Catégories
Blues International Rock 70's Soul

Bella Moulden : revival by youth [Interview]

Alors qu’elle a sorti son premier EP, « Voyager », en mars dernier, BELLA MOULDEN a déjà la tête solidement posée sur les épaules. L’Américaine, multi-instrumentiste, chanteuse, productrice et songwriter, s’est forgée un univers sonore 70’s très personnel basé sur une Soul, qui va puiser autant dans le Rock que le Blues ou la Pop. En gardant un côté brut, elle développe une intensité authentique dans des chansons, qui sont autant de morceaux de vie que d’expériences musicales. Touche-à-tout, audacieuse et créative, la musicienne, qui s’apprête à venir en France à la rentrée de septembre, affiche déjà une belle assurance, malgré son jeune âge. Entretien avec une artiste qui s’affirme avec talent.

– La première chose qui surprend lorsque l’on regarde ton parcours, c’est que tu as commencé la musique très jeune et en autodidacte. Aujourd’hui, tu joues de la guitare, de la basse, du piano, du ukulélé et des percussions et tu produis toi-même tes morceaux. Quel a été le déclic et as-tu trouvé rapidement le style qui te convenait le mieux ?

Le tournant pour moi a eu lieu pendant le Covid. Je suivais des cours en ligne, ce qui est toujours le cas, et pendant cette période, j’ai commencé à expérimenter mon son et mon style. J’avais l’habitude d’empiler ma guitare et ma basse, ce qui était incroyablement lourd pour mes épaules et mon dos. J’ai aussi commencé à faire des boucles et c’est comme ça que j’ai composé « SelfCare ». C’est avec cette chanson que j’ai compris que ce n’était pas juste un hobby ou juste quelque chose avec du potentiel, mais que je voulais en faire ma carrière. J’en avais toujours rêvé, mais jusqu’à ce moment-là pendant le confinement, ça ne semblait pas tangible. Depuis, je suis déterminée. C’est drôle, « SelfCare » est en fait la chanson que je préfère le moins, mais c’est devenu mon plus grand succès jusqu’à présent. Ensuite, j’ai commencé à écrire davantage de chansons Rock, la direction que je voulais vraiment prendre. J’avais tellement de chansons quand j’étais plus jeune, mais la peur me retenait. Maintenant, je les libère lentement mais sûrement, au fur et à mesure qu’elles trouvent leur place dans le monde que je crée.

– Justement, ta musique est emprunte des années 70, une époque que tu n’as pourtant pas connu, et que l’on retrouve aussi dans ton univers visuel et vestimentaire. Qu’est-ce que cela évoque chez toi ? Une forte créativité artistique ? Des artistes incroyables, ou plus simplement l’éduction musicale que tu as pu recevoir de tes parents ?

Oui, une grande partie de ma musique et de mon style est fortement inspirée des années 60, 70 et même 80. Je n’ai pas connu ces époques moi-même, évidemment. Mais à mon avis, les années 70 ont été la meilleure période que j’ai étudiée, tant pour la musique que pour la mode. Il y a quelque chose de spécial dans cette époque : la brutalité, la liberté, …. J’ai vraiment beaucoup idéalisé cette décennie. Des artistes comme David Bowie, Jimi Hendrix, Stevie Nicks et Prince ont vraiment façonné ma vision de l’art. A l’époque, la musique n’était pas seulement un produit ou un moyen d’atteindre une certaine finalité. On reconnaissait quelqu’un à sa musique et à son style. L’expression personnelle comptait. Le talent comptait. Avoir une voix unique comptait.

Mes parents ont grandi à la fin des années 80 et dans les années 90. Ma mère était passionnée de Pop des années 80, et c’est elle qui m’a fait découvrir Prince. Mon père était davantage branché Hip-Hop des années 90. A partir de là, je me suis plongée dans la musique qu’aucun d’eux n’écoutait ! (Rires) Mais le côté artistique en général de cette époque m’a semblé si riche et substantiel. Il me touche bien plus que la plupart des musiques grand public d’aujourd’hui. J’essaie d’incarner cet esprit dans mes chansons tout en restant dans l’air du temps. Mais parfois, je crains que la poursuite des tendances modernes n’en dilue l’expression. C’est un travail permanent : évoluer sans perdre ce qui fait ma musique.

– On l’a dit, tu as aussi productrice de ta propre musique. C’est quelque chose qui s’est imposé à toi plus par obligation, ou le travail du son est aussi un domaine qui te passionne autant que la composition ?

Certainement pas par obligation, mais par pure fascination. Même si j’ai commencé comme chanteuse, je jouais toujours d’un instrument, alors la production m’a semblé être l’étape suivante naturelle. Franchement, j’adore produire des beats plus que tout. Parfois, je me dis que les sons à eux seuls peuvent raconter une histoire avec encore plus de force que des paroles. C’est comme pour la musique classique, on la ressent, tout simplement. On ressent le sens de chaque mouvement, même sans même prononcer un seul mot. C’est ce genre de beauté que je recherche quand je produis.

– Tu es ce qu’on appelle aujourd’hui une artiste DIY, c’est-à-dire que tu gères ton projet de A à Z, y compris l’édition de tes CD en série très limitée et personnalisée (50 exemplaires). Là encore, l’objectif est d’avoir le contrôle total sur ta musique et aussi sur les à-côtés, même s’ils peuvent vite devenir envahissants ? 

Eh bien, je bénéficie de l’aide de VCM Management, que j’ai cofondé, mais tous mes projets ont été créés et sont gérés par moi-même avec l’aide et le soutien d’autres personnes plus récemment. C’est vraiment agréable de commencer à constituer une équipe. Je ne veux pas avoir le contrôle total de ma carrière. La seule chose qui m’importe vraiment, c’est l’art en lui-même, c’est-à-dire ma créativité, ma vision et la propriété de cette créativité. Ni plus, ni moins. La logistique, les ventes et le côté commercial ne sont pas quelque chose que j’apprécie du tout. Mais c’est un peu le fardeau nécessaire pour être une artiste indépendante. Ce n’était pas prévu et c’est arrivé comme ça après avoir eu affaire à de nombreux labels et agences américaines qui ont essayé de me posséder, de me remodeler et de me mouler selon leur idée du ‘mainstream’. Cela me semblait inutile. Pour moi, ce n’était jamais une question de célébrité instantanée ou d’argent, c’était toujours une question de métier. Dans un monde idéal, j’aurais une équipe complète qui gérerait tout ce bruit de fond, afin que je puisse me concentrer uniquement sur la musique.

