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Hrafngrímr : songes et mythes nordiques [Interview]

Après de nombreux singles et un EP, l’univers pagan de HRAFNGRÍMR (prononcez Ravengrim) se dévoile enfin sur la longueur avec un premier album, « Niflheims Auga », très réussi et captivant. Cette plongée onirique dans l’imaginaire viking et païen se déploie à travers une néo-Folk à la fois intemporelle et d’une modernité bluffante. Entre légendes nordiques et spiritualité, c’est en vieux norois que s’exprime le groupe et l’immersion est garantie. Guidé par son duo vocal composé de Christine Roche et Mattjö Haussy, ils reviennent tous les deux sur les étapes franchies depuis les débuts de la formation à quelques jours d’une prestation très attendue au Hellfest de Clisson. Entretien.

– En l’espace de quatre ans, vous avez été très prolifiques et productifs en sortant, notamment, 14 singles ce qui est assez inhabituel. Ce sont des morceaux plus anciens que vous avez peut-être réarrangés, ou est-ce juste une sorte de frénétique créativité ?


Mattjö : A l’époque, je venais d’être invité à quitter le groupe Skáld (fin décembre 2019). Reconstituteur et amateur d’archéologie vivante, je suis aussi empreint d’une spiritualité et d’une philosophie de vie, qui s’inspire largement des mythes nordiques. J’avais donc comme un sentiment d’inachevé. J’avais besoin de faire quelque chose de plus personnel et de plus authentique tout de suite ! D’où cette frénésie créative. Et puis, on s’est retrouvé plongé dans la pandémie. Il me semblait important d’apporter un peu de divertissement tous les mois à la communauté des mélomanes, un peu de poésie et de résilience. J’ai donc travaillé nuit et jour sur des compos originales. A l’origine, j’avais prévu de sortir tour à tour un titre plutôt Nü-Nordic, puis un titre plus Nü-Metal pour HRAFNGRÍMR. Et l’accueil du public m’a finalement incité à composer davantage de morceaux comme ceux qu’on connaît aujourd’hui. Mais on a des surprises pour bientôt !

– Vous avez aussi sorti un EP, « Hólmganga » il y a deux ans. Avec autant de titres à disposition, vous n’avez pas été tenté de sortir directement un album complet ? A moins que vous ayez choisi cette voie pour alimenter les réseaux comme cela se fait beaucoup aujourd’hui ?

Christine : J’ai intégré le groupe peu de temps avant la sortie d’« Hólmganga ». J’ai une voix assez différente de ce que l’on peut entendre dans ce style de musique. Par conséquent, il fallait dans un premier temps trouver nos marques, ce qui était vrai pour chacun d‘entre nous d’ailleurs. Nous avions depuis longtemps parlé de faire un album, mais il était important de trouver un équilibre, tant sur la sphère artistique que personnelle. 

Mattjö : Alimenter les réseaux oui, c’est sûr qu’on participe à ce jeu dans une certaine mesure, mais il s’agissait plus de la maturité du groupe, de l’implication et de la participation des membres. Et puis, cela aurait fini en recueil de singles. Là, on a un véritable album !

– Entre vos nombreux singles, l’EP et ce premier album « Niflheims Auga », il y a une réelle évolution dans la structure des titres, du son et dans l’inspiration également. Est-ce que cela vient du fait que, dorénavant, vous écrivez des textes originaux ?


Mattjö : Sans doute ! Mais cela vient surtout du fait que tous les membres du groupe participent à la composition et la construction des chansons. On puise donc dans les influences et les émotions de chacun, qui ne sont pas forcément relatives à l’univers néo-Folk, Viking, etc…

Christine : Outre les influences de chacun et de notre implication, il y a aussi la participation de nombreux amis. Anatoly de Nytt Land, Johan de Det Var, Louis Ville, Stan d’Arrün, etc… Cela ressemble beaucoup plus à l’esprit du groupe, celui de jouer de la musique entre amis, de s’amuser, de s’enrichir les uns les autres et de partager cette énergie avec le public !

