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Eliza Neals : la tolérance par le Blues [Interview]

Chanteuse, musicienne et productrice accomplie, ELIZA NEALS vient tout juste de sortir son troisième album, « Colorcrimes ». Cette nouvelle réalisation, toujours très Blues Rock mais aussi très Soul, est une sorte de plaidoyer pour la tolérance tant la situation qu’elle vit au quotidien dans sa ville de Detroit la touche. Très pointilleuse également, la frontwoman se renouvelle ici avec beaucoup de talent et une inspiration qui ne la quitte jamais. Retour avec elle sur ses nombreuses collaborations et la création de ce nouveau disque haut en couleur… avec toujours le même plaisir !

– Notre dernière interview date d’avril 2020. Nous étions en pleine pandémie, en plein confinement et tu venais juste de sortir ton album « Black Crow Moan ». Il n’a évidemment pas reçu la lumière méritée, mais as-tu pu le défendre normalement sur scène par la suite et comment a-t-il été accueilli ?

Heureusement, il a été ajouté sur ‘Sirius XM Bluesville Worldwide’ à 37 millions d’auditeurs coincés à la maison, donc je dirais que ce fut un énorme succès après tout. De nombreuses personnes ont été choquées et effrayées en se réfugiant chez elles. J’avais juste besoin de répondre à la tristesse et à l’inquiétude du monde avec ce nouvel album « Black Crow Moan ». J’ai eu la chance de pouvoir faire appel à une icône du Blues Rock et un ami, M. Joe Louis Walker, qui a chanté, joué de la guitare et produit également. Il a insufflé l’intensité parfaite à l’ambiance générale de « Black Crow Moan » et sur « The Devil Don’t Love You ». Il m’a également invité à jouer quatre fois à ‘Musitique Island’, une île privée appartenant au riche et célèbre Mick Jagger. Alors, je me suis dit pourquoi ne pas sortir « Black Crow Moan », puisque je possède mon propre label avec mon partenaire et que je peux guérir certaines âmes. J’essaie toujours de transformer les citrons en limonade (expression typiquement anglo-saxonne : « When life gives you lemons, make lemonade » – NDR).

– Sur « Black Crow Man », tu avais travaillé avec Joe Louis Walker et Derek St Holmes sur les morceaux et sur la production de l’album. Pour « Colorcrimes », c’est avec Barrett Strong Jr et Michael Puwal. Comment se sont faites ces rencontres, car on sent une réelle complicité entre vous autour des chansons ?

J’avais contacté Joe Louis Walker pour produire et figurer sur quelques chansons de mon album après l’avoir rencontré à New York, via mon ami et bassiste Lenny Bradford, un autre musicien emblématique du Blues. Il a réagi avec une véritable sympathie pour moi en tant qu’artiste et auteur-compositrice, ce qui m’a été d’une grande aide dans le milieu, car il est une icône. Derek St. Holmes est quant à lui une Rockstar de Detroit et un phénomène mondial connu pour avoir joué de la guitare et chanté avec Ted Nugent. Je venais de le contacter avec mon coproducteur et ami Mike Puwal, qui vivait à Nashville à l’époque, tout comme Derek, et il a dit oui. Il a adoré jouer sur mon album après s’être renseigné sur moi et écouté ma voix.

– D’ailleurs, « Colorcrimes » a des sonorités très différentes de « Black Crow Moan ». C’est aussi ce que tu cherchais en changeant d’équipe et de collaborateurs ?

Oui, je me réinvente toujours d’album en album tout en restant dans le Blues moderne et le style Blues Rock américain. Je travaille également avec le meilleur coproducteur, guitariste, auteur-compositeur et ami depuis 20 ans et qui se trouve également être l’ingénieur du son : Michael Puwal. Je l’avais embauché pour travailler à la fin des années 1990 dans le studio d’enregistrement de Barrett Strong. C’était en 1997, date depuis laquelle nous sommes amis et collaborateurs. Mike Puwal est avec moi depuis de nombreuses années et nous continuons simplement à faire ce que nous faisons. Les sons ne sont pas planifiés, ils viennent naturellement. Si je débute seule au piano, alors cela m’amène à l’idée suivante, mon orgue Hammond B3, puis les chœurs teintés de Gospel et ensuite la guitare glissée encore et encore. Je l’entends se développer dans ma tête. L’ambiance a été une sensation très clairsemée, ouverte et aérée et une sorte d’hymne nostalgique pour le morceau « Colorcrimes ». Je l’ai joué sur scène au ‘Bradenton Blues Festival’ juste avec mon piano et avec le groupe, nous sommes entrés très lentement en augmentant l’intensité de la chanson. C’est ainsi que j’ai abordé l’enregistrement. L’arrangement a été créé sur scène devant des milliers d’auditeurs attentifs, qui attendaient tous une sensation forte et nouvelle. Ils se sont immédiatement connectés avec moi sur le plan spirituel avec « Colorcrimes » et beaucoup ont été émus aux larmes. J’ai su immédiatement que ce serait mon nouveau single et mon inspiration pour tout l’album.

