Dans une atmosphère gothique et fantomatique, DEATHLESS LEGACY pousse la fascination du genre à son paroxysme, grâce à un Heavy Metal solide, parfois lugubre et sexy aussi, dont la force se déploie de manière assez triomphale sur ce « Damnatio Aeterna » très bien mené. Sa frontwoman Steva est au sommet, portée par des compositions taillées sur mesure dans un style très maîtrisé. Les transalpins avancent dans un tumulte explosif et diaboliquement addictif.
DEATHLESS LEGACY
« Damnatio Aeterna »
(Scarlet Records)
En l’espace d’un peu plus d’une décennie, DEATHLESS LEGACY est devenu incontournable dans le registre de l’Horror Metal, qu’il contribue à revigorer quelque peu malgré l’omniprésence de formations qui tiennent plus de la comédie musicale que du Heavy à proprement parler. Bref, les Italiens sont de retour et livrent un digne successeur à « Mater Larvarum », qui montrait déjà de très belles choses. Trois ans plus tard, c’est même presqu’une suite qu’ils nous proposent à travers un concept-album musclé et baroque.
Toujours très théâtral dans le propos, et cette nouvelle histoire du petit démon Malchrum en proie aux volontés de Lucifer le confirme, DEATHLESS LEGACY se détache plus nettement des influences de Death SS et de King Diamond surtout, qui leur collent à la peau depuis leurs débuts. « Damnatio Aeterna » se veut original, entraînant et convaincant sur bien des points, de même que le livre qui l’accompagne. La signature du groupe reste aussi ténébreuse que provocante et ce nouvel opus nous promet encore une fois l’enfer.
En ouvrant avec le morceau-titre, le sextet affirme une belle puissance et la noirceur qui s’en dégage annonce une suite effrayante… et terriblement Heavy. Au chant, Steva montre beaucoup d’autorité grâce à une voix pleine de gravité et qui porte aussi les mélodies avec caractère et charisme. Entre passages symphoniques, moments très Dark et une assise Metal irrésistible, DEATHLESS LEGACY est aussi dynamique que macabre (« Get On Your Knees », « Oblivion », « Sanctified », « Nightshade », « Mother Of God »). Captivant !
Depuis ses débuts il y a 20 ans maintenant, HANGMAN’S CHAIR ne cesse d’évoluer, même si un lien persiste toujours entre ses albums. Du Sludge brutal au Doom très pesant, le groupe prolonge son aventure dans un post-Metal aux déflagrations Hard-Core avec un aspect Cold Wave et gothique plus prononcé aujourd’hui. Pour autant, la patte est toujours là, elle se peaufine et suit les envies et les inspirations de son binôme créatif, composé de Julien Chanut (guitare) et de Medhi Birouk Thépegnier (batterie). Sur ce septième opus, le quatuor français explore encore et toujours des sonorités qui collent à des textes emplis de mélancolie. Contraction de ‘Sadness’ et ‘addiction’, « Saddiction » s’inscrit dans un voyage musical très immersif, narratif aussi et surtout très captivant. Entretien avec un batteur passionné et très investi dans un projet, dont la vision se projette dorénavant sur le long terme.
– Il y a un peu plus de deux ans, vous sortiez « A Loner », premier chapitre d’une trilogie. « Saddiction » est donc sa suite. Est-ce qu’à l’époque, vous travailliez déjà sur ce nouvel album ?
Pour être sincère et transparent avec toi, cette histoire de trilogie est sortie de la tête de Julien lors d’une conversation qu’on a eu avec la personne qui nous a fait la bio du dernier album. J’ai trouvé ça intéressant même s’il a son point de vue et que j’ai le mien. Je trouve ça bien, parce que ça permet aussi de ranger un peu notre chambre. Quand on parle de trilogie, ça veut dire que c’est le second volet et qu’il va y en avoir un troisième, alors que je ne sais même pas ce qu’il va se passer demain. C’est donc assez étrange de parler comme ça comme d’un concept établi. Cela dit, ça permet aussi de voir un peu où on en est. Je comprends bien l’idée de Julien, car il a essayé de classer un peu notre style et notre concept musical au sein de HANGMAN’S CHAIR par rapport à nos albums. Et donc, ça se tient, bien sûr. C’est vrai qu’on avait ouvert une nouvelle ère avec « A Loner ». C’est un épisode, avec le confinement aussi, où l’on a eu envie d’explorer plus en profondeur le côté Cold Wave. Et « Saddiction » est arrivé à point nommé dans le sens où on a continué cette exploration. Je comprends bien l’idée de la trilogie, car je suis à un âge où je passe à un autre concept moi-même dans ma tête et dans ma vie. J’ai aussi quitté Paris avec toute la tension et la folie qu’il y a autour du groupe. J’aime donc l’idée de cette nouvelle ère avec cette trilogie. C’est surtout une manière de voir les choses, en fait. Il a son idée par rapport au son, tandis que je le vois plus comme une étape de vie.
