Catégories
Extrême Progressif

Tassi : épopée orientale

Le leader du groupe de post-Black Metal/Folk bouddhiste chinois Bliss-Illusion livre un copieux et généreux double-album solo sous le nom de TASSI. Avec « Northland I & II », Dryad nous emmène en voyage dans une atmosphère douce et progressive où quelques fulgurances extrêmes viennent se nicher. Original et créatif, ce double concept-album conjugue poésie et explosion métallique.

TASSI

« Northland I & II »

(Anesthetize Productions)

On commence doucement à s’intéresser et à connaître le Metal chinois et ce n’est pas vraiment un hasard. L’Empire du Milieu regorge de très bonnes formations comme Bliss-Illusion, et c’est précisément du double-album de son leader Dryad dont il est question. Avec TASSI, c’est en solo qu’évolue cette fois le musicien qui entièrement composé et réalisé « Northland I & II » dans une nouvelle version.

Initialement sorti en Chine séparément, c’est donc sous une nouvelle mouture que le chanteur et multi-instrumentiste présente ce concept-album où ésotérisme, religion et Black Metal font bon ménage. Inspiré par son propre recueil de nouvelles et de poésie, Dryad a conçu TASSI et ces deux albums autour d’une histoire basée sur la quête de son héro du même nom pour retrouver son amante.

Entre post-Black, Blackgaze et Folk Progressive, on navigue dans une ambiance à la fois brutale et sereine. Très atmosphérique, « Northland I & II » évolue dans un climat aussi acoustique qu’électrique, dans lequel le chant de Dryad passe du clair au growl et à des passages parlés avec une belle fluidité. TASSI avance dans le clair obscure où les ambiances et les genres ne font qu’un. Un beau voyage cosmique au cœur de la culture chinoise.

Retrouvez TASSI en interview dans les prochains jours.

Catégories
Extrême France Metal Progressif

Dirge : entre testament et héritage [Interview]

Créé en 1994, DIRGE a écumé pendant 25 ans les scènes françaises et internationales jusqu’à sa dissolution il y a deux ans. Tout d’abord dans un registre Metal Indus puis en évoluant vers un post-Metal atmosphérique et progressif, le groupe aura marqué de son empreinte la scène hexagonale et laisse un bel héritage en ayant ouvert de très nombreuses portes à la scène actuelle. Alain B. (batterie) et Stéphane L. (guitare, chant, samples) reviennent sur ce parcours et présentent « Vanishing Point », compilation testamentaire et inédite sortie le 26 mars dernier.

Photo : Stéphane Burlot

– J’aimerais tout d’abord qu’on revienne en 1994 à la création du groupe, une époque où le Metal Indus, notamment en France, était assez marginale malgré des groupes comme Treponem Pal et vous. Aviez-vous le sentiment d’être au début de quelque chose sur la scène hexagonale ?

Stéphane L. : Pour être honnête, Treponem Pal était là depuis bien longtemps quand le groupe s’est formé et ils avaient déjà une certaine notoriété (C’est vrai ! – NDR). Les premières démos de DIRGE, sorties au milieu des 90’s s’inscrivaient certes dans une tendance à la fusion machines/guitare, très inspirées par des groupes anglais comme Scorn ou Godflesh, sauf que ce Metal Industriel, qui comme tu le rappelles restait peu développé ici, me semblait alors, avec le recul, déjà sur le déclin. Donc, je n’ai pas le sentiment que DIRGE ait été au début de quoi que ce soit par rapport à ce style en France. C’est plutôt en développant une facette plus viscérale et atmosphérique à la fin de la décennie que le groupe s’est retrouvé, sans le savoir, à l’avant-garde de quelque chose de nouveau. Et pour le coup, pas seulement en France. Sauf qu’on était évidemment loin de parler de post-Metal ou je-ne-sais-trop-quoi à l’époque. Il me semble qu’il n’y avait alors guère qu’Isis, Breach et nous pour trouver un intérêt dans l’héritage sonique de Neurosis.

– Après plusieurs changements de line-up avant 2001, DIRGE a ensuite pris un virage plus atmosphérique avec des morceaux plus longs et beaucoup plus d’expérimentations sonores. Quel était votre leitmotiv à ce moment-là ?

SL. : Je ne sais pas si on peut parler de leitmotiv… Disons qu’on ne voulait se fixer aucune limite en termes d’expérimentations. C’était une tendance tacite entre nous tous, une envie commune et logique.

