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[No One Is Innocent] : l’avenir en pointillé… [Interview]

Si NO ONE IS INNOCENT reprendra la route l’an prochain, son avenir discographique est, quant à lui, plus qu’incertain. L’engagement que cela demande en termes d’investissement personnel a fait naître chez Kemar et Tranber, historiques frontman et bassiste du groupe, cette réflexion sur l’avenir de leur énergivore combo. En attendant, c’est donc avec un ‘Best Of’ un peu particulier, que le quintet revient dans les bacs en proposant quelques inédits et surtout deux nouveaux titres, « L’Arrière-Boutique du Mal » et « Ils Marchent », qui ouvrent et ferment « Colères ». Au total, ce sont 16 morceaux qui ont marqué les esprits et la scène française durant ces 30 ans de combat musical. L’occasion de discuter avec Kemar de cette belle aventure, de ce disque, de notre époque et d’une suite tant espérée…   

– Sans entrer dans les détails des problèmes judicaires qui t’ont touché, NO ONE IS INNOCENT a vu son line-up éclater à ce moment-là. Comment est-ce que tu l’as ressenti et de quelle manière as-tu reconstruit le groupe ?

Avec Tranber, on a senti qu’émotionnellement, les autres l’avaient mal vécu. Et dans ces moments-là, il y a un peu d’animosité et certaines choses qui refont surface. Ça ne nous a pas plu et nous a même un peu refroidis. Il y a aussi eu des désaccords sur la façon de revenir, c’est-à-dire la date, les concerts et certains voulaient aussi lever le pied. Bref, trop de trucs lourds et au-delà de ça, le fait d’arrêter n’était pas vraiment au rendez-vous pour Tranber et moi. A un moment donné, il ne faut pas se forcer à remonter dans un bus et, finalement, faire croire aux gens qu’on est de super potes et qu’on aime jouer ensemble. Ça ne marche pas comme ça dans NO ONE ! Ensuite, ils ont décidé d’eux-mêmes de quitter le groupe. Et puis, on s’est dit aussi que ce n’était pas la première fois qu’on vivait ça. Les lines-up ont souvent été difficiles dans le groupe, parce que cela implique beaucoup d’énergie, de la fatigue, … Il faut pouvoir supporter tout ça aussi. Et puis, on ne raconte pas des choses anodines, non plus, et ça peut déboucher sur des débats un peu houleux. On s’est très vite retourné pour trouver d’autres musiciens, et voilà.

– On te sait combatif, mais est-ce que l’idée de mettre fin à l’aventure NO ONE IS INNOCENT t’a tout de même traversé l’esprit ?

Oui ! Avec Tranber, elle nous avait déjà traversé l’esprit. J’ai commencé à lui en parler bien avant. Nous sommes vraiment très liés et même au début de la composition d’« Ennemis », j’ai senti quelque chose. Il y aussi le fait de devoir assumer ce que demande physiquement NO ONE quand tu joues un concert parfois quatre fois par semaine. Tu perds des ‘points de vie’ et c’est une chose qu’on avait déjà abordé. Ce n’est pas forcément une question artistique, car on avait encore des morceaux et on n’avait pas envie de se freiner. Mais l’assumer sur scène, c’est vraiment différent ! On ne triche pas ! Faire un concert avec un pied de micro, c’est carrément impossible ! Je recherche une transe, c’est-à-dire l’inattendu et voir ce qu’il va se passer. Chaque concert est différent et cela demande une énergie énorme. Et puis, il y a aussi cette idée de faire l’album de trop. C’est quelque chose qui m’angoisse total ! Je n’ai pas envie d’être Kiss, Deep Purple ou Alice Cooper ! (Rires) On a peut-être une exigence scénique plus forte qui joue sur certains membres et c’est normal. Et c’est vrai qu’avec les gars qu’on a choisi, eux seraient partants pour continuer, sortir des albums et repartir sur la route ! Mais, ils ne sont pas à notre place.

