Faire tenir l’équilibre entre une lourdeur presque insoutenable et la légèreté du vide, c’est l’ambition et la réussite de FOR THE STORMS sur ce nouvel effort qui va puiser, dans un post-Metal doomesque aux mélodies saisissantes, une robustesse teintée de résistance assez fascinante. « Losing What’s Left Of Us » n’est pas un album facile, de ceux qu’on écoute par hasard. Non, il provoque immédiatement un magnétisme incroyable et on se fait happer sur plus d’une heure par les fulgurances Death et Sludge qui trouvent leur finesse dans l’épaisseur d’un propos haletant.
FOR THE STORMS
« Losing What’s Left Of Us »
(Meuse Music Records)
Dans le registre post-Doom/Death, « Losing What’s Left Of Us » est probablement l’album le plus complet qu’il m’ait été donné d’écouter. FOR THE STORMS ne contente pas de jouer sa musique, il la vit pleinement et de ce chaos apparent naît une quantité de nuances, qui sont autant d’émotions fortes distillées et exprimées avec une sincérité, qui libère forcément quelques frissons. Le Metal du quatuor est forgé avec une fermeté et une audace magistrale dans un ensemble à la fois mouvant et fluide et dont on découvre les nombreux détails au fil des écoutes. Car on y retourne inéluctablement et de manière quasi-inconscience.
La force d’attraction de FOR THE STORMS va chercher si loin qu’il est même étonnant que les Italiens n’aient sorti que « The Grieving Path », il y a trois ans, avant cet imposant deuxième album. On pourrait penser qu’ils peaufinent et affinent leur style de longue date, et pourtant la jeune formation lombarde (2019) fait preuve d’une maturité et d’une créativité incroyable. Fracassant et ténébreux un moment, délicat et souple l’instant suivant, la construction de l’édifice ne doit rien au hasard. Divisé en trois chapitres différenciés par les deux interludes qui viennent distinctement les scinder, l’ascension se fait graduellement.
Car, si cette progression musicale se déroule en plusieurs parties, elle s’articule avec une facilité qui rend « Losing What’s Left Of Us » très lisible. Sur des morceaux d’une bonne longueur, FOR THE STORMS développe à travers ses textes, en jouant aussi sur des passages presque silencieux tant ils sont éthérés, une réflexion assez sombre sur nos tourments et notre appréhension de l’avenir dans un nihilisme insistant. Très aérienne et massive, cette nouvelle réalisation est également un cri immense et une ode à un espoir à retrouver. On ne s’y perd jamais, on se laisse simplement guider par cette beauté profonde et captivante.
Figure incontournable de la scène Doom Metal espagnole et européenne, HELEVORN célèbre son premier quart de siècle avec l’un de ses meilleurs opus. Très éclectique, elle montre un visage polymorphe et actuel, tout en vibrant sur des sonorités très 90’s à l’occasion. Toujours prompt à afficher ses origines, le groupe multiplie les variations musicales selon son humeur et propose sur ce très bon « Espectres » un voyage souvent mélancolique, mais aussi lumineux à travers des mélodies très soignées.
HELEVORN
« Espectres »
(Meuse Music Records)
Les eaux turquoises et le soleil radieux de son archipel n’ont toujours pas d’emprise sur le puissant et élégant Doom Metal du combo originaire des Baléares. Après 25 ans d’existence, HELEVORN, qui a fait appel au batteur Sebastià Barceló pour les sessions studio, sort un cinquième album, « Espectres », avec la régularité métronomique d’une réalisation tous les cinq ans. Enregistré et mixé à Majorque, puis masterisé en Suède par Jens Bogren (Opeth, Katatonia, Paradise Lost), il parvient encore à surprendre grâce à un univers original.
Malgré le contexte, HELEVORN prend avec toujours autant de plaisir le contrepied d’un environnement idyllique pour plonger dans une atmosphère Death/Doom, d’où émanent des effluves gothiques qu’on imagine inspirées de l’imposante cathédrale Sainte-Marie. La parenthèse touristique faite, « Espectres » libère des émotions intenses et profondes, offrant une dramaturgie à un ensemble loin d’être linéaires, et qui est le fruit d’une combinaison maîtrisée entre une puissance brute et une grande délicatesse d’écriture.