Alain B. : Le truc c’est qu’à partir de 1999 et mon arrivée à la batterie et celle de Zomber aux samples, le groupe est parti dans quelque chose de beaucoup plus organique et naturel. Le côté machine a ainsi commencé à s’estomper au profit d’une approche plus humaine. L’arrivée de Stéphane en 2001 n’a fait qu’amplifier cette mutation.

SL. : Avoir un véritable batteur en lieu et place d’une boîte à rythme et un mec qui joue les samples en direct a logiquement influé sur la forme de la musique, notamment en explosant le carcan imposé par les programmations et les BPM (qui constituaient paradoxalement l’ADN du DIRGE d’origine). L’abandon de cette rigidité électronique nous a d’un coup laissé beaucoup plus de liberté pour expérimenter, tester, en particulier en étirant les rythmes et les riffs et en jouant sur les répétitions et les durées. Il y a aussi eu tout un travail de recherche sur le volume sonore, le grain et les textures des amplis, un ré-accordage pour renforcer les basses et générer les vibrations les plus telluriques qui soient. Et en contrepoint de ces partis-pris de lourdeur et de puissance, on a aussi voulu introduire une véritable approche progressive et atmosphérique, pour mettre un peu d’air dans tout ce magma. Bref, on s’est retrouvé en 2001/2002 à l’orée d’un champ d’expérimentation incroyablement étendu. Tout cela a débouché sur de longues sessions d’impros pendant les répétitions, qui ont fini par devenir le corps de notre troisième album « And Shall The Sky Descend ».

– « Wings Of Lead Over Dormant Seas », votre quatrième album, a aussi marqué un tournant et une évolution dans le style de DIRGE. L’idée, là encore, était de toujours expérimenter et d’explorer de nouveaux espaces musicaux ?

AB. : On avait une idée bien précise avec « Wings Of Lead… », on voulait enregistrer tout l’album en live, avec le moins de prises possibles, afin de retranscrire au mieux les émotions. On voulait faire les choses naturellement. On a du coup énormément travaillé en amont pour traduire au mieux cette envie.

SL. : Pouvoir jouer et enregistrer d’une traite de si longs morceaux, aux structures labyrinthiques, passait évidemment par une longue préparation d’avant-studio. Apprivoiser et retranscrire au mieux les sessions d’improvisation a peut-être été le plus gros challenge. On savait que les nouveaux titres seraient encore une fois très longs et progressifs, mais il n’était pas questions pour autant d’étirer les choses gratuitement, juste pour le plaisir d’être monolithique. On voulait que tous les éléments, même les plus extrêmes (les tempos, les durées, les sons parasites, les larsens, etc) soient pertinents et servent notre vision de l’époque. Les morceaux ont dans leur majorité été profilés pour être enregistrés live et donc retranscriptibles comme tel une fois sur scène. C’est un disque qui a été fait avec très peu d’artifices studio.

AB. : Quant à l’évolution du style, je crois qu’on ne l’a absolument pas calculé, le processus de création a toujours été un peu le même entre nous.

Le visuel original (146×170 cm), « Ouverture» , par Axël Kriloffv et l’album…

– DIRGE a réellement pris son envol avec « Elysian Magnetic Fields » et « Hyperion », qui vous ont valu une belle reconnaissance et un statut de leader de la scène Indus française. Les années 2010 étaient-elles, selon toi, les meilleures du groupe ?

AB. : Disons surtout que 2011 a été le début de nombreux concerts dans toute l’Europe, avec deux tournées par an. Alors les conditions n’étaient pas simples, mais au final cela a été le début d’une super aventure. On y a noué de nombreux contacts.

SL. : C’est effectivement la période pendant laquelle le groupe a le plus existé en live, en particulier à l’étranger. Avec donc tout ce qui va avec : rencontres, découvertes de nouveaux pays, bons souvenirs et expérience douloureuses, bref, tout ce qui fait la vie d’un groupe en tournée. On est aussi devenu logiquement bien meilleurs sur scène. Et surtout, ce sont des années qui nous ont enfin permis de mieux diffuser notre musique et de toucher plus de gens. Donc pour moi, c’était de loin la meilleure période pour DIRGE. Et les trois albums sortis entre 2011 et 2018 restent mes préférés.

– Pourtant en mars 2019, il n’y a pas si longtemps, vous annoncez la fin du groupe. Qu’est-ce qui a mené à une telle décision ? Vous aviez chacun envie de vous investir dans d’autres projets ?