– D’ailleurs, pour rester sur ce premier EP, « Voyager », il continent un morceau inédit de huit minutes, qui n’est disponible que sur l’édition CD. Est-ce que tu peux nous en dire un peu plus, car « F.R.I.E.N.D.Z.O.N.E. » est une chanson aussi longue qu’intimiste, et elle a quelque chose d’assez intriguant ?

Oui, « Friends », initialement intitulée « F.R.I.E.N.D.Z.O.N.E. », est disponible uniquement sur l’édition CD de « Voyager ». C’est un extrait brut d’une chanson que j’ai composée il y a des années, après avoir traversé le chagrin et la spirale émotionnelle d’une relation amoureuse. J4avais eu l’impression que tout se passait bien… Quand soudain, j’ai entendu : « Soyons juste amis ». Je me souviens avoir été complètement anéantie, me demandant ce qui n’allait pas. Je n’avais plus de réponses. Mais maintenant que je suis un peu plus âgée et que j’en ai largement dépassé tout ça, je réalise que c’était parce que je ne lui avais pas donné ce qu’il voulait. Je n’arrêtais pas de dire non. Non pas parce que je m’en fichais, mais parce que je voulais d’abord lui faire confiance, le connaître vraiment. Je voulais qu’on commence comme… des amis. Il en a eu marre, a couché avec quelqu’un d’autre, il a appelé ça une ‘relation’, et il est revenu me dire qu’on devrait juste être amis. (Rires) Et bien sûr, genre un mois plus tard, il m’a fait chier, me disant que je lui manquais, qu’il regrettait tout ça… Les conneries habituelles. Je l’ai bloqué. Je lui ai donné une chance qu’il ne méritait pas et je me suis sentie brisée. Je me suis demandé si j’étais digne de tout ça… juste à cause d’un mec. Sérieux ? Mais bon, de ce bordel est née une chanson de près de neuf minutes, qui a fini sur un EP, aujourd’hui épuisé. Du coup, il n’est plus qu’une note de bas de page dans ma discographie.

– Pour ceux qui, comme moi, ne sont pas sur TikTok, ta chanson « SelfCare » et même « Season Of The Witch » sont carrément devenues virales sur la plateforme. Tout d’abord, est-ce que tu t’y attendais et est-ce que ce genre de procédé va, selon toi, devenir la norme pour les artistes émergeants, plutôt que le circuit traditionnel ? A moins que tu ne le vois juste comme une sorte de tremplin ?

Je ne m’attendais vraiment pas à ce que ça devienne viral. Ça m’a semblé complètement incroyable, surtout en tant qu’artiste indépendante sans contrat. D’habitude, ce genre de viralité est réservé aux artistes soutenus par des majors. J’espère que davantage d’artistes émergents auront ce genre de moments, mais honnêtement, depuis que « SelfCare » et « Season Of The Witch » ont commencé à gagner en popularité, on dirait que TikTok privilégie davantage les artistes signés. Bizarrement, « SelfCare » n’affiche plus les statistiques de mes vidéos dans mon onglet ‘musique’, ce qui est dommage. On discute beaucoup avec eux là-dessus depuis des mois et toujours pas de solution. Je ne veux pas croire que c’est parce que les labels poussent les artistes indépendants comme moi hors des projecteurs pour promouvoir les leurs, mais… c’est difficile de ne pas y penser.

Enfin, devenir ‘viral’ n’était pas ce qui comptait le plus pour moi. Ce qui comptait avant tout, c’était de voir le chemin parcouru : tout ce qu’on peut faire toute seule, sans suivre les tendances et sans label. Ça faisait du bien. Je ne suis pas dans un esprit de compétition, pas du genre ‘Oh, cet artiste signé a eu tant de vues de ses vidéos et moi tel chiffre…’. Je ne suis pas du genre à comparer. Ce qui m’a vraiment touché, c’est de voir autant de gens s’identifier à ma chanson. Les gens l’utilisent pour créer des vêtements, peindre, parler de ce qui leur tient à cœur, ou simplement pour vibrer avec, et c’est ça qui compte. Cet effet d’entraînement créatif compte bien plus pour moi que les chiffres.

– Cependant, j’imagine que la scène reste le principal objectif pour toi. Alors, justement, lorsqu’on est une one-woman-band comme toi, comment t’organise-t-on en scène ? Est-ce que tu fais appel à d’autres musiciens pour t’accompagner ? 

(Rires) Je repense à l’époque où j’étais une vraie femme-orchestre sur scène, et waouh !, c’était énorme. Une guitare double-manche de 13 kg attachée sur mes épaules, un clavier sur le côté que j’avais du mal à atteindre et une loop station à mes pieds, qui refusait parfois de coopérer, un micro et la pression de chanter en plus. Terminé ! Parfois, la loop station plantait, ou le technicien-son avait des difficultés avec mon installation et c’était à moi de résoudre le problème en temps réel. J’adorais ce défi, mais c’était vraiment stressant.

Je suis vraiment reconnaissante de pouvoir maintenant m’entourer d’autres musiciens, à savoir généralement un bassiste, un guitariste et un batteur. Ça me soulage énormément et me permet de me concentrer davantage sur le chant, la guitare, parfois le clavier et plus simplement sur la scène. Je peux bouger, sauter, interagir avec le public… ce qui était impossible avec cet énorme double-manche. Ces derniers temps, je réserve les formations solo aux moments créatifs en ligne ou lorsque l’ambiance l’exige. J’intégrerai certainement quelques éléments de ce genre à mes prochaines tournées, mais rien de comparable à l’équipement complet que j’avais l’habitude de trimballer. J’ai gagné ma liberté et ma colonne vertébrale me remercie ! (Sourires)

– Pour rester sur les instruments, on te connait donc pour arborer, et jouer, d’une guitare double-manche signée Eastwood Guitars, et qui pèse tout de même 13kg ! Comment l’as-tu apprivoisé et qu’est-ce que cela demande en termes d’anticipation artistique pour gérer les riffs de la guitare, tout en maintenant le rythme de la basse ?

Je ne dirais pas que je la maîtrise parfaitement. Je ne pense d’ailleurs pas maîtriser aucun des instruments que je joue. J’aime à croire que j’apprends toujours quelque chose de nouveau à chaque fois que j’en prends un. Mais cette double-manche ! Honnêtement, ce n’est pas aussi difficile qu’on pourrait le croire, si l’on joue déjà de la guitare et de la basse. Le principal défi est de passer de l’un à l’autre en temps réel, surtout si l’on fait des boucles et que l’on essaie de placer une partie sur un temps ou une mesure spécifique. Ce genre de timing demande beaucoup de concentration. Et puis, le poids en général aussi. Cet engin est incroyablement lourd, si on reste debout trop longtemps. Je ne le répéterai jamais assez ! (Rires)

– Parlons un peu de ton univers musical. Il a une base Blues, Rock et Soul, des tonalités très 70’s et psychédéliques et les références à Prince notamment, mais aussi à Jimmy Page, sont perceptibles. Tout cela se fond dans un son très personnel. Est-ce que, justement, tu as facilement et rapidement trouvé ton empreinte sonore, ta façon de te démarquer des autres artistes ?

