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Theigns & Thralls : legends & tradition [Interview]

D’abord à la production du premier album de Skyclad en 1991, Kevin Ridley a intégré le groupe quelques années plus tard en tant que musicien, pour en être aujourd’hui le chanteur et principal compositeur. Toujours très prolifique, le Britannique a multiplié les projets, devant comme derrière la console, avant de constituer en 2022 THEIGNS & THRALLS. Toujours dans une lignée Folk Metal teinté de Rock, le groupe présente aujourd’hui un deuxième album, « The Keep and The Spire », où il explore un univers lié à l’Histoire et aux légendes de la période anglo-saxonne et viking de l’Angleterre. D’une authenticité toute médiévale autant que moderne, il détaille le projet de sa nouvelle formation et revient sur la conception de cette récente réalisation.    

– On a découvert THEIGNS & THRALLS il y a deux ans avec votre premier album éponyme. Au départ, il s’agissait d’un simple projet en marge de tes activités avec Skyclad et finalement, « The Keep And The Spire » sort aujourd’hui. Tu imaginais déjà l’aventure continuer ainsi à l’époque ?

Pas vraiment. Je pense que THEIGNS & THRALLS a dépassé toutes mes attentes. Au départ, j’avais prévu uniquement de faire quelques concerts avec des amis dans des pubs, etc… Mais le Covid a frappé et je me suis impliqué dans l’écriture et l’enregistrement de quelques chansons à la maison. Quand j’ai eu assez de matériel, j’ai pensé à le sortir moi-même, juste en ligne, via Bandcamp ou quelque chose comme ça. Mais ensuite, j’ai fait appel à une maison de disques et un groupe de tournée s’est constitué. Tout est parti de là.

– Tu avais déjà commencé l’écriture des morceaux de ce deuxième nouvel album au moment de la sortie du premier. C’était déjà pour THEIGNS & THRALLS, même peut-être inconsciemment, ou pour un autre projet solo, par exemple ?

Au moment où nous avons pu recommencer à nous produire en concert en 2022, j’avais déjà l’impression que le groupe jouait bien et que les choses semblaient très positives. Il m’a donc été facile de trouver une direction artistique et commencer à écrire des chansons destinées à THEIGNS & THRALLS. Cela a également été facilité par ma collaboration avec le parolier suédois Per Ablinsson.

– Les deux albums sont assez différents l’un de l’autre et « The Keep And The Spire » permet aussi de mieux cerner le groupe. Cette fois, il y a très peu de sonorités acoustiques et l’ambiance est aussi plus sombre. Est-ce que tu y vois tout de même une certaine continuité, ou l’idée était dès le départ de se distinguer du premier et d’élargir le spectre musical ?

Je pense qu’après avoir fait le premier album, j’avais encore quelques pistes à explorer, quelques chemins à suivre, pour ainsi dire. J’en ai parlé avec Per Ablinsson et j’ai eu l’idée de faire une série de chansons basées sur la période anglo-saxonne et viking de l’Angleterre. Cela a en quelque sorte donné le ton de l’album, car j’avais déjà commencé à écrire des chansons comme « The Harrowing » et « The Seeker ». Il ne semblait pas y avoir beaucoup de place pour des chansons plus ‘acoustiques’, ou traditionnelles, sur cet album. Cependant, il y a quelques courts interludes acoustiques et faire d’autres chansons dans cette veine n’est pas quelque chose que j’ai complètement exclu. Et nous avons ajouté quelques ‘chansons de fête’ comme « The Grape And The Grain » et « The Mermaid Tavern » pour équilibrer l’album. Dans l’ensemble, je pense qu’il y a une certaine continuité avec le premier, mais je pense que le nouveau est plus ciblé et constitue une certaine progression également.

– Cette fois, le line-up est également clairement défini. C’était quelque chose d’important aussi de poser de réelles et solides fondations à THEIGNS & THRALLS et d’en définir les contours pour avancer ?