Kemar & Tranber, piliers du groupe

– A en juger par les deux inédits « L’arrière-boutique Du Mal » et « Ils Marchent », NO ONE IS INNOCENT repart sur de solides bases. Il y a toujours cette culture du riff et ce son qui vous caractérise tant. J’imagine que les nouveaux membres connaissaient le groupe, puisque la ligne directrice est respectée et l’ADN très perceptible. Comment se sont  passées les discussions au moment de composer ?  

Si tu prends Fred Mariolle (guitare – NDR), il a toujours gravité autour de NO ONE, il a même fait des concerts avec nous et il a surtout co-écrit deux titres de « Propaganda » à l’époque. C’est la première personne qu’on a appelé ! Ensuite il nous a présenté Mathys (Dubois, batterie – NDR) qu’on avait déjà vu jouer en concert avec un autre groupe et il nous avait tapé dans l’œil. Et puis Marceau (guitare – NDR), c’est Mathys qui l’a rencontré dans un festival et qui lui a dit qu’on cherchait un guitariste. Et c’est parti comme ça ! C’est génial ! (Rires)

– Dans votre large discographie, il manquait un ‘Best Of’, c’est vrai. Est-ce que, justement, ce retour sous un nouveau line-up était l’occasion de marquer le coup, et surtout d’amorcer une nouvelle ère chez NO ONE INNOCENT, sans parler de nouveau départ ?

C’est vrai qu’un ‘Best Of’, ça pose une cloison et c’était voulu. Après les concours de circonstance font que cela se fait avec un nouveau line-up. Mais avec Tranber, on avait déjà décidé de mettre une fin au chapitre. Mais c’est peut-être aussi tant mieux que cela se fasse comme ça ! Il y a une espèce de fraîcheur. Lors du dernier concert qu’on a donné cet été en Belgique, on a eu l’impression avec Tranbert qu’on n’avait pas ressenti un tel enthousiasme depuis longtemps ! C’était vraiment cool !

– « Colères » balaie plusieurs périodes de vos 30 ans d’activités bien sûr, et présente aussi plusieurs titres live. C’était important pour un groupe de scène comme vous d’en mettre autant ? Et puis, l’énergie sur ces versions est incroyable…

En fait, ces morceaux ont beaucoup évolué sur scène par rapport à ce qu’ils pouvaient raconter sur les versions studio. Et puis, ce sont des titres qui marquent aussi une période de l’histoire du groupe. Je pense à « Nomenklatura », par exemple, qui nous figent dans notre combat contre les extrêmes que ce soit politiques ou religieuses. « Chile » est le fruit de notre voyage au Chili et en Argentine avec cette phrase de Pablo Neruda qui est scandé : « Nous gagnerons même si tu ne le crois », qui est pour moi très emblématique de ce qu’est NO ONE, en fait. Mettre ces versions-là avait beaucoup de sens.

– Et puis, il y a cette version de « Massoud » revisitée avec le Lahad Orchestra, ce qui lui donne un aspect encore plus oriental. Peux-tu nous en dire plus sur les conditions d’enregistrement et surtout la démarche en elle-même ?

C’est venu d’une rencontre faite par hasard avec un groupe de musiciens influencés par les musiques orientales et qui donnent des cours aussi. Leur répertoire est aussi constitué de chansons qui ne sont pas anodines et qui donnent même lieu à des débats un peu houleux. On leur a proposé de travailler avec nous sur la réorientation orientale de trois/quatre titres. Ils ont été super enthousiastes, d’autant que les morceaux de NO ONE ne sont pas forcément ce qu’ils écoutent tous les jours. Il y avait une espèce de challenge très intéressant et cela nous permettait aussi d’entendre nos chansons différemment. Et surtout, on a eu la chance de les jouer avec eux et ça a été magique ! C’est une seconde jeunesse pour ces morceaux. A un autre niveau bien sûr, il y a un petit côté Led Zep quand Page et Plant ont joué « Kashmir » avec The Egyptian Orchestra (dirigé par Hossam Ramzi – NDR).

– L’ombre de ‘Charlie Hebdo’ plane aussi sur « Colères » avec notamment un discours très poignant d’une des journalistes. Les conditions ce soir-là, à la Cigale à Paris, étaient très spéciales. Comment se sent-on à ce moment-là sur scène ? Entre émotion et colère ?            

