Déjà nominée aux fameux Americana Music Association Honors & Awards cette année, la nouvelle sensation féminine guitaristique a aussi partagé la scène avec Slash, The Red Clay Strays et The Osbourne Brothers en livrant à chaque fois des prestations époustouflantes. C’est dire si son arrivée sous le feu des projecteurs est tout sauf un hasard. Solidement épaulée par un redoutable combo, THE HODGE PODGE, GRACE BOWERS dégage une énergie incroyable et passe du Blues à la Funk, comme du R’n B à la Soul et au Rock avec une facilité déconcertante. Dire qu’elle a de l’or au bout des doigts est un doux euphémisme.
GRACE BOWERS & THE HODGE PODGE
« Wine On Venus »
(Independant)
Ne vous fiez surtout pas à son âge car, à 18 ans tout juste, la jeune musicienne originaire de Nashville et de la Bay Area a déjà tout d’une grande. Sorti dans la torpeur de l’été, début août, son album est tout simplement exceptionnel et il aurait été dommage de ne pas en dire quelques mots. Gorgé de Soul et dans un esprit revival Funk 70’s, ce premier effort de GRACE BOWERS avec son groupe THE HODGE PODGE est tellement abouti, tant au niveau de la composition que de la production, qu’il laisse présager, sans trop prendre de risque, d’un bel avenir. Car, sur « Wine On Venus », tout y est… rien ne manque !
Très collégial dans l’approche, l’unité musicale affichée par l’Américaine semble se fondre dans une jam sans fin, où l’équilibre entre le chant, les parties instrumentales guidées par l’hyper-groovy section de cuivres et la sautillante rythmique, laisse à GRACE BOWERS tout le loisir de faire parler sa guitare. De ce côté-là aussi, elle fait preuve d’une audace et d’une virtuosité très mature. Pourtant d’une autre génération, elle maîtrise déjà tous les codes à la perfection, et sans trop en faire non plus, elle s’inscrit dans un style qui semble véritablement fait pour elle, grâce à un jeu flamboyant et sauvage.
Aérienne et percutante, une voix plane aussi au-dessus de « Wine On Venus » avec grâce et dans une réelle alchimie portée par des HODGE PODGE survitaminés et chevronnés, affichant le double de l’âge de la jeune artiste. Car, contrairement à ce que l’on pourrait penser en voyant la pochette, ce n’est pas GRACE BOWERS qui s’illustre derrière le micro, mais la chanteuse Soul Esther Okai-Tetteh. Et sa puissance vocale renvoie à une interprétation délicate et savoureuse poussant vers des tessitures profondes (« Lucy », « Tell Me Why You Do That », « Wom No Teg », « Get On Now »). Un disque déjà incontournable !
Comme toujours, la vie rayonne de gaieté sur ce nouvel opus de ROSALIE CUNNINGHAM. Avec « To Shoot Another Day », la Britannique nous plonge dans les 70’s avec une joie omniprésente. Très riche musicalement et d’une énergie contagieuse, ses chansons ont ce point commun de toutes évoluer dans une ambiance très psychédélique, progressive aussi, avec une liberté éclatante et sans se soucier vraiment d’une certaine nostalgie palpable, mais dont elle joue d’ailleurs avec malice et une désinvolture très élégante.
ROSALIE CUNNINGHAM
« To Shoot Another Day »
(Esoteric Recordings)
Décidemment, depuis le split de son groupe Purson en 2016, celle qui a aussi joué avec Jack White, vit un début de carrière en solo épanouissant. Après un premier album en 2019 suivi de l’excellent « Two Piece Puzzle » (2022), ROSALIE CUNNINGHAM a même sorti le très bon « Live At Capela » dans la foulée et nous revient aujourd’hui avec son troisième effort studio. Une fois encore, la jeune Anglaise se montre aussi surprenante que talentueuse et l’audace musicale dont elle fait preuve est juste incroyable.