– Il n’y a pas vraiment de règles chez les artistes qui sortent des trilogies, mais concernant HANGMAN’S CHAIR, est-ce que vous voyez la trame des trois albums, ou est-ce que les idées émergent au fur et à mesure ?
Oui, je l’entends, je le vois venir. Pour le moment, je suis dans un cycle d’attente pour l’écriture et l’enregistrement et puis, nous sommes en pleine promo aussi. Je suis dans une phase de digestion par rapport à ce nouvel album. Après, c’est différent pour chaque groupe, mais en ce qui nous concerne, on met énormément de cœur à l’ouvrage. Il y a beaucoup de choses, beaucoup de sacrifices aussi. Tu sais, on se connaît avec Julien depuis nos 13 ans. Il y a une espèce de vie de couple, dans laquelle il faut gérer le côté humain et le côté professionnel avec tout le groupe. Il y a toujours eu des hauts et des bas dans les émotions et on retranscrit tout ça dans la musique, que ce soit des épreuves, des déceptions, des pertes… C’est la vie de tous les jours en fait. Et cela peut être parfois un peu lourd. J’ai un peu de mal à avoir une vision du futur, puisqu’on parle de cette trilogie. Et là, nous sommes au moment de la sortie de l’album, ce qui est toujours assez exceptionnel, même si les retours sont très bons dans les médias. J’attends maintenant ceux des auditeurs, qui sont une étape ultra-importante. Pour l’instant, je suis un peu en eaux troubles… ! (Rires)
– Je comprends très bien cette impression de vertige. Mais sur une trilogie comme celle-ci, on se lance tout de même dans une aventure sur le long terme, c’est-à-dire que vous ne pouvez pas ne pas faire le troisième…
Exactement ! Ça veut dire qu’il y a quelque chose de prédéfini ou de préparé. Mais sincèrement, je ne sais ce que demain nous réserve. C’est aussi pour ça que cette trilogie m’intéresse, même si j’ai du mal à intégrer l’idée pour l’instant. Julien a un rapport à l’écriture et je le comprends bien. Cela dit, il y a une globalité qui est assez effrayante. C’est le temps qui décide un peu de tout ça, par rapport à nos vies, et notre musique en est le reflet. Et avec tout ce que j’ai injecté de ma vie dans ce nouvel album, je suis vidé.
– Avant de parler du contenu de « Saddiction », j’aimerais qu’on parle de la production. Une trilogie s’étale environ sur 6/8 ans et vu les avancées technologiques actuelles, tout peut aller très vite, sans même parler d’IA. Vous vous êtes-vous posé des limites pour que ces trois albums gardent une unité sonore ?
C’est une bonne question car, pour moi et avec un peu de recul, les choses se sont faites assez naturellement sur les deux derniers albums. On ne se pose aucune limite, car ce serait grave quand même. En revanche, cela nous arrive de ne pas être d’accord et de mettre nos idées en opposition, bien sûr. Il y a toujours débat, mais il y a des choses assez naturelles au niveau de la composition. Avec tout ce qu’il s’est passé pour « A Loner », la signature avec Nuclear Blast, une visibilité augmentée, beaucoup de concerts car on n’a jamais autant joué de toute notre vie, on a senti avec Julien le besoin de prendre du temps pour digérer tout ça. Et finalement, cette espèce de schizophrénie nous a poussés à composer directement. On a été très inspiré, chacun de notre côté. Et comme j’ai déménagé au bord de la mer, je suis arrivé avec des morceaux plus lumineux et il y a eu un frein de la part de Julien, car il n’arrivait pas à entrer dans le truc. Il a fallu que je me réadapte, que je revois ma copie. Donc, tu vois, notre musique dépend de tout ça, de tous ces paramètres personnels dans nos vies. En fait, on ne se met pas de frein, mais il nous arrive de nous recadrer, de rester sur une espèce de ligne directrice en laissant aussi de la marge à la création et à l’exploration. C’est magique en tout cas de pouvoir écrire comme ça. Je touche du bois, car on arrive encore à être inspiré par la vie qui passe et tout ce qu’il peut y avoir autour. Et de tout ça, c’est vraiment génial d’en sortir des mélodies !
