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Dark Blues Desert Rock

Jaye Jayle : cathartique

Malgré la pénombre dans laquelle nous plonge JAYE JAYLE avec « Don’t Let Your Love Life Get You Down », il en émane cependant une certaine lueur, comme une note d’espoir. Sur des sonorités empruntées au Blues, au Desert Rock et avec une touche Indie, le songwriter Evan Patterson se livre avec émotion dans un opus tourmenté.

JAYE JAYLE

« Don’t Let Your Love Life Get You Down »

(Pelagic Records)

Chaque production de Pelagic Records réserve son lot de surprises et n’étant pas spécialement adepte des différentes formations d’Evan Patterson (Young Widows, Total Concrete), la qualité des sorties du label allemand m’a convaincu de poser les oreilles sur le quatrième album solo de l’artiste sous l’entité JAYE JAYLE. Et ne connaissant pas non plus ses précédentes réalisations, c’est une sorte de saut dans l’inconnu… enfin, pas tout à fait, non plus.

Dès le très Doorsien « Warm Blood And Honey » qui ouvre l’album, j’avoue avoir été séduit par le climat et l’ambiance du morceau. Et la suite est toute aussi intéressante. Si l’on pense tout de suite au regretté Mark Lanegan, JAYE JAYLE ne prend pourtant aucun parti-parti. Au contraire, il pioche autant dans le Desert Rock, le Psych Rock que dans le Dark Blues, mais sans y plonger véritablement. C’est là aussi peut-être toute sa force.

Lancinant et introspectif, « Don’t Let Your Love Life Get You Down » est une partition très personnelle de la part du chanteur et guitariste du Kentucky, qui joue énormément sur les atmosphères tout en livrant des textes bien ciselés. Si l’ambiance est assez feutrée, la noirceur qui l’accompagne ne manque pas de poésie (« The Part Of Redemption », « That Snake Bite », « Tell Me Live », « The Florist »). L’univers de JAYE JAYLE est saisissant et demande aussi plusieurs écoutes.

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Metal Progressif Post-Metal

The Ocean : geologic race

Chaque album de THE OCEAN est un nouveau voyage musical dans lequel on prend le large sans savoir vraiment comment se passera la traversée. Et la donne est la même avec « Holocene », qui nous plonge dans des temps immémoriaux, tout en portant cependant la marque d’une modernité très cyclonique. Inévitable… encore ! Entre Post et Progressive Metal, les Allemands se distinguent à nouveau.

THE OCEAN

« Holocene »

(Pelagic Records)

Toujours aussi imprévisible et insaisissable, THE OCEAN poursuit sa quête et son périple dans le Quaternaire avec un focus cette fois sur sa dernière période, « Holocene ». Et la suite du très bon diptyque, « Phanerozoic I & II » (2018 – 2020) s’avère toute aussi surprenante et envoûtante. Elaborés autour des claviers de Peter Voigtman, ces nouveaux morceaux ne manquent ni d’audace, ni de créativité. Et malgré les changements de line-up, les Berlinois fascinent toujours autant.

Cependant, le collectif est stable depuis 2018 maintenant et il faut avouer que cela s’en ressent dans l’écriture, mais aussi dans l’interprétation de « Holocene ». D’ailleurs, à y regarder de plus près, comment pourrait-il en être autrement tant la discographie de THE OCEAN est d’une qualité si régulière ? Ce dixième album s’inscrit ainssi dans son solide ADN et ce Metal progressif teinté de post-Metal est transcendé par des passages Sludge renversants et d’une fureur très sauvage.

Assez froid de prime abord, « Holocene » ne met pas longtemps à vous embarquer à travers des sonorités jouant sur la texture et les variations instrumentales (« Boreal », « Seed Of Reeds »). Massif (« Subboreal ») et véritablement frénétique avec le soutien de la chanteuse d’Årabrot (« Unconformities »), THE OCEAN déroute encore et ce malgré une unité artistique permanente. Quant à son chanteur, Loic Rossetti, il se montre aussi flottant qu’imperturbable quand il monte au front. D’un esthétisme raffiné et puissant.  