Ouais, ça m’a semblé naturel. Je n’ai pas réfléchi à tout, ni fait de grande réunion avec ma famille pour dire : ‘bon, il est temps de créer mon son !’ C’est juste… comme ça. Comme mon nom de scène, c’est juste mon surnom et mon nom de famille. Ce que je suis en tant qu’artiste est exactement qui je suis en tant que personne. Mais ça n’a pas toujours été comme ça. Plus jeune, j’avais peur d’être moi-même, peur de m’habiller comme je le voulais vraiment, peur d’être honnête avec moi-même. J’essayais sans cesse de me faire plus petite pour rentrer dans ce qui me semblait plus ‘acceptable’. Ensuite, je me suis enfin autorisée à être ce que je suis vraiment. Maintenant, je m’habille sur scène comme en dehors, sauf si je suis particulièrement paresseuse. J’accompagne ma mère au supermarché en pantalon patte d’éléphant, chemisier à volants et autres. Ce n’est pas un costume. C’est moi. Ne plus être moi-même depuis si longtemps, c’était presque comme vivre dans la peau d’une personne complètement différente. Mais maintenant, je me réveille en BELLA MOULDEN, et je me couche en BELLA MOULDEN. C’est tout. Pas de changement, pas de masque. Juste moi.

– On a parlé de ta musique, mais pas de ton chant. Là encore, est-ce que c’est venu de manière assez naturelle, ou as-tu été inspirée par certains modèles et je pense aux chanteuses Soul, évidemment ?

Oui, chanter m’est venu assez naturellement. J’ai suivi six mois de cours de piano classique et de chant à l’âge de neuf ans, mais on a tellement déménagé que j’en ai eu marre de changer constamment de professeur. J’ai donc commencé à apprendre en autodidacte. Ça me rappelle un peu comment on commence à écrire à l’école. On vous apprend à former les lettres et, avec le temps, votre écriture devient une entité unique et personnelle. C’était pareil avec ma voix. J’ai commencé par les bases, puis je l’ai laissée évoluer au fil de mes explorations. J’ai été profondément inspirée par des artistes comme Adèle, Amy Winehouse, Etta James, Janis Joplin et Big Mama Thornton. La Soul, le Blues et le courage : cette brutalité m’a vraiment attirée. Adèle restera toujours ma préférée. Sa maîtrise, son émotion… Elle a changé la donne, selon moi.

– Un mot enfin sur ta venue en Europe à la rentrée avec une halte à Paris le 9 septembre à ‘La Péniche Antipode’. J’imagine que c’est une belle aventure pour toi ? Comment est-ce que tu l’appréhendes ? Tu es également suivi par des fans européens et notamment français ?

Oui ! J’ai des fans en France, dans toute l’Union européenne et au Royaume-Uni et j’ai vraiment hâte de les rencontrer enfin. Ce voyage me semble être une étape importante dans ma carrière et je suis plus que ravie. Je me suis entraînée, j’ai travaillé mon endurance et, surtout, j’ai répété mes sets avec toutes les chaussures sophistiquées que je compte porter. (Rires) Plus sérieusement, j’ai tellement hâte de partir en tournée en Europe et au Royaume-Uni. Je ressens toujours beaucoup d’amour de la part de ces deux pays et c’est un tel plaisir de travailler avec des gens à l’étranger et de rencontrer mes fans en personne. Tous mes remerciements vont à eux. Ils ont été là pour moi d’une manière que je ne prendrai jamais pour acquise. Et puis… Je n’ai jamais joué sur un bateau auparavant, alors je vais certainement rayer ça de ma liste des choses à faire. (Rires) Enfin, merci beaucoup d’avoir pris le temps de t’intéresser sincèrement à ce que je fais. C’est très important et j’espère tous vous voir en septembre ! (Sourires)

La musique de BELLA MOULDEN est disponible sur toutes les plateformes et sur le site de l’artiste : www.bellamoulden.com

Elle sera donc le 9 septembre prochain en concert à Paris et la billetterie est déjà ouverte : www.helloasso.com/associations/tadam-records/evenements/concert-bella-moulden-et-the-wealthy-hobos

Catégories
Alt-Country Blues Rock International Soul

Samantha Fish : bluesy adventures [Interview]

Affichant désormais neuf albums à son actif, SAMANTHA FISH n’en finit plus de surprendre en empruntant des voies la menant là où on ne l’attend pas. Plus éclectique que jamais, elle se présente avec « Paper Doll », un disque dans lequel son fougueux jeu de guitare fait toujours autant d’étincelles, mais surtout avec une confiance vocale aussi étonnante qu’attendue. S’il est toujours question d’un Blues très Rock, son vagabondage musical nous mène cette fois aussi dans des contrées Alt-Country, Folk et Soul. Entretien avec une artiste qui ne lève que très rarement le pied, et qui s’épanouit en musique.

– Notre dernière interview date de la sortie de « Death Wish Blues », ton album en duo avec Jesse Dayton. Quel souvenir en gardes-tu et surtout de la tournée qui a suivi ? Tes fans ont-ils été un peu surpris ?

J’ai beaucoup appris de cette expérience. Travailler avec Jesse et notre producteur, Jon Spencer, nous a permis de comprendre comment nous démarquer tout en nous soutenant mutuellement. C’est une dynamique intéressante quand on se produit en duo. Jesse et moi avons tous les deux beaucoup travaillé sur cet album et nos concerts étaient vraiment passionnants. Je pense que nous sommes tous les deux connus pour nos styles musicaux particuliers, donc c’était une collaboration un peu inattendue. Cette expérience a réuni de nombreux fans de musique différents. Lorsque nous avons reçu une nomination aux Grammy, nous avons été à la fois surpris et touchés. C’était une expérience formidable à tous les niveaux et quelque chose qui, je le sais, a changé nos vies.

– Ton dernier album studio et en solo « Faster », remonte déjà à quatre ans. Quand as-tu vraiment commencé à te plonger dans l’écriture de « Paper Doll » ? Avais-tu déjà une trame en tête au moment de « Death Wish Blues » ?

