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Stoner/Desert

High On Wheels : fuzz interplanétaire

Mur du son ou grand écran : HIGH ON WHEELS ne s’est pas longtemps posé la question et, entre deux répliques emblématiques de films vintage et crasseux, balance son Desert/Stoner Rock qui s’écoule avec exubérance sur ce « Fuzzmovies » addictif, fuzz, Psych et compact. Le trio français s’impose avec force et non sans humour.

HIGH ON WHEELS

« Fuzzmovies »

(Klonosphere)

Quelque part entre le Desert de Mojave et une trajectoire spatiale improbable, HIGH ON WHEELS disperse son Desert très Fuzz et Stoner depuis 2014. Après une démo et surtout un premier album remarqué, le trio français se projette dans un univers cinématographique estampillé Grindhouse, dans lequel « Fuzzmovies » occupe une place de choix.

Entrecoupés de samples de films de séries B et surtout Z, ainsi que de nanars iconiques, « Fuzzmovies » nous saute à la gorge tout en promettant de magnifiques envolées psychédéliques (« Blind Your Mind », « Hitman Le Cobra »). Plein d’humour, groovy et Psych, HIGH ON WHEELS balance des riffs bien épais sur des rythmiques lourdes et virevoltantes. Et le voyage ne fait que commencer.

Vocalement aussi, le trio s’amuse en se répondant dans un esprit très 70’s, qui laisse transparaître des influences évidentes issues de la source Desert/Stoner Rock et qui contribuent à peser et à alimenter le combo avec irrévérence et virtuosité. Car derrière un  registre massif et puissant, HIGH ON WHEELS envahit l’espace sonore avec dextérité et créativité (« Last Page », « Thrill Under My Wheels », « In My Head »). Ebouriffant !

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France Metal Progressif Rock

LizZard : pertinent et protéiforme [Interview]

A la fois Metal et Rock, Psyché et Progressif, les Français de  LIZZARD ont trouvé leur formule : un subtil mélange très personnel, très construit et organique. C’est en Allemagne que le groupe est allé enregistrer son quatrième album, sorti en février dernier, et il en ressort un « Eroded » solide, massif mais également aérien et atmosphérique. Retour avec William Knox, bassiste du combo, sur ce nouvel opus et sur la démarche artistique de ce trio atypique.

– « Eroded », votre quatrième album, est sorti en février dernier et il montre encore une belle évolution dans votre musique. Tout d’abord, j’aimerais qu’on revienne sur votre passage de Klonosphere à Pelagic Records. Qu’est-ce qui vous a motivé et comment cela s’est-il passé ?

En Europe, il n’y en a pas tant que ça de labels qui évoluent dans le style qu’on fait, alors on a vite fait le tour en termes de choix. A partir de là, c’est l’envie de toucher un public plus large, tout simplement, qui nous a fait signer chez Pelagic Records. Ils ont une bonne réputation et collent à ce qu’on fait que ce soit musicalement ou esthétiquement. On avait déjà été en contact avec eux sur une tournée fin 2019, et le courant est bien passé, alors c’était assez logique pour nous de vouloir faire un bout de chemin avec eux !

– A la sortie de l’album, vous avez déclaré que ce nouvel opus était un message d’espoir pour avancer vers des destinations plus lumineuses. Pourtant, vous vous êtes imposés un confinement d’un mois en studio à Berlin avant même la pandémie. En plus d’être paradoxal,  c’est assez prémonitoire, non ?

Oui ! Après bien sûr, il y a une différence entre se confiner par choix pour des raisons de tranquillité, qui nous ont permis de se concentrer et de se mettre dans l’ambiance de l’album, et le vrai confinement qu’on a tous connu par la suite. Mais le thème de l’album était prémonitoire, c’est assez clair maintenant avec le recul. Le message qu’on a voulu faire passer que ce soit dans les textes, ou également par la musique et ses ambiances, sur « Eroded » on savait (comme beaucoup le savent) qu’on va droit dans le mur pour ce qui est de l’espèce humaine et du bien-être de la planète toute entière, ce n’est pas nouveau. Mais il s’avère que les conséquences arrivent de plus en plus vite, en boule de neige, alors à nous tous de réagir avant que ce ne soit trop tard. Mais on reste quand même sur l’idée qu’il n’est jamais vraiment trop tard, et de là né l’idée de lumière au bout du tunnel, c’est quand tout va très mal que les gens finissent par réagir seulement. On y est.

– Il y a toujours cette incroyable unité et complicité au sein de LIZZARD et cela s’entend  vraiment. En 15 ans, le line-up n’a pas bougé, ce qui est d’ailleurs toujours étonnant pour un groupe. C’est de là que vous puisez cette force créatrice ?

On se connait forcément très bien maintenant, humainement puis de manière créative, on sait ce qui fonctionne, ce qui fonctionne moins, et ça nous permet d’aller droit au but. L’alchimie entre les membres est toujours beaucoup plus important qu’on le croit dans n’importe quel groupe, et quand on a la chance d’en arriver à faire quelque chose d’harmonieux et abouti il faut le saisir, ne pas le gâcher. Pour l’instant on a toujours tous les trois la même motivation qu’au départ du groupe, alors tant que c’est là : on ne lâche rien ! Certainement qu’un jour ça changera, ou ça évoluera, mais aujourd’hui on n’y pense même pas.

Photo : Audrey Saint-Marc

– Musicalement et même si vous restez toujours aussi pêchus et incisifs, « Eroded » montre un visage plus atmosphérique et protéiforme, tout en étant éthéré et chaleureux dans le son. Là encore, LIZZARD a évolué et reste assez insaisissable. Malgré tout, vous semblez ne faire aucun compromis. Comment se passe le processus d’écriture au sein du trio ?