Oui. Comme je te le disais, nous nous sommes réunis après l’enregistrement du premier album. Et nous nous sommes sentis vraiment à l’aise en travaillant ensemble et il nous a semblé tout à fait approprié de progresser sur le nouvel album en tant que groupe. En plus de la batterie, de la basse, des claviers et des guitares, pour poser les bases des chansons, nous avons pu également ajouter du violon, du violoncelle, de la mandoline, du bouzouki, des sifflets, etc… pour aider à compléter les arrangements. Nous n’avions pas vraiment besoin de plus de musiciens. Nous avons décidé d’en inclure tout de même quelques-uns, simplement pour ajouter des textures et des approches différentes. C’est principalement pour les instruments que nous ne jouons pas, comme la vielle à roue par exemple, mais aussi pour certains styles de guitares précis aussi.

– Tu es le principal compositeur du groupe et les paroles, comme souvent avec toi, ont une thématique qui touche l’Histoire et de vieux poèmes celtiques et vikings. Tu ne te vois pas œuvrer dans un autre univers ? Le monde et la société actuelle ne t’inspirent pas plus que ça, même s’il y a parfois quelques parallèles dans ce nouvel album ?

Comme le nom du groupe le suggère, je m’intéresse principalement à l’exploration des histoires anciennes, de la poésie, de la littérature, de la fiction historique, des chansons traditionnelles, etc… Il ne s’agit pas uniquement de l’époque celtique ou viking. Mais j’aime penser que je peux trouver des contes et des chansons, qui ont encore de la pertinence et qui trouvent un écho auprès des gens d’aujourd’hui. Je pense qu’il existe encore des situations et des problèmes similaires dans notre société et que l’Histoire a peut-être quelques leçons à nous donner.

– Comme on l’a dit, il y a essentiellement des sonorités et des atmosphères celtiques et nordiques chez THEIGNS & THRALLS et cela se traduit par un Folk Metal et Rock très intemporel. Etant donné la richesse du sujet à travers les légendes et l’Histoire, le registre paraît inépuisable. Est-ce que tu penses qu’on puisse encore aujourd’hui le moderniser et l’actualiser, notamment avec des textes neufs et inédits, au lieu de puiser dans le passé ?

Comme tu le dis, il existe une richesse ‘inépuisable’ de sources au niveau des chansons traditionnelles et des journaux, en passant par les légendes et les contes populaires, qui peuvent tous être racontés, ou réimaginés. Mais il existe également de nouvelles œuvres de fiction historique, qui peuvent nous inspirer et de nouvelles recherches peuvent aussi élargir notre compréhension de l’Histoire. Nous devrions considérer la tradition populaire comme étant vivante et pertinente pour les gens, même dans le monde moderne d’aujourd’hui.

– Revenons à l’album. S’il est vrai qu’il est plus sombre et plus ‘sérieux’ que le premier, « The Keep And The Spire » contient aussi des chansons festives et joyeuses. C’est important aussi pour toi qu’il y ait cet équilibre ?

Oui, je pense que c’est important. En fait, l’album devenait assez sombre et sérieux et l’un des membres du groupe a fait remarquer qu’il fallait peut-être alléger un peu les choses. J’avais donc depuis un certain temps l’idée d’une chanson sur la Taverne de la Sirène et j’ai décidé de la terminer, puis j’ai composé « The Grape And The Grain ». En plus de cela, j’avais déjà collaboré avec Korpiklanni sur la chanson « Interrogativa Cantilena », et nous avons décidé d’en faire notre propre version sur l’album. Je pense que ces morceaux ont contribué à donner un certain équilibre entre des ambiances.

– Même si le groupe a dorénavant un line-up fixe et établi, cela ne vous a pas empêché d’inclure aux morceaux une multitude d’instruments comme la mandoline, le bouzouki, le bodhran, la cornemuse, du violoncelle, … J’imagine que cela doit aussi compliquer le mix, et est-ce que la texture des chansons est quelque chose sur laquelle tu travailles plus particulièrement ?

Oui, le groupe peut fournir lui-même beaucoup d’éléments et j’adopte toujours une approche consistant à avoir une base d’instruments Rock/Metal habituels. Puis, j’ajoute des instruments Folk ou traditionnels pour jouer les mélodies et ajouter des harmonies. Il faut donc en tenir compte lors de l’écriture et lors de l’arrangement des chansons, et gérer au mieux les différentes tonalités pour laisser de l’espace aux choses. Cela conduit à des mixages compliqués, car il faut faire attention à ne pas en faire trop. Mais nous pensons que cela en vaut la peine, en particulier pour impliquer le plus grand nombre possible d’instruments et de musiciens et ne pas utiliser de claviers ou d’échantillons.