Je savais qu’après « Death Wish Blues », j’aurais besoin d’un album qui mette vraiment en valeur mes ‘super-pouvoirs’. Je me pousse constamment à me dépasser, mais j’avais l’impression que celui-ci marquait un retour en forme, d’une certaine manière. En écrivant, les paroles se sont imposées naturellement. J’écris sur ce que je connais, mais j’aime aussi collaborer et écrire avec d’autres. Je voulais créer un album avec des sons de guitare vraiment excellents. Je voulais que le Blues soit la racine et le fondement de tout l’album, mais je voulais aussi m’aventurer dans des contrées captivantes et dépasser les frontières des genres. Et puis, je voulais aussi mettre en valeur mon chant. Mais avant tout, l’essentiel dans les chansons consiste à avoir de bonnes accroches et de belles mélodies.

– On le sait, tu n’es jamais aussi bien que sur scène. Tu es même l’une des rares artistes de Blues à te produire autant. C’est assez rare de donner des concerts de manière aussi soutenue. C’est de là que vient ta créativité ? C’est une manière d’entretenir ton flux artistique ?

Parfois, des idées me viennent sur scène. Je crois que ma méthode personnelle d’écriture la plus efficace est de me promener en voiture. Il suffit de laisser sa concentration vagabonder. Des mélodies me viennent à l’esprit par moments, et il faut les capturer à l’instant où elles sont présentes dans ma tête.

– D’ailleurs, « Paper Doll » a été enregistré en pleine tournée, à la fois à Austin au Texas et à Los Angeles en Californie. Tu n’avais pas envie de te donner un peu de répits et te concentrer sur la scène ? D’attendre la fin des concerts et de te poser plus tranquillement en studio ensuite ?

Bien sûr, mais notre emploi du temps ne le permettait pas. Je savais que je voulais enregistrer un nouvel album. Il s’agissait donc simplement de faire le nécessaire pour y parvenir. Le fait de faire les choses comme il fallait le faire, c’est-à-dire par séquence, a contribué à donner à l’album un côté live et une énergie particulière. Je pense donc que cela a joué en notre faveur.

– On peut aussi y voir une certaine continuité de cette tournée, dans l’esprit en tout cas, avec beaucoup d’énergie et surtout avec les musiciens qui t’accompagnaient à ce moment-là sur scène. L’idée était-elle de garder cette vibration très live ?

Oui et c’est comme ça que cela s’est passé. Le groupe de tournée que j’accompagne est phénoménal, donc c’était agréable d’explorer leur créativité. Je pense que le temps passé sur scène nous a permis de nous entendre assez rapidement.

– Un mot aussi sur la production signée Bobby Harlow de Detroit et avec la collaboration ponctuelle de Mick Collins de The Gories, tous deux issus du Garage Rock. On vous retrouve d’ailleurs en duo sur « Rusty Razor ». Après Jesse Dayton, tu t’aventures à nouveau hors du monde du Blues. C’est une façon aussi de quitter une certaine zone de confort ?

Je pense que tout ce que je fais est ancré dans le Blues. C’est comme ça que j’ai appris à jouer et à chanter. Chaque chanson commence par un hommage à un riff ou à une idée qui vient de là. C’est agréable aussi de pouvoir intégrer d’autres styles pour enrichir ma vision du Blues. Je me sens à l’aise pour créer ma propre version des choses. Je veux écrire des chansons qui définissent mon son, tout en étant ouverte à d’autres influences.

– Et il y a aussi la chanson « Sweet Southern Sounds » que tu as composé avec ton fougueux voisin de la Nouvelle Orleans, Anders Osborne. C’est un morceau incroyablement intense et chaleureux. Vous n’avez pas eu l’envie de le chanter ensemble ? Là encore, cela aurait été un beau duo…

Anders est génial. On a écrit cette chanson ensemble en sachant qu’elle finirait sur mon nouvel album. D’ailleurs, je ne pense pas qu’il ait eu l’intention de la chanter. Mais je suis sûre qu’on le fera ensemble un jour sur scène.

– Vocalement, on te sent très libre et forte à la fois. Tu as dit avoir trouvé ta voix en studio. Que voulais-tu dire ? Que c’est exercice différent de celui de la scène, et qui demande peut-être un placement plus précis et un peu opposé aux concerts, où l’énergie prime ?

Les performances live ont un avantage : elles permettent d’être plus libre. Je cherche à créer une connexion avec le public, donc je ne me concentre pas tant sur la précision et la perfection. Le studio peut être complexe, car il n’y a pas grand-chose à exploiter, si ce n’est sa propre inspiration. Il m’a fallu du temps pour trouver comment me détendre et me concentrer naturellement sur ma voix.

– Musicalement aussi, « Paper Doll » est une fois encore un album très varié, où l’on retrouve ton Blues avec ses côtés Rock et Soul et teinté de Country et de Folk. Justement, est-ce que tu cherches un certain équilibre au moment de la composition, ou c’est seulement ton inspiration qui te guide ?

J’ai parfois une idée en tête quand j’écris une chanson, mais quand on va en studio, quelque chose d’autre prend souvent le dessus. Il faut parfois laisser la chanson se développer toute seule.

– Pour tout le monde, tu es la très électrique guitariste à la cigarbox. Dans quelle mesure cet instrument trouve-t-il sa place dans la composition et dans l’enregistrement de tes morceaux sur ce nouvel album ?

J’essaie de l’intégrer de temps en temps en studio. Mais si ça ne convient pas à la chanson, je ne vais pas l’imposer de force. J’aime bien lui donner une place en concert, mais je ne veux pas qu’un instrument dicte le potentiel d’une chanson. Il faut être ouvert à la nouveauté. J’ai toujours cette idée en tête et je saute sur l’occasion de l’utiliser quand c’est le bon moment.

– Une dernière question plus personnelle pour conclure. Ta sœur Amanda a sorti un très bel album dans un style différent du tien l’année dernière. Evidemment, on imagine qu’une collaboration artistique serait incroyable. Avez-vous déjà évoqué le sujet toutes les deux ?

Amanda et moi avons toujours été assez indépendantes. Je pense qu’étant donné notre âge très proche, il est important pour nous d’être autonomes et libres dans notre musique et nos carrières. Mais peut-être plus tard. Qui sait ? Cela dit, en ce moment, nous aimons nous soutenir mutuellement et faire notre propre musique séparément.

« Paper Doll », le nouvel album de SAMANTHA FISH, est disponible chez Rounder Records.

Photos : Aries Photography (2, 3) et Doug Hardesty (4).

