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Robert Finley : creative wisdom [Interview]

S’il a un parcours pour le moins atypique, ce n’est plus ce que l’on retient aujourd’hui de ROBERT FINLEY. De son incroyable rencontre avec Dan Auerbach, moitié de The Black Keys et patron du label Easy Eye Sound, à ses premières tournées, il sort aujourd’hui son cinquième album et il vient marquer une décennie de créativité et la réalisation d’un rêve d’enfant. Avec « Hallelujah! Don’t Let The Devil Fool Ya », le chanteur Soul s’adresse à toutes les générations dans un registre plus Gospel que jamais, fait d’un Blues aux contours très jam, comme s’il laissait un esprit s’emparer de ses nouveaux morceaux. Cette fois aussi, c’est en famille, avec sa fille Christy Johnson, qu’il partage ce nouvel opus. Loin d’être un passage de témoin, c’’est surtout une réunion qui prend tout son sens. Entretien avec un chanteur à la voix de velours, qui a su garder un enthousiasme fou.      

– Il y a dix ans maintenant, ta vie prenait une tournant important avec la sortie de ton premier album, « Age Don’t Mean A Thing ». Ensuite, beaucoup de choses se sont accélérées. Quel est ton état d’esprit aujourd’hui ? Est-ce qu’une certaine routine s’est installée, ou y a-t-il toujours de l’émerveillement dans ton quotidien ?

Cela signifie surtout que les rêves peuvent devenir réalité et je n’ai jamais perdu espoir. Je n’ai jamais abandonné ma fierté, non plus, et je crois toujours en ce que je fais, car c’était vraiment un rêve d’enfance.

– « Hallelujah ! Don’t Tell The Devil Fool Ya » est ton cinquième album en l’espace de dix ans, ce qui est une fréquence assez soutenue. Y a-t-il chez toi la volonté de rattraper le temps perdu, ou au contraire as-tu le sentiment de faire les choses à ton rythme ?

J’ai l’impression que tout arrive en temps voulu. Je n’ai aucun regret là-dessus. Si la même opportunité s’était présentée il y a 20 ou 30 ans, je ne sais pas si j’aurais été mentalement préparé pour ce succès. Donc, mon conseil à tous les jeunes artistes qui commencent est de toujours rester soi-même, car les rêves peuvent se réaliser tôt ou tard.

– D’ailleurs, est-ce que depuis toutes ces années et au fil des albums, il y a des chansons que tu gardais depuis longtemps, et auxquelles tu tenais, et que tu as enfin pu enregistrer ?

Non, tout s’est passé sur le moment. J’ai juste eu cette opportunité de m’exprimer et ce nouvel album est ma façon de dire que j’ai toujours de l’espoir en moi et que je ne l’abandonnerai jamais. Son titre parle pour lui… (Sourires)

– J’aimerais que l’on revienne un instant sur cette rencontre et cette formidable collaboration avec Dan Auerbach et son label Easy Eye Sound. Sans mauvais jeu de mot, est-ce que tu te dis parfois que c’est un petit miracle ? Une sorte d’alignement des planètes finalement ?

Je pense que c’était le début de quelque chose de nouveau. Je gère bien cette collaboration avec Dan et son équipe, car ils n’essayent pas de faire de moi quelqu’un que je ne suis pas. Ils m’acceptent comme je suis et c’est ce que je veux être avant tout, d’autant que personne ne peut mieux le faire que moi-même. Je suis le seul à avoir cet ADN, à porter ce nom parmi des milliards de gens. Donc, je suis le seul à vraiment pouvoir être moi-même. Mon conseil à toutes et à tous est de rester vous-mêmes !

– C’est aussi Dan qui a constitué l’excellent groupe qui t’accompagne sur ce nouvel album et il y règne une osmose et une connexion très particulière. Comment arrive-t-on à un tel feeling entre musiciens ?

Je pense que le plus important est que tout le monde ait pu jouer ce qu’il ressentait. Nous étions tous ensemble et c’est de cette manière que tout est venu. On n’avait pas de plan précis, pas de notes ou de direction particulière. Cela a vraiment été un cadeau et on a tous saisi cette chance. Le bassiste a pu jouer ce qu’il voulait, le guitariste aussi et il s’est vraiment passé quelque chose dans cette connexion, c’est vrai. C’est incroyable que des étrangers se retrouvent dans la même pièce et parviennent à créer un album aussi incroyable.