AB. : Tu sais, le groupe a été créé en 1994 et au bout d’un moment, tu as aussi envie d’avoir une autre reconnaissance, de monter des tournées plus facilement et de jouer dans de meilleures conditions.

SL. : Et comme rien de changeait, qu’on continuait de galérer pour monter les tournées, de s’épuiser sur la route, de dormir par terre et de perdre de la thune, on a compris que rien ne changerait, même avec un nouvel album (« Lost Empyrean »), dont on était pourtant super fier.

AB. : Du coup au bout plus de 20 ans, tu te dis effectivement que tu as fait le tour, et qu’il faut passer à autre chose. Après, au vu des très bons retours qui ont suivi « Lost Empyrean », on aurait bien un peu plus défendu l’album sur scène, mais bon c’est comme ça !

SL. : Le manque de reconnaissance et les galères on en outre fatalement abîmé l’équilibre au sein du groupe où tout commençait à devenir vraiment compliqué. On a donc décidé de terminer l’écriture et l’enregistrement de « Lost Empyrean », de tourner une dernière fois avant sa sortie, d’assurer la promo puis de saborder le groupe juste après. On a préféré arrêter tant que nous étions encore créatifs et pertinents, plutôt que de sortir le disque de trop. Histoire d’arrêter en étant honnête et au clair avec nous-mêmes. Mais il y a beaucoup de regrets et d’incompréhension, c’est sûr.

Photo : Stéphane Burlot

– Aujourd’hui, vous sortez le conséquent et très dense « Vanishing Point » qui regroupe surtout des versions inédites et live. Tout d’abord, qu’est-ce qui vous a motivé à sortir cette compilation testamentaire ? C’est pour mettre un point final à l’aventure ?

SL. : En fait, on voulait juste regrouper sur un même disque (trois au final), les inédits et les raretés qui nous semblaient importants dans l’histoire et la chronologie du groupe. Sachant que 90% de ce qui constitue « Vanishing Point » est soit inédit, soit totalement devenu introuvable, il y a derrière ce projet une dimension exhaustive et définitive qui nous semblait nécessaire pour effectivement mettre un point final à l’aventure.

AB. : Cela faisait un bout de temps qu’avec Stéphane, nous avions envie de faire enfin paraître certains inédits, de ressortir quelques raretés, de remasteriser certains titres et de les rassembler dans une compilation. Donc, cela nous a pris une bonne année pour faire le tri, retrouver les morceaux, s’arrêter sur une set-list et entreprendre toute la partie restauration et mix.

– Ces trois CD passent en revue tous les lines-up et les albums de DIRGE et vous avez confié ce travail de « restauration » au talentueux Raphaël Bovey. Comment cela s’est-il passé et comment avez-vous défini le choix des titres et des versions ?

AB. : Après le super travail de Raphaël sur « Lost Empyrean », il nous semblait évident que cet énorme boulot de mix, de nettoyage, d’harmonisation et de mastering lui revienne ! C’est d’ailleurs grâce à lui qu’il y a ce troisième CD ; son travail de restauration et de mix sur le live de 2005 nous a tellement bluffé qu’on a décidé de compléter « Vanishing Point » avec ces titres, ce qui permettait ainsi d’ajouter la dimension scénique qui manquait à la compil.

SL. : On avait besoin de quelqu’un de très compétent bien sûr, mais aussi qui connaisse bien notre musique, en qui on avait toute confiance et avec qui il serait très facile de bosser et de communiquer. Le choix était donc évident. Raph a vraiment eu un rôle décisif dans ce projet, tant il a su homogénéiser ces 25 ans de musiques, de sources et de productions parfois très différentes pour en faire un tout très cohérent.

– Après 25 ans d’une carrière très créative menée tambours battants, quelle image et quelle empreinte pensez-vous et aimeriez-vous laisser au public ? Et qu’avez-vous à dire à celles et ceux qui vont vous découvrir avec « Vanishing Point » ?

AB. : On aimerait laisser une image de sincérité. On a toujours fait les choses le mieux possible, joué avec la même intensité dans une salle vide ou dans une salle pleine ! On aime partager ce que l’on ressent, ce que l’on crée avec les gens qui nous suivent depuis longtemps, comme avec ceux qui nous découvrent.

– Enfin, il faut bien que je vous pose la question qui brûle toutes les lèvres : a-t-on une chance de revoir un jour DIRGE sur scène ou avec un nouvel album ?