La chanteuse, multi-instrumentiste et compositrice fait preuve d’une créativité débordante et « To Shoot Another Day » nous ballade dans des contrées Psych entre Rock, Soul, Funk et Blues avec une saveur vintage aussi délicate qu’authentique. Comme d’habitude, ROSALIE CUNNINGHAM s’est occupée de tout dans son home-studio avec la complicité de son guitariste et compagnon Rosco Wilson, qui a co-écrit quatre morceaux et participé au mix. Et les ambiances sont variées et chaleureuses pour devenir vite addictives.
Cela n’aura échappé à personne, le titre de cette nouvelle réalisation est un clin d’œil au légendaire James Bond, dont le thème de « Die Another Day » est repris dès le premier titre éponyme. Et l’atmosphère très cinématographique que l’on retrouve aussi sur la pochette se propage sur l’ensemble du disque à travers des chansons très soignées, pleines de paillettes sonores scintillantes et parfois dramatiques. Vocalement, ROSALIE CUNNINGHAM fait une véritable démonstration alternant fougue et douceur avec beaucoup de sensibilité.
Sur un groove irrésistible, la multi-instrumentiste présente sa sixième réalisation, « Do It My Own Way », sur son propre label. Et elle est loin d’avoir fait les choses à moitié. Il faut dire que depuis ses débuts en 2014 avec « Heart Soul & Saxophone », puis un passage chez Ruf Records le temps de deux albums et ensuite de belles récompenses, VANESSA COLLIER n’a eu de cesse de peaufiner son jeu, sa voix et ses qualités de songwriter. Vibrante et enjouée, elle nous régale à nouveau avec un disque intemporel et pluriel.
VANESSA COLLIER
« Do It My Own Way »
(Phenix Music Records)
Comme son titre l’indique, pour son sixième album, VANESSA COLLIER a décidé de tout faire à sa façon et on ne peut que lui donner raison. « Do It My Own Way » parcourt le large panel artistique de la musicienne avec beaucoup de finesse et de talent. La Texane, aujourd’hui basée en Caroline du Sud, est entourée d’un groupe incroyable et pourtant on la retrouve dans bien des rôles. Douze fois nominée aux Blues Music Awards qu’elle a remportés à quatre reprises, elle atteint ici des sommets avec une prise en main exceptionnelle.
Chanteuse et compositrice, VANESSA COLLIER ne se contente pas de ses saxophones alto et ténor, elle joue également de la flûte, du dobro et quelques slides sur ces nouveaux morceaux où elle a aussi géré les choeurs et les arrangements. Enregistré en analogique, « Do It My Own Way » conjugue la Funk, le R&B, le Blues, et le Rock avec exactitude et un feeling constant. On se laisse littéralement happer par cette réalisation, dont la chaude et authentique production conforte le style de l’Américaine avec brio.
Pétillante et solaire, sensible et profonde, VANESSA COLLIER vit au rythme de ses chansons entre des instants Gospel suspendus, des élans plus Swing, Rock’n’Roll ou Soul façon New Orleans. Comme sur ses précédents opus, « Do It My Own Way » n’est pas disque de saxophoniste autocentré, il s’ouvre à tous les (nombreux) instruments dans une belle harmonie. Vocalement aussi, sa prestation est remarquable et haute en couleur (« Elbow Grease », « Wild As A Rainstorm », « Rosetta », « Warrior » et le morceau-titre). Etincelant !
Avec « Blueprints », CAITLIN KRISKO & THE BROADCAST semble franchir un cap et même si on devra se contenter de six titres, on reste sous le charme de ce nouvel, et bien trop court, effort. Avant une tournée anglaise à la rentrée, le quatuor se présente au meilleur de sa forme et la performance vocale de sa chanteuse est tout simplement époustouflante. Avec beaucoup de force et d’authenticité, elle captive grâce à des variations toute en puissance et terriblement mélodiques.