Il y a tout qui se mélange à ce moment-là… Je sais que j’ai craqué ce soir-là avec le discours de Marika Bret de ‘Charlie Hebdo’. Et puis, c’était en plein concert, cela faisait déjà une heure qu’on jouait et nous étions en tension totale. L’adrénaline était à son max. Alors, quand elles sont venues parler… Et puis, il y a tout ce que cela a représenté pour nous aussi avec « Charlie ». Tous ces sentiments-là se sont mêlés. Avec Tranbert, c’est aussi notre génération et il y avait tous ces gens qui renvoyaient tellement d’affection en scandant ‘Charlie’. C’était une ode à la résistance, c’est peut-être dix fois plus fort que de jouer un morceau !

– C’est ce que j’allais te dire,  car ce n’est pas un morceau, mais un discours. Et puis, il est présent sur le ‘Best Of’ entre les chansons sans préparer de suite au disque…

C’était important ! Avec Tranber, on s’est dit qu’il fallait qu’on le mette, parce que c’est aussi un moment crucial de notre carrière. C’est tout ce qu’on a essayé de construire avec ce groupe. Et il exorcise l’horreur également, tout en étant un instant de résistance. C’est tout ce qu’on a toujours voulu faire avec NO ONE !

– Un mot quand même sur l’actualité, qui est un sujet viscéral chez NO ONE IS INNOCENT. Entre le FN (appelons-les par leur nom !) en France, l’extrême droite partout en Europe, les meurtres à Gaza et ailleurs, certaines chansons de votre répertoire ressurgissent. J’imagine qu’en ce moment les idées de textes ne manquent pas… Qu’arrive-t-il à nos sociétés ?

J’ai l’impression que le mot ‘Colère’ n’a jamais été aussi scandé, hurlé et évoqué qu’en ce moment. Il y a tellement de carences au niveau judiciaire, économique, sociétal… Tout s’entremêle et il y a une espèce de dérèglement. On parle de dérèglement climatique, mais il y a aussi celui-là dans nos sociétés. C’est ce dont je parle dans « Ils Marchent » et qui fait vraiment flipper. (Silence) Pour être honnête avec toi, j’ai l’impression qu’on est en sursis. Ce morceau est un témoignage qui dit ça, que nous sommes en sursis du pire ! Il faut que les lignes bougent… C’est aussi pour cette raison qu’on a décidé de l’interpréter de cette façon-là, sans mettre les watts à 12 pour le dire. Ce sont les gars qui m’ont dit spontanément que ce texte-là n’avait pas besoin d’être scandé. Et dans l’histoire du groupe, il y a aussi eu des morceaux très forts qui n’avaient pas besoin d’être joué les potards à fond. On avait envie de dire des choses et là, il y a une menace et une peur qui transpirent du morceau. Je pense que nous sommes très nombreux à le ressentir. J’espère que la chanson fera un peu mouche chez les gens qui sont sensibles musicalement et aussi au niveau du texte. Vraiment, cela fait 30 ans que NO ONE est là et je n’ai jamais ressenti ça… Et on a été de tous les combats pour lutter contre les extrêmes, le racisme, les blitzkriegs sociales, les fous de religions, … Mais ça là, ce sursis du pire, je ne l’ai jamais autant ressenti.

– Pour conclure et rester un court instant sur le sujet, il y a une question que je pose à certains groupes quand l’évidence est manifeste : est-ce qu’on peut écouter et apprécier NO ONE IS INNOCENT et être de droite ?

Ouais, bien sûr ! NO ONE n’est pas seulement un groupe à texte. Pourquoi un mec de droite n’aura-t-il pas envie de kiffer juste la musique ? En concert, je ne suis pas sûr que les gens devant nous soient tous de gauche…

– Vous leur mettez quand même plein la gueule…!