– Avec ce nouvel album, tu réalises enfin ton rêve qui était de faire un disque entièrement Gospel. Même s’il y a toujours eu des chansons Gospel sur tes albums, pourquoi ne l’avais-tu pas fait avant ? Avais-tu besoin de certitudes et/ou de peaufiner certaines chansons ou certains textes peut-être ?

Quand nous sommes allés en studio, j’ai prié, car je n’avais aucune note. Quand bien même j’en aurais eu, je n’aurais pas réussi à les lire, car je suis presque aveugle ! (Sourires) C’est de là que vient ma foi. J’ai demandé au seigneur ce qu’il attendait de moi et de tout le groupe. J’avais un problème avec les paroles, alors je m’en suis remis à Dieu. Il faut juste croire. Et en croyant, on reçoit. C’est le principal message de ce disque. Ecoutez-le et vous aurez un regard nouveau sur la vie. (Rires)

– Il est bien sûr beaucoup question de Dieu sur cet album, puisque le Gospel y est directement lié. Comment cela se traduit-il au niveau de l’écriture des textes pour les rendre si personnels ? Est-ce ton vécu qui te guide dans ces moments-là ?

En fait, le plus important est ce dont je n’ai pas besoin. Comme je ne peux pas écrire de textes, il faut juste que je parle de la vie, des choses que chacun doit gérer au quotidien. C’est la réalité, finalement. Ce n’est pas quelque chose que j’ai découvert, ce n’est pas un secret. Il faut saisir chaque opportunité et écrire la bonne chose au bon moment. C’est ce que cherche tout le monde et c’est aussi ce qu’attendent d’autres personnes. Lorsque j’ai rencontré Dan Auerbach, je n’avais jamais entendu parler de lui, je ne savais pas qui était The Black Keys, aussi parce que nous sommes issus de générations différentes. Mais quand nous sommes arrivés en studio, il m’a juste dire : sois toi-même. Et c’est tout ce que j’ai toujours voulu entendu toute ma vie ! Quand quelqu’un te dit ça, c’est qu’il apprécie qui tu es. Ensuite, j’ai rencontré beaucoup de gens, car il m’a emmené dans beaucoup d’endroits. J’ai fait de nombreuses premières parties en concert, mais jamais celles des Black Keys. En fait, je jouais au milieu de leurs concerts. Dan disait au public qu’il aimerait me présenter et qu’on m’écoute. J’étais très surpris car, au fond de mon cœur, je n’étais personne aux yeux du monde et de ce public. Ensuite, j’ai vendu beaucoup de disques ! (Rires) On avait besoin l’un de l’autre et nous avons mis les trente ans qui nous séparent de côté. Je cherchais juste l’opportunité de chanter pour tous, tout en restant moi-même et Dan aussi d’ailleurs.

Pour l’anecdote, au tout début, nous avions quatre jours pour enregistrer quatre chansons en studio. C’était la proposition de départ de Dan et il en avait parlé avec mon manageur. Et je les ai faites en quatre heures ! On a bien rigolé ! (Rires) Et durant les trois jours restant, nous avons créé l’album « Gold Platinum », que Dan, Patrick (Carney, batteur et autre moitié des Black Keys – NDR) et Bobby Woods avaient déjà écrit en amont. Nous avons vraiment passé trois jours de plaisir. Ce n’était pas vraiment un travail pour moi d’aller en studio. Je flânais un peu et lorsqu’ils avaient terminé la musique, tous les arrangements, ils m’appelaient pour savoir si j’étais prêt à chanter. Ensuite, nous avons juste parlé de la façon dont j’allais le faire, rien de plus. C’était très simple et j’étais vraiment le plus heureux au monde ! (Sourires)

– D’ailleurs, contrairement à « Black Bayou » qui était plus direct, il règne ici un esprit très jam avec des morceaux qui véhiculent une sorte de transe R&B. Les musiciens prennent aussi possession de plages instrumentales plus importantes et tu te mets un peu en retrait vocalement. Est-ce que c’est le style de l’album qui veut ça, ou ce sont les musiciens qui t’accompagnent, qui ont créé cette nouvelle dimension musicale ?