– Ce nouvel album affiche aussi une production très organique, ce qui le rend très proche et vivant, à l’instar de la musique celtique d’ailleurs. Est-ce à dire que le style de THEIGNS & THRALLS convient autant à un gros festival qu’à l’ambiance d’un pub ?

Oui, je pense que c’est le cas. Nous avons déjà participé à quelques festivals et à des concerts plus importants, ainsi que dans des pubs et à des petits clubs. Et cela fonctionne bien dans les deux cas. Evidemment, il est plus facile de créer une bonne ambiance de fête dans un pub, mais je pense que nous pourrons aussi étendre notre approche dans les festivals. Peut-être qu’en faisant appel à quelques invités et en faisant un peu plus de pré-production, les festivals vous offrent l’opportunité d’explorer des choses à plus grande échelle. C’est quelque chose que nous pouvons espérer réaliser à l’avenir.

– Enfin, car tu n’y échapperas pas, quelles sont les nouvelles de Skyclad ? « Forward Into The Past » date déjà de 2017. La reprise est-elle pour bientôt ?

Comme tu le sais sûrement, les membres de Skyclad ont participé à de nombreux projets ces dernières années, ce qui me donne aussi l’opportunité de faire cette interview pour THEIGNS & THRALLS. Mais nous avons quelques chansons en cours et des idées, et nous espérons nous réunir bientôt pour travailler sur un plan de composition et établir un calendrier pour un nouvel album.

Le nouvel album de THEIGNS & THRALLS, « The Keep And The Spire”, est disponible chez Rockshots Records.

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Red Cardell : l’heureux reuz d’un territoire ! [Interview]

Parti pour faire du ‘reuz’ (le presqu’équivalent du titre de l’album en breton), RED CARDELL livre pourtant un disque délicat et très bien arrangé, mais qui ne s’interdit pas quelques accélérations bien senties. Sur des chansons dont les textes, plus personnels cette fois, s’adressent finalement à tous, les Finistériens continuent leur ancrage musical dans ce territoire qui les a vu grandir et aussi s’épanouir. Véritable groupe de scène, le quatuor dégage toujours cette énergie live, comme chevillée au corps et à l’âme. Pilier et fondateur du groupe, Jean-Pierre Riou revient sur la conception de « Bordel » et pose son regard sur le désormais imposant répertoire dont dispose la formation.

Photo : Fred Lucas

– Même si je connais l’explication du titre de l’album, l’avoir intitulé « Bordel » en 2024 en pleine culture du lisse n’est pas très politiquement correct, Jean-Pierre ! Il faut avoir un sacré capital sympathie pour se le permettre, non ?

Oui, sûrement… Je n’y ai pas vraiment pensé, en fait. Mais avec la période actuelle, oui, peut-être… L’idée est surtout que c’est juste un mot d’argot. Et puis, ça ne me fait pas peur, non plus. Il y a un moment où on peut aussi dire les choses et des gros mots : ce n’est pas grave ! On entend tellement de bêtises, alors une de plus, une de moins… Et puis surtout, ça rime avec RED CARDELL. Et si tu écoutes les vieux Dutronc avec Jacques Lanzmann, on ne nous a pas attendus ! (Rires) Ce n’est pas provocateur, il y a un jeu de mot sur la rime avec le groupe et puis il y a un lien avec ce monde et toutes les informations qu’on peut recevoir aujourd’hui et qui partent dans tous les sens. Alors, comment on trie tout ça ? C’est un peu comme quand tu montes dans ton grenier et que tu te dis : « Quel bordel ! ». C’est ça la signification : comment fait-on le tri dans toute une histoire ?

– Entrons dans le vif du sujet. Tu as dit que « Bordel » avait des saveurs de premier album, puisque c’est le premier de RED CARDELL en studio sous cette formation. Si l’émotion est particulière, comment se traduit-elle ?