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Post-Metal

Psychonaut : réalité augmentée

Epique, sensible et hargneux, le post-Metal de PSYCHONAUT prend toute sa dimension sur ce très attendu deuxième album. Grâce à une production lumineuse, le trio belge déploie des morceaux dévastateurs et poignants que quelques invités viennent enrichir un peu plus. Explosif et très soigné, « Violate Consensus Reality » se pose déjà comme l’album charnière du combo.

PSYCHONAUT

« Violate Consensus Reality »

(Pelagic Records)

A chaque nouvelle réalisation, PSYCHONAUT conforte les fondations de son édifice musical à l’œuvre depuis «  Unfold The God Man » (2019). Dense et complexe, ce nouvel album du trio va encore plus loin et, animé par un propos spirituel et philosophique, développe un post-Metal traversant des émotions très variées qui peuvent être aussi douces que d’une extrême violence sonore.

Avançant comme un seul homme, Stefan De Graef (guitare, chant), Thomas Michiels (basse, chant) et Harms Peter (batterie) ont fait de PSYCHONAUT une machine parfaitement huilée et techniquement redoutable. Très groove et incisif, « Violate Consensus Reality » témoigne aussi de la facilité des Belges à changer d’atmosphères et à multiplier les climats au fil des morceaux.

Bardé de riffs tranchants et d’une rythmique aussi musclée qu’insaisissable, ce deuxième album souffle le chaud et le froid, installe le calme avant la tempête et surtout évite soigneusement les répétitions. PSYCHONAUT surprend pour surgir là où on ne l’attend pas en restant d’une efficacité de chaque instant (« A Storm Approaching », « Hope », « Interbeing » et l’excellent morceau-titre). Herculéen !

Photo : Gert Stockmans
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post-Rock

Mono : sonder les âmes

Une fois encore, ce nouvel album des Japonais de MONO colle parfaitement à son époque. L’emblématique quatuor nippon de post-Rock expérimental se fait aussi aérien qu’oppressant en maintenant une dynamique très créative faite de murmures et de déflagrations sonores. Un voyage saisissant.

MONO

« Pilgrimage Of The Soul »

(Pelagic Records)

Depuis un peu plus de deux décennies maintenant, MONO sort des albums aussi étonnants les uns que les autres en repoussant toujours plus loin l’expérimentation à travers un post-Rock inventif et original. Et avec « Pilgrimage Of The Soul », le quatuor de Tokyo parvient encore à se renouveler, de belle manière et bien sûr de façon instrumentale.

Ce onzième album, MONO l’a enregistré durant l’été 2020 au plus fort de la pandémie et, malgré tout, le groupe et le producteur Steve Albini ont fait un véritable travail d’orfèvre sur ce nouvel opus, qui approche d’ailleurs l’heure d’écoute. Dès « Riptide », on est pris au jeu de ce post-Rock hypnotique et très électrique (« To See A World », « The Auguries »).

Avec un synthé et des guitares omniprésents, les Japonais ne dévient pas de leur démarche, mais livrent cependant un album moins obscur et plus rythmé qu’à l’habitude. Fluide et limpide, le champ musical de MONO est toujours aussi vaste et se révèle d’une splendeur unique. Le quatuor transcende les atmosphères et les ambiances avec une grande habileté.

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France Metal Progressif Rock

LizZard : pertinent et protéiforme [Interview]

A la fois Metal et Rock, Psyché et Progressif, les Français de  LIZZARD ont trouvé leur formule : un subtil mélange très personnel, très construit et organique. C’est en Allemagne que le groupe est allé enregistrer son quatrième album, sorti en février dernier, et il en ressort un « Eroded » solide, massif mais également aérien et atmosphérique. Retour avec William Knox, bassiste du combo, sur ce nouvel opus et sur la démarche artistique de ce trio atypique.

– « Eroded », votre quatrième album, est sorti en février dernier et il montre encore une belle évolution dans votre musique. Tout d’abord, j’aimerais qu’on revienne sur votre passage de Klonosphere à Pelagic Records. Qu’est-ce qui vous a motivé et comment cela s’est-il passé ?

En Europe, il n’y en a pas tant que ça de labels qui évoluent dans le style qu’on fait, alors on a vite fait le tour en termes de choix. A partir de là, c’est l’envie de toucher un public plus large, tout simplement, qui nous a fait signer chez Pelagic Records. Ils ont une bonne réputation et collent à ce qu’on fait que ce soit musicalement ou esthétiquement. On avait déjà été en contact avec eux sur une tournée fin 2019, et le courant est bien passé, alors c’était assez logique pour nous de vouloir faire un bout de chemin avec eux !

