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Popa Chubby : New-York cannonball [Interview]

POPA CHUBBY a une telle culture du Blues, et même de tous les Blues, qu’il paraît presqu’étonnant qu’il n’y soit pas allé plus tôt de son hommage au grand Freddie King. Mais c’est dorénavant chose faite… et très bien faite ! Et la fête n’en est que plus belle, puisqu’en plus d’un groupe exceptionnel, il a fait appel à quelques amis. Et quand ils s’appellent Joe Bonamassa, Albert Castiglia, Christone ‘Kingfish’ Ingram, Mike Zito, Eric Gales ou Arthur Nielson, l’ensemble prend forcément une toute autre dimension. Tous l’ont clamé haut et fort et « I Love Freddie King » résonne comme l’une des plus belles marques de respect adressée au légendaire ‘Texas Cannonball’. Entretien avec le guitariste et chanteur new-yorkais, qui reprend des forces et livre l’un de ses plus beaux disques.

– Avant de parler de ce bel hommage que tu rends à Freddie King, j’aimerais tout d’abord prendre de tes nouvelles. Tu as été touché par une maladie rare de la colonne vertébrale, dont tu te remets depuis quelques mois. Comment vas-tu aujourd’hui ? C’est définitivement derrière toi, ou pas encore ?

Eh bien, ce n’est pas une réponse facile. Merci de t’en inquiéter. La convalescence après mon opération prendra au moins deux ans, car j’ai subi une grave lésion au bras et à la colonne vertébrale. Mais je marche, je joue de la guitare et je fais de nouveau des concerts, donc tout va bien. Je pratique actuellement le vaudou et je fais des cérémonies, mais je suis à court de cellules souches. Ces deux techniques sont légales aux Etats-Unis. Et puis, j’ai hâte aussi de rentrer en France pour retrouver mes frères et sœurs africains, algériens et marocains.

– Tu es resté immobilisé un certain temps, alors que tu avais déjà commencé l’enregistrement de l’album. Est-ce que, d’une manière ou d’une autre, tu dois à Freddie King et à son Blues une partie de ta guérison ?

Absolument, le pouvoir de cette musique m’a aidée à guérir et continue de le faire. Quant à l’aide directe que Freddie King a pu apporter à ma santé, il est mort à la quarantaine (à 42 ans en 1976 des suites d’un ulcère de l’estomac – NDR), faute d’avoir soigné la sienne. Il n’est donc peut-être pas le meilleur modèle à suivre. Mais musicalement, en tant que musicien qui travaille depuis aussi longtemps comme moi, j’ai arrêté de le suivre et je me concentre sur une approche plus équilibrée.

– On te sait d’un naturel très combatif et surtout un grand amoureux de musique. Comment est-ce qu’un musicien comme toi qui ne cesse de jouer, d’enregistrer et de tourner a-t-il vécu cette période ? L’objectif a été de reprendre ta guitare le plus vite possible ?

Ça a été extrêmement difficile. Mais je suis resté motivé et j’ai constamment progressé. Au début, je ne pouvais même pas jouer de la guitare, mais maintenant, je retrouve de la motivation. Franchement, chaque jour est un combat. Alors qu’avant, je réussissais facilement à faire les choses, je dois maintenant y réfléchir en faisant beaucoup d’efforts, mais ce n’est pas grave. Je ne m’apitoie pas sur mon sort. Je continue d’avancer. Et rien ne m’arrêtera.

– Parlons maintenant de ce bel album. Tu l’as enregistré à Long Island au G. Bluey’s Juke Joint avec des musiciens que tu as toi-même choisi. Quels étaient tes critères, outre une connaissance assidue de Freddie King ? C’est votre complicité qui a primé ?

Les critères étaient de couvrir plusieurs aspects de la carrière du bluesman et d’intégrer quelques uns des meilleurs musiciens du genre, et qui sont tous mes amis. Concernant le studio, l’un de mes meilleurs amis, un de mes anciens élèves, a ouvert un incroyable studio à New-York et m’a autorisé à y enregistrer. C’est vraiment époustouflant, avec une vue imprenable sur les gratte-ciels de New-York. L’enregistrement a été réalisé en deux jours pour les morceaux de base, comme ce qui était prévu. Les musiciens étaient préparés et le matériel était excellent, donc c’était assez facile. J’ai donc pu l’enregistrer correctement.