CAITLIN KRISKO & THE BROADCAST
« Blueprints »
(Independant)
Après l’excellent « Lost My Sight » paru en 2020 et qui avait déjà posé les solides fondations de THE BROADCAST, c’est avec l’EP « Blueprints » que les Américains font leur retour. Cette fois, leur chanteuse et parolière CAITLIN KRISKO y a ajouté son patronyme, peut-être pour mieux marquer de son empreinte ce nouveau format-court, mais pas seulement. Il faut préciser que les six morceaux ont un côté très personnel et introspectif dans la mesure où la frontwoman a récemment perdu sa mère et nombre des émotions traversées ici y font directement référence, rendant ce Blues teinté de Soul et de Rock plus émouvant encore.
Si le premier album avait une couleur peut-être plus roots et brute avec un jeu plus direct, sur « Blueprints », CAITLIN KRISKO & THE BROADCAST joue la carte de l’émotion et la chanteuse est réellement au centre de toute l’attention. Née à Détroit et ayant grandi à New-York, c’est désormais dans la ville d’Asheville en Caroline du Nord qu’elle est basée et sans tomber dans un registre clairement Southern, des sonorités et des intentions très Soul se dégagent du EP, notamment sur les très bons « Haunted By You », Have To Say Goodbye » « Blue Monday », les chansons les plus touchantes.
Déchirante souvent, CAITLIN KRISKO fait parler la puissance de sa voix tout en faisant preuve de beaucoup de sensibilité et d’une folle énergie, comme sur le très funky et enthousiasmant « Devil On Your Side », qui ouvre cette nouvelle réalisation. Et que dire de ses camarades qui élèvent THE BROADCAST sur chaque titre ! Sur une production limpide, le groove et les arrangements très soignés prennent une dimension enchanteresse, comme sur le dynamique « Piece Of You » et l’entêtant « Operator ». Très moderne dans son approche, « Blueprints » montre un large spectre musical, et on attend la suite rapidement.
Brute et authentique, la Soul hyper-punchy proposée par la New-Yorkaise ravive avec talent l’esprit des pionnières comme Mavis Staples et résonne même comme une version féminine d’Otis Redding. Terriblement Funky, un brin roots et doté d’un charme rétro irrésistible, BETTE SMITH livre l’un des disques les plus palpitants du style depuis un moment. Aussi intense que tendre, « Goodthing » révèle une force créative et bouillonnante avec un pied dans chaque millénaire.
BETTE SMITH
« Goodthing »
(Kartel Music Group)
Les débuts de BETTE SMITH remontent maintenant à presque 20 ans. Originaire de Brooklyn, la chanteuse et compositrice est d’abord passée par la chorale de son père avant d’éclore sous le nom de Bette Stuy avec un premier opus suivi d’un EP. C’est à partir de 2017 et « Jetlagger » qu’elle prend véritablement son envol et se produit aux côtés de Kenny Wayne Shepherd et Drive-By Truck, tout en participant à de multiples enregistrements studio. « Goodthing » est donc son quatrième album et il en impose !
Il y a quelque chose d’iconique et d’intemporel dans la voix de BETTE SMITH. Nourrie de Gospel, de Soul, de Rock de Funk et de Blues, la frontwoman dépoussière les codes très 70’s du genre et, tout en les respectant, leur offre une couleur et une fraîcheur très contemporaines. En jouant aussi sur un côté vintage savoureux, elle fait sonner ses morceaux avec énergie et se montre très actuelle dans leur interprétation. « Goodthing » est une sorte de concentré de douceurs acidulées, dont il est difficile de se défaire.
Après avoir travaillé sur ses compositions, l’Américaine a traversé l’Atlantique pour entamer une collaboration avec le producteur Jimmy Hogarth réputé pour son travail avec Amy Winehouse et Tina Turner notamment. Et le duo fait des étincelles sur les 13 pépites que compte « Goodthing », le bien-nommé. Le chant de BETTE SMITH y est électrique (« Eternal Blessings », « M.O.N.E.Y. », « Whup ‘Em Good », « More Than A Billionaire », « Cave » et le morceau-titre). Ce disque fait un bien fou et s’écoute en boucle !