– A la sortie de l’album, vous avez déclaré que ce nouvel opus était un message d’espoir pour avancer vers des destinations plus lumineuses. Pourtant, vous vous êtes imposés un confinement d’un mois en studio à Berlin avant même la pandémie. En plus d’être paradoxal,  c’est assez prémonitoire, non ?

Oui ! Après bien sûr, il y a une différence entre se confiner par choix pour des raisons de tranquillité, qui nous ont permis de se concentrer et de se mettre dans l’ambiance de l’album, et le vrai confinement qu’on a tous connu par la suite. Mais le thème de l’album était prémonitoire, c’est assez clair maintenant avec le recul. Le message qu’on a voulu faire passer que ce soit dans les textes, ou également par la musique et ses ambiances, sur « Eroded » on savait (comme beaucoup le savent) qu’on va droit dans le mur pour ce qui est de l’espèce humaine et du bien-être de la planète toute entière, ce n’est pas nouveau. Mais il s’avère que les conséquences arrivent de plus en plus vite, en boule de neige, alors à nous tous de réagir avant que ce ne soit trop tard. Mais on reste quand même sur l’idée qu’il n’est jamais vraiment trop tard, et de là né l’idée de lumière au bout du tunnel, c’est quand tout va très mal que les gens finissent par réagir seulement. On y est.

– Il y a toujours cette incroyable unité et complicité au sein de LIZZARD et cela s’entend  vraiment. En 15 ans, le line-up n’a pas bougé, ce qui est d’ailleurs toujours étonnant pour un groupe. C’est de là que vous puisez cette force créatrice ?

On se connait forcément très bien maintenant, humainement puis de manière créative, on sait ce qui fonctionne, ce qui fonctionne moins, et ça nous permet d’aller droit au but. L’alchimie entre les membres est toujours beaucoup plus important qu’on le croit dans n’importe quel groupe, et quand on a la chance d’en arriver à faire quelque chose d’harmonieux et abouti il faut le saisir, ne pas le gâcher. Pour l’instant on a toujours tous les trois la même motivation qu’au départ du groupe, alors tant que c’est là : on ne lâche rien ! Certainement qu’un jour ça changera, ou ça évoluera, mais aujourd’hui on n’y pense même pas.

Photo : Audrey Saint-Marc

– Musicalement et même si vous restez toujours aussi pêchus et incisifs, « Eroded » montre un visage plus atmosphérique et protéiforme, tout en étant éthéré et chaleureux dans le son. Là encore, LIZZARD a évolué et reste assez insaisissable. Malgré tout, vous semblez ne faire aucun compromis. Comment se passe le processus d’écriture au sein du trio ?

Au tout début du groupe, à l’époque de notre démo « La Criée » et du premier EP « Vénus », on avait déjà ce côté atmosphérique, mais qui était plutôt mis en avant. On construisait autour de thèmes aérés avant d’arriver sur bosser des structures plus bétons et en faire des morceaux. Donc à partir de jams ambiants, on travaillait et on arrivait au final avec quelque chose de moins structuré qu’aujourd’hui. Sur « Out Of Reach » et « Majestic », c’était plutôt le contraire, béton d’abord sans trop de passages psyché. Au fur et à mesure des années, on a un peu inversé ou plutôt équilibré notre méthode sans trop y faire gaffe, et maintenant sur « Shift » et « Eroded » je dirais que les morceaux sont construits autour de riffs de guitare, avec des déclinaisons de passage ambiants, qui servent à la fois aux morceaux et à l’album dans son ensemble. Et ça donne ce que tu décris dans ta question. La plupart des riffs sont composés par Mat à la guitare acoustique, et on se rejoint tous les trois en répète à l’ancienne pour en faire des morceaux.

– « Eroded » se distingue aussi par cette séparation entre une première partie musclée et une seconde plus épurée et même délicate. Pourtant, l’unité entre les morceaux est évidente. Pourquoi avez-vous scindé l’album de cette manière et d’où est venue l’idée ?