Retrouvez la précédente interview de l’artiste et la chronique de son album avec Jesse Dayton :

Catégories
Blues Blues Rock Boogie Blues Contemporary Blues Soul Southern Blues

Carolyn Wonderland : une grande dame

L’intensité, qui se retrouve dans le mordant de son approche tant vocale que guitaristique, semble être une seconde nature chez CAROLYN WONDERLAND. La musicienne, qui avait véritablement pris son envol en solo il y a quatre ans avec le génial et audacieux « Tempting Fate » sur lequel elle jonglait avec sa Gibson et sa lap-steel, monte encore en émotion et en virtuosité dans un équilibre musical, qui doit beaucoup à une confiance acquise au fil du temps. « Truth Is » est une sorte d’apothéose, tant au niveau de l’écriture que de cette voix, où la puissance n’a d’égal que sa douceur. Monumental.

CAROLYN WONDERLAND

« Truth Is »

(Alligator Records)

CAROLYN WONDERLAND est une fine gâchette, cela n’aura échappé à personne, et sur ce deuxième effort chez l’institution Alligator Records, on prend pleinement conscience de ses talents de chanteuse et de compositrice. Une reconnaissance qui arrive peut-être un peu tard, mais qui est aujourd’hui incontestable. Elle qui a joué avec presque toutes les légendes Blues du Texas et qui a aussi effectué un beau et assez long passage au sein des Bluesbreakers de John Mayall, semble littéralement épanouie sur ce « Truth Is », marqué de son empreinte. Car la musicienne est loin de manquer de personnalité, bien au contraire.   

D’une rare polyvalence, elle fait un beau tour d’horizon des courants dans lesquels elle se retrouve… et il y en a ! Forcément très sudiste dans le jeu, on retrouve chez la Texane des notes de Soul, de Gospel, de Jazz, de Country et de Roots Rock, qui font de son Blues un refuge éclectique pour des saveurs chaleureuses et sincères. CAROLYN WONDERLAND a de nouveau confié la production de « Truth Is » à Dave Alvin, lequel sublime des compositions entraînantes, mais aussi très touchantes et toujours authentiques. On passe de sa ville natale de Houston à la Nouvelle Orleans, avec un crochet par Memphis, en un clin d’œil.   

Avec son inimitable picking, elle signe l’essentiel de cette nouvelle réalisation, tout en coécrivant quelques titres avec son producteur et Shelley King, et en s’offrant la liberté de reprendre « Wishful Thinking » (Greg Wood/Eddie Hawkins) et « Orange Juice Blues » (Richard Manuel pour The Band). Mais le plus beau et surtout le plus réjouissant vient de ses propres compositions et elles sont franchement renversantes (« Sooner Or Later », « It Should Take », « I Ain’t Going Back » avec Ruthie Foster et Marcia Ball, l’ensoleillé « Deepest Ocean Blue », le bouleversant « Blues For Gene » et la somptueuse chanson-titre. Incontournable.   

Photo : Mary Bruton

Retrouvez la chronique de « Tempting Fate » :

Catégories
R&B Soul

Ina Forsman : northern diva

Parvenir à réaliser un disque aussi prégnant et impressionnant de justesse et de feeling est quelque chose d’assez unique. Déchirante, entraînante ou d’une douceur envoûtante, INA FORSMAN déploie un artifice de sensualité et de pulsations émotionnelles. C’est cette sincérité qui émane avec évidence sur tout au long de « After Dark Hour », dans une effervescence Gospel, funky et Soul. Libres et intimes, les morceaux s’enchaînent avec une même puissance immersive et une tendresse, qui réinventent le style dans un élan positif et très personnel.

INA FORSMAN

« After Dark Hour »

(Jazzhaus Records)

Pour son quatrième album, INA FORSMAN, chanteuse finlandaise installée à Berlin, remet au niveau une Soul contemporaine, actuellement portée par une tripotée d’artistes aussi transparents que leur culture musicale frôle le néant. A la fois très roots dans son approche et d’une douceur enveloppante, c’est pourtant dans un studio souterrain qu’elle s’est enfermée avec son groupe pour élaborer ce « After Dark Hour », né d’une période de doute artistique liée au Covid. D’ailleurs, la chanteuse parle même d’un ‘Blues post-pandémique’. Pourtant, si sa Soul joue sur les émotions, bien sûr, aucune mélancolie ne s’en échappe.  

Sous la houlette de son producteur et ami de longue date Michael Bleu, qui réalise ici un véritable travail d’orfèvre, INA FORSMAN continue son introspection à travers une Soul très 50’s/60’s aux saveurs R&B et aux sonorités qui rappellent avec délectation les belles heures de la Motown. Délicieusement rétro dans l’écriture, elle s’inscrit pourtant dans son temps grâce à un univers musical contemporain aux évocations vintage. Un écrin de douceur pour cette voix si intense, dont l’énergie se propage à travers les douze chansons de ce vibrant et passionné « After Dark Hour », qui vous saisit pour ne plus vous lâcher. 

Entouré par des musiciens et des choristes chez qui le groove est une seconde nature, INA FORSMAN s’envole dans des sphères où la légèreté côtoie la résilience. Sa puissance vocale est électrisante et les arrangements très subtils, l’équilibre entre cuivres feutrés, tempos sobres et envoûtants, cordes et une guitare discrète, tout comme l’indispensable orgue, rendent ce nouvel opus d’une incroyable authenticité. Sensible, habitée et jouant avec beaucoup de finesse de son timbre rauque, la Scandinave semble suspendue dans un espace-temps chaleureux et délicat. Un disque qui s’écoute en boucle !   

Photo : Michael Bleu

Catégories
Americana Blues Soul

Janiva Magness : in search of truth

Pour son 17ème album, celle qui compte sept Blues Music Awards dont le fameux BB King remis par la légende elle-même, nous plonge à la découverte de quelques trésors qu’elle a le don de régénérer en intériorisant les chansons pour les faire siennes. JANIVA MAGNESS est une interprète hors-norme et cette facilité à les personnaliser confère à ses reprises une authenticité toute flamboyante. Et si l’on ajoute le fait que « Back For Me » ait été enregistré en condition live, on constate que la blueswoman s’est à nouveau surpassée.   

JANIVA MAGNESS

« Back For Me »

(Blue Élan Records)

Originaire de Detroit, Michigan, JANIVA MAGNESS est ce que l’on pourrait qualifier de diva (au bon sens du terme !), tant elle parvient à chaque nouvel album à fusionner le Blues, la Soul et l’Americana avec une grâce que l’on n’entend que très rarement. Avec sa voix rauque et puissante, elle reste toujours incroyablement captivante et, en un peu plus de 30 ans de carrière, ne déçoit jamais. Pourtant, l’Américaine est également une grande spécialiste des reprises qui, à chaque fois, sortent brillamment de l’ordinaire par leur choix.