– En revanche, musicalement, l’évolution de HANGMAN’S CHAIR est nette, et pas seulement depuis « Saddiction » ou « A Loner ». Les influences gothiques et Cold Wave sont manifestes. Est-ce pour mieux coller au propos de l’album, ou c’est plus largement une direction que vous entendez tenir à l’avenir ? Parce qu’on est quand même très loin du Sludge de vos débuts…
Clairement ! On a commencé en 2005 avec HANGMAN’S CHAIR et je pense qu’à ce moment-là, on était très à fond dans la veine du groupe qu’on avait avant et qui était plus Hard-Core et Metal, tirant même sur le Doom et le Sludge de la Nouvelle Orleans. On écoutait énormément Pentagram, Saint Vitus, etc… C’est vrai que cela a dépeint sur nous et HANGMAN’S CHAIR est arrivé juste après. Sur nos deux premiers albums, on était complètement dans l’exploration. C’est vrai qu’aujourd’hui, j’ai un peu de mal à réécouter ces disques, car on s’y perd un peu nous-mêmes. Mais c’est assez touchant, car ce sont nos débuts aussi. Je pense que c’est avec « Hope / / / Dope / / / Rop » (2012 – NDR) que la bascule a eu lieu. Il a été déclencheur pour la suite. Après, l’important est de rester naviguer, car ça reste de la musique et c’est vraiment là que je me sens le mieux. J’ai aussi l’impression qu’on arrivait bien à digérer tout ce qu’on écoutait et c’était très varié. Ca pouvait aller de Depeche Mode aux Cure, mais aussi à la scène Hard-Core new-yorkaise qu’on a beaucoup écoutée avec les Cro-Mags, Bad Brains, etc… Ensuite, certaines choses sont revenues sur des bases qu’on aime. Dernièrement, on a peut-être écouté plus de choses Cold, post-Punk, New-Wave et gothiques. Ce sont des ambiances qu’on arrive à bien manier et dans lesquelles on sait combiner plusieurs ambiances. Julien arrive le plus souvent avec des morceaux froids et assez agressifs, tandis que les miens sont peut-être plus mélancoliques, mélodiques avec des arpèges et des effets. Et c’est ce mix des deux qui fait la couleur de l’album, sa lumière. C’est toute la magie de notre binôme.
– Comme sur « A Loner », il y a un gros travail sur les tessitures sonores et les atmosphères. Pourtant, vous restez percutants. L’ambiance post- Metal/Rock domine toujours avec un petit côté Doom sous-jacent. L’idée d’entretenir le Sludge de vos débuts est définitivement passée ?
C’est vrai que sur « A Loner » et avec tous les concerts qu’on a donné ensuite, on est peut-être allé plus loin dans le côté post-Rock et le gothique parfois. On a beaucoup travaillé le traitement du son et des tessitures. Avec « Saddiction », ce qu’on a fait naturellement, c’est peut-être retrouver ce côté doomy et Sludge de nos débuts. Ca se mélange aussi beaucoup mieux, c’est plus digeste. Le travail sur ce dernier album a aussi été de réintégrer les sons de nos premiers amours et que ce soit harmonieux. Et j’ai l’impression que ça a débouché sur le deuxième volet de cette… trilogie ! (Rires) Il y a un équilibre plus évident avec des chansons plus courtes aussi et qui sont un peu le résultat de la tournée précédente. L’envie a été d’aller droit au but sur certaines choses.
