qu’improbable entre Behemoth, Les Garçons Bouchers et les rescapés d’une fanfare bien imbibée. Mais il n’en est rien, bien au contraire. Ce septième album du combo guidé par son taulier, Léon Harcore, fait le pont entre des fulgurances tachycardiques Black Metal, un bal musette qui aurait dégénéré sur une piste aux étoiles sanglantes et des humeurs jazzy inspirées. Rural et averti, PENSEES NOCTURNES ne se laisse pas apprivoiser à la première écoute, mais se découvre au fur et à mesure que se dévoile son univers si singulier (« Saignant et à Poings », « Le Tango du Vieuloniste », « Fin Défunt », « La Semaine Sanglantes »). Contagieuse, la bonne humeur jaillit sur « Douce Fange » comme un rasoir sur une carotide.
Le puissant Metal Pagan d’EREB ALTOR refait surface avec un neuvième album déchainé et impressionnant de maîtrise. Typiquement Black Metal dans l’approche de certains morceaux et plus atmosphériques et Doom sur d’autres, le quatuor viking propose avec « Vargtimman », un album complet et varié, jouant sur les ambiances dans des joutes vikings mémorables.
EREB ALTOR
« Vargtimman »
(Hammerheart Records)
Cela fait bientôt 20 ans que les valeureux Vikings d’EREB ALTOR montent à l’assaut et passent à l’attaque armés d’un metal sombre et fracassant. La thématique païenne et nordique guide le groupe dont le registre s’affine au fil des albums, et ce neuvième opus est très certainement le meilleur d’une déjà belle discographie. Le quatuor suédois n’est pas prêt de rendre les armes, ça c’est clair !
Sur « Vargtimman », EREB ALTOR fait parler la poudre, ou plutôt les glaives, et monte en puissance au fur et à mesure que les morceaux défilent. Les riffs sont tranchants, les rythmiques lourdes et le travail effectué sur le chant, tout en nuances, montrent que le combo scandinave est parvenu à ses fins. Entre Black Metal et des influences Folk traditionnelles, le groupe impressionne par sa noirceur et son énergie.
Si quelques passages nous renvoient à Bathory, Grand Magnus et Wardruna, EREB ALTOR se révèle sous une identité plus personnelle à travers « Vargtimman ». Féroces et guerriers, les Suédois oscillent entre titres violents et d’autres plus atmosphériques et Doom (« Fenris »). Parfois Folk et épiques (« Alvabot ») ou plus puissants (« Rise Of The Destroyer »), le groupe perpétue la tradition Viking Metal et Pagan avec force.
Après plus de trois ans d’un travail qu’on imagine facilement très prenant, OWL CAVE livre enfin son premier album, dont l’univers très torturé et intense est l’œuvre d’un seul musicien. Dans un post-Black Metal aux multiples et complexes facettes, « Broken Speech » se livre et se déguste d’un seul élan.
OWL CAVE
« Broken Speech »
(Time Tombs Productions)
Derrière cette très belle pochette d’OWL CAVE se cache un album pour le moins étonnant. S., l’instigateur du projet qui se présente en one-man-band, a donc pris les choses en main et… prend même la nôtre. Car ce premier opus, « Broken Speech », est constitué d’une seule et unique piste, qui s’articule en six mouvements. L’ensemble s’écoute donc du début à la fin, pour mieux en saisir la progression.
Dans une atmosphère Black Metal, OWL CAVE propose un véritable voyage musical entre ambiances lourdes et climats très changeants, et où les sensations succèdent aux émotions avec une fluidité assez surprenante. Pourtant, le nombre de textures sonores et de superpositions pourraient rendre « Broken Speech » étouffant, voire brouillon. Et il n’en est rien, tant l’album est homogène.
Certes, OWL CAVE ne propose pas un périple musical de tout repos, car l’ensemble diffuse un Black Metal dans lequel viennent s’immiscer des passages Indus et tribaux, le tout avec des fulgurances tantôt sauvages, tantôt éthérées. La production brute et organique rend définitivement ce premier effort saisissant et très immersif. « Broken Speech » nous plonge avec un univers unique.
Après deux albums et un dernier EP en 2012, les très prometteurs et novateurs norvégiens décident, selon les termes-mêmes du groupe, d’hiberner. Près d’une décennie plus tard, fidèle à son style si particulier et également à son label, SHE SAID DESTROY revient à la charge (c’est peu de le dire !) avec un nouvel album, « Succession », construit autour de morceaux composés en l’espace de 13 ans. Le post-Metal Hard-Core très Blackened des Scandinaves a conservé tout son volume et sa créativité. Anders Bakke, chanteur de la formation, nous en dit un peu plus.