Au tout début du groupe, à l’époque de notre démo « La Criée » et du premier EP « Vénus », on avait déjà ce côté atmosphérique, mais qui était plutôt mis en avant. On construisait autour de thèmes aérés avant d’arriver sur bosser des structures plus bétons et en faire des morceaux. Donc à partir de jams ambiants, on travaillait et on arrivait au final avec quelque chose de moins structuré qu’aujourd’hui. Sur « Out Of Reach » et « Majestic », c’était plutôt le contraire, béton d’abord sans trop de passages psyché. Au fur et à mesure des années, on a un peu inversé ou plutôt équilibré notre méthode sans trop y faire gaffe, et maintenant sur « Shift » et « Eroded » je dirais que les morceaux sont construits autour de riffs de guitare, avec des déclinaisons de passage ambiants, qui servent à la fois aux morceaux et à l’album dans son ensemble. Et ça donne ce que tu décris dans ta question. La plupart des riffs sont composés par Mat à la guitare acoustique, et on se rejoint tous les trois en répète à l’ancienne pour en faire des morceaux.

– « Eroded » se distingue aussi par cette séparation entre une première partie musclée et une seconde plus épurée et même délicate. Pourtant, l’unité entre les morceaux est évidente. Pourquoi avez-vous scindé l’album de cette manière et d’où est venue l’idée ?

Tout simplement parce qu’on pense à la fois au format vinyle qu’au format numérique, et qu’on a envie que l’auditeur puisse écouter la face A et la face B comme deux ‘minis albums’ qui sont autosuffisants. Deux visions du même thème. C’est important pour nous d’emmener l’auditeur quelque part, sans qu’il s’ennuie ou s’endorme sur la route, que ce soit en concert ou sur album. C’est donc toujours un challenge pour trouver l’ordre des morceaux qui va bien, qui marche à la fois pour une écoute intégrale, et en même temps si on écoute une seule face du vinyle. On peut aussi écouter la face B avant s’enchainer sur le face A, ça fonctionne aussi ! Mais c’est différent.

– Au-delà d’un jeu chirurgical et très organique, la production signée Peter Junge rend vos morceaux très généreux et très énergiques. Avez-vous étroitement collaboré ou au contraire lui avez-vous laissé carte blanche ?   

Je pense qu’on est assez difficile en termes de peaufinage, mais en même temps un producteur trouve ça plus facile quand il bosse avec des artistes qui savent exactement ce qu’ils veulent et ce qu’ils cherchent. Après trois albums, je pense qu’on en est là, on sait ce qu’on veut, et surtout ce qu’on ne veut pas. Donc il n’a pas carte blanche, mais on est toujours ouvert à des idées de prod’ : on est surtout à la recherche d’énergie, et une ressentie de performance, plutôt qu’une répétition. Et ce n’est pas si facile à faire pour rendre un mix à la fois dynamique et vivant, mais moderne et léché en même temps. Je pense que c’est la force de Peter sur cet album, il a su garder le côté live sans faire de compromis sur la pertinence de la production. Mais après on n’est jamais satisfait à 100% de notre travail, et on sait déjà ce qu’on a envie de changer pour le prochain !

– Pour conclure, comment définissez-vous le style de LIZZARD qui, là encore, est très contrasté ? Power Rock, Metal Progressif, avant-gardiste, psychédélique ?

Pour définir un style on est plus ou moins obligé d’utiliser beaucoup de mots, et en même temps plus on définit, plus on s’éloigne quelque part de ce qu’est la musique, c’est-à-dire l’unicité d’un groupe de zique. On se considère comme un power trio, quelque part à mi-chemin entre le Rock et le Metal, avec un côté Prog et un côté Psyché. Voilà, j’espère que tout le monde sera d’accord ! Mais certainement que tout le monde aura un avis différent !

« Eroded », l’album de LIZZARD, est disponible depuis le 19 février chez Pelagic Records

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Extrême Thrash Metal

Pathfinders : spatio-métallique

Malgré une fascination pour la conquête spatiale et notamment la planète Mars, PATHINDERS est pourtant loin d’avoir la tête dans les étoiles. Avec ce premier album, « Ares Vallis », le quintet français distille un beau mix entre Groove et Metal, Thrash et MetalCore, et peut commencer à tirer des plans sur la comète.

PATHFINDERS

« Ares Vallis »

(Music Records)

Créé il y a trois ans à Fontainebleau, le quintet n’est pourtant pas novice en la matière, puisque ses membres ont déjà eu l’occasion de se faire les crocs sur les scènes hexagonales. Fasciné par la planète Mars, PATHFINDERS tire son nom de la sonde spatiale lancée par la NASA en décembre 1996, et le titre de l’album n’est autre que le nom d’un canal de sortie sur la planète. En pleine actu !

Inspiré par l’exploration spatiale, c’est à une odyssée très métallique que nous convie PATHFINDERS. Dans uns style chauffé à blanc et une dominance Thrash et Groove Metal, le quintet fait feu de tout bois à travers les 12 titres qui composent ce très bon premier album. Vif et incisif, le combo peut aussi compter sur la vitesse et la dextérité de se membres, qui ne lèvent pas le pied.

« Ares Vallis » lorgne aussi sur le MetalCore, mais conserve un aspect organique qui renforce l’impact de son registre. De l’enregistrement au mix en passant par le mastering, PATHFINDERS s’est occupé de tout et le résultat est assez bluffant. Explosifs et parfois progressifs, les Français balancent des titres efficaces et musclés (« Landing », « Damned Earth », « Ghosts of Mars »). Well done !

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Extrême France Metal

C R O W N : repousser encore et toujours les limites [Interview]

Stéphane Azam et David Husser, alias C R O W N, viennent de livrer un troisième album où ils se sont tout autorisés, quitte à déboussoler un peu leur public de base. Mais avec le duo de Colmar, garder des œillères : c’est déjà faire fausse route. « The End Of All Thing » va encore plus loin dans l’imaginaire sombre et expérimental du combo. Musicalement, la grande expérience des protagonistes leur permet à peu près tout, et ce nouvel opus est d’une richesse incroyable. Rencontre avec ces deux sorciers du son, qui font de C R O W N ce groupe si atypique de la scène hexagonale.   

Photo : Jenn Brachet

– « The End Of All Thing » sort 6 ans après « Natron », dont il est étonnamment différent. Toutes ces années ont été nécessaires pour parvenir à une certaine maturité des nouveaux morceaux, ou est-ce que ce sont d’autres projets qui vous ont occupé ?