Dans son univers feutré et explosif à l’occasion, la Soul, le Blues et la Funk font cause commune dans une belle harmonie et avec « By The Way », la formation du sud-ouest impose définitivement son style, sa patte et un son très personnel. Bien sûr, on perçoit encore brièvement des références comme celles des Blues Brothers, l’ambiance de ‘The Commitments’ ou même les fulgurances d’un Maceo Parker, mais THE SUPERSOUL BROTHERS est plus identifiable que jamais, preuve d’un allant créatif imperturbable.
THE SUPERSOUL BROTHERS
« By The Way »
(Dixiefrog/Pias)
Bien que fondé en 2015, c’est surtout depuis trois ans que l’on n’arrête plus THE SUPERSOUL BROTHERS. Depuis « Shadows & Light » en 2021, suivi de près par le monumental « The Road To Sound Live » sur lequel le groupe livre une performance incroyable dans son Béarn natal, les choses se sont franchement accélérées. Parti à la conquête de Memphis en janvier dernier pour le légendaire International Blues Challenge (IBC) où ils ont terminé dans le ‘Final Four’, les Français réapparaissent déjà avec « By the Way », leur deuxième album studio. Et là encore, ils surprennent autant qu’ils enchantent.
Dorénavant incontournable sur la scène Soul hexagonale, et pas seulement, THE SUPERSOUL BROTHERS réussit le tour de force de concrétiser la qualité de ses précédentes prestations vinyliques avec une réalisation plus profonde de prime abord, d’où émane à nouveau une atmosphère à la fois douce et festive. Sur une production et des arrangements très soignés, l’énergique combo, qui a entretemps changé de batteur, met un peu plus l’accent sur l’aspect cuivré de son registre, tout en laissant une place de choix à l’orgue Hammond et ses effluves enveloppantes.
Autour de son frontman David Noël, les SUPERSOUL BROTHERS se sont parés d’une section cuivre de quatre musiciens, qui viennent grossir le groove à l’œuvre sur « By The Way ». La chanteuse Claire Rousselot-Paillez se fait aussi plus présente et prend même le lead sur l’excellent « Play It Like A Sister ». Les Palois prennent du volume, de l’assurance et dégagent plus que jamais beaucoup de classe. Au milieu du très addictif morceau-titre, de « Toy Party Tim », « Time Is Right », « Snow Day In The World » ou « Take My Hand » vient même se nicher l’ensoleillé Reggae des Viceroys « Heart Made Of Stone ». Envoûtant !
Retrouvez la chronique de l’album live du groupe :
L’heure est à la détente pour THE BLACK KEYS, qui s’autorise le temps de ce nouvel opus une sorte de récréation nettement plus vaporeuse, mais non sans livrer un ardente prestation. Souvent galvaudée, le terme de groove prend ici tout son sens à travers 14 morceaux où l’objectif du groupe est clairement de prendre du plaisir et surtout d’en donner. Très 70’s dans les sonorités, des effluves de Soul, de Funk et d’un Blues tendre et généreux font cause commune sur « Ohio Players », qui donne autant le sourire que la patate !
THE BLACK KEYS
« Ohio Players »
(Easy Eye Sound/Nonesuch Records)
Joie et félicité ! THE BLACK KEYS est de retour, clope au bec, avec une pêche d’enfer et sur un groove aussi démoniaque que réjouissant ! Alors ok, Dan Auerbach et Patrick Carney ne sont pas complètement seuls. « Ohio Players » n’est pas non plus complètement un album de leur composition. Et alors ? Le duo est particulièrement bien entouré et la tracklist est joyeuse, funky et, on ne va pas se mentir, ça fait plutôt du bien par les temps qui courent ! Il y a forcément aussi une explication très rationnelle à ce douzième effort studio des Américains, qui nous emmènent assez loin de l’âpreté du Blues Rock de « Dropout Boogie ».
En titrant ce nouvel opus du nom du cultissime groupe de Funk, THE BLACK KEYS annonce la couleur : elle sera festive, légère et explosive. L’idée de cette création inattendue et originale est née lors de soirées organisées par le groupe, où il passait de vieux 45tr de sa collection. Et c’est l’esprit de ces fêtes qui a constitué le fil rouge de l’album. A l’exception de « I Forgot to Be Your Lover », une chanson écrite par William Bell et Booker T. Jones, l’ensemble de « Ohio Players » est signé et produit par le tandem de la petite ville d’Akron. En revanche, les collaborations ne manquent pas et elles ont même parfois assez surprenantes.
