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Concerts Dungeon Synth

Dark Dungeon Festival II : le saint du Synth

Les 12 et 13 avril derniers se tenait au château d’Avouerie à Anthisnes, près de Liège en Belgique, la deuxième édition du DARK DUNGEON FESTIVAL. Entièrement dédié au Dungeon Synth, l’évènement a rapidement affiché complet dans ce lieu aussi énigmatique que les artistes qui s’y sont produits. Je l’avoue humblement, j’ai avancé un peu dans l’inconnu, mais non sans enthousiasme et mon habituelle soif de découverte. D’ailleurs, comme pour me rassurer, un membre de l’organisation me confiait que nous étions ici ‘dans la niche des niches’ ! Alors, plutôt qu’un banal ‘live report’, je vais plutôt vous livrer quelques explications, ainsi que mes sensations sur ce style assez atypique et cette ambiance très attachante également. 

Azgirath The Metal Statue

Les puristes ne m’en voudront certainement pas, mais comme nous sommes plusieurs à ne pas, ou très peu, connaître le Dungeon Synth, quelques précisions s’imposent d’autant qu’elles ont été recueillies auprès de spécialistes et de fans, qui se sont d’ailleurs faits une joie de m’initier. Et le plus troublant est que toutes les versions se recoupent dans les moindres détails. Apparu donc au début des années 90 et surtout par le biais d’artistes issus du Black Metal, le style est essentiellement électronique, même s’il dégage des atmosphères étonnamment organiques. Inspiré de la littérature Fantasy et de la tradition païenne avec des thématiques souvent folkloriques et ésotériques, le Dungeon Synth trouve aussi racine dans l’univers de Tolkien comme dans celui de ‘Donjons & Dragons’, avec une touche de médiéval.

Inutile de préciser que le château d’Avouerie était le lieu tout indiqué pour ce deuxième épisode du DARK DUNGEON FESTIVAL, certes très dark, mais toujours très bienveillant. Sourire de mise donc, et tenues noires exigées. Mais qu’en est-il musicalement ? Du Black Metal ? Non, pas vraiment. Nous sommes plutôt dans un mood assez soft et parfois presque contemplatif, sauf pour les Allemands de Gothmog, qui ont franchement secoué l’assemblée. Il faut imaginer que le Dungeon Synth est né de l’inspiration des musiciens qui créent les intros, les outros et les interludes d’albums de Black Metal notamment. Et on y retrouve aussi des ambiances propres à l’Ambient, au Synthwave, à la New-Wave et en cherchant bien quelques effluves New-Age se dégagent aussi. Pourtant, loin d’être franchement planant, c’est au contraire très envoûtant, voire hypnotique.

Le château d’Avouerie

Et quid de l’affiche de cette édition 2024 ? Selon le public, on a atteint des sommets, tant dans la variété que dans la qualité des artistes présents, qui s’inscrivent dans le haut du panier du genre. Alors, pour n’oublier et ne froisser personne, étaient présents : Mortiis (Norvège), Bataille (France), Depressive Silence (Allemagne), Dim (Etats-Unis), Gothmog (Allemagne), Henbane (Danemark), Hyver (France), Malfet (Etats-Unis), Mørke Og Lys (Grèce), Sombre Arcane (Etats-Unis), Weress (France), Wydraddear (France) et Örnatorpet (Suède). Un beau panel pour les adeptes de Dungeon Synth, comme pour les néophytes comme moi et l’occasion surtout de parcourir un grand nombre des tendances à l’œuvre dans ce registre si particulier. Car chaque formation se distingue et apporte sa pierre à ce bel et original édifice.

Voilà, vous l’aurez compris, je suis rentré enchanté de ces deux jours au DARK DUNGEON FESTIVAL II, avec des images et des sonorités, auxquelles je ne suis pas forcément habitué, plein la tête ! Et ce fut aussi un vrai plaisir de pouvoir échanger tranquillement avec de nombreux artistes, qui ont eu la patience de contribuer à parfaire ma connaissance et mon apprentissage au Dungeon Synth… sans compter les gens, toujours prompts à s’épancher sur cette musique qui leur tient vraiment à coeur ! On ne voit pas ce genre d’attitude dans beaucoup de festivals, croyez-moi, et c’est là où cette deuxième édition est également une réussite totale. Sans a priori, sans préjugé et sans jugement, ce fut une belle réunion de passionnés à l’état d’esprit ouvert et particulièrement chaleureux. Que cette ‘famille’ est belle !