Stéphane : Professionnellement en tant qu’ingénieur du son, je fais des tournées aussi à l’international notamment avec Alcest. Et depuis 2015, j’ai été très occupé, mais j’avais déjà commencé à bosser sur les démos fin 2017. Et puis, ça n’a pas été toujours simple de se voir avec David. C’est venu s’ajouter à la durée du processus de composition.

David : Il faut aussi savoir que l’album est prêt depuis un an et demi déjà. On a du le reporter pour des raisons évidentes. Au final, ça n’a pas pris autant de temps que ça.

– Avant de parler de l’album en lui-même, j’aimerais qu’on parle de la production qui est exceptionnelle. Comment avez-vous travaillé et comment vous êtes-vous réparti les taches étant donné votre expérience d’ingénieur du son ?

David : C’est mon job et j’ai fait une quantité d’albums en tant que producteur. J’avais déjà mixé « Natron » que j’avais récupéré sur la fin, car Stéphane sentait qu’il y avait besoin d’un petit coup de boost. J’y ai ajouté quelques programmations, de la basse ce qui était inédit chez nous et surtout j’avais remarqué que c’était mortel lorsqu’il chantait. Du coup, je l’ai poussé dans ce sens. Il a aussi composé l’intégralité de l’album et je suis assez peu intervenu en dehors de quelques riffs et arrangements. Je me suis vraiment concentré sur la prod’ en poussant aussi le truc un peu plus loin.

– Au-delà de ça, j’imagine que ce doit être un plaisir pour vous de produire vos propres compos et de pouvoir y apporter une touche très personnelle sans contraintes extérieures ?

David : Evidemment ! Je fais de la prod’ depuis une trentaine d’années maintenant, et depuis que j’ai un studio chez moi : ça change la vie ! Je ne calcule plus les jours de studio dont j’ai besoin. C’est fantastique de pouvoir travailler comme tu l’entends, et pour qui que ce soit d’ailleurs. C’est aussi lié à l’évolution de la technologie. Aujourd’hui, tu n’es plus obligé d’investir deux millions d’Euro dans un studio pour avoir un truc qui tienne la route.

– Justement, et après on parle musique, est-ce que vous avez pu expérimenter ou mettre des choses en place au niveau de la production que vous n’aviez pas eu l’occasion jusqu’à présent ?

David : J’ai repris pas mal de choses que je faisais à la fin des années 90/début 2000, où j’expérimentais beaucoup. J’avais eu l’impression d’être arrivé au bout de ce que je pouvais faire à la guitare dans ce contexte-là. Là, j’ai repris en quelque sorte les choses des années plus tard, et là où je les avais laissé. Il y avait encore des choses à dire au niveau guitare/synthé, par exemple, et aussi dans l’utilisation et même l’abus de certains effets et certaines techniques de guitare qui sont assez loin de ce qui se fait conventionnellement. Après, beaucoup de choses sont parties à la poubelle, mais c’était le bon terreau pour planter ce genre de graines. (Rires)

Photo : Jenn Brachet

– « The End Of All Thing » sonne vraiment différemment de vos deux derniers albums notamment. Je sais bien que tous les groupes disent qu’ils n’aiment pas refaire le même album (et pourtant !), mais là vous faites le grand écart. Ca s’est fait sur un coup de tête, ou c’est une chose à laquelle vous réfléchissez depuis longtemps ?

Stéphane : C’est venu très naturellement en fait. Au départ, je voulais faire quelque chose de beaucoup plus extrême et surtout ne pas faire la même chose. Je me suis laissé aller en essayant  de dégager quelque chose d’émotionnel, qui pourrait aussi toucher les gens.

– Est-ce qu’avec un virage aussi radical, vous n’avez pas peur de perdre du monde en route ? A moins que le but soit justement d’élargir votre audience ?

David : On n’a pas du tout réfléchi comme ça. Tu sais, les coups de tête, ça n’existe pas vraiment dans le monde musical. Ou alors, un coup de tête qui dure un après-midi et deux jours après, tu te reprends. C’est toujours un petit peu réfléchi. Jusqu’ici, les retours sont très positifs, alors que je m’attendais à beaucoup d’insatisfactions. Quand je vois ce que certains prennent dans la gueule, juste parce qu’ils ont baissé un peu les guitares, alors que c’est le même groupe ! Je me demandais un peu à quoi on aurait le droit avec C R O W N !

Stéphane : Et puis, sur la dernière tournée par exemple, le public était composé de gens de 20 ans à la cinquantaine et plus, et donc assez ouverts. Avec une bonne ouverture d’esprit, ça ne pose pas de problème. Ce n’est pas quelque chose qui m’inquiète plus que ça. Et on a toujours ce côté sombre dans notre musique.

David : De toute façon, on a fait ce qu’on avait envie de faire et surtout du mieux qu’on a pu. C’est vraiment ça qui nous a drivé. Et puis, si à la fin de la journée, tu n’es pas un peu meilleur que la veille, c’est que tu ne l’as pas réussi ! Aujourd’hui, les choses ont quand même beaucoup évolué et c’est nettement plus ouvert malgré tout.

– En plus de vous présenter avec un son plus synthétique et donc moins organique ou analogique, c’est selon, il y a aussi un changement important sur la voix. C’est définitivement celle de C R O W N qu’on entend sur ce nouvel album ?

Stéphane : Pour celui-là en tout cas, oui ! (Rires) Pour les prochains, il y aura de toute façon de la voix claire, parce que cela me plait beaucoup et des voix hurlées aussi. Il n’y a pas vraiment de plans, c’est une question de ressenti. Mais pour le côté organique, avant il n’y avait que des machines alors que là, il y a une vraie batterie, par exemple. On a essayé de mélanger ce côté batterie naturelle avec des machines. Après, elles ont été retraitées, mais il en ressort un aspect plus dynamique et plus vivant aussi.