C’est vrai que l’émotion est particulière. Cela fait maintenant huit ans qu’on est ensemble avec Pierre (Sangra) et Hibu (Corbel), puis avec Fred (Lucas) qui est arrivé il y a six ans déjà. Bien sûr, on avait fait « Nerzh » avec le Bagad Kemper, mais c’était un travail collectif. C’est la première fois qu’on se retrouve à quatre avec également une autre méthode forcément. Au début, avec Jean-Michel (Moal), on travaillait sur les compos à deux, puis on les arrangeait avec les autres. L’organisation était très différente. Cette fois, il a fallu trouver des compromis entre nous, car tout le monde est intervenu à tous les niveaux. D’ailleurs, les autres ont même eu un regard sur mes textes. Certains ont même disparu et d’autres sont arrivés. Tout a vraiment été collégial et c’est une très bonne chose. Les enregistrements ont eu lieu dans des lieux différents et ensuite, on a tous participé au mix et avec l’oreille extérieure de Bertrand Bouessay. C’est comme ça que l’on a construit « Bordel », c’est un travail à cinq et on en est vachement content !

– C’est finalement dans l’écoute entre vous que ça a changé, elle a été plus importante…

Oui, et avec l’âge, je n’aborde plus un album dans les mêmes conditions qu’auparavant. Ce n’est pas plus facile pour autant d’ailleurs. Il y a une autre écoute de l’autre par rapport aux textes, aux mélodies, aux transitions, aux effets sur les voix, les guitares, etc… Ça a été une façon de faire très intéressante et nous sommes parvenus à trouver des compromis tous les cinq.

Photo : Vonnic Bulteau

– Comme souvent chez RED CARDELL, la danse est omniprésente, comme un fil conducteur basé sur des plinn, des jigs, des andro dro, des gavottes,… C’est difficile pour toi de concevoir un concert devant un public assis et contemplatif ? Il y manquerait l’énergie du live ?

Oui, je pense un peu. RED CARDELL est un groupe de Rock. Nos concerts depuis six ans sont Rock, à base de guitare, basse, batterie et de violon. On peut bien sûr jouer devant des salles assisses et ne sortir que le répertoire chanson. Mais comme tu l’as bien résumé, c’est avant tout la danse qui nous guide et nous sommes inscrits dans le paysage musical breton, de la musique d’ici. On y tient vraiment et on progresse en continuant à travailler sur les danses traditionnelles. On continue dans cette voie-là. Donc, c’est assez difficile d’imaginer un public assis, alors qu’on fait des chansons de danse. 

– Justement, RED CARDELL a toujours canalisé cette énergie dans un rapport fort avec son public. A l’instar des propos de Denez notamment, cet état de ‘transe’ à travers la musique est toujours l’objectif à atteindre ? Se perdre dans les notes…

Oui, bien sûr…! C’est intéressant, parce que qu’est-ce qu’un concert réussi ? Cela peut être quelque chose de millimétré dans la construction et le déroulé, mais ça m’emmerde un peu, ça. Il faut laisser de la place à ce qui va se passer. Chaque concert est différent, car les publics sont différents, les regards ne sont pas les mêmes. Il faut garder en tête la possibilité d’aller à l’envers de la chose que tu as pensé au départ. Il faut pouvoir sentir le public que tu as devant toi et pouvoir te dire que tu vas lui parler différemment et l’amener ailleurs. Il faut essayer de trouver encore et toujours cette fusion qu’il peut y avoir. Comme tu dis, il y a du lâcher-prise et c’est ce moment qui est génial. Les gens sont venus voir un concert aussi pour ça, pour sortir de leur quotidien, pour voyager. Et c’est à travers cette transe qu’on peut parvenir à le faire.

Jean-Pierre Riou – Photo : Phot’eau 85

– La scène Rock bretonne a eu plusieurs vagues, plus ou moins importantes, et elles se renouvellent suivant les générations aussi. Beaucoup ont disparu et plus de 30 ans après (32 !), RED CARDELL est toujours là. On parle même du groupe comme étant l’ADN du Rock breton, comme Alan Stivell et Dan Ar Braz le sont dans la musique traditionnelle. Au-delà du fait que ce soit flatteur, te sens-tu détenteur et aussi responsable ou garant de ce mouvement ?

Non ! En fait, plus ça va et on affine notre travail et plus j’ai l’impression d’être un musicien qui s’inscrit dans son territoire, qui est la Bretagne. Après, notre vocabulaire est le Rock,  les musiques du monde et plein d’autres choses. Ce n’est pas forcément ce à quoi on s’attend. Je n’ai pas du tout ce sentiment d’être un représentant. La seule chose qu’on sait, c’est que l’on garde de la cohérence dans ce mélange, où l’on retrouve de la chanson française, des musiques bretonnes et du monde.