– En parlant de la production, celle de « Niflheims Auga » est nettement plus élaborée et montre beaucoup plus de brillance également. Il vous aura fallu ce laps de temps pour trouver votre identité artistique et votre son, sachant que sur des thématiques ancestrales, cela peut compliquer aussi les choses ?


Mattjö : On a travaillé avec quelqu’un d’autre tout simplement ! Louis Ville ne vient pas du tout de cette scène. Du coup, il a un regard neuf et a pu mettre sa longue expérience à profit et représenter au mieux la diversité du groupe dans le mixage et la production. Il nous a épaulés également en tant que réalisateur et arrangeur sur certains titres pour leur donner le son qu’ils ont aujourd’hui.

Christine Roche


– Justement, vous avez commencé le groupe en vous inspirant et en puisant dans le ‘Hávamál’, cette œuvre didactique de l’« Edda Poétique », légendaire recueil de poèmes en vieux norrois. A quel moment vous êtes-vous décidés à écrire vos propres textes et quel a été le déclic ?


Mattjö : Quand je me suis rendu compte qu’on chantait la même chose que tous nos amis de la même scène et qu’on avait la même source d’inspiration. On s’est dit qu’on manquait d’originalité et d’authenticité. Et puis, quand on écrit les paroles soi-même pour évoquer des émotions ou un regard sur les choses, tout devient vraiment plus personnel.

Christine : D’autant plus que cette culture littéraire et historique fait partie tout particulièrement du bagage de Mattjö, ce qui n’est pas le cas de tout le monde dans le groupe. Il était important pour nous aussi de prendre part à la construction des titres avec nos propres codes et nos émotions et sans dénaturer le projet de départ. L’idée était d’y apporter quelque chose de personnel, et tous ensembles !

– A propos des textes, ils sont donc en vieux norrois et vous faites appel au traducteur Jules Piet pour vous assister. Quel est précisément son rôle et le considérez-vous même indirectement comme un membre de HRAFNGRÍMR ?


Mattjö : Jules participe aussi à l’écriture, autant dans la forme que dans les sonorités. Il n’est pas juste un traducteur, en fait. Il apporte aux textes sa sensibilité et son expérience de cette langue. Il est sans aucun doute un membre du groupe, un acteur de l’ombre. Son travail permet de rendre notre univers musical immersif et épique. 

Mattjö Haussy

– A travers vos chansons, vous combinez textes anciens et modernes dans vos compositions, ainsi que des instruments traditionnels et d’autres actuels. L’idée avec HRAFNGRÍMR est-elle de créer une sorte de passerelle entre ces deux époques éloignées de plusieurs siècles ? Et peut-être aussi d’assurer une continuité ou une espèce de renouveau de ces temps lointains ?

Mattjö : L’idée est de s’inspirer du meilleur du passé comme du présent. Le mot tradition, signifie ‘transmettre’. Ce qu’on appelle la tradition orale pour les peuples anciens était de transmettre la culture, la philosophie et les croyances à travers la musique et les chants. Les notions de ponts, de portails et de liens entre les mondes du présent et du passé sont incontestables dans notre travail, en effet.

Christine : Cela permet aussi à chacun d’entre nous d’apporter son expérience et son savoir-faire avec ses propres outils. Mus se débrouille vraiment bien à la guitare électrique et j’aime pour ma part travailler avec des loopers et des synthés. Ça s’est donc fait naturellement.

– En vous inspirant et en prenant comme référence le Folk Païen, à l’instar de Wardruna notamment, est-ce que vous exprimer en vieux norrois était essentiel et même naturel ? Cela n’aurait pas pu se faire dans une autre langue que celle-ci ? Sans compter que cela vous aurait peut-être aussi éloigné de la culture viking…


Mattjö : Le folk Païen est un de nos nombreux outils parmi le Rock, le Metal, l’Electro et tant d’autres styles, qui nous influencent beaucoup. Les mythes scandinaves et germaniques font partie de mon bagage culturel et artistique. Ils ont été à l’origine de HRAFNGRÍMR, qui propose un voyage musical onirique, une aventure collective, mais aussi personnelle. Cela constitue une excellente base pour explorer d’autres horizons à l’instar de ces voyageurs, marchands, guerriers et poètes. Je veux dire par là que cela ne nous enferme en rien et ne nous empêche pas du tout de faire l’usage d’instruments et de techniques venant des quatre coins du monde. Et de laisser surtout chaque membre du groupe laisser aussi son empreinte, alors qu’ils ne sont pas forcément aussi intimes que moi avec cet univers. Au contraire, cette langue nous permet de nous détacher un court instant du réel et on est là pour ça !