– Parlons un peu des vidéos, qui ont aussi beaucoup d’importance chez HANGMAN’S CHAIR. Sur « Cold & Distant » (extrait de « A Loner »), Béatrice Dalle faisait partie de l’aventure et cette fois sur « Kowloon Light », il y a clairement une référence au « Into The Void » de Gaspard Noe…
« Into The Void » est clairement une référence, c’est vrai, et nous sommes très fans de l’œuvre de Gaspard Noe. On a adoré ce film car, esthétiquement, il est incroyable. Il a été hyper-loin dans la photo. On n’a pas non plus voulu aller volontairement dans ce sens, mais les gens avec qui on travaille savent qu’on aime ce genre-là et que nous sommes très friands du travail de Gaspard Noe. C’est super en tout cas que tu l’aies ressenti, car c’est une grosse influence. Et puis, il y a aussi un côté cinématique chez HANGMAN’S CHAIR, parce que ça nous a toujours fait vibrer. Il y a des liens très proches avec la vidéo et la photo, c’est certain. On se rapproche de certains univers comme celui de Lynch, par exemple. J’adore les vidéos qui subliment un morceau et j’adore les musiques qui subliment les images. C’est très lié.
– Avec un album aussi conceptuel et les clips qui sont réalisés, on imagine que vous allez aussi soigner la scénographie de vos concerts à venir. De quelle manière travaillez-vous cet aspect au sein du groupe ?
On travaille avec des techniciens qui nous apportent énormément de conseils. Il faut savoir aussi que nous sommes un groupe avec un certain statut, c’est vrai, mais pas illimité. On a un agent qui travaille très bien, qui nous trouvent les dates et les budgets, donc il faut toujours aussi voir l’aspect financier et ce que l’on peut faire, ou pas. Et puis, on fait aussi une musique qui est très terre-à-terre et j’adore aussi les groupes qui n’ont pas forcément de scénographie particulière. On essaie de faire ce que l’on peut et d’améliorer à chaque fois nos concerts de ce côté-là et on a la chance d’avoir une belle équipe qui s’occupe très bien de la création en habillant la musique du mieux possible. On a déjà intégré de la vidéo sur nos concerts par le passé, mais budgétairement, c’était très compliqué. Ensuite, il y a le risque de décrochage du public avec trop d’infos d’un coup. Après, c’est quelque chose que j’aime beaucoup chez d’autres groupes, où la musique s’y prête peut-être plus. Pour l’instant, je préfère de l’habillage d’éclairage. Il y a un équilibre à trouver, il ne faut pas non plus se cacher derrière une scénographie, malgré l’air du temps où le public attend de gros shows.
– Justement, comment allez-vous organiser votre setlist ? Car, au-delà des deux derniers albums, il y a les cinq précédents ?
Ce n’est jamais évident chez HANGMAN’S CHAIR de construire un set avec la longueur des morceaux, car on joue une heure et quart/une heure et demi et même 45 minutes en festival. C’est vrai qu’à la sortie d’un album, on a envie de le jouer, même en partie, car il y a de la nouveauté à présenter. Maintenant, 2025 est une année un peu particulière, car on fête les 20 ans du groupe, donc on a envie de jouer d’anciens titres aussi. On veut en intégrer certains qu’on n’a pas joués depuis très longtemps, en ajoutant certains arrangements pour les fondre dans le set. On y travaille ! (Sourires)
– Pour conclure, est-ce vous travaillez déjà sur le chapitre final ? Ou alors, allez-vous faire une pause pour vous concentrer exclusivement à la scène ?
(Rires) J’ai des morceaux ! En fait, je compose constamment, dès que je peux. Ce n’est pas ciblé, mais j’ai des choses. J’essaie de me mettre sur mes machines le plus possible, mais il n’y a rien de défini. C’est un peu ce qu’on se disait au début de l’interview… (Sourires) Et j’ai aussi besoin de voir où « Saddiction » va nous mener et à quelle sauce on va être mangé ! (Rires)
Le nouvel album de HANGMAN’S CHAIR, « Saddiction », est disponible chez Nuclear Blast.
Photos : Andy Julia
Retrouvez également l’interview du groupe au moment de la sortie de « A Loner » :
Volontaire et ténébreux, PLAGUE OF STARS s’est sans doute nourri de la période pandémique pour créer son nouvel opus. A la fois très rentre-dedans et jouant sur des instants plus délicats, le groupe livre un disque complet et célèbre du même coup l’arrivée derrière le micro de Liz Ziegler, qui n’a pas mis très longtemps à trouver ses marques. Vocalement captivante, elle mène ces nouveaux morceaux avec aplomb et beaucoup de force. « Extinction » sort déjà du lot grâce un Metal sombre et super-efficace.
