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Voice Of Ruin : massif et glacial [Interview]

15 ans après sa formation, les Suisses de VOICE OF RUIN sont loin d’avoir livrer l’entièreté de leurs idées et de leurs envies musicales. Dans un élan commun et avec la noirceur qui les caractérise, le quintet a pris son temps avant de présenter le successeur du très bon « Acheron », sorti en 2019. C’est d’ailleurs chez eux et sans intervenants extérieurs que les Helvètes ont élaboré ce « Cold Epiphany », plus Thrash dans le son, mais toujours globalement Melodic Death Metal. Nicolas Haerri, guitariste et réalisateur de ce nouvel opus, nous en dit plus sur ces quatre années écoulées et le processus de création de l’album. Entretien.

– On s’était quitté il y a quatre ans avec « Acheron », que vous étiez allés enregistrer en Suède à Göteborg avec Henrik Udd et Frederick Nordstorm. Le résultat était d’ailleurs assez stupéfiant et un cap avait été franchi. Avec qui et dans quelles conditions avez-vous travaillé pour « Cold Epiphany » ?

Cette fois, j’ai écrit, enregistré et produit l’album, qui a été fait entièrement à la maison. En fait, j’ai un studio d’enregistrement près de chez moi. On a fait plusieurs sessions. Après « Acheron », on a commencé à tourner avec des dates qui se sont enchaînées et ça partait bien. Le Covid est arrivé et tout s’est arrêté. On a fait un gros break d’environ quatre à six mois, durant lesquels on ne s’est pas beaucoup vu, on n’a pas non plus fait de musique. Ensuite, on a loué une maison avec les grattes, quelques bouteilles et on a commencé à composer tous ensemble. C’est là qu’on s’est dit qu’on allait prendre notre temps. De mon côté, j’avais beaucoup appris de notre expérience suédoise notamment, et je me suis senti suffisamment prêt pour enregistrer l’album moi-même.

– « Acheron » était un album très sombre et vous aviez utilisé pour la première fois pas mal de samples. Ce n’est pas le cas avec ce quatrième opus, où vous revenez à un style plus direct et plus brut aussi. C’était un désir de renouer avec un Thrash/Death, où la ‘technologie’ est un peu plus en retrait ? 

En fait, on en a vraiment pris conscience au milieu du processus de création de l’album. En commençant le mix, j’ai été étonné parce qu’on se dirigeait vers « Purge And Purify » (deuxième album du groupe sorti en 2017 – NRD). Pour les machines, on a mis pas mal de samples dès le début, alors que pour « Acheron », tout avait été réalisé vers la fin de l’enregistrement. Contrairement au précédent album, ces ajouts ont été pensés dès le départ.

– D’ailleurs, dans son ensemble, « Cold Epiphany » contient plus de sonorités Thrash que Death Metal. Il y a un aspect beaucoup plus organique avec un gros travail notamment sur les guitares. On a l’impression que vous avez cherché plus d’immédiateté pour afficher plus de puissance encore. C’était l’intention ?

C’est exactement ça, on voulait vraiment que ce soit plus massif en live, et être sûr de pouvoir reproduire les chansons dans n’importe quelles conditions. Les rythmes sont peut-être moins alambiqués, mais ils tirent plus vers un côté massif où on avance tous ensemble. On a cherché un effet ‘rouleau-compresseur’. C’est vraiment ce que tu décris.

– Le mix aussi libère beaucoup d’énergie et pourtant, ici encore, un grand soin est apporté aux arrangements et aux changements d’ambiances avec notamment plusieurs intros avec un son clair, dont « Prelude To A Dark Age » qui ouvre l’album. L’objectif était d’instaurer l’atmosphère de certains morceaux et plus largement celle de l’album ?

Oui, on voulait donner un contexte. On a vite remarqué qu’on avait des morceaux qui fonctionnaient très bien avec et d’autres qui, souvent, étaient posés comme ça, mais sans contexte. Cette fois, on a essayé de créer une liaison entre les différents titres et passages dans l’album avec plusieurs intros pour pouvoir alterner les morceaux bruts avec d’autres plus calmes, qui servent à créer un contraste.