David : On a enregistré un vrai batteur et on l’a fait sonner comme une boîte à rythme, tu as tout à fait raison. Je pense d’ailleurs que si nous avions eu un peu plus de temps, j’aurais probablement refait la batterie pour l’avoir encore plus naturelle. Entre le moment où on a commencé et celui où on a fini, on a tellement dénaturé les choses, on s’est tellement éloigné de ce qui avait été fait à la base. Ca va pouvoir paraître un peu grossier, mais j’avais presqu’envie d’un côté Hip-Hop au sens noble du terme, c’est-à-dire un son très sec et au premier plan, un peu médium et dur. C’est comme ça que je l’entendais. C’est vrai que quelque part, c’est très synthétique, mais paradoxalement, c’est peut-être l’album le plus organique de C R O W N.

Photo : Jenn Brachet

– Et contrairement aux autres albums, on ne retrouve que la chanteuse Karin Parks d’Årabrot. Comment s’est porté votre choix, alors que d’habitude, on compte beaucoup plus de guests sur vos albums ? 

David : Lorsque j’ai mixé l’album d’avant, c’est vraiment ce que j’avais préféré. La voix de Stéphane en clair est très réussie mélodiquement. Et c’est donc la première chose que je lui ai proposé : de s’occuper de la partie vocale tout seul, ou presque. C’est aussi une histoire de cohésion et surtout, c’est parce que je savais qu’il y avait quelque chose à creuser de ce côté-là. C’était peut-être du à une certaine timidité ou un manque de confiance de sa part, mais je pensais qu’il fallait le pousser dans ce sens. Il méritait d’être soutenu dans cette voie. J’étais persuadé que Stéphane pouvait tenir la voix sur tout l’album sans forcément gueuler, et ça a même profité aux morceaux.  

– Enfin, l’album est très prenant et laisse place à l’imaginaire où se bousculent beaucoup d’images. C’est quelque chose à laquelle vous pensez déjà pour la scène ?

Stéphane : On utilise déjà des vidéos sur scène. Mais c’est vrai que les nouveaux morceaux en eux-mêmes sont assez cinématiques. Nous avons récemment réalisé un Live Stream avec un fond Led, et c’est effectivement quelque chose à renouveler et qui apporterait une dimension supplémentaire à la musique aussi.

David : Il y a un côté onirique évident, c’est sûr. Mais, par exemple, lorsque Pink Floyd a fait « The Wall » et qu’il y a eu le film après, plusieurs membres du groupe, y compris le producteur, ont dit qu’ils n’aimaient pas du tout le film. Il imposait des images au public, alors que l’album laissait libre-court à une tonne d’interprétations différentes. Dans notre musique, on ne réfléchit pas à la façon dont les gens vont pouvoir interpréter les choses. En revanche, ce que je peux te dire, c’est que très souvent le public a une vision bien plus radicale, et plus intéressante même, que l’artiste quand ils interprètent eux-mêmes les choses. J’adore vraiment discuter avec eux des morceaux qu’ils ont aimé, car je me dis souvent que j’aurais du l’écrire comme ça. C’est toute la beauté de l’esprit humain. On y pense bien sûr et en espérant que ça puisse apporter telle vision ou telle réflexion par la suite.

« The End Of All Things » est disponible depuis le 16 avril chez Pelagic Records

Retrouvez également CROWN sur Facebook et notamment le Stream Live bientôt en ligne !

https://www.facebook.com/CROWNBAND

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Blues

Slim Paul : docteur feelgood !

La musique de SLIM PAUL vient du cœur et s’en va directement toucher l’âme. Deuxième album pour le Toulousain dans sa nouvelle vie d’artiste après des années au sein de Scarecrow pendant plus d’une décennie. C’est dorénavant en trio avec des musiciens dont la complicité paraît tellement naturelle que le chanteur, guitariste et songwriter lance une invitation Blues très apaisante à travers ce « Good For You », dont la production est d’une justesse remarquable.

SLIM PAUL

« Good For You »

(Regarts/Old Pot Records/L’Autre Distribution)

En l’espace d’un album, « Dead Already » (2018), SLIM PAUL s’est forgé une belle réputation an arpentant les scènes de France, d’Europe et aussi d’Amérique du Nord. Autant dire qu’en si peu de temps, le musicien n’a pas beaucoup quitté sa guitare et n’a pas non plus lâché son micro. Cela dit, le Français n’est pas un nouveau venu, loin de là… car l’aventure a commencé il y a une quinzaine d’années.

C’est surtout avec son groupe déjà atypique, Scarecrow, qui mélangeait Blues et Hip-Hop, que SLIM PAUL s’est aguerri avant de s’envoler pour les Etats-Unis comme pour mieux s’imprégner de la musique qui lui colle à la peau : le Blues. C’est de cette expérience que va naître son premier album, qui voit arriver Jamo (batterie) et Manu Panier (basse), dorénavant compagnons de route.

En cette triste et longue période, « Good For You » tombe à pic et en plus de rendre le sourire apporte chaleur et réconfort. Electrique ou acoustique, Blues ou Gospel, Slide ou dobro, le Toulousain est lumineux (« When You Keep On Groovin », « Amazing you », « Tess And I »). Parfois plus sombre et féroce (« Bury Me Deep »), SLIM PAUL reste optimiste, sincère et plein d’humour (« Log Dog Blues »). Exaltant, endiablé et très touchant !

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Extrême France Metal Progressif

Dirge : entre testament et héritage [Interview]

Créé en 1994, DIRGE a écumé pendant 25 ans les scènes françaises et internationales jusqu’à sa dissolution il y a deux ans. Tout d’abord dans un registre Metal Indus puis en évoluant vers un post-Metal atmosphérique et progressif, le groupe aura marqué de son empreinte la scène hexagonale et laisse un bel héritage en ayant ouvert de très nombreuses portes à la scène actuelle. Alain B. (batterie) et Stéphane L. (guitare, chant, samples) reviennent sur ce parcours et présentent « Vanishing Point », compilation testamentaire et inédite sortie le 26 mars dernier.

Photo : Stéphane Burlot

– J’aimerais tout d’abord qu’on revienne en 1994 à la création du groupe, une époque où le Metal Indus, notamment en France, était assez marginale malgré des groupes comme Treponem Pal et vous. Aviez-vous le sentiment d’être au début de quelque chose sur la scène hexagonale ?