Le guitariste/chanteur et le batteur ne renient pas une seule seconde leur patte musicale et encore moins ce son si particulier qui les distingue depuis leurs débuts. L’approche est la même et on la ressent jusqu’à cette production, certes, plus lisse cette fois, mais tellement riche en arrangements. Facile et aérien, THE BLACK KEYS a donc convié l’ami Beck sur près de la moitié de « Ohio Players », tandis que Noël Gallagher (oui, oui !) intervient aussi dans la composition de trois morceaux. Et la participation des rappeurs Juicy J et Lil Noid libère quelques instants de Hip-Hop langoureux. On sait s’amuser dans l’Ohio et ça fait du bien !
Retrouvez les chroniques de leurs deux derniers albums :
Une rythmique infaillible et tout en souplesse, un guitariste inspiré et virtuose et deux chanteuses qui se complètent autant qu’elles se distinguent, voici les délicieux ingrédients à l’œuvre lors des prestations scéniques de BRAVE RIVAL. En l’espace de quelques années seulement, l’Angleterre a été prise d’assaut par son Blues Rock aussi fougueux que sensuel et si l’on en croit ce somptueux « Live At The Half Moon », ça ne va pas en rester là.
BRAVE RIVAL
« Live At The Half Moon »
(Independant)
S’il y a des groupes qui excellent en studio, la scène a très souvent le pouvoir de les transcender et dans le domaine du Blues, c’est même régulièrement une évidence. Ce n’est donc sans doute pas une coïncidence si BRAVE RIVAL a commencé avec « Live At The Echo Hotel Music Club », un premier album enregistré en 2019 et en live. Pour autant, l’an dernier, les Britanniques ont livré « Life’s Machine », un effort studio salué, qui a permis à leur Blues Rock de mettre en évidence le talent de ses membres.
Nominé entretemps aux UK Blues Awards, BRAVE RIVAL a repris la route et c’est lors d’un passage en juin dernier à Putney dans la banlieue sud de Londres qu’il a immortalisé ce « Live At The Half Moon », éclatant de bout en bout. Le son et la personnalité du quintet s’affirment et se peaufinent et ce concert montre toute la confiance acquise et engrangée depuis ses débuts. D’ailleurs, le public présent ne s’y trompe pas et est littéralement sous le charme de cette énergie très communicative.
D’entrée de jeu, le survolté « Run And Hide » montre que BRAVE RIVAL sait déployer un Rock vigoureux sur des riffs appuyés que l’on retrouve ensuite sur « Magnetic », « Thin Ice » ou le truculent « What’s Your Name », qui clôt le disque. Avec son irrésistible duo de chanteuses, Chloe Josephine et Lindsey Bonnick, les Anglais présentent aussi des instants Soul d’une grâce incroyable (« Come Down », « Fool Of You », « Insane »). Le Blues Rock du combo ne connait ni frontière, ni limite et on se régale.
Bluesman (très) averti et baroudeur de longue date sur la scène hexagonale notamment, c’est sous le pseudonyme de DR SUGAR que le songwriter français se présente en solo. Les dix titres de « These Words » semblent avoir été composés en Louisiane, sur les rives du Mississippi, tant l’atmosphère contient des effluves en provenance directe de la Nouvelle-Orléans. Irrésistible.
DR SUGAR
« These Words »
(Rock & Hall)
Depuis de longues années maintenant, Pierre Citerne, alias DR SUGAR, fait partie de ces artisans incontournables de la scène Blues française. Ancien leader des Marvellous Pig Noise, il se livre cette fois seul, mais toujours très bien accompagné, sur ce « These Words » qui nous transporte du côté du delta du Mississippi, non loin de la Nouvelle-Orleans avec un Blues chaleureux et personnel. Ici, les couleurs et les sons s’entremêlent dans une douceur bienveillante.