Non que JANIVA MAGNESS ne soit pas une très bonne songwriter, bien au contraire, mais elle excelle dans l’art de magnifier les morceaux des autres en les transformant au point d’en faire de véritables déclarations personnelles. Et c’est encore le cas sur « Back For Me », où elle se montre à même de se les approprier avec un charisme incroyable pour leur offrir une nouvelle vie. Et comme cela ne paraît pas suffire, elle a même convié Joe Bonamassa (encore lui !), Sue Foley et l’électrique Jesse Dayton à la fête.

Une autre des multiples particularités de la chanteuse est aussi de dénicher des pépites méconnues d’artistes aux horizons divers. Et cette fois, c’est chez Bill Withers, Ray LaMontagne, Allen Toussaint, Doyle Bramhall II, Tracy Nelson et Irma Thomas que JANIVA MAGNESS a trouvé l’inspiration. Toujours produit par son ami Dave Darling, « Back For Me » balaie un large éventail de sonorités et de terroirs Blues et Soul, qui vibrent à l’unisson sur une dynamique brûlante entre émotions fortes et rythmes effrénés. Sompteux !

Photo : Kimberly Fongheiser

Catégories
Alt-Country Americana Soul

The Delines : story of a day

Très feutrée et avec une légèreté singulière, la musique de THE DELINES est une sorte de nectar reposant dans un écrin brillant de mille feux. Quand la technique se met au service du talent et de l’intelligence du songwriting, ce sont les mélodies qui jaillissent comme un ravissement. Porté par la voix incroyable d’Amy Boone, les Américains sont les artisans d’une Soul très variée, qui se nourrit de nombreux courants. Et dans le domaine, le quintet excelle avec un naturel déconcertant.

THE DELINES

« Mr. Luck & Ms. Doom »

(Decor Records)

Il y a des rencontres qui sont aussi évidentes que nécessaires. Et celle entre la chanteuse Amy Boone et l’auteur-compositeur et guitariste Willy Vlautin fait partie de ces unions musicales qui débouchent sur de très belles choses. Remarquablement complété par Sean Oldman (batterie), Freddy Trujillo (basse) et Cory Gray (claviers, trompette), THE DELINES évolue dans un registre assez unique, où l’Americana rejoint la Soul, la Folk avec un léger voile d’Alt-Country et le tout dans une finesse inouïe.

Deux ans après « The Sea Drift », la formation de Portland dans l’Oregon qui a fait émerger tant d’artistes de renom, livre son quatrième album complet et sa sixième réalisation au total. Littéralement happé par la voix envoûtante de sa frontwoman, THE DELINES dépeint une vision de l’Amérique plutôt douce amère. Tout en émotion et avec beaucoup de délicatesse, « Mr. Luck & Mrs. Doom » dresse autant de tableaux souvent désespérés, mais dans lesquels la douceur des cuivres se fait lumineuse.

Ecrivain reconnu avec sept romans à son actif, dont trois ont été portés à l’écran, et auteur de onze albums avec Richmond Fontaine, Willy Vlautin a trouvé en Amy Boone l’interprète parfaite pour ses chansons qui sont de véritables mini-scénarios. Et c’est vrai que l’aspect narratif à l’œuvre chez THE DELINES est franchement saisissant (« Her Ponyboy », « There’s Nothing Down The Highway », « Don’t Miss Your Bus Lorraine », « Left Hook Like Fraizer », « Maureen’s Gone Missing »). Un disque d’une beauté renversante.

Photo : Jason Quigley

Catégories
Blues Rythm'n' Blues Soul

Kat Riggins & Her Blues Revival : l’éveil des sens

KAT RIGGINS chante le Blues comme elle respire et les notes de Gospel et de Rythm’n Blues, dans lesquelles elle se meut, le rendent encore plus joyeux et pétillant. Sur « Revival », elle confirme la classe dont elle a toujours fait preuve depuis ses débuts. Avec un naturel et une vivacité de chaque instant, le voyage devient vite addictif et on se laisse guider par cette voix chaleureuse et envoûtante. Une magie qui devient très vite évidente et irrésistible.

KAT RIGGINS & HER BLUES REVIVAL

« Revival »

(House Of Berry Productions)

Et de six pour KAT RIGGINS qui, deux ans après l’excellent « Progeny », surgit avec « Revival » qui n’est pas sans rappeler dans son titre son premier effort, « Blues Revival » sorti en 2016. Un réveil qui semble se faire par étape pour la chanteuse et compositrice floridienne, qui en a aussi profité pour quitter le label de Mike Zito, Gulf Coast Records. Après ces deux dernières belles réalisations qui l’auront particulièrement mis en lumière et lui valurent deux nominations aux Blues Music Awards, celle-ci devrait suivre leurs pas…

Paru il y a quelques semaines parmi beaucoup d’autres, « Revival » dénote quelque peu de son prédécesseur. Vocalement, KAT RIGGINS est toujours exceptionnelle de puissance, de polyvalence et de feeling. C’est essentiellement le contenu qui peut peut-être surprendre par son côté plus classique, plus roots aussi et donc moins moderne, mais solidement intemporel. L’Américaine et son groupe montrent une fois encore qu’ils sont à leur aise dans tous les registres et qu’il n’y a pas grand-chose qui leur résiste.

Conçu avec Tim Mulberry qui l’a produit, mixé et masterisé, la frontwoman a co-écrit l’ensemble de « Revival » et les morceaux respirent toujours cet aspect optimiste et positif, dont elle a fait sa marque de fabrique. Malgré un son un peu en dessous et étouffé (à moins que ce ne soit le numérique), KAT RIGGINS est rayonnante et porte aussi ce nouvel opus grâce à des textes enthousiasmants et pertinents (« Lucky », « Revived », « Southern Soul », « Mojo Thief », « Mighty », « Healer »). Brûlant et enjoué, « Revival » réveille les sens.

Retrouvez la chronique de « Progeny » :

Catégories
Blues Rock Rythm'n' Blues Soul Southern Blues

DeWolff : capturing timelessness

Lorsqu’on se rend dans un studio mythique, il faut absolument qu’il se passe quelque chose de peu ordinaire, d’exceptionnel et de nouveau. Respecter l’institution, bien sûr, mais en ressortir grandi aussi que ce soit dans ceux d’Abbey Road, par exemple, ou dans le ‘Fame’ de Muscle Shoals. Pari réussi pour DEWOLFF qui livre aujourd’hui un disque, qui a presque des allures d’OVNI dans sa déjà belle discographie. Avec « Muscle Shoals », son énergie et son sens de la mélodie franchissent un cap, bien aidé par un son incomparable et unique. Une dynamique sur laquelle il va dorénavant falloir apprendre à surfer.