Stéphane L. : Pour être honnête, Treponem Pal était là depuis bien longtemps quand le groupe s’est formé et ils avaient déjà une certaine notoriété (C’est vrai ! – NDR). Les premières démos de DIRGE, sorties au milieu des 90’s s’inscrivaient certes dans une tendance à la fusion machines/guitare, très inspirées par des groupes anglais comme Scorn ou Godflesh, sauf que ce Metal Industriel, qui comme tu le rappelles restait peu développé ici, me semblait alors, avec le recul, déjà sur le déclin. Donc, je n’ai pas le sentiment que DIRGE ait été au début de quoi que ce soit par rapport à ce style en France. C’est plutôt en développant une facette plus viscérale et atmosphérique à la fin de la décennie que le groupe s’est retrouvé, sans le savoir, à l’avant-garde de quelque chose de nouveau. Et pour le coup, pas seulement en France. Sauf qu’on était évidemment loin de parler de post-Metal ou je-ne-sais-trop-quoi à l’époque. Il me semble qu’il n’y avait alors guère qu’Isis, Breach et nous pour trouver un intérêt dans l’héritage sonique de Neurosis.

– Après plusieurs changements de line-up avant 2001, DIRGE a ensuite pris un virage plus atmosphérique avec des morceaux plus longs et beaucoup plus d’expérimentations sonores. Quel était votre leitmotiv à ce moment-là ?

SL. : Je ne sais pas si on peut parler de leitmotiv… Disons qu’on ne voulait se fixer aucune limite en termes d’expérimentations. C’était une tendance tacite entre nous tous, une envie commune et logique.

Alain B. : Le truc c’est qu’à partir de 1999 et mon arrivée à la batterie et celle de Zomber aux samples, le groupe est parti dans quelque chose de beaucoup plus organique et naturel. Le côté machine a ainsi commencé à s’estomper au profit d’une approche plus humaine. L’arrivée de Stéphane en 2001 n’a fait qu’amplifier cette mutation.

SL. : Avoir un véritable batteur en lieu et place d’une boîte à rythme et un mec qui joue les samples en direct a logiquement influé sur la forme de la musique, notamment en explosant le carcan imposé par les programmations et les BPM (qui constituaient paradoxalement l’ADN du DIRGE d’origine). L’abandon de cette rigidité électronique nous a d’un coup laissé beaucoup plus de liberté pour expérimenter, tester, en particulier en étirant les rythmes et les riffs et en jouant sur les répétitions et les durées. Il y a aussi eu tout un travail de recherche sur le volume sonore, le grain et les textures des amplis, un ré-accordage pour renforcer les basses et générer les vibrations les plus telluriques qui soient. Et en contrepoint de ces partis-pris de lourdeur et de puissance, on a aussi voulu introduire une véritable approche progressive et atmosphérique, pour mettre un peu d’air dans tout ce magma. Bref, on s’est retrouvé en 2001/2002 à l’orée d’un champ d’expérimentation incroyablement étendu. Tout cela a débouché sur de longues sessions d’impros pendant les répétitions, qui ont fini par devenir le corps de notre troisième album « And Shall The Sky Descend ».

– « Wings Of Lead Over Dormant Seas », votre quatrième album, a aussi marqué un tournant et une évolution dans le style de DIRGE. L’idée, là encore, était de toujours expérimenter et d’explorer de nouveaux espaces musicaux ?

AB. : On avait une idée bien précise avec « Wings Of Lead… », on voulait enregistrer tout l’album en live, avec le moins de prises possibles, afin de retranscrire au mieux les émotions. On voulait faire les choses naturellement. On a du coup énormément travaillé en amont pour traduire au mieux cette envie.

SL. : Pouvoir jouer et enregistrer d’une traite de si longs morceaux, aux structures labyrinthiques, passait évidemment par une longue préparation d’avant-studio. Apprivoiser et retranscrire au mieux les sessions d’improvisation a peut-être été le plus gros challenge. On savait que les nouveaux titres seraient encore une fois très longs et progressifs, mais il n’était pas questions pour autant d’étirer les choses gratuitement, juste pour le plaisir d’être monolithique. On voulait que tous les éléments, même les plus extrêmes (les tempos, les durées, les sons parasites, les larsens, etc) soient pertinents et servent notre vision de l’époque. Les morceaux ont dans leur majorité été profilés pour être enregistrés live et donc retranscriptibles comme tel une fois sur scène. C’est un disque qui a été fait avec très peu d’artifices studio.

AB. : Quant à l’évolution du style, je crois qu’on ne l’a absolument pas calculé, le processus de création a toujours été un peu le même entre nous.

Le visuel original (146×170 cm), « Ouverture» , par Axël Kriloffv et l’album…

– DIRGE a réellement pris son envol avec « Elysian Magnetic Fields » et « Hyperion », qui vous ont valu une belle reconnaissance et un statut de leader de la scène Indus française. Les années 2010 étaient-elles, selon toi, les meilleures du groupe ?

AB. : Disons surtout que 2011 a été le début de nombreux concerts dans toute l’Europe, avec deux tournées par an. Alors les conditions n’étaient pas simples, mais au final cela a été le début d’une super aventure. On y a noué de nombreux contacts.

SL. : C’est effectivement la période pendant laquelle le groupe a le plus existé en live, en particulier à l’étranger. Avec donc tout ce qui va avec : rencontres, découvertes de nouveaux pays, bons souvenirs et expérience douloureuses, bref, tout ce qui fait la vie d’un groupe en tournée. On est aussi devenu logiquement bien meilleurs sur scène. Et surtout, ce sont des années qui nous ont enfin permis de mieux diffuser notre musique et de toucher plus de gens. Donc pour moi, c’était de loin la meilleure période pour DIRGE. Et les trois albums sortis entre 2011 et 2018 restent mes préférés.

– Pourtant en mars 2019, il n’y a pas si longtemps, vous annoncez la fin du groupe. Qu’est-ce qui a mené à une telle décision ? Vous aviez chacun envie de vous investir dans d’autres projets ?