PLAGUE OF STARS
« Extinction »
(Wormholedeath Records)
C’est du côté de Minneapolis, Minnesota, que PLAGUE OF STARS a éclot en 2012 et surtout en 2014 avec la sortie de « When Morning Came », un premier opus qui allait lancer une sorte de quête d’un Metal presqu’absolu entre Doom, Gothic et aux saveurs Black et Heavy. Composé de musiciens expérimentés, le quintet sort aujourd’hui son troisième album studio, auquel il faut ajouter un live (« Virtual Live » en 2021) et un single il y a trois ans. Ce dernier marque d’ailleurs l’ultime prestation de son ancienne chanteuse, Melissa Ferlaak.
Car, c’est dorénavant Liz Ziegler qui a pris les rênes du chant chez PLAGUE OF STARS, et qui parvient dès son arrivée à imposer sa patte et un registre clair et puissant. Pas de hurlements, ni de grognements, ce qui rend ce nouvel album sans doute plus percutant, notamment au niveau des textes, qui restent dans une veine très sombre. « Extinction » révèle donc sa nouvelle frontwoman, laquelle offre d’ailleurs un très bon duo avec celle qu’elle remplace désormais sur le morceau-titre, un geste de grande classe pour un titre détonnant.
Après la courte intro (« Akerra »), « Vain » nous propulse dans un Metal musclé, vif et massif. Tout en restant mélodique, PLAGUE OF STARS frappe fort en distillant une ambiance apocalyptique savamment constituée d’influences diverses qui se retrouvent sans mal. De « False Reality » et son petit côté symphonique au percutant « Sentinels », en passant par le plus éthéré « Shift » et jusqu’à « Akelarre », qui clot ce nouvel effort en réponse à l’intro, les Américains frappent fort, évitent toute répétition et jouent sur une originalité exemplaire.
Sombre et élégant, « Withered Heart Standing » est certainement l’album le plus élaboré et abouti des Italiens. A la fois très soutenu et aérien, ce quatrième opus s’inscrit dans une lignée Death Doom classique que TETHRA a enrichi d’une voix féminine plus lumineuse, d’un saxo captivant et de touches de piano bien senties. Sous des traits légèrement gothiques, l’ensemble est introspectif et questionne sur la solitude et la perte dans un élan pourtant positif. Rappelant subtilement Katatonia ou Paradise lost, il est difficile de ne pas succomber.
TETHRA
« Withered Heart Standing »
(Meuse Music Records)
Entre mélancolie et colère, Doom et Death, le combo transalpin poursuit son chemin entrepris avec « Drown Into The Sea Of Life » en 2013. Plus de dix ans après son premier effort, TETHRA a considérablement enrichi son univers en accentuant l’aspect gothique dans un registre mélodique et narratif. Et c’est loin d’être la seule dualité à l’œuvre sur « Withered Heart Standing », par ailleurs remarquablement produit et à l’artwork soigné. Et le travail sur les arrangements le rend également très délicat à de nombreux égards.
La force de la formation milanaise est de ne pas rester emprisonnée dans une même atmosphère, mais au contraire d’y développer des variations multiples, passant d’un registre à un autre avec facilité. Pour preuve, les guests venus prêter main forte, ou plutôt même embellir ce nouvel opus de TETHRA. Mais c’est avant tout le frontman qui donne l’exemple avec une partition où il alterne un growl menaçant avec un chant clair de baryton, qui laisse entrevoir la lumière. Car « Withered Heart Standing » n’est pas si ténébreux qu’il n’y parait.
Pour offrir encore plus de relief à un propos très intime et personnel, TETHRA accueille la chanteuse Elisabetta Marchetti sur l’excellent « Days Of Cold Sleep » et « Nighttime Surrender ». Le saxophone de Corrado Bosco élève encore un peu plus « Like Water », tout comme le piano de Davide Brambilla sur « Commiato » et le violon d’Adriano Ancarani sur le flamboyant « Liminal » notamment, paré aussi de guitare acoustique. Maîtrisant parfaitement son sujet, le groupe reste très Heavy dans les guitares et impose sa signature.