Avec un bel équilibre entre des guitares tranchantes et des claviers aux ambiances sombres et pesantes, « Espectres » impressionne par la qualité d’interprétation et de composition. La dualité du chant de Josep Brunet est incroyablement fluide. Le Metal des Ibériques agit avec force, tout en laissant de beaux espaces à des plages plus douces comme sur « L’Endemà », chanté en catalan avec Inès González. HELEVORN est tout sauf uniforme et le prouve avec beaucoup de classe (« Signals », « The Defiant God », « Children Of The Sunrise »).
Devenu trio pour cette nouvelle réalisation, les Hollandais continuent l’exploration de leur Doom aux ramifications Funeral, Death et post-Black Metal avec « The Rot Of The Soul ». Très bien produit, ce nouvel album se lance dans une immersion mélancolique au cœur de sentiments qui viennent se heurter sans ménagement. ANGMODNES en fait pourtant découler une certaine élégance, pourtant meurtrie par un sujet difficile à aborder. Techniquement irréprochables, il nous entraîne dans un tourbillon de sensations.
ANGMODNES
« Rot Of The Soul »
(Meuse Music Records/Tragedy Productions)
Pourtant formé en 2013, à Utrecht aux Pays-Bas, il aura fallu attendre neuf longues années avant que ne sorte « The Weight Of Eternity », un EP sur lequel ANGMODNES a bâti les fondations de son Funeral Doom Metal. Composé de M.V. (batterie) et d’Y.S. (guitare, basse, chant), le duo s’est extrait de son groupe Apotelesma pour ce nouveau projet. Cette fois aussi, les Hollandais officialisent l’arrivée de F.S. au chant, qui était d’ailleurs déjà apparue sur le premier effort il y a deux ans. Une présence féminine qui apporte un brin de légèreté avec des choeurs captivants et lumineux dans cet océan de ténèbres.
Car sur « Rot Of The Soul », le propos est forcément sombre et parler de mélancolie est même un doux euphémisme. ANGMODNES, qui tient d’ailleurs son nom de l’anglais ancien signifiant ‘angoisse’ ou ‘chagrin’, nous plonge dans les obscures pensées d’un protagoniste en proie à une profonde dépression. Et au fil de l’écoute et de ses interrogations, c’est assez saisissant de voir de quelle manière le trio aborde le sujet en multipliant les atmosphères, comme les sonorités, se faisant peu à peu envoûtant, tant on passe d’émotion en émotion avec une fluidité et une progression incroyables.
L’utilisation, avec parcimonie, du piano sur certaines intros notamment accentue encore la dramaturgie des morceaux dépassant pour l’essentiel largement les dix minutes, et instaure un climat qui s’assombrit et se durcit méthodiquement. Entre growl et chant clair, passages presque Lo-Fi et fulgurances Black Metal, ANGMODNES se livre à l’envie dans un Death/Doom mélodique, dont les structures témoignent de la mise en place d’une atmosphère très personnelle. Difficile d’en extraire un titre plus qu’un autre, tant « The Rot Of The Soul » se montre inspiré. Un travail d’orfèvre.
Activiste de longue date dans le monde du Metal underground, avec une grosse préférence pour les styles extrêmes, Denis Halleux a décidé d’unir ses forces à celles de Serge Manzato et Jean-François Galler pour créer un webstore unique en son genre : M9Music. Le (power) trio belge s’est spécialisé dans le Doom Metal, mais d’autres courants comme le Black et le Death y sont aussi représentés. Egalement à l’œuvre chez Metallian, Meuse Music Records et dans l’organisation de divers festivals, ce propagateur de l’extrême nous en dit un peu plus sur cette nouvelle entreprise. Entretien.
– Tout d’abord, quand et comment est née l’idée de la création du webstore M9Music ? Il y avait un manque de ce côté-là concernant le Metal extrême ?
L’idée est venue autant d’un constat que d’une envie personnelle. Comme tu le sais, je suis aussi fan de Doom… Et bien qu’il existe une multitude de mailorders et de labels spécialisés en Metal extrême, ils sont très souvent orientés Black ou Death, et ils ne proposent conséquemment que quelques disques de Doom ‘accessoires’. Par ailleurs, la guerre a privé les labels Doom russes de leur clientèle européenne (dont je faisais partie), et l’augmentation des frais de douane a rendu très onéreuses les commandes auprès de labels hors-UE comme Aesthetic Death, Weird Truth… J’ai eu envie d’y remédier, tout en croisant les effluves avec Meuse Music Records.