AB. : Tu sais, le groupe a été créé en 1994 et au bout d’un moment, tu as aussi envie d’avoir une autre reconnaissance, de monter des tournées plus facilement et de jouer dans de meilleures conditions.

SL. : Et comme rien de changeait, qu’on continuait de galérer pour monter les tournées, de s’épuiser sur la route, de dormir par terre et de perdre de la thune, on a compris que rien ne changerait, même avec un nouvel album (« Lost Empyrean »), dont on était pourtant super fier.

AB. : Du coup au bout plus de 20 ans, tu te dis effectivement que tu as fait le tour, et qu’il faut passer à autre chose. Après, au vu des très bons retours qui ont suivi « Lost Empyrean », on aurait bien un peu plus défendu l’album sur scène, mais bon c’est comme ça !

SL. : Le manque de reconnaissance et les galères on en outre fatalement abîmé l’équilibre au sein du groupe où tout commençait à devenir vraiment compliqué. On a donc décidé de terminer l’écriture et l’enregistrement de « Lost Empyrean », de tourner une dernière fois avant sa sortie, d’assurer la promo puis de saborder le groupe juste après. On a préféré arrêter tant que nous étions encore créatifs et pertinents, plutôt que de sortir le disque de trop. Histoire d’arrêter en étant honnête et au clair avec nous-mêmes. Mais il y a beaucoup de regrets et d’incompréhension, c’est sûr.

Photo : Stéphane Burlot

– Aujourd’hui, vous sortez le conséquent et très dense « Vanishing Point » qui regroupe surtout des versions inédites et live. Tout d’abord, qu’est-ce qui vous a motivé à sortir cette compilation testamentaire ? C’est pour mettre un point final à l’aventure ?

SL. : En fait, on voulait juste regrouper sur un même disque (trois au final), les inédits et les raretés qui nous semblaient importants dans l’histoire et la chronologie du groupe. Sachant que 90% de ce qui constitue « Vanishing Point » est soit inédit, soit totalement devenu introuvable, il y a derrière ce projet une dimension exhaustive et définitive qui nous semblait nécessaire pour effectivement mettre un point final à l’aventure.

AB. : Cela faisait un bout de temps qu’avec Stéphane, nous avions envie de faire enfin paraître certains inédits, de ressortir quelques raretés, de remasteriser certains titres et de les rassembler dans une compilation. Donc, cela nous a pris une bonne année pour faire le tri, retrouver les morceaux, s’arrêter sur une set-list et entreprendre toute la partie restauration et mix.

– Ces trois CD passent en revue tous les lines-up et les albums de DIRGE et vous avez confié ce travail de « restauration » au talentueux Raphaël Bovey. Comment cela s’est-il passé et comment avez-vous défini le choix des titres et des versions ?

AB. : Après le super travail de Raphaël sur « Lost Empyrean », il nous semblait évident que cet énorme boulot de mix, de nettoyage, d’harmonisation et de mastering lui revienne ! C’est d’ailleurs grâce à lui qu’il y a ce troisième CD ; son travail de restauration et de mix sur le live de 2005 nous a tellement bluffé qu’on a décidé de compléter « Vanishing Point » avec ces titres, ce qui permettait ainsi d’ajouter la dimension scénique qui manquait à la compil.

SL. : On avait besoin de quelqu’un de très compétent bien sûr, mais aussi qui connaisse bien notre musique, en qui on avait toute confiance et avec qui il serait très facile de bosser et de communiquer. Le choix était donc évident. Raph a vraiment eu un rôle décisif dans ce projet, tant il a su homogénéiser ces 25 ans de musiques, de sources et de productions parfois très différentes pour en faire un tout très cohérent.

– Après 25 ans d’une carrière très créative menée tambours battants, quelle image et quelle empreinte pensez-vous et aimeriez-vous laisser au public ? Et qu’avez-vous à dire à celles et ceux qui vont vous découvrir avec « Vanishing Point » ?

AB. : On aimerait laisser une image de sincérité. On a toujours fait les choses le mieux possible, joué avec la même intensité dans une salle vide ou dans une salle pleine ! On aime partager ce que l’on ressent, ce que l’on crée avec les gens qui nous suivent depuis longtemps, comme avec ceux qui nous découvrent.

– Enfin, il faut bien que je vous pose la question qui brûle toutes les lèvres : a-t-on une chance de revoir un jour DIRGE sur scène ou avec un nouvel album ?

AB. : Franchement, non je ne pense pas.

SL. : En tous cas, pas avec un nouvel album, ça c’est certain.

« Vanishing Point » est disponible depuis le 26 mars chez Blight Records et Division Records.

Bandcamp : http://dirgeparis.bandcamp.com

Facebook : https://www.facebook.com/DIRGE.fr

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Progressif Rock

Bruit ≤ : sans nuisance sonore

Si beaucoup verront dans cet album de BRUIT ≤ une sorte de laboratoire musical, ce premier opus (au nom interminable) va bien au-delà et présente au contraire une unité et une progression musicale saisissante, dans un style qui voit se télescoper de multiples émotions. Les Toulousains font preuve d’une créativité et d’une musicalité incroyable.

BRUIT ≤

« The Machine Is Burning And Now Everyone Knows It Could Happen Again »

(Independant)

J’ai toujours eu un faible pour les groupes qui vont à contre-courant en brisant les codes et les règles établies. Dans le cas de BRUIT ≤, c’est même un sacré coup de cœur. Pour commencer, même si le sens du titre de ce premier album est limpide, il faut s’y prendre à plusieurs fois pour le mémoriser. Ensuite, le quatuor toulousain a décidé de le sortir et de le rendre disponible uniquement sur Bandcamp, sans maison de disques.

Ainsi après un premier EP en 2018, « Monolith », voici le premier album du groupe qui, à travers quatre morceaux s’étalant sur 40 minutes, présente un registre post-Rock (presqu’instrumental) franchement immersif et parfaitement interprété. Grâce à une production et des arrangements très soignés, BRUIT ≤ parvient à nous emporter dans un monde musical aux contours cinématographiques et à la poésie évidente.