– D’ailleurs, pour rester sur ce climat qui règne sur l’ensemble de « Cold Epiphany », est-ce que vous l’avez travaillé comme une sorte d’album-concept, car il y a une vraie synergie sur l’ensemble des titres ?

C’est vrai qu’on nous a plusieurs fois posé la question. A la base, oui, car quand on a commencé à discuter avec Randy (Schaller, chanteur du groupe – NDR) du thème de l’album, je me suis dit que ce serait sympa de prendre différents protagonistes pour créer des liens. Ensuite, les choses ont évolué, mais on a gardé cette envie de faire quelque chose de plus sombre, de plus massif et l’ensemble est venu comme ça. Mais à force de voir qu’on nous pose souvent la question, je me demande si on ne pourrait pas faire un album-concept la prochaine fois ! (Rires)

– D’ailleurs, si vous livrez des morceaux toujours Death Metal et mélodiques, certains passages sont aussi Groove et parfois Black Metal sur les parties de batterie notamment. Et vous abordez même des moments vraiment Technical Thrash comme sur « Lustful Gaze ». C’est guidé par le désir d’être assez inclassable, ou plus simplement parce que ce sont des styles que vous aimez et qui représentent finalement très bien VOICE OF RUIN ?

En fait, on a des influences très variées dans le groupe avec tous notre petite madeleine de Proust. C’est vrai qu’on a aussi le désir de les intégrer sur nos albums, histoire aussi de montrer cet aspect de chacun de nous. Peut-être que sur nos albums précédents, c’était un peu plus maladroit, mais là, on a vraiment fait attention pour ne garder que les chansons qui avaient un thème et qui représentaient quelque chose. Pour te dire, on a fait 40 démos pour l’album, c’est-à-dire 40 chansons enregistrées, mixées et prêtes à sortir. Et on n’en a gardé que dix… C’est aussi pour ça que nous avons tout fait à la maison, car pour réaliser tout ça en studio, nous n’aurions jamais eu le budget ! Ça n’aurait pas été possible, et c’est aussi pour cette raison qu’on a souhaité faire l’album différemment.

– Avec « Bloody Salvation », vous sortez le quatrième single extrait de l’album, ce qui correspond presqu’à la moitié du disque. Je sais bien que les temps ont changé et qu’il faut être très présent sur les réseaux sociaux notamment et/ou figurer sur les playlists des plateformes de streaming, mais n’est-ce pas un peu dommage de livrer la moitié d’un travail de longue haleine avant sa sortie et d’être, finalement, sacrifié sur l’autel du marketing ?

Tu sais, je suis d’une génération où j’attendais un album, j’allais l’acheter et je l’écoutais de A à Z. Aujourd’hui, on n’a pas le choix. Si on veut exister, si on veut être pris dans les playlists, on doit sortir du contenu avant. Sinon à la sortie de l’album, il ne se passe rien. Il n’y a plus aucun groupe de notre niveau, qui peut promouvoir un album en entier sans sortir quelques titres en amont. Donc oui, ça fait un peu chier de tout donner comme ça. En même temps, dans les jeunes générations, il n’y a plus personne qui écoute un album dans son entier. Ils prennent les playlists, il y a une chanson qu’ils aiment et ils ne vont pas écouter la suivante, parce qu’ils n’aiment qu’un titre. Alors oui, c’est un peu sacrifié sur l’autel du marketing, mais on n’a pas vraiment le choix. Et il y a même des plateformes qui refusent des chansons, parce que l’intro est trop longue ! Du coup, on zappe la playlist.

– Oui mais une fois qu’on a dit ça, on n’a rien dit. Qu’est-ce que vous y gagnez concrètement ? Parce qu’avoir des milliers de followers, etc… ça ne sert à rien pour vendre un album !