Anders Bakke, chanteur du groupe
– On était sans nouvelle de SHE SAID DESTROY depuis « Bleeding Fiction » en 2012. J’imagine que chacun de son côté, tout le monde a continué la musique. Comment avez-vous passé ces dernières années ?
Ouais, on a mis du temps à se remettre sur les rails ! Nous n’avons jamais eu l’intention de faire une pause de huit ans, mais nous étions tous très occupés chacun avec nos propres projets, à la fois musicaux ou non. Le temps a juste passé. Pendant cette période, nous avons écrit de la musique lentement et régulièrement que nous avons mise de côté pour une utilisation future.
– Avant de parler de « Succession », je me suis rendu compte que le groupe avait presqu’autant d’années d’activité que d’inactivité. Ce n’est pas banal ! Vous vous considérez aujourd’hui comme un jeune groupe ou plutôt des vétérans au final ?
(Rires) Ouais, c’est vrai. Je suppose que nous nous considérons comme des vétérans, car nous avons été impliqués dans la musique depuis le début, même si SHE SAID DESTROY, en tant que groupe, a eu des temps d’arrêt. Cela dit, lorsque vous prenez presque 10 ans de congés dans le climat musical actuel, où les gens vous oublient dès qu’ils tournent la tête et que quelque chose d’autre apparaît dans leur fil d’actualité, vous êtes probablement considérés comme un nouveau groupe lorsque vous revenez. Surtout quand on vient de l’underground. Ce n’est pas comme si nous pouvions compter sur nos efforts passés pour que ce nouvel album fasse son chemin. Plus personne ne sait vraiment qui nous sommes ! (Rires)
– Votre nouvel album vient tout juste de sortir après huit ans de silence. Est-ce que SHE SAID DESTROY a conservé le même line-up, ou y a-t-il eu des changements de personnel ?
Les principaux membres et compositeurs, qui faisaient partie de la dernière moitié de notre période active (2006-2012) sont toujours là. C’est toujours moi, Snorre (guitare, basse, claviers – NDR) et Bjørn (Holmesland, composition et arrangements – NDR) qui formons le socle principal. Notre batteur, Sindre, fait son apparition pour la première fois sur un album de SHE SAID DESTROY, mais il a travaillé en étroite collaboration avec Snorre et Bjørn pendant plusieurs années sur d’autres projets.
L’album « Succession » de SHE SAID DESTROY est disponible depuis le 15 octobre chez Mas-Kina Recordings.
– « Succession » a été enregistré à Vilnius en Lituanie dans le studio de votre guitariste. Comment se sont passées les retrouvailles ? Il devait y avoir une grande motivation chez chacun d’entre vous, non ?
Oui, l’album a été enregistré au Ymir Audio entre janvier et février 2020. Je ne pense pas que cela ressemblait vraiment à une réunion, car nous ne jouions à aucun moment ensemble et les sessions d’enregistrement ne nous incluaient pas tous. Cet album est purement un projet de studio, où nous sommes restés en contact et avons discuté de l’avancement des sessions par mail et par téléphone. Je suis le seul à vivre encore en Norvège, donc je n’étais pas là pour les sessions d’enregistrement des instruments principaux. Mais j’avais fait la pré-production vocale moi-même avant de les rejoindre à la mi-février 2020.
Nous étions absolument motivés pour que tout soit opérationnel. Snorre et moi parlions de faire un autre album depuis plusieurs années, et en 2018/19, nous avons décidé qu’il était enfin temps. Heureusement pour nous que nous l’avons fait à ce moment-là, puisque le monde entier s’est arrêté quelques semaines seulement après les dernières sessions d’enregistrement. Je me souviens avoir vu beaucoup de masques dans les aéroports lors de mon retour en Norvège depuis la Lituanie, sans vraiment comprendre les implications de ce qui se passait.
– L’album est composé de morceaux écrits entre 2007 et 2019, et pourtant on sent une belle unité et une continuité. Vous avez retravaillé certains titres pour rendre l’ensemble plus homogène ou plus actuel, ou pas du tout ?
Les chansons sont toutes des pistes plus ou moins autonomes. Quelques unes ont été écrites dans le même intervalle et pourraient avoir une sensation similaire. Quelques autres consistent en des riffs plus anciens, qui ont été arrangées et achevées en studio, mais il n’y a jamais eu de plan global, de corpus cohérent de travail. Nous avons même eu recours à différentes configurations de guitare et de batterie, afin de nous assurer qu’elles servent la chanson plutôt qu’elles aient un son défini, qui ne correspondrait pas à leur style.
La continuité à laquelle tu fais référence vient probablement du style d’écriture et de notre jeu. Nos personnalités transparaissent même si la musique représentée sur l’album se situe dans un éventail très large. Et en fin de compte, le mix de l’album aide également à lier le tout.