Figure incontournable de la scène Doom Metal espagnole et européenne, HELEVORN célèbre son premier quart de siècle avec l’un de ses meilleurs opus. Très éclectique, elle montre un visage polymorphe et actuel, tout en vibrant sur des sonorités très 90’s à l’occasion. Toujours prompt à afficher ses origines, le groupe multiplie les variations musicales selon son humeur et propose sur ce très bon « Espectres » un voyage souvent mélancolique, mais aussi lumineux à travers des mélodies très soignées.
HELEVORN
« Espectres »
(Meuse Music Records)
Les eaux turquoises et le soleil radieux de son archipel n’ont toujours pas d’emprise sur le puissant et élégant Doom Metal du combo originaire des Baléares. Après 25 ans d’existence, HELEVORN, qui a fait appel au batteur Sebastià Barceló pour les sessions studio, sort un cinquième album, « Espectres », avec la régularité métronomique d’une réalisation tous les cinq ans. Enregistré et mixé à Majorque, puis masterisé en Suède par Jens Bogren (Opeth, Katatonia, Paradise Lost), il parvient encore à surprendre grâce à un univers original.
Malgré le contexte, HELEVORN prend avec toujours autant de plaisir le contrepied d’un environnement idyllique pour plonger dans une atmosphère Death/Doom, d’où émanent des effluves gothiques qu’on imagine inspirées de l’imposante cathédrale Sainte-Marie. La parenthèse touristique faite, « Espectres » libère des émotions intenses et profondes, offrant une dramaturgie à un ensemble loin d’être linéaires, et qui est le fruit d’une combinaison maîtrisée entre une puissance brute et une grande délicatesse d’écriture.
Avec un bel équilibre entre des guitares tranchantes et des claviers aux ambiances sombres et pesantes, « Espectres » impressionne par la qualité d’interprétation et de composition. La dualité du chant de Josep Brunet est incroyablement fluide. Le Metal des Ibériques agit avec force, tout en laissant de beaux espaces à des plages plus douces comme sur « L’Endemà », chanté en catalan avec Inès González. HELEVORN est tout sauf uniforme et le prouve avec beaucoup de classe (« Signals », « The Defiant God », « Children Of The Sunrise »).
Grâce à un songwriting racé et efficace, ce nouvel album de DAEMON GREY est un mix très équilibré entre un Metal Indus très Dark et des atmosphères où le Heavy croise la New-Wave sans sourciller. Originaire du Canada, le musicien a habillé des marqueurs très 90’s d’une enveloppe moderne, un brin sophistiquée, qui rend « Daemonic » très fédérateur grâce à des mélodies entêtantes.
DAEMON GREY
« Daemonic »
(Out Of Line Music)
Après « Follow Your Nightmares » sorti il y a deux ans, le Canadien poursuit son ténébreux et horrifique périple avec « Daemonic », un deuxième opus toujours aussi bien produit et bien écrit. Si DAEMON GREY se nourrit de nombreux styles du Heavy au Nu Metal en passant par le Gothic et avec un soupçon de New-Wave et d’Indus, ce sont surtout les années 90 qui semblent avoir eu une forte emprise le chanteur de Toronto. Avec le revival actuel, c’en est presque à se demander si le début des années 2000 a vraiment existé.
Bien que démoniaque à bien des égards, DAEMON GREY a mis de côté les histoires liées à Dieu ou au Diable pour plonger sans un univers où Satan se tient au coin de la rue. Il est question d’amour, de douleur, de sexe, d’obsession, de pouvoir et de courage et chaque titre de « Daemonic » est un tableau dressé par le frontman. Musicalement très Heavy, les influences sont plutôt bien digérées, même si l’on pense inévitablement à Zodiac Mindwarp, Marilyn Manson, Seether, Rob Zombie ou Ministry.
Avec des arrangements qui font la part belle aux machines, mais tout en gardant des guitares très présentes et des riffs bien tranchants, DAEMON GREY fait le choix d’une production finalement très organique. Pêchu et mordant, il nous embarque dans un climat houleux et sombre, mais aussi très accrocheur et dynamisant (« Gothy Love », « Still A Slut », « Dear Vampire », « Daemonic »). Et si l’on excepte la pauvre ballade « To My Grave » et le navrant bluesy « Trouble », le Dark Metal du musicien tient la route.