C’est sûr que les followers ne paient pas la facture à la fin du mois. Avec ce qu’on gagne, nous sommes une petite PME bien huilée, qui nous permet de beaucoup voyager, de découvrir plein de choses et de vivre notre passion, mais pas d’en vivre. Actuellement, VOICE OF RUIN s’autosuffit et l’argent qu’il génère sert à voyager et faire des albums. Par contre, comme je te l’ai dit : ça nous permet de vivre notre passion, mais pas d’en vivre !

– Pour conclure, j’aimerais qu’on dise un mot sur la participation de votre compatriote Anna Murphy, qui a œuvré une décennie avec Eluveitie, et qui apporte de la douceur et un peu de mystère sur le morceau « Cyanide Stone », où elle chante. Comment s’est passé cette collaboration et comment est-elle née ?

En fait, « Cyanide Stone » est le premier morceau que nous avons composé pour l’album. A l’époque, c’est Darryl (Ducret, guitariste – NDR) qui chantait les passages clean. Comme on avait cette volonté de faire un album que l’on pourrait reproduire facilement sur scène avec ce côté ‘rouleau-compresseur’ et comme il y avait du tapping en même temps, il nous a dit qu’il pouvait y avoir un risque. On a décidé de changer notre fusil d’épaule et on avait trois/quatre personnes en tête. Entre deux sessions d’enregistrement, on a fait plusieurs dates et sur l’une d’elles, on a fait un show-case où Anna Murphy était là pour présenter son projet solo. Erwin (Bertschi, bassiste – NDR) a toujours adoré ce qu’elle faisait et lui a envoyé un mail. Les agendas coïncidaient, elle était dispo, elle a aimé et les choses se sont faites comme ça. Au départ, les autres voulaient le faire un peu plus Metal, mais la voix et cette envolée devaient vraiment rester sous cette forme. Et la voix d’Anna est magnifique.

L’album de VOICE OF RUIN, « Cold Epiphany » est disponible chez Tenacity Music et sur le Bandcamp du groupe :

https://voiceofruin.bandcamp.com/album/cold-epiphany

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Death Mélodique

Opal Insight : émotions croisées

Avec un tel album, OPAL INSIGHT redonne des couleurs au Death Metal mélodique hexagonal. Conjuguant un nombre impressionnant de sensations et d’émotions, le quatuor déploie un large panel musical porté par une technique irréprochable et une belle unité artistique. Très aboutie, « Heir To Anger » est l’une des meilleures réalisations françaises de l’année dans ce registre.

OPAL INSIGHT

« Heir To Anger »

(Meuse Music Records)

Sorti il y a quelques mois, ce premier album d’OPAL INSIGHT est une très belle surprise. Basé à Nantes, le quatuor a vu le jour sous l’impulsion du claviériste, et guitariste sur cet album, Thomas Guédon, qui officie dans le groupe de Metal Progressif Nothing But Echoes. Désireux de renouer avec un style plus Death Metal, il a convaincu sans mal le bassiste de NBE Julien Le Du, le guitariste et chanteur Tibo Pfeifer (Lux Incerta) et le batteur Quentin Regnault (Aro Ora, Wrath Of The Nebula) de le rejoindre. Du beau monde !

Et ce premier effort est plus que convaincant. Annoncé comme un side-project, il faut juste souhaiter maintenant que les Nantais pérennisent leurs intentions et s’installent durablement. Massif, mélodique et souvent en mid-tempo, « Heir To Anger » s’inscrit dans les pas de légendes comme Opeth ou Paradise Lost, mais OPAL INSIGHT tire admirablement son épingle du jeu grâce à des subtilités bien mises en valeur. Très bien produit, l’ensemble joue sur des atmosphères où colère et mélancolie se télescopent.

Dès l’intro éponyme, le mystère s’installe et laisse présager d’un esthétisme travaillé. Et c’est le cas. Jouant sur un chant clair plus chaleureux et un growl profond, OPAL INSIGHT montre des visages très différents passant d’instants paisibles à des déferlements d’une grande explosivité (« A Ghost In My Arms », « Whispers From The Flames », « Deer Skin », « For Her », « Délivrance »). Solide et à la fois accessible, le Death Metal mélodique proposé ici n’appelle qu’à une seul chose : une suite.