C’est à Montpellier et sous la houlette de Niko Sarran des Red Beans & Pepper Sauce, qui tient ici aussi les baguettes en plus de signer la production, que DR SUGAR a mis en boîte ses nouveaux morceaux et « These Words » a vraiment quelque chose de réjouissant. Un pied dans le bayou et l’autre dans les quartiers animés et festifs de ‘Big Easy’, le Blues du Français a des saveurs Soul, Gospel, R&B et Funky, qui sont autant de gourmandises saupoudrées d’un groove exceptionnel.
Le dobro en bandoulière et l’harmonica jamais bien loin, DR SUGAR nous embarque dans une balade Deep South très roots. Entraînant et gorgé de soleil, le musicien enchaîne les titres avec un groupe où rayonnent l’orgue Hammond et les chœurs. La touche très ‘Churchy’ de son registre flirte habillement avec une nostalgie joyeuse et dans une belle fluidité (« Ready To Give Love Again », « I Want To Go To New-Orleans », « Drinking Muddy Water », « The Little Church » et le morceau-titre). Vivifiant et tonique !
Avec son caractère bien trempé et une virtuosité sur laquelle on ne reviendra pas, ANA POPOVIC est probablement l’une des plus grandes blueswomen de son temps. Grande guitariste et chanteuse hors-pair, la Serbe s’est imposée au fil d’albums de plus en plus affinés à travers lesquels elle affirme également de plus en plus sa forte personnalité. Avec « Power », son treizième album, la musicienne et son incroyable groupe libèrent des ambiances savoureuses, le tout dans une atmosphère de liberté et de bien-être. Entre deux concerts, cette grande Dame du Blues m’a fait le plaisir de répondre à quelques questions avec toute la franchise qu’on lui connait. Entretien.
– Après avoir vaincu la maladie, tu reviens avec un album fantastique et vraiment lumineux. Il faut une volonté incroyable pour obtenir un tel résultat aussi stupéfiant. Est-ce que tu perçois « Power » comme un symbole et un moment unique de ta carrière ?
Absolument. Cela a été un réel ‘entraînement ‘ pour moi et un ‘carburant’ pour mon âme. J’y ai mis tout ce que j’avais ! Le processus a été très enrichissant. Le simple fait de le concevoir m’a donné tellement de joie et cela a aussi guéri ma douleur dans les moments difficiles. Je l’ai abordé très sérieusement. Je ne voulais rien de faible sur le disque. De chaque musicien, de chaque partie, de chaque arrangement et à chacune des performances, je voulais TOUT donner et j’attendais aussi le meilleur des musiciens.
– Justement, le titre de l’album est très évocateur et les morceaux parlent aussi de cette force dans l’unité à travers l’amitié et l’acceptation de l’autre. Est-ce que les épreuves que tu as traversées t’ont donné un regard nouveau sur la société et notre époque ?
Oh non, j’ai toujours eu cette perspective. Buthel (Burns, bassiste – NDR) et moi avons grandi dans des foyers différents. J’ai grandi dans une famille aimant la musique et la fête en Serbie, et lui dans une famille aimant la musique et la fête dans le Michigan. Mais nous avons tous les deux le même goût pour la musique. Par exemple, nous aimons des thèmes de l’unité et de l’acceptation, ce que l’on peut aborder à travers la musique. Nous avons tous les deux adoré le ‘Live Aid’, quand le monde entier se réunissait pour aider l’Afrique. Et aussi, Paul Simon et son groupe africain, les duos d’Aretha Franklin avec différents artistes, ou lorsque Stevie Wonder pose un regard émouvant sur la vie. C’était donc le bon moment pour s’attaquer à tous les maux du monde : l’injustice sociale, le racisme, la lutte des femmes pour l’acceptation et leurs libertés, les droits des LGBT… Vivez et laissez vivre ! Cela a toujours été ma devise.
– Tu as composé l’album avec ton bassiste et directeur musical Buthel et, entre Los Angeles et Amsterdam où tu te soignais, les choses n’ont pas du être simples. Comment as-tu vécu cette expérience inédite et est-ce que tu penses que « Power » aurait eu le même éclat dans une configuration plus ‘normale’ ?