– La musique de HRAFNGRÍMR met en avant la variété des rythmes autour du chant à plusieurs voix essentiellement. C’est un registre qui peut paraître assez épuré de prime abord.  L’authenticité est donc au cœur de votre style. De quelle manière la cultivez-vous et cela passe-t-il aussi par cette immersion que vous transmettez ensuite ?


Mattjö : Ca se fait naturellement, avec le cœur et les tripes ! C’est honnête et sincère !

Christine : Je ne peux pas vivre sans musique, ni sans chanter ! Nous avons très facilement trouvé un équilibre avec Mattjö et le duo vocal s’est imposé de lui-même. Nous sommes en couple et nous avons souvent l’occasion de chanter ensemble. Nous partageons, entre autres, le fait que nous ne pouvons pas chanter sans être authentiques et sincères. C’est une complicité qu’on cultive au quotidien.

– L’aspect théâtral du groupe peut aussi faire penser à certains groupes Metal. D’ailleurs, vous serez au Hellfest dans quelques jours. Pourtant les différences musicales sont flagrantes et même opposées. Comment percevez-vous le fait d’être assimilés à cet univers ?

Mattjö : On vient aussi de la scène Rock/Metal ! Mus avec Arkan, Arnaud avec Othargos, Nesh avec Azziard et Nydvind et moi avec Madonagun, etc… Et Christine avec aussi tous ses projets. On construit nos chansons avec les mêmes codes, les mêmes intentions et sans le faire exprès. On est donc très fiers d’être reconnus comme des métalleux!

Christine: Carrément ! J’ai l’habitude depuis plus de 30 ans de m’amuser dans des styles très crossover! Avec mon premier groupe Westing*House, puis Both et même mon projet solo The Black Lion Theory, qui mélange Pop, Rock, variété et Electro. Il y a aussi mon autre groupe Our Queen Liberty, qui mélange un style Grunge et aussi très Power Rock. Je me rends compte qu’en fait je ne fais que ça : métisser et explorer les choses. C’était donc un défi pour moi d’intégrer HRAFNGRÍMR et d’y apporter ma voix.  

– Enfin, HRAFNGRÍMR fait partie d’une niche musicale même si certains, comme Wardruna surtout, bénéficient d’une plus grande notoriété. L’objectif est-il de faire de plus en plus d’adeptes, ou au contraire de conserver une certaine confidentialité à l’instar du ‘Dungeon Synth’, par exemple ?

Mattjö : Je pense que c’est quelque chose que l’on ne maîtrise pas du tout. On est déjà très heureux de toucher un aussi large public ! C’est minuscule par rapport à d’autres groupes, mais déjà gigantesque pour nous. On ne se rend pas compte de ces choses et on est toujours très surpris d’avoir des fans et de constater leur émotion quand ils viennent nous voir après les concerts. C’est émouvant et irréel à la fois. D’un autre côté, il faut faire preuve d’honnêteté : avoir la chance de jouer sur des scènes comme celles du Hellfest est une expérience unique, pleine d’émotions et de satisfaction. Sans dénigrer les plus petites scènes au contraire, car elles représentent un vrai plaisir aussi. C’est juste une différence d’intensité.

Christine : Tant qu’on s’amuse, qu’on prend du plaisir, qu’on se respecte… Si en plus, on peut partager ça avec un large public, que demander de plus !

Le premier album de HRAFNGRÍMR, « Niflheims Auga », est disponible depuis quelques semaines. Retrouvez également l’ensemble des productions du groupe sur son Bandcamp :

https://hrafngrimr.bandcamp.com

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Singles, streaming, réseaux sociaux… peaufine ton quart d’heure de gloire ! [Edito]

A l’heure où l’industrie musicale a presque complètement muté et où les habitudes de ‘consommation’ ont elles aussi pris un nouveau virage, il y a de quoi s’interroger sur l’état des forces en présence et surtout sur leur avenir. Aujourd’hui, presque tout le monde peut faire de la musique en pyjama dans son salon et on croule sous le poids de l’effervescence de ces nouveaux ‘artistes’. La démocratisation de l’art a du bon, c’est vrai, mais qu’en est-il de cette offre outrancière et de sa diffusion ?