Autour d’éléments électroniques discrets et quelques éléments de musique classique, ce premier album s’écoute comme on regarde un film tant les quatre morceaux montrent une progression musicale étonnante. Conçu comme un conte philosophique sur la chute et la renaissance des civilisations, cet opus vient marquer les solides convictions humanistes de BRUIT ≤. Saisissant, le quatuor apaise et invite aussi à la réflexion. Une réussite totale.  

Bandcamp : www.bruitofficial.bandcamp.com/music

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Blues France Rock

Little Bob : la liberté comme étendard [Interview]

Figure emblématique de la scène Rock hexagonale, LITTLE BOB vient de livrer un album aussi touchant que rageur et surtout plein d’espoir. Combatif et toujours accompagné de ses BLUES BASTARDS, le Havrais continue son bonhomme de chemin, faisant fi des obstacles, et revient avec « We Need Hope », qui prend tout son sens dans notre société actuelle. Le rockeur entretient le courage de rêver de liberté et aussi de changement. Toujours très positif, Roberto Piazza est plus que jamais ancré dans son époque. Entretien.

Photo : Charles Dutot

– Tout d’abord, félicitations pour ce très bon album… une habitude ! Avant d’entrer dans le détail, « We Need Hope » a été écrit avant la crise du Covid, comme une espèce de vision. Même s’il découle d’un moment personnel très triste, tu sentais déjà que quelque chose se passait dans la société…

Depuis quelques années, il y a un truc qui s’est passé : on s’est tous fait avoir par le capitalisme ambiant et dans le monde entier. On ne fait même plus travailler les gens ici. On va acheter des masques en Chine, par exemple, ce qui est aberrant. Et c’est juste pour que quelques uns s’en mettent plein des poches. Aujourd’hui, l’être humain ne compte pas. Il n’y a que le CAC 40 et le pognon.

– Finalement, alors que tout le monde parle à tort et à travers de résilience, cet album l’incarne parfaitement. Tu aurais même pu lui donner ce titre, non ?

Oui, bien sûr. En fait, le titre est venu comme ça : il était en moi. Je suis très heureux d’avoir donné ce titre à l’album. Il y a des chansons qui ont un sens profond et qui traite de sujets très actuels comme des migrants sur « Walls And Barbed Wires ». D’autres sont plus légères comme « I Was Kind » qui parle du moment où j’ai été touché par la grâce du Rock’n’Roll, où encore « Looking For Guy-Georges » du prénom de celui qui était mon premier guitariste dans Little Bob Story. Et puis, il y a des titres plus ou moins tristes qui parlent de ce qui est arrivé dans ma vie privée avec la disparition de ma femme il y a deux ans. J’ai fait beaucoup de chansons pour elle, et j’aurais même pu en faire plus ! Une chanson comme « You Can’t Come Back », je peux à peine la chanter d’ailleurs. Mais toutes ne sont pas si dures, elles racontent aussi notre rencontre. Sur l’album, on trouve des titres qui râlent, politiquement parlant, d’autres plus joyeux et plus graves en ce qui me concerne.

Tout ça a découlé d’une tournée en Angleterre fin 2019. Le fait d’être allé jouer à Londres, et même si la ville a beaucoup changé, m’a donné une pêche incroyable. En rentrant, je me suis mis à écrire et avec le groupe, on a mis le reste en place, chacun apportant son petit grain de sel et son talent aussi. On a enregistré fin février-début mars l’an dernier juste avant le premier confinement. On a juste repris quelques jours de studio en juin pour retoucher quelques voix, faire des chœurs et une guitare ou deux aussi. Tonio, notre ingé-son, a mixé l’ensemble et on était prêt. On devait le sortir avant mais vu la situation, ce n’était pas possible. Et aujourd’hui, certaines enseignes dans les centres commerciaux sont aussi fermées. La situation est déjà assez compliquée à cause de l’industrie du disque, alors ça n’aide vraiment pas. Et je ne te parle pas des concerts annulés, des fans qu’on ne voit plus lors des dédicaces et du nombre très restreint de disques dans les bacs, par exemple…

Photo : Charles Dutot

– « We Need Hope » a bien été enregistré avec tes Blues Bastards. Comment s’est passé l’enregistrement ? J’imagine que ça a aussi du faire du bien à tout le monde de se retrouver en studio ?

L’album a été enregistré avant le Covid et avant le confinement. Nous étions ravis d’enregistrer, mais après on a eu les boules pendant un an, parce que le disque ne sortait pas. On avait presqu’envie de faire d’autres morceaux pour le suivant ! On essaie de répéter ensemble quand même de temps en temps ici au Havre, mais nous sommes trop dispersés et éloignés les uns des autres.

– On te retrouve toujours aussi sincère et authentique et presqu’imperméable aux modes. Tu n’as jamais été tenté de sortir un peu de son registre ? Ne serait que pour essayer ?

Non, parce que j’aime quand ça joue, donc je ne tomberai jamais dans l’Electro. Il y a déjà trop de rappeurs qui chantent avec des machines. Je n’aime pas ça, je préfère quand les êtres humains jouent, y mettent leur cœur et leur savoir-faire. Mais je pourrais faire un disque acoustique, par exemple, pour le fun. Ça, on sait faire avec le groupe. Ce sont tous des supers zicos, donc ça pourrait très bien arriver.

– Beaucoup de morceaux sont dédiés à ton épouse et on le comprend très bien, et comme un retour à tes racines italiennes, tu chantes aussi le magnifique « Il Bello Della Vita ». C’est quelque chose que tu avais en tête depuis longtemps ?

Je l’avais déjà fait à deux reprises par le passé, dont « Libero » en 2001. Pour « Il Bello Della Vita », c’est très simple : le goût de la vie, c’était elle. Je l’ai écrit très vite, d’une traite et en italien, car elle adorait ça. Elle ne le parlait pas, mais elle apprenait. Et cette chanson parle de nous, tout simplement.