Oui, je pense que cela aurait été le cas. Après tout, nous travaillions déjà sur ces chansons avant que je sois diagnostiquée. Mais cela a sûrement apporté de l’intensité et plus de sensations aux chansons, c’est sûr. On peut dire que « Power » a été habité par les événements de ma vie personnelle, bien sûr. Mais les chansons et leurs messages positifs auraient été là quoiqu’il en soit. Nous avions commencé à écrire ces chansons avant mon traitement et nous avions des bribes de morceaux qui avaient juste besoin d’une touche finale, au contraire d’autres qui ont été composées à partir de zéro. Mais ce que cette période m’a offert, c’est une envie de les terminer et de livrer un bilan positif à travers un excellent disque, déjà pour moi-même en premier lieu. Si cela avait été mon dernier disque, pour une raison quelconque, quel genre de message aurais-je laissé derrière moi ? C’est en tout cas la question que je me suis toujours posée pour chaque album.
– On sent un engagement total sur « Power » et pourtant il s’en dégage beaucoup de sensibilité, de délicatesse et même de douceur. Tu n’as été tentée d’écrire un album plus nerveux et plus musclé compte tenu des circonstances, peut-être en guise de rébellion ?
J’ai fait exactement ce que je voulais ! Le disque a tout pour plaire. « Luv ’n Touch » est aussi sensible, profond et délicat que possible ! « Recipe Is Romance » et « Deep Down » sont doux, pleins de sentiments, de désir et parlent du manque d’une personne… de l’aimer dans les moments difficiles de notre vie. Il y a beaucoup de nuances sur ce disque, de la sensibilité et de la délicatesse, ainsi que de la rébellion et du caractère comme sur « Queen Of The Pack », « Flicker ‘n Flame », « Power Over Me » ou « Turn My Luck ». Et il y a aussi de la pure luxure sur « Strong Taste ». On trouve également beaucoup de choses mystérieuses et de petites surprises dans chaque chanson, que ce soit dans des changements de tempo inattendus, des chants de type gospel et d’autres passages forts qui vous transportent.
– Tu sembles aussi très sereine dans ton jeu et au chant et cela se ressent notamment sur le morceau « Queen Of The Pack ». Là encore, tu dégages beaucoup de force et d’énergie. Quelle était l’intention première de cette chanson ?
C’est exactement ça. C’est déjà assez difficile comme ça d’affronter et de diriger un groupe formidable, même composé de joueurs d’excellence. Je dois donc jouer le rôle de la reine de la meute et leur faire savoir exactement ce que je veux et comment je le veux. Ces dernières années, j’ai une conduite plus fluide en ce qui concerne les membres de mon groupe, mais par le passé, il y a eu des moments où j’ai senti que je devais ‘taper du poing sur la table et leur montrer qui était la Boss Lady !’. C’est mon travail en tant que leader de livrer un excellent spectacle et je tiens absolument à faire ça !
– Un petit mot aussi au sujet de « Rise Up ! » qui ouvre l’album et qui est signé Kenny Wayne Shepherd, qui est un ami de longue date. C’est assez étonnant de commencer un disque avec le morceau d’un autre, surtout quand on a composé tout le reste. Qu’est-ce qui a motivé ce choix ?
Les paroles et l’ambiance générale de la chanson, tout d’abord. La façon dont nous l’avons faite est différente de l’originale et elle est très fédératrice. Je voulais ‘sonner le rappel des troupes’ pour changer tout ce qui ne va pas dans le monde aujourd’hui. Et je voulais aussi une chanson assortie à la pochette du disque (deux mains noires et blanches se tenant comme symbole du bien, de l’unité et du pouvoir). Donc, « Rise Up » s’imposait. Et cela avait aussi une signification particulière pour moi quand je l’ai entendu pour la première fois, alors que je traversais ce que je vivais. Cela m’a donné de l’optimisme et l’envie de continuer.