Toujours aussi passionné, mystérieux et arborant ce petit sourire énigmatique, inquiétant et provocateur, THE 69 EYES continue de faire vibrer le monde gothique en étant depuis trois décennies l’un des patrons du Rock/Metal Dark et Glam. Entraînants et dotés d’une séduisante fraîcheur, le temps n’a pas de prise sur les Scandinaves, dont chaque nouvel album semble être une cure de jouvence. Et « Death Of Darkness », avec ses sonorités très 80’s, est un modèle du genre.
THE 69 EYES
« Death Of Darkness »
(Atomic Fire Records)
En plus de 30 ans de carrière, THE 69 EYES n’a jamais change de line-up, ce qui force le respect. Musicalement, c’est un peu la même chose, puisque le quintet ne bouleverse pas beaucoup les bases très solides de son Dark Rock teinté de Metal. Par conséquent, ce nouvel et treizième album ne déroge pas à la règle, il s’inscrit dans la continuité et fait honneur au style gothique dont la formation est un pilier… et pas des moindres.
Morbidité, Glam, sexe et surnaturel sont toujours les ingrédients favoris de THE 69 EYES et malgré tout, « Death Of Darkness » se montre très entraînant et même vampirisant à plus d’un titre. A travers sa musique, il continue donc sa mission : rendre son Rock/Metal toujours aussi sombre et accessible et ce ne sont pas ces nouvelles compositions, qui vont entraver sa route. Le groupe va de l’avant et se fait plus actuel que jamais.
Si l’on peut penser à Billy Idol (« Dying In The Night ») ou à Sisters Of Mercy (« Drive »), THE 69 EYES reste identifiable entre tous et détenteur d’une empreinte inimitable. On notera aussi cet excellent duo avec Kat Von D, « This Murder Takes Two », où l’on imagine facilement ceux chantés à l’époque par un certain Johnny Cash. Les Finlandais ouvrent leur spectre et on se régale de tant de créativité (« California », « Sundown », « Outlaws »).
Occulte et horrifique, DEATHLESS LEGACY n’a pourtant pas peur de faire un Metal accessible, très mélodique aux teintes progressives dans un écrin où la production massive joue un rôle essentiel et fédérateur. Capable de se fondre dans un Dark Rock comme dans un Power Metal costaud, les Italiens ouvrent la voie à une carrière qui n’attend dorénavant que son décollage. Et « Mater Larvarum » devrait sans problème les y aider.
DEATHLESS LEGACY
« Mater Larvarum »
(Scarlet Records)
Même si le groupe a été fondé en 2006, on compte sur les doigts d’une main les fois où les Italiens ont quitté leur Italie natale pour se produire. Pourtant, à l’écoute de ce « Mater Larvarum », la puissance et les mélodies qui en émanent sont d’une grande intensité et d’une maîtrise totale. Mené par sa fougueuse frontwoman, DEATHLESS LEGACY s’impose avec talent sur ce sixième album, qui devrait enfin les installer sur la scène européenne.
Héritier direct du mythique combo transalpin Death SS, le quintet (accompagné d’une ‘performeuse’ sur scène) affiche un style à la fois musclé et tendu mais évolue également dans des sphères plus progressives et même symphonique et gothique dans leur approche. En réalisant un album-concept renouant avec un Heavy Horror cher à King Diamond, DEATHLESS LEGACY nous projette dans un monde de férocité féminine pourtant sexy.
En démarrant ce très bon opus avec « Ora Pro Nobis », la formation annonce la couleur. Dark et effrayante, les atmosphères se révèlent accrocheuses et regorgent de refrains entêtants (« Moonless Night », « Nightfall »). Au chant, Steva livre une performance solide en jouant sur une grande puissance vocale et un timbre qui lui permet bien des audaces (« Hollow », « Altar Of Bones », « Run » et le morceau-titre). DEATHLESS LEGACY s’impose de belle manière !
Sur des structures musicales très élaborées, une production aux petits oignons et grâce à des musiciens en complète maîtrise, les Finlandais de RIOGHAN surprennent avec « Different Kinds Of Losses », qui est pourtant seulement leur première longue réalisation. Mené par une chanteuse dont la voix possède une puissance telle qu’elle peut emprunter une multitude de chemins, le trio rayonne grâce à une technique hors-pair et un souffle artistique impressionnant, savamment distillé dans un Metal Progressif assez dark.