Photo : Charles Dutot

– Justement comme un clin d’œil à notre époque, tu reprends également « Bella Ciao » qu’on commence d’ailleurs à réentendre beaucoup depuis quelques temps, y compris dans des séries télé. Vu le ton de l’album et son titre, ça t’a paru naturel d’interpréter cette chanson si emblématique ?

Tu sais, je ne regarde pas la télé. Alors, ça n’a aucune influence sur moi. En fait, j’ai trouvé une version de « Bella Ciao » traduite en anglais par Tom Waits, qui en a fait une version Blues avec son guitariste. Je me suis dit : « Tiens, une version anglaise et par Tom Waits en plus, c’est cool ! ». Et puis, j’avais envie de la faire parce que le racisme ressort beaucoup en ce moment. Les gens sont mal et ça fait renaître ces choses, même si elles ont toujours existé.

– Contrairement à ce qu’on pourrait penser de prime abord, « We Need Hope » dégage beaucoup plus d’amour que de tristesse ou de colère. C’était ton intention de faire ce beau contrepied ?

Bien sûr, parce qu’il faut y voir aussi le fait que nous avons besoin de cet espoir pour un changement. Si on veut réussir à vivre heureux sur cette Terre, il faudrait changer beaucoup de choses. Ça paraît impossible, car il faudrait une révolution mondiale. Et ce n’est malheureusement pas prêt d’arriver…

– Enfin, j’aimerais que tu me parles un peu de ces trois très bonnes reprises d’Humble Pie, des Kinks et de Richie Heaven. Quand on connait ta carrière, ça n’a rien de surprenant. C’était une manière de remercier ces artistes et ou est-ce que c’est venu un peu par hasard ?

« Natural Born Boogie » figurait sur le premier album d’Humble Pie et a été écrit par Steve Marriott. On a trouvé que ça swinguait grave et on a tout de suite eu envie de la reprendre. Gilou (Gilles Mallet, guitariste de Little Bob depuis 1981 – NDR) m’a proposé « Where Have All The Good Times Gone » des Kinks, qui reste totalement actuel, parce qu’on regrette tous les beaux jours avec les concerts, les coups au bar, les restos… Et enfin, « Freedom » est une  chanson qui hurle vraiment la liberté et que j’avais très envie de chanter avec ce petit côté Gospel. J’y ai même ajouté un couplet que j’ai moi-même écrit. C’est une chanson qu’on jouera aussi bien sûr, car quand on parle de liberté : c’est moi ! (Sourires)

« We Need Hope » est disponible chez Verycords.

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Blues

Louis Mezzasoma : des émotions essentielles

Sensible, furieux et aussi à son aise dans un Blues épuré que dans un registre plus Rock et musclé, LOUIS MEZZASOMA joue comme le Blues comme il le vit… avec émotion et authenticité. Complet et plein d’émotion, « Mercenary » est une vraie bouffée d’air frais, dont l’atmosphère est franchement addictive.

LOUIS MEZZASOMA

« Mercenary »

(Le Cri Du Charbon)

Sorti il y a quelques semaines déjà, il eût été dommage de passer à côté de ce très bon album de LOUIS MEZZASOMA. Après deux premiers disques, le Stéphanois se présente avec « Mercenary », petite pépite de morceaux Blues se baladant entre un style Old Time (assez Dirty d’ailleurs !) et des sonorités plus modernes et tranchantes. Accompagné par Gaël Bernaud (batterie, percussions, harmonica), le duo fait des étincelles.

Avec un début d’album électrique sur l’endiablé « Kick Some Ass », on sent déjà qu’on ne va pas s’ennuyer. Et c’est le cas ! Alternant avec maestria guitares, dobro, cigar-box et banjo, LOUIS MEZZASOMA fait preuve de variété et d’éclectisme. Rappelant les ambiances de Chicago, du Delta et du sud des Etats-Unis, le Français s’est construit un univers musical très personnel entre titres électriques et acoustiques.

L’excellente production de « Mercenary » sert des morceaux sensibles, très organiques et personnels (« Flat Land », « Who U R », « Valley Of Shadows »). Subtil et intimiste au fil de l’album, LOUIS MEZZASOMA illumine de son talent et de sa dextérité ce troisième opus très abouti. Que les riffs soient rugueux ou au contraire plus légers, on plonge littéralement dans ce Blues intemporel avec délectation (« Home Alone », « Rusty Man », « Truly Sorry »).

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Doom Rock Stoner/Desert

Los Disidentes Del Sucio Motel : dissidence post-Rock

Contourner l’évidence et les codes semble avoir été le leitmotiv de ce quatrième album de LOS DISIDENTES DEL SUCIO MOTEL. Si la touche et l’esprit Stoner Doom sont toujours présents, le quintet français s’est ouvert une nouvelle voie qui conduit « Polaris » dans un post-Rock convaincant et immersif.

LOS DISIDENTES DEL SUCIO MOTEL

« Polaris »

(Klonosphere/Ripple Music)

Après 15 ans d’activité et le très bon « Human Collapse » il y a cinq ans, LOS DISIDENTES DEL SUCIO MOTEL fait son retour avec « Polaris », qui marque encore le franchissement d’un cap pour le quintet. Toujours sur une base Stoner Doom, c’est plutôt dans un esprit post-Rock aérien que se déploie ce quatrième album. Consistant et intense, le registre des français prend encore de l’ampleur.  

Fuzz, Progressif et très Psych, LDDSM n’a pas délaissé son identité sonore construite autour de gros riffs, de mid-tempos hypnotiques et de cet esprit très jam, qui fait sa signature. Et avec son irrésistible polyphonie menée par Nicolas Foucaud, Daniel Scherding et Katia Jacob, les Strasbourgeois sont aussi incisifs que planants et font une belle place aux parties instrumentales (« Earthrise »).

Assez Grungy sur « Blue Giant » et « Horizon », LDDSM joue la carte de la diversité pour nous guider dans un univers musical qu’il maîtrise parfaitement (« The Plague », « Alpha Ursae Minor »). Loin d’être plombant, « Polaris » propose des moments plus légers et très convaincants (« The Great Filter »). En se démarquant d’un Stoner et d’un Doom trop prononcés, le quintet s’ouvre une brèche post-Rock originale.