On reste forcément un repère à travers toutes ces vagues. RED CARDELL est peut-être une référence, ou l’un des premiers groupes à l’avoir fait, mais c’est tout. Je n’ai pas un regard avec de la hauteur là-dessus, car j’ai toujours le sentiment d’être dans le grand bain de ce qu’est la musique d’ici.

Et il y a cette nouvelle génération qui arrive. Dans le trad’, il y a des musiciens terribles, il y a vraiment une énergie qui est là. Dans le Rock breton, on sent qu’il y en a moins. C’est plutôt du Rock celtique avec des sonorités irlandaises ou écossaises et ça marche encore très bien. Je reste très attaché à la musique d’ici et c’est ce que j’ai envie de traduire, car elle est très attachée aussi à mon parcours d’homme depuis l’adolescence jusqu’à aujourd’hui. L’autre aspect réside aussi dans les paysages, la mer, les hommes et la terre sur laquelle on est. Et je pense que plus tu étudies l’endroit d’où tu viens et où tu vis et travailles, plus tu arrives à trouver des choses qui parlent du monde et qui sont partagés partout. Et c’est super !

Photo : Fred Lucas

– Tu as aussi dit que les textes de « Bordel » étaient autobiographiques. Or, tu t’exprimes régulièrement, et depuis longtemps, à la première personne dans tes chansons. Qu’est-ce qui a changé cette fois-ci ?

Quand je dis ça, c’est qu’il y a des titres où je raconte vraiment mon histoire. Mais tu as raison, j’ai souvent parlé à la première personne. Mais je parle plus d’un état en fin de compte. Si tu prends un album comme « Rock’n Roll Comédie » (sorti en 2000 – NDR) et la chanson-titre, elle est parle du métier dans lequel j’évolue avec les tournées, le camion, la fatigue et avec un certain recul par rapport à tout ça. Mais c’est traduit par des états, dans ce que je ressens. Là, sur l’album, il y a trois/quatre chansons où je suis parti d’une histoire, plus anecdotique dans un sens. Auparavant, cela partait d’un mot ou d’un vers que je trouvais intéressant. Cette fois, en amont, j’ai plus réfléchi au contenu dans le sens où je me suis demandé de quoi j’allais parler. Mais comme tu dis, mes chansons ont toujours un peu parlé de moi. Avec « Bordel », la réflexion sur le thème est arrivée bien avant le début de l’écriture. Ce sont des morceaux de ma vie, de mon enfance, de certains moments. Tout est toujours question de sentiments, de ressentis. Et puis, après avoir proposé les textes au groupe, qui en a trouvé quelques-uns un peu tristes, j’ai dû en retravailler certains dans l’urgence pour aller aussi au plus simple. C’était très intéressant.

– J’aimerais que l’on dise un mot de la chanson « Au Diable », qui devait d’ailleurs donner son nom à l’album. Le ton et la voix sont très sombres, presque froids, et inattendus. Il dénote même du reste du disque. Il y a quelque chose de particulier avec ce morceau ?

Oui, c’est vrai que c’est une chanson assez sombre. C’est un cercle circassien (une danse traditionnelle originaire d’Écosse, originellement dansée sur une mélodie de reel, que l’on retrouve aujourd’hui dans les bals folk sur un air de jig et très fréquemment dans les festoù-noz en Bretagne – NDR). De là, on a dédoublé le tempo pour obtenir un peu un groove à la Beck. On a tout changé ensuite pour ne garder que la mélodie et ses airs très Morricone. Le reste a été composé de manière assez traditionnel finalement. Il y a un côté un peu plus froid, qui se retrouve dans la mandoline, le son de la bombarde et cet aspect un peu italien, qui rappelle des films comme « Le Clan Des Siciliens ». Ce n’est pas très gai, c’est vrai. (Sourires)

– Vous jouez tous les quatre de nombreux instruments, dont certains en commun d’ailleurs, ce qui est bien sûr une aubaine qui ouvre de très nombreux horizons et des possibilités multiples. Le fait d’être tous multi-instrumentistes intervient surtout au niveau des arrangements, ou alors dès le début de la composition, car RED CARDELL compte quand même trois guitaristes ?