– Et comme pour l’album précédent, tu t’es entourée de nouveaux musiciens encore très, très bons. Comment as-tu effectué tes choix pour « Colorcrimes » ?

C’est toute une vie de travail et de relations avec les meilleurs musiciens du monde venus de Detroit et maintenant d’autres régions. Depuis que je tourne en tant qu’artiste de Blues Rock, je vais dans différents endroits pour enregistrer et s’ils sont là, ils font la session. Je sais qui a le sens des chansons, alors je les contacte. J’ai appris du meilleur auteur-compositeur et producteur que la ‘Motown’ avait à offrir et qui est mon mentor : le légendaire Barrett Strong Jr. Il m’a toujours dit que si je pouvais faire jouer les meilleurs musiciens avec moi sur mes disques, alors il fallait le faire. Et je suis ses conseils dans tout ce que je fais. Il est le maître de la production et de l’écriture de chansons. Cela fonctionne. Il a un ton parfait et son oreille entend tout. Si quelqu’un est hors ton, il est remis en place. Alors oui, c’est une expérience un peu humiliante et c’est ce que j’ai aussi appris à faire en studio.

– Est-ce aussi pour cette raison que tu as été enregistrer à Nashville, dans le New Jersey et dans le Michigan ? Tu es à nouveau allée à l’encontre des musiciens ?

Oui, ça marche comme quand je suis en tournée, je travaille sur des chansons en fonction des sessions et des musiciens en ville. Donc oui, je planifie tout, car la plupart des gens se trouvent dans différentes régions. Si on ajoute New-York, par exemple, j’y ai quatre studios d’enregistrement disponibles répartis sur quatre spots et avec des musiciens stellaires dans mon équipe. C’est une entreprise très coûteuse, donc si j’ai de très bons amis qui sont également des musiciens professionnels de studios, c’est parfait. Barrett Strong me disait aussi toujours que si vous écrivez la chanson, vous êtes également le producteur, parce que vous savez comment ça se passe mieux que quiconque. Donc, jusqu’à présent, ça a fonctionné pour moi. Je suis ouverte à travailler avec d’autres producteurs, mais je ne leur donnerai pas 20.000 $ pour faire ce que je sais faire. Tout cet argent doit être récupéré dans mon budget grâce aux ventes de disques et à la radio.

– D’ailleurs, et ce qui est même assez étonnant, c’est que la production de l’album est très homogène, malgré les différents studios et le nombre importants de musiciens. Le mix et le mastering ont dû être assez longs, j’imagine ?

Non, au contraire, la plupart des gens me regardent et pensent « Oh, vraiment ! C’est une productrice, je parie que ce n’est pas très bon ! ». Ensuite, ça arrive sur les ondes et c’est immédiatement ajouté à toutes les stations de radio et à Sirius XM. C’est donc que ça doit être bien, qu’elle fait quelque chose de bon. Lorsque vous étudiez l’art de la production de The Great Barrett Strong Jr. pendant plus de 20 ans, on acquiert des connaissances de ce génie musical. Il m’a appris comment embaucher des musiciens, comment produire ma propre musique, comment placer les choeurs, comment enregistrer ma voix en studio pour un album, comment mixer, comment obtenir certains sons à la batterie, etc… Tout est réglé dans ma tête et dans mes oreilles. Je suis une Américaine d’origine arménienne et nous sommes une nation de musique. J’ai obtenu un diplôme spécialisé en musique, j’ai étudié la direction d’orchestre, l’opéra, le piano et j’ai fait une tournée mondiale dans une chorale d’élite en compétition pour le chœur du monde à la ‘Wayne State University’. J’ai étudié avec le maître lui-même, M. Barrett Strong, qui a écrit, produit et arrangé la crème de la crème. Je sais comment faire en sorte que chaque chanson fonctionne avec la suivante, car c’est un sentiment et une ambiance que je ressens en studio juste en écoutant. Si c’est enregistré correctement avec d’excellentes performances et bien sûr que la chanson est bonne, vous ne pouvez pas vraiment vous tromper. Michael Puwal a également appris de Strong. C’est un musicien extrêmement talentueux, qui joue de tous les instruments et lui et moi avons travaillé ensemble en toute harmonie.  

– Est-ce que, pour les concerts à venir, tu gardes le même dur noyau dur de musiciens, c’est-à-dire ceux qui t’accompagnaient déjà sur l’album précédent ?

J’ai différents musiciens partout dans le monde qui sont les meilleurs du genre. De nos jours, garder la même équipe coûte très cher, car il faut avoir un bus, acheter de la nourriture, payer les hôtels, etc…. Même les artistes avec de grandes maisons de disques font faillite en faisant des tournées. Tout dépend de combien vous dépensez en amont et gagnez ensuite au final.

– J’aimerais que tu me parles de la genèse de « Colorcrimes » et aussi de son titre. Est-ce que la pandémie, notamment, a eu impact sur l’écriture des textes, car ils sont paradoxalement très positifs ?