– Dans un certain sens, M9Music est le prolongement de Meuse Music Records. Le label ne pouvait pas gérer cette partie au sein de sa propre structure ?
Cela aurait été possible, bien entendu, mais des structures distinctes ont aussi des avantages, ne fut-ce que dans la gestion quotidienne. M9Music est le webshop officiel de Meuse Music Records, mais pas que. Et ce ‘pas que’ est important à l’heure actuelle. Travailler en parallèle favorise l’autonomie et permet à chacun de se concentrer sur sa partie, en prenant des risques financiers différemment.
– Le webstore met en avant la collaboration entre Meuse Music Records et Tragedy Productions. C’est une manière de peser un peu plus sur le secteur du Metal extrême, et/ou de proposer un catalogue plus conséquent également ?
En réalité, il n’y a pas d’ambition particulière derrière ces partenariats. On a beaucoup parlé de l’augmentation des coûts Bandcamp ou Discogs récemment, mais pour les petits labels, un problème assez similaire se pose avec la distribution. Pour avoir ses produits disponibles en disquaires (même si ceux-ci se raréfient également), cela signifie presser plus de copies, accepter les conditions tarifaires imposées par le distributeur, attendre parfois longtemps les relevés de vente et devoir investir dans des campagnes de promotion de plus en plus coûteuses. Tout cela réduit la marge évidemment, ampute les revenus des artistes et génère le risque de récupérer un stock important d’invendus, parfois abîmés… M9Music n’a pas la prétention de remplacer les distributeurs, mais plutôt de proposer une rémunération correcte pour les labels partenaires, avec un contrôle absolu des quantités, etc. Ce qui permet aussi aux artistes d’avoir une vision claire sur les ventes et une rémunération juste.
– Et il y a aussi ce partenariat avec le magazine Metallian, dont tu es aussi le rédacteur en chef. Au-delà de ce conflit d’intérêt flagrant, en quoi consiste cette belle collaboration ?
Il n’y a pas vraiment de conflit d’intérêt… (Sourire) Je travaille bénévolement pour Metallian depuis 2008. Je n’ai jamais perçu un centime du magazine pour des milliers d’heures de travail… A l’inverse, M9Music me permet de trouver des solutions de financement complémentaires pour le magazine, à une époque où il en a grand besoin, en proposant aux petites structures de trader leurs pubs, comme on le faisait dans les années 90 avec AblaZine. Et je te promets que je ne soudoie pas l’équipe quand je leur soumets des sorties Meuse Music Records à critiquer ou à travailler ! (Rires)
– Concrètement, qu’est-ce que l’on trouve chez M9 Music qu’on ne trouve pas ailleurs, car vous n’êtes pas les seuls dans la place ?
Comme évoqué plus tôt, j’essaie de construire un catalogue principalement Doom, et de rassembler/importer les sorties Doom de labels hors-UE ou de labels pour qui le style n’est pas une réelle priorité. Bien sûr, il y a aussi du Black, du Death, de la Dungeon Synth… Mais l’axe principal reste Doom. Mon but n’est pas l’utopie de tout avoir en stock, mais au moins de proposer aux doomers du choix et des prix justes.
– D’ailleurs, M9Music ne distribue que du Metal extrême. Il existait un vrai manque, ou alors c’est peut-être aussi l’envie de pratiquer une politique tarifaire différente des autres sites ?
La politique tarifaire, c’est certain ! A quelques rares exceptions, les albums en digipacks sont à 13€ et à 12€ en jewel cases, au maximum ! Pour l’orientation musicale, c’est une question de goût, mais aussi de logique : quel serait l’intérêt de vendre du Sabaton ou du Powerwolf que tu trouves facilement chez Napalm, Nuclear Blast, Amazon ou même Carrefour ? Sérieusement, qui aurait envie de tenter de concurrencer ces géants sur leur propre terrain ? Cela n’aurait aucun sens. Et puis, je crois qu’on ne peut vendre que ce qu’on aime et ce en quoi on croit. La scène underground a toujours été ma motivation, et j’ai toujours fait de mon mieux pour la soutenir, que ce soit en écrivant (AblaZine, Metallian), en organisant (AZ Live ASBL) ou en produisant et distribuant.