– « Succession » bénéficie également d’une très bonne production, très organique. Je crois que l’enregistrement s’est fait un peu à l’ancienne en privilégiant vraiment un son plus analogique. C’est ça ?
L’album a été enregistré numériquement, mais nous avons essayé de mettre des limites pour le rendre plus chaleureux, plus dynamique et plus analogique aussi. Par exemple, les sons de guitare sont tous basés sur des pédales d’effets et différentes combinaisons d’instruments et d’amplis au lieu d’utiliser simplement des plug-ins informatiques. Les batteries ont été enregistrées en prise directe, puis reconstituées à partir de trois prises maximum. Snorre est très doué pour travailler avec les micros et pour exploiter l’ambiance du studio. Ce sont des choses qui semblent probablement évidentes pour de nombreux anciens, mais je pense que c’est devenu moins courant de travailler comme ça. Cela prend du temps et peut vite devenir trop cher pour un groupe underground. C’est l’un des nombreux avantages d’avoir son propre studio.
– Il me semble que vous avez été très attentifs aux parties de batterie, qui sont d’ailleurs incroyables…
Merci ! Oui je suis d’accord. Il y a beaucoup de parties de batterie impressionnantes sur le disque. Nous prenons grand soin de choisir la bonne configuration pour chaque chanson et bien sûr, cela aide d’avoir un batteur extrêmement talentueux comme Sindre, qui comprend immédiatement où nous voulons aller. SHE SAID DESTROY a de la chance à ce niveau-là. Thor Henrik, qui a joué sur tous nos albums précédents, est également un batteur extrêmement talentueux. Ils sont l’épine dorsale du groupe. Lorsque vous jouez de la musique comme la nôtre, tout s’effondre si le batteur ne fait pas son travail.
– Ce troisième album s’inscrit parfaitement dans son époque et d’ailleurs beaucoup de groupes se sont engouffrés dans ce style post-Metal Blackened. Est-ce que vous vous sentez un peu précurseurs à ce niveau-là ?
Je ne veux pas prétendre que nous étions avant-gardistes à l’époque, mais incorporer ces parties atmosphériques influencées par le Black Metal dans notre musique fait partie de notre ADN depuis notre premier album. Je suis certain que de nombreux groupes l’ont fait en même temps que nous, mais ce n’est qu’au cours de la dernière décennie que c’est devenu beaucoup plus courant.
– Enfin, j’imagine qu’après huit ans, vous devez avoir une terrible envie de remonter sur scène ! Une tournée est-elle déjà prévue, ou au moins quelques dates ?
Nous ne savons pas encore s’il y aura des concerts. Après tout, nous avions décidé d’arrêter de jouer en live en 2009 et de nous concentrer sur le travail en studio. Garder une unité de groupe et caler des dates avait commencé à devenir un casse-tête à l’époque. Mais après dix ans, je dois admettre que j’ai envie de revenir sur scène avec SHE SAID DESTROY. Ces nouvelles chansons passeraient vraiment très bien en live. Cependant, il y a quelques défis à relever pour que ça tienne la route. Nous dépendons aussi de musiciens de studio pour pouvoir jouer en live, car seuls quelques-uns d’entre nous sont intéressés par les concerts. Et nous vivons également dans différents pays, ce qui rend la préparation assez pénible. Je suppose que tout se résumera à des problèmes d’argent si des demandes commencent à arriver.
Après le très convaincant « Auric Gates Of Veles » sorti en 2019, HARE revient déverser sa colère sur un douzième album varié et très bien produit, « Rugia ». Nar-Sil (Neolith, Embrional) fait aussi son apparition en remplacement de l’habituel batteur Pavulon, absent pour maladie. Le Death/Black Metal des Polonais claque toujours autant et sa noirceur est profonde.
HATE
« Rugia »
(Metal Blade Records)
Les Polonais de HATE déversent leur Death Metal très Black depuis trois décennies sans le lever le pied, ni défaillir. Toujours guidé par son emblématique frontman et guitariste Adam ‘The First Sinner’ Buszko, le groupe présente « Rugia », un hommage aux anciennes tribus et cultures slaves. Un douzième album sombre et décapant.
Très ésotérique, ce nouvel opus nous plonge à nouveau dans les brumes d’un Death Metal aux ambiances presque terrifiantes. HATE n’est pas là pour rigoler, même si quelques lignes mélodiques apparaissent de manière assez épisodique. Techniquement imparables, les Polonais reviennent aussi à leurs racines avec ce côté très dur qui fait leur force.
Assez épique par moment, HATE développe même des éléments atmosphériques très probants (« Velesian Guard », « Sun Of Extinction »). Mais le combo n’a rien perdu de sa férocité et elle est même d’une violence chaotique (« Resurgence », « Sacred Dnieper »). Les Polonais réussissent leur pari d’un album conceptuel rondement mené et d’une explosivité de chaque instant.