Oui… Mais je pense qu’il y a une façon de dire les choses. Si on était un groupe Punk premier degré, genre ‘Macron enculé !’ etc…, ce serait le cas, bien sûr. Il y a des mecs qui m’ont déjà dit : ‘je suis de droite, mais je vous écoute’. Alors, pourquoi je vais commencer à l’emmerder ? (Rires) C’est Kurt Cobain qui disait : « Je ne suis pas gay, même si j’aimerais bien, juste pour faire chier les homophobes ». Alors, que tu sois de droite ou de gauche, j’ai envie de dire que si tu viens nous voir, c’est avant tout parce que tu aimes la musique. Il ne faut pas oublier que NO ONE est un groupe qui fait de la musique et, après, qui dit des choses. Tu sais, à certains moments, je me suis trouvé un peu déstabilisé, parce qu’on ne me parlait presque plus de musique. Effectivement, il y a dans les textes des sujets souvent tellement lourds et importants. Alors forcément, cela rebondissait et les gens avaient envie de parler de ça. C’est quelque chose que je ressens encore. Et pour être complètement honnête avec toi, les politiques culturelles des mairies de droite sont parfois plus cool que celles de gauche. Ça nous ait arrivé des dizaines de fois en parlant avec des directeurs de salle qu’on nous dise qu’avec des maires de droite, on leur donnait les clefs et on faisait le point dans un an. Alors qu’avec la gauche, c’est souvent : ‘Attention, on veut avoir la main sur la programmation’. Une façon de dire que la culture, c’est nous. Ca existe et ce n’est pas une légende ! C’est aussi un détail qui veut dire beaucoup de choses…

Le ‘Best Of’ de [NO ONE IS INNOCENT], « Colères », est disponible chez Verycords.

Photos : Guihal Nicko (2), Erwan Raphalen (4) et zOz (5).

Retrouvez l’interview de Kemar à la sortie de « Ennemis » et la chronique de l’album :

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Blues Blues Rock Contemporary Blues

Joe Bonamassa : fastueux

Avant de reprendre le chemin des concerts (d’ailleurs a-t-il seulement arrêté ?) pour des prestations qui s’annoncent hors normes, sur mer comme sur terre et y compris avec le fameux Black Country Communion, le guitariste et chanteur se fait plaisir avec un deuxième volume de son « Blues Deluxe », paru en 2003. JOE BONAMASSA nous gratifie de huit magnifiques reprises et de deux originaux inédits, le tout avec la virtuosité et le feeling devenus sa signature.

JOE BONAMASSA

« Blues Deluxe Vol.2 »

(J&R Adventures/Mascot)

Afin de se rappeler au bon souvenir de son album « Blues Deluxe » sorti il y a 20 ans et qui l’a célébré dans le monde entier, JOE BONAMASSA nous offre un second volet tout aussi brillant et inspiré par les artistes qui ont façonné son style. C’est aussi une façon pour l’Américain de jeter un regard sur une carrière exceptionnelle, où il s’est hissé parmi les bluesmen aussi incontournables que prolifiques. Il faut reconnaître que le chemin parcouru en deux décennies est défiant, tant il incarne aujourd’hui le renouveau du Blues.

Composé donc pour l’essentiel de reprises, « Blues Deluxe Vol.2 » donne toute la mesure de la progression (et oui !) de JOE BONAMASSA en tant que guitariste bien sûr, mais surtout comme chanteur, un rôle qu’il avoue avoir toujours du mal à pleinement assumer. Pourtant, la maturité de son chant est incontestable, tout comme la finesse et la précision de son approche des standards qu’il interprète ici. Et au-delà bien sûr de la qualité de la production, les arrangements sont comme toujours très soignés.

De Bobby ‘Blue’ Bland à Fleetwood Mac en passant par Guitar Slim et Albert King, JOE BONAMASSA revient à ses premières amours, celles qui ont forgé son identité de bluesman. Repris avec toute l’élégance qu’on lui connait et avec beaucoup d’humilité, ces huit morceaux cohabitent avec deux originaux. « Hope You Redize It (Goodbye Again) » a été composé avec Tom Hambridge, tandis que son complice et guitariste Josh Smith signe « Is It Safe To Go Home ». Une fois encore, c’est du grand luxe !

Photo : Adam Kennedy
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Metal Progressif

Leprous : en scène !

Tout en annonçant une grande tournée européenne, LEPROUS a eu la bonne idée de ressortir « Aphelion » en version augmentée. Y figurent l’intégral de l’album, ainsi que deux bonus et surtout six titres enregistrés en live et notamment au festival ‘Motocultor’. Et sur scène, le Metal Progressif des nordiques prend une ampleur captivante.  