DEWOLFF

« Muscle Shoals »

(Mascot Label Group)

Et si DEWOLFF avait enfin sorti l’album dont il rêve depuis ses débuts en 2007 ? Personne ne remettra en cause le potentiel évident des Hollandais, mais il semblait pourtant toujours manqué ce petit quelque chose qui leur ferait prendre une autre dimension. Après quatre Live et un EP, voici leur neuvième album studio et, une fois n’est pas  coutume, tout est dans le titre. Les amateurs de Soul, de Southern Rock et de Rythm’n Blues connaissent bien cette petite ville d’Alabama, où tant de merveilles discographiques ont été produites dans ses légendaires studios ‘Fame’ et les ‘M.S.S.S.’. Nous voici donc à Muscle Shoals sur les rives du Tennessee pour une sorte de pèlerinage, qui ne dit pas son nom.

Le groupe marche donc dans les pas d’Aretha Franklin, Etta James, Wilson Pickett, The Rolling Stones, Lynyrd Skynyrd ou Texas, qui y enregistré un monumental dernier album, et tant d’autres. Et c’est probablement ce supplément d’âme qui se fait sentir sur « Muscle Shoals ». Certes, un virage plus Soul était bien visible sur les deux derniers albums, mais cette fois DEWOLFF est littéralement imprégné, comme absorbé par de douces vibrations. Pourtant habitués des enregistrements analogiques, les frères van de Poel et Robin Piso découvrent un autre monde et se montrent particulièrement à la hauteur. Si l’endroit ne fait pas tout, il a ce pouvoir d’inspirer ceux qui y séjournent.

Car si, jusqu’à présent, le son de DEWOLFF était résolument européen, il prend ici un cachet très américain pour s’inscrire donc parfaitement dans l’esprit et l’ambiance du lieu. D’ailleurs, l’approche musicale du trio s’en ressent avec un côté langoureux, presqu’insouciant et surtout très chaleureux et aérien (« In Live », « Natural Woman », « Let’s Stay Together », « Truce », « Ships In The Night »). L’orgue et la guitare se répondent instinctivement et le trio prend de la hauteur sur des airs de jam (« Hard To Make A Buck », « Book Of Life », « Fools And Horses » et « Snowbird »). Très polyvalent, il élargit son spectre en rendant son Rock bluesy, jazzy ou funky avec des touches Gospel. Une (re)naissance.

Photo : Satellite June

Retrouvez les chroniques des deux albums précédents :

Catégories
International Soul Southern Blues Rock

Warren Haynes : l’alchimiste [Interview]

Ancien membre du Dickey Betts Band, puis guitariste au sein du mythique Allman Brothers Band, WARREN HAYNES guide depuis une trentaine d’années maintenant Gov’t Mule. Réputé pour son jeu identifiable entre tous et une générosité musicale incroyable (la durée de ses concerts en témoigne !), le natif d’Asheville en Caroline du Nord mène en parallèle une carrière solo, qui lui offre la liberté de se détacher un temps de son groupe. Avec « Million Voices Whisper », le Southern Blues Rock de l’Américain prend des couleurs Soul, également jazzy et funky, et le line-up affiché a de quoi laissé rêveur… Entretien avec un musicien attachant, généreux et d’une rare authenticité.

– Dix ans après « Ashes And Dust », on te retrouve enfin avec un nouvel album solo. Cela dit, tu as aussi été très actif avec Gov’t Mule autant sur disque que sur scène. Lorsque tu t’es mis à la composition de « Million Voices Whisper », quel était l’intention de départ, car il est assez différent de ce que tu as déjà fait en solo et même en groupe ?

En fait, je ne ressens le besoin d’enregistrer un album solo que si j’ai écrit suffisamment de chansons différentes de Gov’t Mule, et qui me semblent fonctionner ensemble. La plupart de ces morceaux ont été écrits au cours des deux ou trois dernières années. Mais certaines remontent à la période du confinement dû au Covid, lorsque j’ai écrit la plupart des chansons de « Heavy Load Blues »et de« Peace…Like A River ». Bien que je reconnaisse que cet album est très différent de mon dernier album solo « Ashes And Dust », je pense qu’il est un peu dans la lignée de « Man In Motion », dans le sens où ils sont tous deux inspirés et influencés par la musique Soul.

– Le premier sentiment qui émane très clairement de l’album est une notion de partage qu’on retrouve justement dans cette approche plus Soul et une atmosphère générale peut-être plus douce aussi. C’est pour obtenir ce son et cette sensation que tu as souhaité produire toi-même « Million Voices Whisper » ?

L’album a commencé sur une sorte d’ambiance façon ‘Muscle Shoals’, basée sur les premières chansons que j’avais écrites pour le projet. Mais au fur et à mesure que j’écrivais de plus en plus de morceaux, il semblait évoluer dans plusieurs directions différentes, ce que j’adore. Il y a donc des influences Jazz et Funk et, évidemment, une partie de mon côté songwriter et chanteur de Southern Rock et de Blues est également représentée ici.

– Pour obtenir cette touche Southern Blues Rock très ‘soulful’, tu t’es aussi entouré d’amis à savoir John Medeski aux claviers, le batteur Terence Higgins et Kevin Scott à la basse. A vous entendre, on a l’impression qu’un autre line-up n’aurait pas pu atteindre une telle complicité et une harmonie aussi limpide. La clef était-elle aussi dans la proximité entre vous ? 

C’est le groupe que j’avais imaginé pour cette musique et il s’est avéré que tout le monde était disponible à ce moment-là. J’avais joué avec chacun d’entre eux individuellement, mais nous n’avions jamais joué ensemble avant de faire ce disque. Nous avons tout de suite senti que l’alchimie était excellente. Et puis, je préfère toujours enregistrer avec tout le monde dans la même pièce jouant en live. Pour ce genre de musique, c’est la meilleure solution et la meilleure façon de faire.

– L’album contient également plusieurs clins d’œil à quelques unes de tes références que les connaisseurs retrouveront sans mal. Il y en a une qui s’étend presque sur tout le disque, c’est celle de Dickey Betts, à qui « Million Voices Whisper » est d’ailleurs dédié. Que représente-t-il en quelques mots pour toi ? Un modèle de musicalité ? Un mentor ? Un son unique aussi peut-être ?