Oui, ça commence dès la composition, car on est tous capable de jouer plein d’instruments. Cela offre beaucoup de possibilités de mélodies à travers les guitares, bien sûr, mais aussi la mandoline, les claviers, une flûte, etc… Chacun est à même de prendre un instrument pour apporter son sentiment sur telle ou telle ligne de basse ou autres. Tout ça est très collectif, très chouette et ça nous aide beaucoup de pouvoir jouer autant d’instruments. Et cela commence même dès les pré-maquettes, où on peut chercher tout de suite de quelle manière on fera les arrangements. Ça ouvre des pistes, c’est sûr.

– Enfin, « Bordel » est votre onzième album studio et le 23ème en comptant les lives et les collaborations diverses. Les setlists des concerts doivent parfois tourner au casse-tête. Est-ce que, finalement, le concert idéal de RED CARDELL ne serait pas une performance de 4 à 5h avec un répertoire aussi vaste ?

(Rires) Oui, c’est vrai ! Ce qui est bien, et on le fait depuis plusieurs années maintenant, c’est qu’on a pu faire de très nombreuses choses avec RED CARDELL. Il y a eu le travail avec le Bagad Kemper, on avait aussi fait tout un répertoire acoustique, un set avec Fred Guichen, on a apporté de nouveaux morceaux et aussi ressorti des anciens. Tout cela fait qu’on commence à avoir un large panel et on ne joue jamais le même concert. Il y a toujours les titres incontournables évidemment, mais il y a la place pour plein de choses. Par exemple, en novembre et décembre dernier, on a joué tout l’album avec juste cinq anciens titres.

Et ce qu’on a envie de faire pour la tournée qui arrive, c’est d’aller chercher de vieux morceaux qu’on n’a pas joué depuis longtemps sur scène, ou pas du tout d’ailleurs. Comme ça, on se construit aussi un répertoire très vaste avec tout ce que l’on est capable de faire en concert. L’idéal serait d’avoir 60 titres et de pouvoir piocher au gré de ce que le public peut aussi demander. Et ça fait aussi beaucoup de bien de pouvoir varier les choses et ne jamais donner le même spectacle. On va donc reprendre tous nos morceaux bientôt lors de grandes répétitions qu’on va faire. Après, sur scène, on ne les jouera peut-être pas tous, mais on sait qu’on pourra les jouer ! En tout cas, je m’éclate !

« Bordel », le nouvel album de RED CARDELL est disponible chez Arfolk.

Retrouvez aussi la chronique de l’album « Climatik » :

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Musique celtique Musique traditionnelle

Denez : l’art de la Gwerz

Nul besoin de comprendre la langue bretonne pour être submergé par la beauté et la profondeur de la voix de DENEZ. Après s’être produit a cappella, dans des formules traditionnelles plus classiques et aussi après avoir habillé son chant de musique Electro, c’est dans une orchestration très acoustique que le maître de la Gwerz arrête le temps sur « Ur Mor A Zaeloù », un nouvel album vibrant, à la fois vif et délicat, dont il est difficile d’échapper à la résonance libératrice.   

DENEZ

« Ur Mor A Zaeloù »

(Arsenal Productions/Coop Breizh)

Impalpable, sinueuse et intemporelle, la Gwerz est cette plainte éternelle faite d’une humanité et d’un humanisme absolus, dont DENEZ s’est fait le chantre au fil de ses albums. « Ur Mor A Zaeloù » est le douzième opus du chanteur de Santec, dans le Finistère. Et cette fois encore, il transporte, fait frissonner et même trembler, tout en offrant une chaleur libre et fluide perceptible sur ces dix nouveaux morceaux où la modernité s’entremêle dans une tradition forte et fière. S’il est toujours question de douleur, c’est aussi parce que l’espoir se fait l’étendard de cette poésie.

Enregistré dans l’église de Lanvellec en Trégor, « Ur Mor A Zaeloù » célèbre le chant sacré de DENEZ, dont il émane une spiritualité, au-delà de toute religiosité, à même de toucher toutes les cultures, toutes les époques et tout à chacun. Messagère d’évènements tragiques, tourmentés et finalement immuables, le Gwerz magnifie le chant sacré, incantatoire et d’une incroyable puissance de DENEZ. Fortement ancré dans son héritage breton et plus largement celtique, ce nouveau chapitre de son répertoire est tout en symboles.