– Et puis, il y a le choix des morceaux, qui sont pour l’essentiel des classiques de Freddie King. Tu aurais pu aussi choisir des chansons moins connues. Comment as-tu procédé, et y avait-t-il aussi le désir de livrer ta propre version, sachant que beaucoup de chansons ont déjà été reprises ?

Il y a eu trois périodes distinctes dans la carrière de Freddie : les premiers morceaux instrumentaux à la guitare, les morceaux funky avec Mike Vernon sur l’album « Burglar » en 1974 et ceux avec Leon Russell. Il était important de tous les couvrir. Il y a tellement de gens dans la carrière de Freddie, qui ont joué un rôle sur son côté instrumental. Cela va du producteur Mike Vernon, qui a produit l’album « Burglar », et aussi John May Bino avec Eric Clapton jusqu’à Leon Russell, Don Nix et Duck Dunn avec des chansons comme « Going Down », qui est vraiment axée sur le piano.

– Freddie King utilisait des onglets à la main droite, en plastique pour le pouce et en métal pour l’index, et il portait sa bandoulière de manière inhabituelle pour un droitier, à savoir sur l’épaule droite. Est-ce que, même pour t’amuser, tu t’es déjà essayé à cette drôle de position ?  

Tu sais, on réalise tout de suite qu’on ne pourra jamais reproduire le style de Freddie, alors on essaie d’en reprendre et de retrouver l’ambiance et l’énergie, comme je l’ai fait avec des gens comme Hendrix aussi. On essaie simplement de capter cette énergie, c’est le plus important. Et puis, c’est vraiment un truc texan et des gens comme Gatemouth, Brown, Anson Funderburgh et Omar Dykes, ainsi que Jimmie Vaughan, en sont tous des adeptes.

– Reprendre un maître du Blues comme Freddie King peut aussi déclencher beaucoup de questions : est-ce qu’il faut toucher l’œuvre originale le moins possible et la respecter au mieux, ou alors se l’approprier complètement et en donner sa propre vision. Même si j’ai ma petite idée, dans quelle posture t’es-tu mise ? Et est-ce que cela a été plutôt une délivrance, ou une petite crispation avec une légère appréhension ?

Tout en restant fidèles aux arrangements originaux, qui sont tous géniaux, nous avons essayé d’y apporter notre approche et notre propre sensibilité. Certains morceaux sont vraiment exceptionnels. Il y avait de nombreux sommets sur cet album qui devaient être atteints, notamment « Hideaway Another Being », qui l’une des chansons les plus marquantes et enthousiasmantes du genre. Ensuite, c’était une évidence d’avoir Joe Bonamassa sur le projet. Et je tenais absolument à jouer « Hideaway » avec Arthur Neilson.

– Sur l’album, il y a trois chansons datant de 1961 et les autres datent de 1971 à 1974. Ce qui est fascinant en écoutant le disque, c’est qu’elles auraient toutes aussi pu être composées de nos jours. Est-ce que cette intemporalité te séduit encore aujourd’hui chez Freddie King au-delà de son jeu ?  

J’ai toujours dit que Freddie King était le chaînon manquant. On ne lui a jamais attribué le mérite qui lui était dû vu sa virtuosité musicale, tous les genres abordés et les différentes époques dans sa discographie. Alors, nous avons fait de notre mieux pour en couvrir l’essentiel et j’espère vraiment que nous avons contribué à lui rendre hommage.

– Comme tu le clames : tu aimes Freddie King. Et tu n’es pas le seul, puisque Mike Zito a aussi été partie prenante dans cette belle aventure. Quel a été son rôle en tant que producteur exécutif ?

Mike Zito a joué un rôle déterminant dans la réalisation de cet album. Il n’aurait pas pu voir le jour sans lui et je lui en suis très reconnaissant. C’est un type bien. Toute l’équipe de Gulf Coast Records m’a apporté un soutien incroyable. Je lui en suis très reconnaissant.