« Colorcrimes » a été écrit il y a longtemps sous l’influence de Mr. Strong. Nous avions même un chœur Gospel dessus, lorsque nous l’avons enregistré. Je l’ai écrite sur mon piano et il a adoré. J’ai grandi dans la banlieue de Detroit, où le racisme et l’intolérance sont bien vivaces. Je le ressens tous les jours, que cela s’adresse à moi également, parce que je suis blonde, arménienne, femme et aussi à mes amis noirs, musulmans et à d’autres minorités. Je me suis toujours sentie à l’aise avec les minorités, je ressens le besoin d’aider mes amis s’ils sont maltraités par un autre groupe ethnique. Et la plupart du temps, ce sont les suprématistes blancs. Je suis blanche, mais ne vous laissez pas tromper par l’extérieur. Par ailleurs, pour le morceau, j’ai senti qu’il y avait besoin d’une refonte des arrangements et je l’ai faite sur scène au ‘Bradenton Blues Festival’ l’hiver dernier. Les gens étaient en larmes, car cela a touché une corde sensible. Donc, je savais qu’il fallait insister sur le fait que nous avions encore des imbéciles racistes et sexistes sectaires à soigner dans ce monde. Alors, j’espère qu’ils entendront tous « Colorcrimes ».

– Un mot aussi sur l’atmosphère globale de l’album, qui est moins Blues Rock et plus Soul avec d’incroyables parties d’orgue et de piano encore. Et tu as également interprété l’intégralité des voix, c’est-à-dire incluant les chœurs. C’est ce côté très solaire que tu recherchais ?

Oui, j’adore le mélange de l’orgue B3, du piano et de ma voix qui est bluesy, Rock avec un soupçon de Soul. Donc oui, je suis contente de ce son global. Barrett Strong m’a appris à empiler les voix pour que cela ressemble à une chorale, c’est ce que j’ai fait. Tous les chœurs sont de moi. Je sais aussi comment apporter un son plus religieux. Je suis très heureuse de l’album dans son ensemble. Si je peux l’écouter et que je ne m’en lasse pas, alors j’ai réussi.

– Enfin, j’aimerais qu’on parle aussi de ta venue en France en septembre prochain au ‘Léman Blues Festival’ et en tête d’affiche d’ailleurs. Quels sont les sentiments qui t’animent et surtout vas-tu en profiter pour donner d’autres concerts ici, ou ailleurs en Europe ?

J’attends avec impatience le ‘Léman Blues Festival’ le 13 septembre prochain et je vous apporterai mon vaudou de Détroit ! Merci beaucoup ! La France est un endroit que j’ai toujours voulu visiter. Lorsque le festival m’a appelé, j’ai été très heureuse d’accepter. Il inclura des amis et des musiciens fabuleux dans une ambiance Blues Rock et Soul de Detroit et ce sera quelque chose que vous n’avez encore jamais entendu.

L’album d’ELIZA NEALS, « Colorcrimes », est disponible chez E-H Records LLC et sur toutes les plateformes de streaming.

Retrouvez la chronique de l’album précédent :

Et une première interview réalisée avant la création du site sur Facebook…

https://www.facebook.com/share/p/F54EuQRA3LaztXh5

… Tout comme la chronique de « Black Crow Moan » :

https://www.facebook.com/share/p/LSZ2j1YWgpKJpvNn

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Eliza Neals : le groove de Detroit

Si Detroit est bien sûr connue pour sa scène Rock et Hard, elle est loin d’être en reste dans le registre du Blues, comme vient le confirmer ELIZA NEALS avec « Badder To The Bone », son deuxième album en deux ans. Superbement accompagnée, la chanteuse et claviériste livre des nouveaux morceaux touchants, ardents et d’un feeling incroyable et très bien mis en valeur par une magnifique production.

ELIZA NEALS

« Badder To The Bone »

(Independent)

C’est avec la même fraîcheur que la blueswoman ELIZA NEALS livre le successeur de l’excellent « Black Crow Moan », sorti il y a deux ans. Avec « Badder To The Bone », elle vient de nouveau ensorceler son auditoire grâce à un Blues Rock solaire et très Soul. Cette fois encore, c’est elle qui a arrangé et co-produit l’album avec Michael Puwal, qui a aussi joué de la guitare et participé à l’écriture de plusieurs morceaux.

Pour interpréter « Badder To The Bone », ELIZA NEALS s’est entourée d’un groupe hors-norme où se relaient pas moins de huit musiciens parmi les plus réputés du Michigan. Ici, la complicité se fait ressentir sur un groove et un feeling incroyables, à travers des morceaux où Michael Puwal (toujours lui !) et la chanteuse font des merveilles (« United We Stand », « Lockdown Love », « Bucket Of Tears »).

La voix chaude et sensuelle d’ELIZA NEALS enveloppe avec puissance et délicatesse des titres entêtants et parfaitement façonnés (« Queen Of The Nile I &II », « King Kong », « Got A Gun », « Heathen »). Pour compléter ce très bon nouvel album, l’Américaine reprend également, avec une touche très personnelle, « Can’t Find My Way Home » de Steve Winwood. Le Blues Rock de la musicienne est à son summum et ne laisse rien au hasard.