LEPROUS

« Aphelion (Tour Edition) & Live 2022 »

(InsideOut Music)

Sorti fin août 2021, le septième album des Norvégiens avait frappé les esprits et laissé une énorme emprunte dans la discographie du groupe et dans le monde du Metal Progressif plus largement. Alors, si vous avez manqué ce petit bijou, c’est le moment de se rattraper (et de belle manière !), car LEPROUS présente une « Tour Edition » d’« Aphelion » avec deux bonus et six inédits interprétés en public sur un beau double-album.

On ne reviendra pas sur la grande qualité de la réalisation studio (voir chronique ci-dessous), mais les morceaux bonus déjà présents sur plusieurs éditions valent le détour. « A Prophecy To Trust » et le live « Acquired Taste », enregistré en 2021, s’inscrivent dans le prolongement d’«Aphelion ». Et si le second morceau date de 2011 et de l’album « Bilateral », l’excellente production remédie à cet écart d’une décennie.  

L’autre disque, « Live 2022 », qui parait aussi séparément en édition limitée, présente sur 40 minutes six morceaux captés lors de la première partie de la tournée européenne de LEPROUS. On en retrouve donc quatre issus de leur prestation au ‘Motocultor’, où les Scandinaves communient littéralement avec leur public. Et c’est à Berlin que le quintet brille sur « Nighttime Disguise » et le phénoménal « The Sky Is Red ». Magistral !

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Extrême France Metal Progressif

Dirge : entre testament et héritage [Interview]

Créé en 1994, DIRGE a écumé pendant 25 ans les scènes françaises et internationales jusqu’à sa dissolution il y a deux ans. Tout d’abord dans un registre Metal Indus puis en évoluant vers un post-Metal atmosphérique et progressif, le groupe aura marqué de son empreinte la scène hexagonale et laisse un bel héritage en ayant ouvert de très nombreuses portes à la scène actuelle. Alain B. (batterie) et Stéphane L. (guitare, chant, samples) reviennent sur ce parcours et présentent « Vanishing Point », compilation testamentaire et inédite sortie le 26 mars dernier.

Photo : Stéphane Burlot

– J’aimerais tout d’abord qu’on revienne en 1994 à la création du groupe, une époque où le Metal Indus, notamment en France, était assez marginale malgré des groupes comme Treponem Pal et vous. Aviez-vous le sentiment d’être au début de quelque chose sur la scène hexagonale ?

Stéphane L. : Pour être honnête, Treponem Pal était là depuis bien longtemps quand le groupe s’est formé et ils avaient déjà une certaine notoriété (C’est vrai ! – NDR). Les premières démos de DIRGE, sorties au milieu des 90’s s’inscrivaient certes dans une tendance à la fusion machines/guitare, très inspirées par des groupes anglais comme Scorn ou Godflesh, sauf que ce Metal Industriel, qui comme tu le rappelles restait peu développé ici, me semblait alors, avec le recul, déjà sur le déclin. Donc, je n’ai pas le sentiment que DIRGE ait été au début de quoi que ce soit par rapport à ce style en France. C’est plutôt en développant une facette plus viscérale et atmosphérique à la fin de la décennie que le groupe s’est retrouvé, sans le savoir, à l’avant-garde de quelque chose de nouveau. Et pour le coup, pas seulement en France. Sauf qu’on était évidemment loin de parler de post-Metal ou je-ne-sais-trop-quoi à l’époque. Il me semble qu’il n’y avait alors guère qu’Isis, Breach et nous pour trouver un intérêt dans l’héritage sonique de Neurosis.

– Après plusieurs changements de line-up avant 2001, DIRGE a ensuite pris un virage plus atmosphérique avec des morceaux plus longs et beaucoup plus d’expérimentations sonores. Quel était votre leitmotiv à ce moment-là ?

SL. : Je ne sais pas si on peut parler de leitmotiv… Disons qu’on ne voulait se fixer aucune limite en termes d’expérimentations. C’était une tendance tacite entre nous tous, une envie commune et logique.