Je souhaite aussi terminer cette petite ‘carte postale’ de mon escapade belge depuis l’extrémité de ma belle Bretagne en remerciant Denis Halleux, Estéban Lebron-Ruiz et toute l’équipe d’AZ Live pour leur accueil, leur gentillesse et cette organisation parfaite. Un grand clin d’œil aussi à mes amis grecs de Mørke Og Lys, ainsi qu’à Wydraddear et l’ami Emilien des Editions Des Flammes Noires qui m’a permis de me joindre aux Danois, aux Allemands, aux Hollandais, aux Suédois, aux Belges, à l’Américaine, aux Français, aux Bretons même et tous les autres avec qui j’ai pu partager de très agréables moments. Merci à toutes et à tous… et à l’année prochaine ! 

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Psych Space Rock Stoner Rock

Apex Ten : l’accomplissement par la performance

Irrésistible et aventureux, « Aashray » est un album aussi séduisant qu’audacieux. Derrière un Stoner Rock solide et entêtant, le combo s’engouffre dans des profondeurs Psych et Space, qui lui laissent un champ d’investigation presque sans limite. APEX TEN joue très subtilement sur les reliefs d’un Fuzz contagieux.

APEX TEN

« Aashray »

(Independant)

Originaire de Liège, APEX TEN est un jeune groupe fondé en 2021 et qui pourtant sort déjà sa quatrième production. Il faut aussi préciser que le trio a basé son concept autour de l’improvisation et des jams. Mais si l’exercice peut paraître aisé, encore faut-il taper juste ! Et pour y parvenir, Alexis Radelet (batterie), Brad Masaya (basse) et Benoît Velez (guitare) savent comment s’y prendre pour hypnotiser l’auditeur.

Le power trio libère sa créativité dans un Stoner Rock instrumental où le côté Space Rock côtoie et se mêle à un univers psychédélique aussi vaste que cosmique. APEX TEN promet de l’évasion et il s’y tient. Les paysages sonores se suivent et se distinguent à travers ce « Aashray » à la fois profond et léger. Très aboutis, les sept morceaux bénéficient également d’une production claire et puissante.

Ce qui surprend aussi avec ce deuxième opus studio, c’est que l’on y découvre une multitude de détails d’une grande finesse au fil des écoutes. Si les Belges annoncent que les compositions proviennent essentiellement de l’improvisation, celles-ci sont très travaillées et les arrangements savamment étudiés (« Awakening », « Dazed », « Nagā », « Brahma »). Et enfin, APEX TEN ajoute à son Fuzz des sonorités hindoues parfaitement distillées.

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Doom Drone

Wyatt E. : fresque instrumentale [Interview]

Architecte d’un Drone Doom Oriental original et envoûtant, le trio belge WYATT E. vient de livrer une nouvelle réalisation créative et atypique, où il nous renvoie quelques siècles dans le passé. « Āl Bēlūti Dārû » (« La ville éternelle » en langue akkadienne) donne du sens à une musique pourtant instrumentale en la structurant de manière très narrative. Sebastien (guitare/synthé) nous en dit un peu plus sur la démarche et la façon de travailler du groupe.

Photo : Gil Chevigné

– Avant de parler de ce nouvel album, j’aimerais que tu reviennes sur votre parcours débuté en 2015. En l’espace d’un EP et d’un album, WYATT E. s’est taillé une belle réputation. Vous vous y attendiez ?

Absolument pas. Nous n’avions aucune velléité live pour ce groupe. Nous souhaitions faire de bonnes chansons, certes, mais nous ne souhaitions pas forcément en faire un objet live.

– Vous évoluez dans un registre qui combine le Drone Oriental et le Doom avec un sens du storytelling assez stupéfiant pour un groupe instrumental. Sur quoi vous basez-vous pour composer vos morceaux, car on peut penser à une grande jam ?

On construit nos chansons en fonction de ce dont on a envie de parler. Donc, en ce sens, il s’agit d’un processus très réfléchi. Mais pour cela, nous avons besoin de matière première. Celle-ci nous la devons essentiellement à de longues jams.

– WYATT E. est un trio et pourtant votre musique est particulièrement riche. S’il y a beaucoup de programmation et de synthé, votre son est très organique, à un point qu’on peut imaginer un ensemble de musiciens plus conséquent. Comment procédez-vous ? Vous enregistrez de manière acoustique certaines parties vous-mêmes avant de les sampler ?