J’ai adoré ça ! Je ne peux pas prendre le crédit de quelque chose que je n’ai pas créé, car ce sont les musiciens qui ont travaillé ensemble pour obtenir ces chansons fascinantes. Je leur ai dit de laisser la lumière briller et que chacun fasse ce qu’il a à faire. C’est finalement très simple et j’ai adoré partager cet élan, même si ce n’est pas moi qui ai inventé tout ça. C’était la combinaison d’un tout. Tous les gens qui sont crédités sur l’album ont participé à cette création. Ce n’est pas seulement ROBERT FINLEY. Chacun a joué comme il le sentait, et lorsqu’il me manquait quelque chose, ils ont su parfaitement le combler. Nous nous sommes amusés à réaliser l’album, d’autant que tous ont bénéficié d’un moment à eux sur les chansons. Beaucoup de jeunes artistes m’ont demandé durant ces deux dernières années comment j’avais fait pour réinventer un peu le style. Je leur réponds toujours qu’il faut toujours croire en soi-même et ne jamais oublier ses rêves. Et on n’est jamais trop vieux pour les réaliser ! (Sourires)

– Cette fois, ta fille Christy Johnson, qui est également chanteuse, est présente sur l’ensemble de l’album et jusque sur la pochette. Comment s’est passée cette collaboration familiale ? J’imagine que cela rapproche aussi un peu plus…

Tu sais, ma fille chante le Gospel depuis ses deux ans. C’est comme cela que nous l’avons élevé, elle n’avait pas vraiment le choix ! (Sourires) C’est dans la famille : sa mère, sa grand-mère, tout le monde chantait du Gospel. Ma mère avait un groupe qui s’appelait The Harmonified et c’est là que j’ai commencé à chanter. Tout le monde était dans le groupe, les frères, les sœurs, les fiancés, la belle-famille… Et ça marchait tellement bien que tous les enfants aussi voulaient chanter dans le groupe, ce qu’on a fait plus tard avec Brother Philly And The Gospel System. On chantait en direct à la radio chaque samedi matin et les sponsors ont commencé à s’y intéresser. Christy était la voix que tout le monde voulait entendre sur KMAR Radio à Williamsburg en Louisiane, alors qu’elle était si jeune. Et ensuite, nous avons fait des concerts dans les années 70 et 80. Tout vient de là… (Sourires)

– Enfin, tu as aussi beaucoup tourné ces dernières années, et  notamment en France où tu étais tout ce mois d’octobre. As-tu créé un lien particulier avec le pays et avec le public français ?

Partout où je vais, c’est la même chose. Je ne me contente pas de chanter, de prendre l’argent et de m’en aller. Le plus important, ce sont les gens sans qui ma carrière n’existerait pas. Je prends des photos avec des fans de 8 à 80 ans et il n’y a jamais un sentiment négatif. C’est une belle récompense. Le secret est de toujours rester humble et concentré. C’est la clef du succès…. Et ça commence au plus jeune âge, dans le jardin d’enfants. Et c’est quelque chose qu’il faut entretenir toute sa vie, à chaque étape. Tu sais, ici en France, je ne comprends grand-chose à ce qu’on peut me dire, mais je vois les sourires sur les visages et dans les voix. Ma musique les touche au cœur et c’est la plus belle chose pour moi. Je représente juste la vérité, et la vérité vous libère. Cette hospitalité me touche beaucoup, car je suis accueilli tel que je suis. Je ressens tout cet amour dans les applaudissements, dans les sourires… Je ne sais pas comment le dire, mais j’aime la France ! (Sourires)

Le nouvel album de ROBERT FINLEY, « Hallelujah! Don’t Let The Devil Fool Ya », est disponible chez Easy Eye Sound.

Photos : Jim Herrington (1, 2, 4, 5)

Retrouvez la chronique de « Black Bayou » :

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Blues Country R&B Soul

Marcus King Band : the great South

Détaché de l’atmosphère très intimiste et assez sombre de son précédent effort solo, « Moon Swings », le natif de Caroline du Sud retrouve la lumière et remet surtout sur les rails le génial MARCUS KING BAND. Si certains tourments demeurent, « Darling Blue » présente une nouvelle dynamique, toujours très sudiste, mais plus festive où sa guitare côtoie les violons, les banjos et les cuivres dans une belle harmonie. Directes et organiques, ces nouvelles chansons sont d’une authenticité absolue et guidées par une voix touchante et sincère. Il n’en finit plus de surprendre et aussi de faire des choix artistiques audacieux.      

MARCUS KING BAND

« Darling Blue »

(American Recordings/Republic Records/Universal)

Il semblerait que l’empreinte de Nashville, où il est installé depuis un moment maintenant, ait une emprise grandissante sur le jeu et surtout les envies musicales de MARCUS KING. On n’en voudra pourtant pas au bluesman de s’imprégner de son environnement direct, puisque cela le mène dans des contrées où il excelle également. Preuve en est que le jeune homme, qui approche la trentaine, est d’une rare polyvalence et a aussi une faculté d’adaptation hors-norme, car « Darling Blue », s’il reste très bluesy, avance dans une lignée Honky Tonk marquée par la Country. D’ailleurs, les guest présents ici sont directement issus du sérail, ou très proches. 