Alain B. : Le truc c’est qu’à partir de 1999 et mon arrivée à la batterie et celle de Zomber aux samples, le groupe est parti dans quelque chose de beaucoup plus organique et naturel. Le côté machine a ainsi commencé à s’estomper au profit d’une approche plus humaine. L’arrivée de Stéphane en 2001 n’a fait qu’amplifier cette mutation.

SL. : Avoir un véritable batteur en lieu et place d’une boîte à rythme et un mec qui joue les samples en direct a logiquement influé sur la forme de la musique, notamment en explosant le carcan imposé par les programmations et les BPM (qui constituaient paradoxalement l’ADN du DIRGE d’origine). L’abandon de cette rigidité électronique nous a d’un coup laissé beaucoup plus de liberté pour expérimenter, tester, en particulier en étirant les rythmes et les riffs et en jouant sur les répétitions et les durées. Il y a aussi eu tout un travail de recherche sur le volume sonore, le grain et les textures des amplis, un ré-accordage pour renforcer les basses et générer les vibrations les plus telluriques qui soient. Et en contrepoint de ces partis-pris de lourdeur et de puissance, on a aussi voulu introduire une véritable approche progressive et atmosphérique, pour mettre un peu d’air dans tout ce magma. Bref, on s’est retrouvé en 2001/2002 à l’orée d’un champ d’expérimentation incroyablement étendu. Tout cela a débouché sur de longues sessions d’impros pendant les répétitions, qui ont fini par devenir le corps de notre troisième album « And Shall The Sky Descend ».

– « Wings Of Lead Over Dormant Seas », votre quatrième album, a aussi marqué un tournant et une évolution dans le style de DIRGE. L’idée, là encore, était de toujours expérimenter et d’explorer de nouveaux espaces musicaux ?

AB. : On avait une idée bien précise avec « Wings Of Lead… », on voulait enregistrer tout l’album en live, avec le moins de prises possibles, afin de retranscrire au mieux les émotions. On voulait faire les choses naturellement. On a du coup énormément travaillé en amont pour traduire au mieux cette envie.

SL. : Pouvoir jouer et enregistrer d’une traite de si longs morceaux, aux structures labyrinthiques, passait évidemment par une longue préparation d’avant-studio. Apprivoiser et retranscrire au mieux les sessions d’improvisation a peut-être été le plus gros challenge. On savait que les nouveaux titres seraient encore une fois très longs et progressifs, mais il n’était pas questions pour autant d’étirer les choses gratuitement, juste pour le plaisir d’être monolithique. On voulait que tous les éléments, même les plus extrêmes (les tempos, les durées, les sons parasites, les larsens, etc) soient pertinents et servent notre vision de l’époque. Les morceaux ont dans leur majorité été profilés pour être enregistrés live et donc retranscriptibles comme tel une fois sur scène. C’est un disque qui a été fait avec très peu d’artifices studio.

AB. : Quant à l’évolution du style, je crois qu’on ne l’a absolument pas calculé, le processus de création a toujours été un peu le même entre nous.

Le visuel original (146×170 cm), « Ouverture» , par Axël Kriloffv et l’album…

– DIRGE a réellement pris son envol avec « Elysian Magnetic Fields » et « Hyperion », qui vous ont valu une belle reconnaissance et un statut de leader de la scène Indus française. Les années 2010 étaient-elles, selon toi, les meilleures du groupe ?

AB. : Disons surtout que 2011 a été le début de nombreux concerts dans toute l’Europe, avec deux tournées par an. Alors les conditions n’étaient pas simples, mais au final cela a été le début d’une super aventure. On y a noué de nombreux contacts.

SL. : C’est effectivement la période pendant laquelle le groupe a le plus existé en live, en particulier à l’étranger. Avec donc tout ce qui va avec : rencontres, découvertes de nouveaux pays, bons souvenirs et expérience douloureuses, bref, tout ce qui fait la vie d’un groupe en tournée. On est aussi devenu logiquement bien meilleurs sur scène. Et surtout, ce sont des années qui nous ont enfin permis de mieux diffuser notre musique et de toucher plus de gens. Donc pour moi, c’était de loin la meilleure période pour DIRGE. Et les trois albums sortis entre 2011 et 2018 restent mes préférés.