– D’ailleurs, j’aimerais savoir si des artistes comme Joe Bonamassa, Albert Castiglia, Christone ‘Kingfish’ Ingram et les autres ont pu choisi leur morceau, ou est-ce toi qui le leur as imposé ? Parce qu’il peut y avoir aussi une petite question de goût ou d’ego…   

Il n’y a eu aucune question d’ego, vraiment. Tout le monde a apporté sa contribution et m’a aidé. Je suis tellement fier de tous mes amis, parmi les meilleurs guitaristes du genre et probablement du monde entier. Ma gratitude est éternelle. Mais j’avais aussi des idées précises sur qui jouerait quel morceau, et notamment Joe Bonamassa sur « I’m Going Down ».

– La technologie permet aujourd’hui beaucoup de choses, notamment de faire des albums à distance. Avez-vous tous pu vous rencontrer, car l’ensemble sonne terriblement live ? On vous imagine facilement tous dans la même pièce…

Seulement un ou deux morceaux ont été réalisés en présence de tous les musiciens. Les autres ont été envoyés par Internet. C’est comme ça que ça se passe maintenant, tu sais, avec nos agendas chargés et les tournées de chacun.

– Une dernière question plus personnelle et moins musicale pour conclure. Trump a été réélu pour une seconde fois. On te sait farouche opposant à sa politique et les choses prennent même une tournure assez dangereuse. Au-delà de ses idées que tu as toujours combattues, est-ce que tu penses que, tôt ou tard, le monde de la musique pourrait en être affecté aux Etats-Unis ?

Je pense que le monde entier est touché et la musique aussi forcément, mais il existe une résistance à la tyrannie et au fascisme et j’ai l’intention d’être à l’avant-garde, aux premiers postes. Je continuerai à résister grâce à des chansons de protestation et à utiliser mon influence pour prêcher le bien et uniquement le bien. Nous ne pouvons pas laisser le fascisme prendre le contrôle du monde.

L’album POPA CHUBBY & FRIENDS, « I Love Freddie King », sera disponible chez Gulf Coast Records le 28 mars.

Photos : Nelson D’Onfrio (4) et Photo Phillip Ducap (3, 6)

Retrouvez l’interview de Popa Chubby à l’occasion de la sortie de « Tinfoil Hat », sorti en pleine pandémie :

… Et les chroniques de ses derniers albums :

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Dark Blues Soul Southern Blues

Jhett Black : une solennité très dark

Il émane beaucoup de classe du Dark Blues de JHETT BLACK. Avec « Babel », le musicien montre de nombreuses facettes de sa personnalité en se dévoilant de manière originale à travers un style passionné. Très abouti, ce premier album est l’œuvre d’un artiste confirmé et terriblement inspiré. Très profond, il en devient même vite addictif, tant son répertoire est saisissant.

JHETT BLACK

« Babel »

(Rumblestump Records)

C’est dans son Nouveau-Mexique natal que JHETT BLACK a appris la slide en autodidacte tout en parcourant les routes avec son groupe Folk Rock Gleewood. La reconnaissance est arrivée lors de l’International Blues Challenge de Memphis et la sortie de son EP « Roots » a conforté des premiers pas plus que prometteurs. Depuis, il s’est installé à Chattanooga dans le Tennessee, où il a écrit et composé « Babel », une perle d’un Blues sombre, presque gothique et élégamment épuré.

S’inspirant de la musique roots américaine, JHETT BLACK propose un style lourd et épais, qui ne manque pourtant pas de délicatesse. Il y a quelque chose de solennel chez lui, et qui n’est pas sans rappeler Johnny Cash dans la narration. A la frontière entre Rock, Soul et Blues, le songwriter s’appuie sur un registre traditionnel pour le nourrir d’une modernité très groove, brute et savoureuse. « Babel » est un voyage intense dans le sud des Etats-Unis, où le duo guitare-batterie captive.