Même si le vinyle émet quelques soubresauts et que le CD garde un impact fort, l’écoute de musique en streaming se répand à vitesse grand V. Peut-être que l’exigence sonore, c’est-à-dire le travail de la prise de son jusqu’au mastering, a très nettement chuté chez l’auditeur ? C’est sûr, car le seul côté pratique n’explique pas tout… et ne peut pas l’expliquer d’ailleurs. On se contente donc de près peu, mais en abondance. Sacrifié sur l’autel de la production et de la productivité à tout prix.

Pour faire une rapide analogie avec le cinéma, la musique paraît perdre en qualité également. A l’instar des plateformes de streaming, la créativité artistique prend chaque jour de grosses claques. Il y a quelques décennies, on attendait les albums avec impatience… et parfois même longtemps. Le single et les EP ont pris le relais et c’est aussi dommage qu’étrange. J’ai aujourd’hui tendance à percevoir un morceau comme une bande-annonce marketée, alors que je préfèrerai voir le film ! De même, un EP est un court-métrage qui reste crédible, mais il y a un goût de trop peu et d’inachevé systématique.

Là où cela devient problématique, c’est que l’éphémère prend le dessus. Ca tombe sur le coup de 18h sur les réseaux sociaux pour disparaître le lendemain matin des mémoires. En sortant deux, trois ou quatre singles par album, que reste-t-il à découvrir ? Et par conséquent, quelle est la durée de vie effective d’un disque complet ? Trois jours ? Une semaine ? Et pourquoi certains albums sortis il y a des années, voire des décennies, figurent toujours dans les charts de nombreux pays ? Peu importe, il faut occuper la place !

Il ne reste plus grand monde à pouvoir vivre des seules productions et le nombre de sorties exubérant n’explique pas tout. Le manque de créativité et de qualité reste bien sûr la cause du problème, et la société du zapping a aussi sa part de responsabilité. Il est devenu indispensable d’être très présent sur les réseaux sociaux… au risque de remplir le vide par du vide. Si le nombre de vues et de likes régale l’ego, il ne remplit pas le frigo. Ce n’est pas un modèle économique fiable, sauf pour quelques uns. Tout ce qui est rare n’est-il pas cher ?

Par ailleurs, les groupes ont de plus en plus de mal à boucler leurs tournées et personne ne semble épargner, sauf quelques stars en place depuis des lustres. Là aussi, on peut s’interroger sur le nombre croissant de festivals. Pour un gros billet, tu as tous tes groupes préférés sur deux ou trois jours. A quoi bon aller les voir seuls le reste de l’année finalement ? Sauf qu’un set dans un festival n’a pas non plus la même saveur qu’un concert unique. Mais il faut croire que tout le monde a besoin de tout, tout de suite… et à pas cher !

Sans être trop nostalgique du ‘c’était mieux avant’, il est temps de repenser le système actuel dans lequel l’argent va toujours chez les mêmes et où il est uniquement question de productivité et d’occupation permanente des réseaux sociaux. Le secteur artistique est aujourd’hui porté par le bénévolat… à tous les niveaux ! C’est d’autant plus triste qu’on y perd énormément en termes de professionnalisme et donc de compétence. Les fans occupent désormais le terrain, tout heureux de côtoyer leurs stars préférées. Mais ce n’est pas leur boulot, bordel ! Alors, peaufine bien ton quart de gloire… la 16ème minute sera fatale ! Arrêtons donc de méditer : réfléchissons !

NB : Il va sans dire qu’il n’est pas, et ne sera jamais, question que Rock’n Force traite les singles et relaie les clips pour engraisser encore un peu plus YouTube. Quant aux EP, il faudra vraiment frapper très fort ! Voilà, c’est juste une piste de réflexion…