Dickey a eu une énorme influence sur moi avant même que je le rencontre. Nous nous connaissions depuis mes 20 ou 21 ans. Il m’a soutenu dès le début et m’a finalement donné la plus grande chance de ma carrière en m’intégrant dans le Allman Brothers Band. Dickey a créé son propre style de jeu de guitare, ce qui est probablement la plus grande réussite qu’un musicien puisse atteindre. Et, en effet, je rends hommage à son style sur plusieurs chansons de l’album.

– Et puis, il y a « Real Real Love », une chanson initialement coécrite avec Gregg Allman que tu as terminée en respectant l’esprit de départ. Comment as-tu abordé cette nouvelle écriture, et que tenais-tu absolument à restituer ?

Gregg avait commencé « Real Real Love » il y a longtemps et me l’avait montré à un moment donné, mais ce n’était qu’un brouillon. Après son décès, j’ai retrouvé une copie des paroles qui n’étaient pas achevées et j’ai été suffisamment inspiré pour les terminer et ajouter la musique. Cela s’est fait très rapidement finalement. Et j’ai pu honorer son esprit et son style d’écriture et de chant d’une manière que je n’avais jamais fait auparavant à ce point. Et la présence de Derek (Trucks – NDR) dans le studio pour l’enregistrement a contribué à donner vie à la chanson. C’était magnifique.

– Justement, celui qui occupe une place de choix, c’est bien sûr Derek Trucks avec qui tu as une complicité de longue date. Au-delà de l’aspect strictement musical, les chansons où il est à tes côté donnent l’impression qu’elles n’auraient pas eu la même saveur dans lui. En quoi son rôle est-il ici si important, au-delà des morceaux joués ensemble et de la co-production de ceux-ci ?

Nous avons tous les deux une alchimie musicale unique, qui existe depuis longtemps et qui ne fait que s’améliorer avec le temps. C’est presque comme si nous étions capables de finir les pensées de l’autre, musicalement parlant. La plupart de nos échanges sur scène et en studio sont tacites et c’est très spécial. Je suis vraiment très enthousiaste par la tournure prise par les chansons sur l’album.

– Il y a une autre émotion globale qui émane de l’album, c’est son aspect très positif avec une sérénité presqu’apaisante. « Million Voices Whisper » est à la fois posé, mais alerte, et aussi tonique que terriblement vivant. C’est ce que tu as voulu dire avec ce titre ? S’éloigner de toute résignation ?

Le titre vient de la chanson « Day of Reckoning ». La première ligne du refrain est « Des millions de voix murmurent, de plus en plus fort quand elles chantent. Des millions d’esprits attendent le jour du jugement ». Je pense que cela résume en quelque sorte le sentiment général de l’album. Il s’agit avant tout de parler de changement positif.

– Les plus chanceux peuvent aussi profiter de quatre morceaux supplémentaires sur l’Edition Deluxe où l’on retrouve aussi tes compagnons Lukas Nelson et Jamey Johnson sur le phénoménal « Find The Cost Of Freedom », où s’enchaine « Day Of Reckoning » très naturellement. C’est la même configuration que l’on retrouve sur l’un des moments forts de l’album « Lies, Lies, Lies > Monkey Dance > Lies, Lies, Lies ». Tu vois ces chansons comme une continuité l’une de l’autre, ou es-tu guidé à ce moment-là par cet esprit jam que tu adores ?

C’est vrai que j’aime toujours aborder les chansons avec une configuration et une approche live, ce qui signifie parfois passer d’une chanson à une autre, puis revenir à la chanson initiale. C’est quelque chose qui arrive plus souvent sur scène, mais je pense que c’est intéressant même dans un environnement de studio. Cela renforce le concept de liens entre les chansons.

Le nouvel album solo de WARREN HAYNES, « Million Voices Whisper », est disponible chez Fantasy Records.

Retrouvez aussi la chronique de ce nouvel l’album…

… et celles de ceux de Gov’t Mule :

Catégories
Americana Blues Soul

Eddie 9V : sunny vibes

Suite au succès retentissant de sa précédente production, « Capricorn », auquel il ne s’attendait probablement pas et qui l’a propulsé au tout premier rang des bluesmen à suivre de très près, tout en arborant cette étiquette d’’étoile montante’, EDDIE 9V semble avoir cette fois-ci eu le désir de reposer un peu les pieds sur terre et de se reconnecter à ses racines sudistes, un domaine auquel il apporte un regard vif et tout en fraîcheur. Très Americana et Soul, son Blues se fait ici plus souple, certes, mais toujours aussi addictif. « Saratoga » invite au sourire dans un flux original et délicieusement vintage.

EDDIE 9V

« Saratoga »

(Ruf Records)

Du haut de ses 28 ans, EDDIE 9V est lui aussi une sorte de phénomène. Né à Atlanta en Georgie, il a fait très tôt ses armes avec son groupe de Blues Rock, mais c’est seul aux commandes que le chanteur et multi-instrumentiste s’exprime pleinement. D’ailleurs, il suffit d’écouter « Way Down The Alley (Live at Blind Willie’s) » sorti en 2020, où Brooks Mason Kelly, à l’état civil, s’est offert une première réalisation live, preuve d’une maîtrise totale et surtout d’une envie viscérale de partager sa musique avec son public. Il y est éblouissant, tant sa connaissance du vaste répertoire Southern est subjuguante. Rien en paraît lui résister.

Car le jeu d’EDDIE 9V s’inscrit dans l’esprit de son Sud natal  que ce soit celui du Blues, de la Soul, de l’Americana, de la Funk comme des choses plus Rock. Il est littéralement imprégné de cette culture qu’il a bien sûr personnalisée. Et après « Left My Soul In Memphis » (2019), puis « Little Black Flies » (2021) et surtout « Capricorn » en 2022 (du nom du mythique studio de Macon) qui l’a vraiment révélé bien au-delà des Etats-Unis, le voici qui vient surprendre tout son monde avec un quatrième album studio, sur lequel il explore un registre plus Americana, donc plus narratif, un univers qui colle à merveille à cette vraie-fausse nonchalance qu’il affiche.

Terriblement groovy, EDDIE 9V s’est concentré sur l’aspect textuel des chansons, oubliant les envolées guitaristiques parfois démesurées qui le caractérise souvent. Il va à l’essentiel dans une chaleur musicale langoureuse et incroyablement ‘feel good’. Co-écrit avec son frère Lane Kelly et Spencer Pope, « Saratoga » est résolument Soul, grâce à des chœurs très présents, des cuivres pétillants, des slides sauvages et surtout cette voix aussi douce qu’insaisissable. Ce nouvel opus est un beau voyage sous le soleil de ce grand artiste (« Saratoga », « Love Moves Slow », « Cry Like A River », « Delta », « Truckee », « The Road To Nowhere…).  

Photo : Cameron Flaisch