RIOGHAN
« Different Kinds Of Losses »
(Inverse Records)
Après avoir suscité l’intérêt et la curiosité avec un premier EP « Blackened Sky » sorti en mars 2021, RIOGHAN se livre cette fois, et enfin, sur un premier album complet, qui ne manque pas de piquant. Très original, le groupe est le projet initial de la chanteuse et poétesse Rioghan Darcy, aka Jenni Perämäki, dont la voix se fait porte-parole d’une identité musicale très forte et mouvante. Car à travers son Metal Progressif, le trio verse également dans des atmosphères gothiques avec quelques aspects extrêmes déchaînés.
Composé du trio Teemu Liekkala (guitares, basse, claviers et production), Valtteri Revonkorpi (batterie) et de sa frontwoman, RIOGHAN a su parfaitement s’entourer, car on retrouve les collaborations de Jonas Renkse (Katatonia), Einar Solberg (Leprous) et Teemu Koskela (ex-Celesty) sur ce « Different Kinds Of Losses » aussi bien produit que sa conception est riche. Avec une vocaliste à même de se faire aussi délicate que rageuse, le trio avance avec une assurance de musiciens plus que confirmés.
Sur des morceaux qui ne traînent pourtant pas en longueur vu le registre, RIOGHAN parvient à multiplier les ambiances au sein-même des titres pour délivrer une saveur toute particulière à son Metal très protéiforme (« Promises », « Breath », « Home »). S’engouffrant aussi dans des sonorités électroniques (« Bruises », « Innocence »), les Scandinaves montrent une audace d’une grande fraîcheur et imposent déjà une touche très identifiable grâce à un jeu très inspiré (« Lights », « Summer »). Des débuts plus qu’enthousiasmants !
En trente ans de carrière, CELESTIAL SEASON a posé une empreinte conséquente sur le Doom, empruntant de multiples sentiers et osant des combinaisons audacieuses. Les sept musiciens qui composent cette institution se sont lancés cette année dans une trilogie, « Mysterium », dont le second volet sort aujourd’hui. Le Doom des Bataves joue sur des tonalités et des couleurs abyssales issues du Death, du Gothic avec une touche de classique et avec toute la finesse qu’on leur connait.
CELESTIAL SEASON
« Mysterium II »
(Burning World Records)
Groupe au parcours atypique, CELESTIAL SEASON a retrouvé un second souffle depuis un peu plus de deux ans. En 2020, les Hollandais sont revenus avec la fameuse Box « The Doom Era », rompant ainsi de belle manière un silence assourdissant de 20 ans. Depuis, les vétérans du Doom se sont fixés autour d’un line-up solide de sept musiciens inspirés et créatifs et surtout un style unique en son genre.
En marge d’une flopée de singles et d’EP, « Mysterium II » est le huitième album de CELESTIAL SEASON et il surgit sept petits mois seulement après le premier volume. Avec cette seconde partie de la trilogie en cours, le sextet reprend les choses où elles en étaient et poursuit ce voyage sombre et ténébreux dans des atmosphères Death et gothiques où la mélancolie se noie dans un désespoir palpable et hypnotique.
Le travail et l’interprétation de Jiska Ter Bals (violon) et Eliane Anemaat (violoncelle), ainsi que des guitaristes Olly Smit et Pim Van Zanen font de CELESTIAL SEASON un combo hors-norme, qui prend encore de l’ampleur grâce à la voix toute en nuances de Stefan Ruiters. Et la métronomique, mais très organique, rythmique basse/batterie de Lucas Van Slegtenhorst et Jason Kohnen fait le reste. La symbiose est totale.
Musicalement, les morceaux prennent le temps de poser des ambiances saisissantes et « Mysterium II » se fait obsédant en jouant avec une grande maîtrise sur les contrastes (« The Divine Duty Of Servants », « Tomorow Mourning », « The Sun The Moon And The Truth », « Pictures O Endless Beauty – Cooper Sunset »). CELESTIAL SEASON voit et fait les choses en grand pour s’imposer avec maestria. Une habitude…