Avec sa voix de basse/baryton, JHETT BLACK parvient à faire jaillir la lumière, grâce à des mélodies prenantes et des chansons intimes d’une incroyable puissance émotionnelle (« Wayward Son », « Gold »). Souvent teinté de désespoir tout en restant entraînant, le guitariste livre des morceaux d’une grande densité et d’une authenticité qui offre à « Babel » des instants de vérité éclatants (« Roll On », « Mama Told Me Not To », « 12 Bar Blues Again » », « Sonic Tonic » et la somptueuse cover de Freddie King « Going Down »). Dark’n Roll !

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Blues

Bernie Marsden : une étoile au firmament

Sept ans après « Shine », son dernier album solo, le maestro BERNIE MARSDEN entreprend une série de disques baptisée « Inspirations » dans laquelle le Britannique va rendre hommage aux bluesmen qui l’ont inspiré. « Kings », le premier volet, donne le ton avec une classe naturelle, une dextérité incroyable et un feeling hors du commun. Du très, très haut niveau !

BERNIE MARSDEN

« Kings »

(Conquest Music)

Toujours présenté comme membre fondateur de Whitesnake avec qui il a, certes, enregistré six albums mais qu’il a quitté il y a presque 40 ans, BERNIE MARSDEN a construit sa légende en solo avec une belle discographie et de nombreuses et prestigieuses collaborations. Pour la plus récente d’entre elles, le Britannique a co-composé l’album « Royal Tea » de Joe Bonamassa.

Pourtant assez discret, mais toujours inspiré et prolifique, le guitariste et chanteur a influencé un grand nombre de musiciens autant qu’il a comblé les amateurs de Blues et plus largement de Rock sous toutes ses formes. BERNIE MARSDEN est un monstre de virtuosité au service d’un feeling exceptionnel et rare. Avec « Kings », l’Anglais entame une série d’albums qui s’annonce grandiose.

Baptisée « Inspirations », elle va voir le guitariste rendre hommage aux chansons avec lesquelles il a grandi et qui l’ont inspiré. L’idée a germé après un bœuf avec Billy Gibbons et a conduit BERNIE MARSDEN à enregistrer « Kings », premier volume dédié à Freddie King, BB King et Albert King. Epoustouflant et bénéficiant d’une brillante production, l’album apporte encore un peu plus de magie à ce Blues éternel.

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Blues Soul / Funk

Same Player Shoot Again : King mania

SAME PLAYER SHOOT AGAIN n’est pas un cover-band comme les autres, loin de là. Le septet français semble s’être donné pour mission d’offrir un nouvel éclat aux trois ‘King’ de la guitare Blues. Et après Freddie, c’est au tour du répertoire du grand Albert King de passer entre les mains expertes du groupe pour ce « Our King Albert », magistral de feeling et de dextérité. En attendant peut-être B.B….

SAME PLAYER SHOOT AGAIN

« Our King Albert »

(Five Fishes/Socadisc)

Après un premier tribute couronné de succès et qui rendait hommage au grand Freddie King en 2018, cette dream team du Blues hexagonal s’attaque à un autre King et pas des moindres : Albert. Saluer comme il se doit ‘The Velvet Bulldozer’ n’est pas à la portée de tout le monde, mais les musiciens de SAME PLAYER SHOOT AGAIN sont de redoutables et talentueux experts en la matière, et ils se sont vraiment fait plaisir.

Faisant carrière en France comme à l’international, les sept membres du groupe ont tous un CV long comme le bras et surtout un feeling et une technique hors-norme… et il en faut pour ne pas faire offense à ce maître du Blues. SAME PLAYER SHOOT AGAIN parvient avec brio à retranscrire l’âme des morceaux de l’Américain avec une délicatesse et un toucher incroyable.

« Our King Albert » est un hommage appuyé à l’homme à la Flying V, dont le talent continue de briller à travers tout l’album. Les classiques du bluesman du Mississippi comme des titres moins connus sont présents sur les 14 plages, qui baignent dans une atmosphère Soul, Funk et Rythm’n Blues (« Born Under A Bad Sign », « Oh Pretty Woman », « Angel Of Mercy », « I Wanna Get Funky »). SAME PLAYER SHOOT AGAIN fait revivre la légende avec classe.  

A noter que le groupe se produira dans le temps du Blues parisien, le New Morning, le 14 septembre prochain.