Il faut aussi souligner que « Darling Blue » marque le grand retour du MARCUS KING BAND, que le guitariste avait mis en sommeil depuis 2016 après un excellent album éponyme. Après presque dix ans passés an solo, et qui lui ont tout de même valu ses plus grandes récompenses, il retrouve des musiciens qu’il n’a jamais vraiment quittés et qui restent un socle inamovible de sa musique, quand bien même elle a pu prendre des chemins de traverse souvent surprenants. Pour ce quatrième opus en groupe, la tonalité est donc plus Country-Rock et Blues avec aussi quelques douceurs R&B très touchantes qui surgissent toujours (« Carolina Honey », « No Room For Blue »).

L’entame de « Darling Blue » est très marquée de Country et de Honky Tong, avant de revenir à des chansons plus imprégnées de Blues et de Soul. Il faut dire que les présences de Jamey Johnson et Kaitlin Butts (« Here Today »), puis Jesse Welles (« Somebody Else ») y sont pour beaucoup. On retrouve d’ailleurs aussi Billy Strings plus tard sur une version ‘Nashville’ de « Dirt ». Sur « The Shadows », Noah Cyrus, fille de et sœur de, qui vient poser un beau duo très aérien entouré d’un MARCUS KING BAND rayonnant. Décidemment plein de surprises, ce nouvel opus montre à quel point l’univers du musicien est d’une grande richesse et qu’il ne cesse de se renouveler brillamment.

Retrouvez les chroniques de ces derniers albums précédents :

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R&B Soul

Ina Forsman : northern diva

Parvenir à réaliser un disque aussi prégnant et impressionnant de justesse et de feeling est quelque chose d’assez unique. Déchirante, entraînante ou d’une douceur envoûtante, INA FORSMAN déploie un artifice de sensualité et de pulsations émotionnelles. C’est cette sincérité qui émane avec évidence sur tout au long de « After Dark Hour », dans une effervescence Gospel, funky et Soul. Libres et intimes, les morceaux s’enchaînent avec une même puissance immersive et une tendresse, qui réinventent le style dans un élan positif et très personnel.

INA FORSMAN

« After Dark Hour »

(Jazzhaus Records)

Pour son quatrième album, INA FORSMAN, chanteuse finlandaise installée à Berlin, remet au niveau une Soul contemporaine, actuellement portée par une tripotée d’artistes aussi transparents que leur culture musicale frôle le néant. A la fois très roots dans son approche et d’une douceur enveloppante, c’est pourtant dans un studio souterrain qu’elle s’est enfermée avec son groupe pour élaborer ce « After Dark Hour », né d’une période de doute artistique liée au Covid. D’ailleurs, la chanteuse parle même d’un ‘Blues post-pandémique’. Pourtant, si sa Soul joue sur les émotions, bien sûr, aucune mélancolie ne s’en échappe.  

Sous la houlette de son producteur et ami de longue date Michael Bleu, qui réalise ici un véritable travail d’orfèvre, INA FORSMAN continue son introspection à travers une Soul très 50’s/60’s aux saveurs R&B et aux sonorités qui rappellent avec délectation les belles heures de la Motown. Délicieusement rétro dans l’écriture, elle s’inscrit pourtant dans son temps grâce à un univers musical contemporain aux évocations vintage. Un écrin de douceur pour cette voix si intense, dont l’énergie se propage à travers les douze chansons de ce vibrant et passionné « After Dark Hour », qui vous saisit pour ne plus vous lâcher. 

Entouré par des musiciens et des choristes chez qui le groove est une seconde nature, INA FORSMAN s’envole dans des sphères où la légèreté côtoie la résilience. Sa puissance vocale est électrisante et les arrangements très subtils, l’équilibre entre cuivres feutrés, tempos sobres et envoûtants, cordes et une guitare discrète, tout comme l’indispensable orgue, rendent ce nouvel opus d’une incroyable authenticité. Sensible, habitée et jouant avec beaucoup de finesse de son timbre rauque, la Scandinave semble suspendue dans un espace-temps chaleureux et délicat. Un disque qui s’écoute en boucle !   

Photo : Michael Bleu