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Death Mélodique

Soilwork : houleuse épopée mélodique

L’une des particularités de SOILWORK est de parvenir à chaque album à surprendre grâce à une créativité bouillonnante, une technicité exemplaire et un sens de la mélodie imparable. « Övergivenheten » s’inscrit parmi les grands albums de Death mélodique et les Suédois posent ainsi une empreinte forte.

SOILWORK

« Övergivenheten »

(Nuclear Blast)

Deux ans après le très bon « A Whisp Of The Atlantic », SOILWORK n’a pas perdu de temps et s’était déjà mis à pied d’œuvre l’année dernière pour composer son douzième opus. Réparti sur trois sessions d’enregistrement au fameux Nordic Sound Lab, « Övergivenheten » (l’abandon, en suédois) s’étend sur 14 morceaux, dépassant l’heure de jeu, d’un Death mélodique parfaitement produit par Thomas Johansson, déjà présent sur les deux précédents.

Alternant puissance et délicatesse, SOILWORK joue sur les contrastes comme à son habitude en combinant des passages rageurs et d’autres très atmosphériques. Les Suédois ont créé depuis quelques albums un style immédiatement identifiable où la colère se mêle à la mélancolie dans une harmonie remarquable. La brutalité du Death des Scandinaves est d’une étonnante cohérence avec les ambiances progressives et très 80’s affichées.

Sur des structures souvent très techniques, le quintet a mis en place un schéma couplet Death/refrain clair où il offre une dimension mélodique et Heavy à ses compositions (« Nous Sommes La Guerre », « Death, I Hear Your Calling », « The Godless Universe »). Mais SOILWORK n’en oublie pas pour autant d’être fracassant et agressif (« Harvest Spine », « Vultures », « Is It In Your Darkness », « Electric Again »). Solide et incontournable.

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Death Mélodique Heavy metal

Arch Enemy : frappe chirurgicale

Technique, massif et mélodique, « Deceivers » confirme la place prépondérante d’ARCH ENEMY sur la scène mondiale. Si la monumentale production de Jacob Hansen sublime l’ensemble, ce nouvel album brille surtout par la créativité de Michael Amott, grand architecte du quintet, et l’énorme présence de sa frontwoman Alyssa White-Gluz.

ARCH ENEMY

« Deceivers »

(Century Media Records)

Très attendu, ce nouvel album des Suédois et de leur chanteuse canadienne est probablement l’une des principales attractions de cet été. Et il faut bien l’avouer, ce douzième opus d’ARCH ENEMY tient toutes ses promesses. Chirurgical, « Deceivers » est très direct et frontal, et Michael Amott, maître à penser du quintet, y même inclus quelques ambiances épiques bien senties sur une production très organique.

Parfaitement structuré et affichant une assurance à toutes épreuves, le style d’ARCH ENEMY s’inscrit plus que jamais dans un Heavy Metal moderne et compact. En dehors des passages growlés d’Alyssa White-Gluz, qui a d’ailleurs la riche idée de chanter de plus en plus en clair, on s’éloigne du Death mélodique dont on les affuble systématiquement, et dont on est ici assez loin.

Vocalement toujours aussi impressionnante et puissante, la frontwoman d’ARCH ENEMY livre une prestation toute en variations sur des morceaux mélodiques et acérés (« House Of Mirrors », « Sunset Over The Empire »). Amott est impérial de créativité avec des riffs et des solos millimétrés, tandis que le batteur Daniel Erlandsson est monstrueux de justesse (« Deceiver, Deceiver », « The Watcher », « One Last Time »).  

Avec des aspects Death Metal qui tendent à disparaître malgré quelques fulgurances extrêmes, « Deceivers » est presque une ode au Heavy Metal classique des années 80. Très fédérateurs, les nouveaux titres d’ARCH ENEMY s’incrustent et restent en tête instantanément pour ne plus en sortir (« Spreading Black Wings », « In The Eye Of The Storm »). Du beau boulot : sérieux et appliqué.