– Le webstore propose un large choix de CD, vinyles, tapes, merchandising, ainsi que de l’occasion et pour mon plus grand plaisir, rien en numérique. Alors que c’est le support qui domine le marché, pourquoi vous en priver ? A moins que le public de Metal extrême ne préfère surtout le physique dans sa majorité ?
On pourrait disserter des pages sur l’importance de l’objet, de l’album physique, de l’appréhension complète de tout un travail artistique, jusqu’à sa compréhension et son appréciation. Je pense que les fans de Metal restent attachés à tout cela et ils ont envie de soutenir les artistes, de savoir que leur travail n’est pas vain. C’est dans cette logique-là que je vais en tout cas, on verra si j’ai raison.
– Un petit mot aussi que les nombreuses promos du site. De quel type d’albums s’agit-il ? Des pièces devenues rares ou en fin de stock, car l’idée est vraiment bonne et le choix important ?
Il y a de tout… il y a des fins de stock, des surplus de stocks, des doublons de ma propre collection… Essentiellement des disques qui ne rentreront plus en stock une fois écoulés, parce qu’épuisés définitivement, ou un peu hors scope.
– Enfin, comment envisagez-vous le développement du webstore ? Peut-être dans la production de groupes ou de concerts, voire peut-être même une ouverture vers d’autres styles ?
La production restera aux mains de Meuse Music Records, c’est sa raison d’être, et avec Jean-François et Serge, on essaie de le faire bien. Pour les concerts et festivals, AZ Live ASBL reste pour l’instant le vecteur avec une cinquième édition du ‘Haunting The Castle’ (festival Doom) prévue le 17 février 2024, et une seconde édition du ‘Dark Dungeon Festival’ (festival de Dungeon Synth) prévue les 12 et 13 avril 2024. A chacun son métier dit l’adage… Le développement se fera naturellement, en étoffant le catalogue et en proposant toujours plus de choix aux amateurs de musique sombre…
Pour en découvrir d’avantage, une petite visite du site s’impose : www.m9music.eu
Avec un tel album, OPAL INSIGHT redonne des couleurs au Death Metal mélodique hexagonal. Conjuguant un nombre impressionnant de sensations et d’émotions, le quatuor déploie un large panel musical porté par une technique irréprochable et une belle unité artistique. Très aboutie, « Heir To Anger » est l’une des meilleures réalisations françaises de l’année dans ce registre.
OPAL INSIGHT
« Heir To Anger »
(Meuse Music Records)
Sorti il y a quelques mois, ce premier album d’OPAL INSIGHT est une très belle surprise. Basé à Nantes, le quatuor a vu le jour sous l’impulsion du claviériste, et guitariste sur cet album, Thomas Guédon, qui officie dans le groupe de Metal Progressif Nothing But Echoes. Désireux de renouer avec un style plus Death Metal, il a convaincu sans mal le bassiste de NBE Julien Le Du, le guitariste et chanteur Tibo Pfeifer (Lux Incerta) et le batteur Quentin Regnault (Aro Ora, Wrath Of The Nebula) de le rejoindre. Du beau monde !
Et ce premier effort est plus que convaincant. Annoncé comme un side-project, il faut juste souhaiter maintenant que les Nantais pérennisent leurs intentions et s’installent durablement. Massif, mélodique et souvent en mid-tempo, « Heir To Anger » s’inscrit dans les pas de légendes comme Opeth ou Paradise Lost, mais OPAL INSIGHT tire admirablement son épingle du jeu grâce à des subtilités bien mises en valeur. Très bien produit, l’ensemble joue sur des atmosphères où colère et mélancolie se télescopent.
Dès l’intro éponyme, le mystère s’installe et laisse présager d’un esthétisme travaillé. Et c’est le cas. Jouant sur un chant clair plus chaleureux et un growl profond, OPAL INSIGHT montre des visages très différents passant d’instants paisibles à des déferlements d’une grande explosivité (« A Ghost In My Arms », « Whispers From The Flames », « Deer Skin », « For Her », « Délivrance »). Solide et à la fois accessible, le Death Metal mélodique proposé ici n’appelle qu’à une seul chose : une suite.