Tout simplement parce qu’on pense à la fois au format vinyle qu’au format numérique, et qu’on a envie que l’auditeur puisse écouter la face A et la face B comme deux ‘minis albums’ qui sont autosuffisants. Deux visions du même thème. C’est important pour nous d’emmener l’auditeur quelque part, sans qu’il s’ennuie ou s’endorme sur la route, que ce soit en concert ou sur album. C’est donc toujours un challenge pour trouver l’ordre des morceaux qui va bien, qui marche à la fois pour une écoute intégrale, et en même temps si on écoute une seule face du vinyle. On peut aussi écouter la face B avant s’enchainer sur le face A, ça fonctionne aussi ! Mais c’est différent.

– Au-delà d’un jeu chirurgical et très organique, la production signée Peter Junge rend vos morceaux très généreux et très énergiques. Avez-vous étroitement collaboré ou au contraire lui avez-vous laissé carte blanche ?   

Je pense qu’on est assez difficile en termes de peaufinage, mais en même temps un producteur trouve ça plus facile quand il bosse avec des artistes qui savent exactement ce qu’ils veulent et ce qu’ils cherchent. Après trois albums, je pense qu’on en est là, on sait ce qu’on veut, et surtout ce qu’on ne veut pas. Donc il n’a pas carte blanche, mais on est toujours ouvert à des idées de prod’ : on est surtout à la recherche d’énergie, et une ressentie de performance, plutôt qu’une répétition. Et ce n’est pas si facile à faire pour rendre un mix à la fois dynamique et vivant, mais moderne et léché en même temps. Je pense que c’est la force de Peter sur cet album, il a su garder le côté live sans faire de compromis sur la pertinence de la production. Mais après on n’est jamais satisfait à 100% de notre travail, et on sait déjà ce qu’on a envie de changer pour le prochain !

– Pour conclure, comment définissez-vous le style de LIZZARD qui, là encore, est très contrasté ? Power Rock, Metal Progressif, avant-gardiste, psychédélique ?

Pour définir un style on est plus ou moins obligé d’utiliser beaucoup de mots, et en même temps plus on définit, plus on s’éloigne quelque part de ce qu’est la musique, c’est-à-dire l’unicité d’un groupe de zique. On se considère comme un power trio, quelque part à mi-chemin entre le Rock et le Metal, avec un côté Prog et un côté Psyché. Voilà, j’espère que tout le monde sera d’accord ! Mais certainement que tout le monde aura un avis différent !

« Eroded », l’album de LIZZARD, est disponible depuis le 19 février chez Pelagic Records

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Extrême France Metal

C R O W N : repousser encore et toujours les limites [Interview]

Stéphane Azam et David Husser, alias C R O W N, viennent de livrer un troisième album où ils se sont tout autorisés, quitte à déboussoler un peu leur public de base. Mais avec le duo de Colmar, garder des œillères : c’est déjà faire fausse route. « The End Of All Thing » va encore plus loin dans l’imaginaire sombre et expérimental du combo. Musicalement, la grande expérience des protagonistes leur permet à peu près tout, et ce nouvel opus est d’une richesse incroyable. Rencontre avec ces deux sorciers du son, qui font de C R O W N ce groupe si atypique de la scène hexagonale.   

Photo : Jenn Brachet

– « The End Of All Thing » sort 6 ans après « Natron », dont il est étonnamment différent. Toutes ces années ont été nécessaires pour parvenir à une certaine maturité des nouveaux morceaux, ou est-ce que ce sont d’autres projets qui vous ont occupé ?

Stéphane : Professionnellement en tant qu’ingénieur du son, je fais des tournées aussi à l’international notamment avec Alcest. Et depuis 2015, j’ai été très occupé, mais j’avais déjà commencé à bosser sur les démos fin 2017. Et puis, ça n’a pas été toujours simple de se voir avec David. C’est venu s’ajouter à la durée du processus de composition.

David : Il faut aussi savoir que l’album est prêt depuis un an et demi déjà. On a du le reporter pour des raisons évidentes. Au final, ça n’a pas pris autant de temps que ça.

– Avant de parler de l’album en lui-même, j’aimerais qu’on parle de la production qui est exceptionnelle. Comment avez-vous travaillé et comment vous êtes-vous réparti les taches étant donné votre expérience d’ingénieur du son ?