Hors de toutes ces jams, on sort pas mal de pistes qu’on superpose sans vouloir faire de choix drastiques de coupes. Donc, on les conserve et on fait le choix des séquences que nous enregistrons, soit pour l’album, soit pour le live et sur lesquelles nous jouons. Le but étant d’interpréter un maximum de choses dans les limites du possible.

Photo : Gil Chevigné

– Tout en étant instrumentale, votre musique repose sur des bases historiques ou légendaires. « Āl Bēlūti Dārû » relate un pèlerinage dans l’empire néo-babylonien. Est-ce qu’avant de composer vos titres, vous effectuez des recherches spécifiques sur ces époques pour vous inspirer des atmosphères qu’elles pourraient vous évoquer ?

Bien sûr, que ce soit au niveau de l’imagerie et des costumes aussi. L’idée n’est pas de faire de nous des historiens. Je nous vois plutôt comme des interprètes d’un film ou d’un opéra ‘basé sur des faits historiques’. Cette période, et cet épisode en particulier, relève d’un choix personnel lié à l’un de nos membres.

– Justement, cette nouvelle réalisation est composée de deux morceaux de 19 minutes chacun. C’est un format peu courant et très audacieux. C’est l’aspect expérimental qui vous intéresse le plus et qui vous guide ?

Nous aimerions que nos pistes puissent être plus longues. Le dernier album va encore plus loin dans cette direction, je pense. Elles s’enchaînent de manière très organique. Mais 19 minutes, c’est aussi la limite d’un disque 12” en vitesse 33rpm pour conserver la qualité de notre musique sans en altérer la définition. C’est plus une contrainte qu’une liberté pour nous, en fait.

– Il y a aussi beaucoup d’instruments traditionnels dans votre musique. Comment faites-vous le choix de les utiliser et en jouez-vous vous-mêmes, afin de mieux maîtriser l’ensemble ?

Il n’y en a pas tellement, je pense que c’est aussi notre son qui est particulier. Mais lorsque cela se présente, soit nous invitons des musiciens, soit nous expérimentons, soit il s’agit d’instruments que nous maîtrisons d’une certaine manière.

Photo : Gil Chevigné

– Un mot sur la production qui est signée Billy Anderson et le master par Justin Weis, deux spécialistes du genre. Un style comme le vôtre nécessite des choix judicieux. Ces collaborations étaient une évidence pour vous ? Et comment cela s’est-il passé ? Vous leur avez laissé carte blanche, ou avez-vous au contraire suivi de près leur travail ?

Une évidence, oui. Aller chercher la bonne personne permet aussi de sublimer ton travail.  Billy a effectué des choix très tranchés auxquels nous n’aurions pu nous résoudre seuls. Le mix s’est éclairci avec son travail. Et nous lui avons clairement laissé les mains libres.

– Aviez-vous des exigences particulières, comme notamment pouvoir réinterpréter l’ensemble à l’identique sur scène, par exemple ? Car, en studio, il est facile de réaliser des choses difficilement jouable en concert par la suite…

Cela revient un peu au début de notre conversation avec les choix que nous effectuons sur ce qui reste sur les bandes, ce qui en disparaît et ce que nous jouons. Une fois que le mix est terminé, nous réapprenons à jouer nos morceaux. Nous nous les réapproprions parfois en retirant des éléments, mais souvent en y ajoutant de nouveaux aussi. Je dirais que les morceaux sont sensiblement différents en live. Pas par la difficulté de les jouer, mais dans la gestion des instruments le plus souvent. Il s’agit surtout d’une organisation efficace de nos ressources.

– Enfin, pour avoir lu beaucoup de choses sur WYATT E., j’ai noté que l’on parlait presque systématiquement de performances plutôt que de concerts vous concernant. C’est aussi la vision que vous avez de vos prestations scéniques ?

Nous souhaitons, en effet, le temps d’un concert, emmener le public en immersion, les inviter à écouter l’histoire que nous avons à raconter. De la même manière qu’un film ou un opéra, comme nous l’évoquions plus haut.

L’album de WYATT E. « Āl Bēlūti Dārû » est disponible depuis le 18 mars chez Stolen Body Records.

Retrouvez la chronique de l’album :