– « Power » est bien plus qu’un simple album de Blues, puisqu’il contient beaucoup de sonorités Rock, Soul, Jazz, Afro-Beat et Funk. On perçoit un énorme élan de liberté. C’est pour cette raison que tu as voulu aborder autant de variétés musicales et de styles différents ?
Putain, ouais ! Je voulais faire exactement ça ! La musique devrait TOUJOURS te faire te sentir libre. Elle doit ressembler à la liberté : celle de s’exprimer et de tout explorer. C’est le plus grand défi et aussi une récompense. Je tenais absolument à mettre quelque chose de nouveau sur la table ! Quelque chose que personne n’avait fait auparavant. On ne peut pas comparer ce disque et son style musical à quoi que ce soit d’autre existant déjà. Nous sommes dans notre propre voie ! Il y a beaucoup d’influences et c’est ça ANA POPOVIC !
– Tu es comme toujours très bien entourée avec une section cuivre conséquente et des choristes incroyables, qui apportent beaucoup de chaleur. Il y a un esprit très ‘Big Band’ sur « Power ». C’est justement pour affirmer cet aspect d’unité et de fraternité qui règne que les chansons que l’ensemble du groupe est autant mis en avant ?
Oh oui ! C’est cette unité qui rend mon groupe si incroyable. J’ai toujours eu le don de faire sonner n’importe quel musicien du groupe, parce que je mettais en évidence ses forces et que je cachais ses faiblesses musicales. Mais à ce stade de ma carrière, j’ai enfin un groupe des deux côtés de l’océan, dans lequel je n’ai pas besoin de cacher quoi que ce soit. Je dois juste mettre en évidence leur incroyable talent et qu’ils continuent de dévoiler de plus en plus leurs qualités. C’est parfois époustouflant de diriger un tel groupe. Et c’est très enrichissant.
– J’aimerais que l’on parle de ton jeu de guitare qui est très aérien, tout en feeling et peut-être moins ‘shred’ que d’habitude. Tu as dit que ta Stratocaster de 1964 t’avait sauvé la vie. Quel un impact cela a-t-il eu sur ton jeu et au moment de composer l’album ?
Sur les albums, j’ai toujours mis la guitare au service de la chanson. Shred, tu dis ? Trop de guitares ? Viens me voir en live ! La musique est mon art, à travers mes chansons et je ne mets jamais en péril la valeur d’un morceau au profit d’aucun instrument, y compris la guitare. C’est la chanson qui tient la première place. Les guitares sont sauvages quand cela est nécessaire, et elles sont plus subtiles quand il le faut. Mais ne vous y trompez pas, il y a plein de guitares sur « Power » !
– Ton album sort sur ton propre label, ArtisteXclusive, Là encore, cela montre à quel point ta liberté artistique est importante. Qu’est-ce que cela t’apporte concrètement et as-tu dans l’idée de signer d’autres artistes ?
Ce serait bien de signer d’autres artistes, si j’avais le temps pour ça ! Il n’y a vraiment plus besoin d’être signé sur un label de nos jours. Vous pouvez faire tellement de choses par vous-même. C’est l’avantage de cette période dans laquelle nous sommes. Sauf si c’est énorme et qu’on ne peut pas le refuser, bien sûr.
– Enfin, tu es venue en Europe et notamment en France pour une série de concerts, alors que « Power » n’était pas encore sorti. Tu avais un besoin irrésistible de retrouver la scène au plus vite ?
Oui, j’avais ce besoin irrésistible de jouer ces chansons et nous avions cette tournée prévue bien avant le jour de la sortie de l’album. Particulièrement en France, car c’était ma façon de tester les chansons et ça n’a jamais été aussi bon ! On a travaillé ces morceaux pour la scène. Tout était prêt et le public s’est régalé. Les gens n’ont pas eu besoin d’un moment d’échauffement et ils n’ont pas eu besoin non plus d’écouter l’album à la maison avant. C’est ça ‘l’amour de la première écoute !’.
Le nouvel album d’ANA POPOVIC, « Power », est disponible partout, via son label ArtisteXclusive.