David : C’est mon job et j’ai fait une quantité d’albums en tant que producteur. J’avais déjà mixé « Natron » que j’avais récupéré sur la fin, car Stéphane sentait qu’il y avait besoin d’un petit coup de boost. J’y ai ajouté quelques programmations, de la basse ce qui était inédit chez nous et surtout j’avais remarqué que c’était mortel lorsqu’il chantait. Du coup, je l’ai poussé dans ce sens. Il a aussi composé l’intégralité de l’album et je suis assez peu intervenu en dehors de quelques riffs et arrangements. Je me suis vraiment concentré sur la prod’ en poussant aussi le truc un peu plus loin.

– Au-delà de ça, j’imagine que ce doit être un plaisir pour vous de produire vos propres compos et de pouvoir y apporter une touche très personnelle sans contraintes extérieures ?

David : Evidemment ! Je fais de la prod’ depuis une trentaine d’années maintenant, et depuis que j’ai un studio chez moi : ça change la vie ! Je ne calcule plus les jours de studio dont j’ai besoin. C’est fantastique de pouvoir travailler comme tu l’entends, et pour qui que ce soit d’ailleurs. C’est aussi lié à l’évolution de la technologie. Aujourd’hui, tu n’es plus obligé d’investir deux millions d’Euro dans un studio pour avoir un truc qui tienne la route.

– Justement, et après on parle musique, est-ce que vous avez pu expérimenter ou mettre des choses en place au niveau de la production que vous n’aviez pas eu l’occasion jusqu’à présent ?

David : J’ai repris pas mal de choses que je faisais à la fin des années 90/début 2000, où j’expérimentais beaucoup. J’avais eu l’impression d’être arrivé au bout de ce que je pouvais faire à la guitare dans ce contexte-là. Là, j’ai repris en quelque sorte les choses des années plus tard, et là où je les avais laissé. Il y avait encore des choses à dire au niveau guitare/synthé, par exemple, et aussi dans l’utilisation et même l’abus de certains effets et certaines techniques de guitare qui sont assez loin de ce qui se fait conventionnellement. Après, beaucoup de choses sont parties à la poubelle, mais c’était le bon terreau pour planter ce genre de graines. (Rires)

Photo : Jenn Brachet

– « The End Of All Thing » sonne vraiment différemment de vos deux derniers albums notamment. Je sais bien que tous les groupes disent qu’ils n’aiment pas refaire le même album (et pourtant !), mais là vous faites le grand écart. Ca s’est fait sur un coup de tête, ou c’est une chose à laquelle vous réfléchissez depuis longtemps ?

Stéphane : C’est venu très naturellement en fait. Au départ, je voulais faire quelque chose de beaucoup plus extrême et surtout ne pas faire la même chose. Je me suis laissé aller en essayant  de dégager quelque chose d’émotionnel, qui pourrait aussi toucher les gens.

– Est-ce qu’avec un virage aussi radical, vous n’avez pas peur de perdre du monde en route ? A moins que le but soit justement d’élargir votre audience ?

David : On n’a pas du tout réfléchi comme ça. Tu sais, les coups de tête, ça n’existe pas vraiment dans le monde musical. Ou alors, un coup de tête qui dure un après-midi et deux jours après, tu te reprends. C’est toujours un petit peu réfléchi. Jusqu’ici, les retours sont très positifs, alors que je m’attendais à beaucoup d’insatisfactions. Quand je vois ce que certains prennent dans la gueule, juste parce qu’ils ont baissé un peu les guitares, alors que c’est le même groupe ! Je me demandais un peu à quoi on aurait le droit avec C R O W N !

Stéphane : Et puis, sur la dernière tournée par exemple, le public était composé de gens de 20 ans à la cinquantaine et plus, et donc assez ouverts. Avec une bonne ouverture d’esprit, ça ne pose pas de problème. Ce n’est pas quelque chose qui m’inquiète plus que ça. Et on a toujours ce côté sombre dans notre musique.

David : De toute façon, on a fait ce qu’on avait envie de faire et surtout du mieux qu’on a pu. C’est vraiment ça qui nous a drivé. Et puis, si à la fin de la journée, tu n’es pas un peu meilleur que la veille, c’est que tu ne l’as pas réussi ! Aujourd’hui, les choses ont quand même beaucoup évolué et c’est nettement plus ouvert malgré tout.