Dans cet univers très épuré, le chanteur est accompagné de violoncelle, violon, bandonéon, cornemuse, veuze et d’un chœur d’enfants pour un voyage musical très acoustique, marqué par une simplicité et une intense émotion de chaque instant. Faisant souvent écho aux drames actuels du monde, DENEZ s’approprie des textes traditionnels en breton, mais livre également ses propres compositions (« Kanañ A Ran », « Naonegezh Kiev »). Sans être prophétique, il reste un passeur incontournable de mélodies et de nos trésors.

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Musique traditionnelle Neo-Folk

Heilung : mystic & tribal

Instruments traditionnels, sons de la nature, mélodies envoûtantes et une production authentique et très actuelle, la réalisation de ce nouvel album de HEILUNG est encore exceptionnelle. « Drif » propose un tour du monde civilisationnel et ancestral porté par une néo-Folk addictive qui berce autant qu’elle interpelle. Une balade ascensionnelle sur une musique hors d’âge et presque hors du temps.

HEILUNG

« Drif »

(Season Of Mist)

Le succès de HEILUNG vient très certainement de son côté énigmatique, des mythes et légendes qu’il entretient et aussi sûrement de sa mise en scène. Et le fait que les amateurs de Metal, le plus souvent extrême, s’y retrouvent, tout comme chez Wardruna d’ailleurs, est plutôt une bonne chose et participe à une belle ouverture d’esprit. Et pour son troisième album studio, le groupe parvient une fois encore à captiver son auditoire.

Sur ce très bon « Drif », toujours pas de grosses guitares, ni de blasts surpuissants, mais une néo-Folk expérimentale et tribale qui prend directement aux tripes. HEILUNG n’utilise que des instruments traditionnels, comme à son habitude, et charme comme nul autre grâce à des chants rituels, des atmosphères chamaniques à la fois douce et cadencées et un ensemble porté des arrangements très modernes.

Car la formation composée de musiciens danois, norvégiens et allemands revisite des musiques d’anciennes civilisations en traversant le monde à travers les cultures de ses peuples. Des tribus celtes à l’empire romain en passant par la Scandinavie et même la Syrie, HEILUNG propose un incroyable voyage, plein de magie, sur neuf titres qui offrent à « Drif » une parfaite cohésion. Toujours aussi saisissant.

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Musique traditionnelle

Le Chant Des Sardinières : la lutte en chansons

C’est lors du tournage du film de Marc Rivière, « Penn Sardines » en 2003, que la chanteuse Marie-Aline Lagadic eut le déclic que la conduit à la création de l’album « Le Chant des Sardinières » avec sa fille Klervi Rivière. D’une portée sociale et politique évidente, ces ‘archives musicales’ reprennent vie aujourd’hui à travers un beau-livre accompagné de deux CD où l’on retrouve les chansons.

« Le Chant Des Sardinières »

Marie-Aline Lagadic et Klervi Rivière

(Editions Coop Breizh)

Motivée par l’idée de rendre hommage et de saluer le courage des femmes ouvrières travaillant dans les conserveries de poissons de Douarnenez et du pays Bigouden, Marie-Aline Lagadic avait effectué avec sa fille Klervi Rivière un collectage essentiellement familial de chansons interprétées sur « Le Chant Des Sardinières », un premier album sorti en 2006, et dont j’eus le plaisir d’écrire deux textes du livret.

Relatant le conflit penn-sardin en 1924 et les révoltes bigoudènes de 1926, le disque reçut le prix de l’Académie Charles Cros un an après sa parution. Et c’est assez naturellement qu’une décennie plus tard, le duo réalisa « Tout Le Monde Sur Le Pont » qui évoque les bouleversements sociaux de l’entre-deux-guerres et la prolétarisation de la société, le tout bien sûr en chansons.

Grandes défenseures de la culture et du patrimoine breton, les Editions Coop Breizh ont eu la riche idée de rassembler les deux témoignages musicaux dans un beau-livre, « Le Chant Des Sardinières », qui est enrichi d’une belle synthèse socio-historique de l’époque, de notes explicatives des chansons et de leur traduction en breton. L’œuvre de Marie-Aline Lagadic et de Klervi Rivière a une valeur contemporaine inestimable.