AB. : Franchement, non je ne pense pas.

SL. : En tous cas, pas avec un nouvel album, ça c’est certain.

« Vanishing Point » est disponible depuis le 26 mars chez Blight Records et Division Records.

Bandcamp : http://dirgeparis.bandcamp.com

Facebook : https://www.facebook.com/DIRGE.fr

Catégories
Extrême Progressif

Moonspell : coupé du monde

Moins baroque et théâtral que sur leurs derniers albums, les Portugais de MOONSPELL se sont recentrés privilégiant un style moins fouillé et plus direct. Sans pour autant perdre en créativité, les Lusitaniens livrent un « Hermitage », qui leur ressemble beaucoup plus et qui sonne de manière nettement plus authentique. Sans fioriture, le groupe explore aussi un univers très progressif.

MOONSPELL

« Hermitage »

(Napalm Records)

30 ans de carrière et treizième album pour les Portugais de MOONSPELL, qui livrent sans aucun doute l’album le plus complet et le plus abouti de leur discographie. Avec « Hermitage », Fernando Ribeiro et ses hommes ont épuré leur Dark/Gothic Metal pour aller à l’essentiel avec des titres plus bruts que leur simplicité rend nettement plus efficaces. Toujours aussi sombre et mélancolique, l’aspect progressif du groupe prend réellement le dessus.

Atmosphérique et très Rock, ce nouvel album de MOONSPELL est surprenant (dans le bon sens !), tant dans sa diversité rythmique que de par ses ambiances très nuancées (« The Greater Good », « Common Prayers »). Très bien produit, chaque instrument tient une place de choix. Les lignes de basse et les riffs très bien calibrés guident l’ensemble, qui évolue dans un Rock/Metal Progressif aux solos cristallins et aériens, rappelant parfois Porcupine Tree (« All Or Nothing », « Solitarian »).

Avec des claviers très 70’s et un frontman usant à la perfection de son côté conteur, MOONSPELL sait se faire captivant sur près d’une heure, grâce à des morceaux aux crescendos omniprésents (« Hermitage » et « Apophthegmata ». Les Lusitaniens se font très intimistes et libèrent une sorte d’introspection à la fois puissante et très mélodique. On notera également la très bonne reprise de Candlemass, « Darkness In Paradise », qui résume parfaitement l’état d’esprit de l’album.

Catégories
Extrême

Scarred : une ouverture musicale très pertinente

Ces trois ans d’absence semblent avoir été plus que bénéfiques à SCARRED qui revient avec un album éponyme brillant. Reflétant sa nouvelle identité musicale, on observe avec joie la métamorphose du quintet luxembourgeois qui élargit son champ d’action passant du Death Metal à des atmosphères très post-Metal et techniques.

SCARRED

« Scarred »

(Klonosphere/Season Of Mist)

SCARRED fait trembler le Grand-duché du Luxembourg depuis 2003 maintenant, et ce n’est pas ce très bon troisième album éponyme qui va rétablir le calme dans le pays. Toujours rattaché au Death Metal de ses débuts, le quintet semble prendre un virage nettement plus mélodique et atmosphérique, tout en restant très technique. « Scarred » penche très franchement vers un post-Metal qui ne dit pas son nom, et un chant qui présente aussi des surprises, tout en conservant une énergie et une force très présentes.  

La première vue d’ensemble montre un album très structuré avec un intro, une outro et deux interludes, qui posent une ambiance particulière, presque psychédélique et moins brutale qu’un simple album de Death Metal. Artistiquement, SCARRED semble avoir mûri. Les mélodies, tant vocales que dans les guitares et le samples, ont pris le dessus sur l’ensemble des 13 plages de l’album. Naviguant entre growl et scream, le chant a lui aussi évolué pour se faire même carrément clair sur « Petrichor ».

Dès « Mirage », les Luxembourgeois affichent une belle puissance, qui ne faiblit pas par la suite (« Chupacabra »). SCARRED créé la surprise sur le très accessible et mélodique « Merry-Go-Round », où le quintet s’exprime sur un refrain entêtant et des riffs très accrocheurs. Tout en maîtrise, « In Silent Darkness » confirme l’aspect post-Metal et chamanique sur « A.H.A.I.A. », tandis que « Dance Of The Giants » évolue dans un registre proche du Technical Thrash. La belle variété de « Scarred » le rend déjà indispensable.