– En plus de vous présenter avec un son plus synthétique et donc moins organique ou analogique, c’est selon, il y a aussi un changement important sur la voix. C’est définitivement celle de C R O W N qu’on entend sur ce nouvel album ?

Stéphane : Pour celui-là en tout cas, oui ! (Rires) Pour les prochains, il y aura de toute façon de la voix claire, parce que cela me plait beaucoup et des voix hurlées aussi. Il n’y a pas vraiment de plans, c’est une question de ressenti. Mais pour le côté organique, avant il n’y avait que des machines alors que là, il y a une vraie batterie, par exemple. On a essayé de mélanger ce côté batterie naturelle avec des machines. Après, elles ont été retraitées, mais il en ressort un aspect plus dynamique et plus vivant aussi.

David : On a enregistré un vrai batteur et on l’a fait sonner comme une boîte à rythme, tu as tout à fait raison. Je pense d’ailleurs que si nous avions eu un peu plus de temps, j’aurais probablement refait la batterie pour l’avoir encore plus naturelle. Entre le moment où on a commencé et celui où on a fini, on a tellement dénaturé les choses, on s’est tellement éloigné de ce qui avait été fait à la base. Ca va pouvoir paraître un peu grossier, mais j’avais presqu’envie d’un côté Hip-Hop au sens noble du terme, c’est-à-dire un son très sec et au premier plan, un peu médium et dur. C’est comme ça que je l’entendais. C’est vrai que quelque part, c’est très synthétique, mais paradoxalement, c’est peut-être l’album le plus organique de C R O W N.

Photo : Jenn Brachet

– Et contrairement aux autres albums, on ne retrouve que la chanteuse Karin Parks d’Årabrot. Comment s’est porté votre choix, alors que d’habitude, on compte beaucoup plus de guests sur vos albums ? 

David : Lorsque j’ai mixé l’album d’avant, c’est vraiment ce que j’avais préféré. La voix de Stéphane en clair est très réussie mélodiquement. Et c’est donc la première chose que je lui ai proposé : de s’occuper de la partie vocale tout seul, ou presque. C’est aussi une histoire de cohésion et surtout, c’est parce que je savais qu’il y avait quelque chose à creuser de ce côté-là. C’était peut-être du à une certaine timidité ou un manque de confiance de sa part, mais je pensais qu’il fallait le pousser dans ce sens. Il méritait d’être soutenu dans cette voie. J’étais persuadé que Stéphane pouvait tenir la voix sur tout l’album sans forcément gueuler, et ça a même profité aux morceaux.  

– Enfin, l’album est très prenant et laisse place à l’imaginaire où se bousculent beaucoup d’images. C’est quelque chose à laquelle vous pensez déjà pour la scène ?

Stéphane : On utilise déjà des vidéos sur scène. Mais c’est vrai que les nouveaux morceaux en eux-mêmes sont assez cinématiques. Nous avons récemment réalisé un Live Stream avec un fond Led, et c’est effectivement quelque chose à renouveler et qui apporterait une dimension supplémentaire à la musique aussi.

David : Il y a un côté onirique évident, c’est sûr. Mais, par exemple, lorsque Pink Floyd a fait « The Wall » et qu’il y a eu le film après, plusieurs membres du groupe, y compris le producteur, ont dit qu’ils n’aimaient pas du tout le film. Il imposait des images au public, alors que l’album laissait libre-court à une tonne d’interprétations différentes. Dans notre musique, on ne réfléchit pas à la façon dont les gens vont pouvoir interpréter les choses. En revanche, ce que je peux te dire, c’est que très souvent le public a une vision bien plus radicale, et plus intéressante même, que l’artiste quand ils interprètent eux-mêmes les choses. J’adore vraiment discuter avec eux des morceaux qu’ils ont aimé, car je me dis souvent que j’aurais du l’écrire comme ça. C’est toute la beauté de l’esprit humain. On y pense bien sûr et en espérant que ça puisse apporter telle vision ou telle réflexion par la suite.

« The End Of All Things » est disponible depuis le 16 avril chez Pelagic Records

Retrouvez également CROWN sur Facebook et notamment le Stream Live bientôt en ligne !

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