– Pourtant en mars 2019, il n’y a pas si longtemps, vous annoncez la fin du groupe. Qu’est-ce qui a mené à une telle décision ? Vous aviez chacun envie de vous investir dans d’autres projets ?

AB. : Tu sais, le groupe a été créé en 1994 et au bout d’un moment, tu as aussi envie d’avoir une autre reconnaissance, de monter des tournées plus facilement et de jouer dans de meilleures conditions.

SL. : Et comme rien de changeait, qu’on continuait de galérer pour monter les tournées, de s’épuiser sur la route, de dormir par terre et de perdre de la thune, on a compris que rien ne changerait, même avec un nouvel album (« Lost Empyrean »), dont on était pourtant super fier.

AB. : Du coup au bout plus de 20 ans, tu te dis effectivement que tu as fait le tour, et qu’il faut passer à autre chose. Après, au vu des très bons retours qui ont suivi « Lost Empyrean », on aurait bien un peu plus défendu l’album sur scène, mais bon c’est comme ça !

SL. : Le manque de reconnaissance et les galères on en outre fatalement abîmé l’équilibre au sein du groupe où tout commençait à devenir vraiment compliqué. On a donc décidé de terminer l’écriture et l’enregistrement de « Lost Empyrean », de tourner une dernière fois avant sa sortie, d’assurer la promo puis de saborder le groupe juste après. On a préféré arrêter tant que nous étions encore créatifs et pertinents, plutôt que de sortir le disque de trop. Histoire d’arrêter en étant honnête et au clair avec nous-mêmes. Mais il y a beaucoup de regrets et d’incompréhension, c’est sûr.

Photo : Stéphane Burlot

– Aujourd’hui, vous sortez le conséquent et très dense « Vanishing Point » qui regroupe surtout des versions inédites et live. Tout d’abord, qu’est-ce qui vous a motivé à sortir cette compilation testamentaire ? C’est pour mettre un point final à l’aventure ?

SL. : En fait, on voulait juste regrouper sur un même disque (trois au final), les inédits et les raretés qui nous semblaient importants dans l’histoire et la chronologie du groupe. Sachant que 90% de ce qui constitue « Vanishing Point » est soit inédit, soit totalement devenu introuvable, il y a derrière ce projet une dimension exhaustive et définitive qui nous semblait nécessaire pour effectivement mettre un point final à l’aventure.

AB. : Cela faisait un bout de temps qu’avec Stéphane, nous avions envie de faire enfin paraître certains inédits, de ressortir quelques raretés, de remasteriser certains titres et de les rassembler dans une compilation. Donc, cela nous a pris une bonne année pour faire le tri, retrouver les morceaux, s’arrêter sur une set-list et entreprendre toute la partie restauration et mix.

– Ces trois CD passent en revue tous les lines-up et les albums de DIRGE et vous avez confié ce travail de « restauration » au talentueux Raphaël Bovey. Comment cela s’est-il passé et comment avez-vous défini le choix des titres et des versions ?

AB. : Après le super travail de Raphaël sur « Lost Empyrean », il nous semblait évident que cet énorme boulot de mix, de nettoyage, d’harmonisation et de mastering lui revienne ! C’est d’ailleurs grâce à lui qu’il y a ce troisième CD ; son travail de restauration et de mix sur le live de 2005 nous a tellement bluffé qu’on a décidé de compléter « Vanishing Point » avec ces titres, ce qui permettait ainsi d’ajouter la dimension scénique qui manquait à la compil.

SL. : On avait besoin de quelqu’un de très compétent bien sûr, mais aussi qui connaisse bien notre musique, en qui on avait toute confiance et avec qui il serait très facile de bosser et de communiquer. Le choix était donc évident. Raph a vraiment eu un rôle décisif dans ce projet, tant il a su homogénéiser ces 25 ans de musiques, de sources et de productions parfois très différentes pour en faire un tout très cohérent.

– Après 25 ans d’une carrière très créative menée tambours battants, quelle image et quelle empreinte pensez-vous et aimeriez-vous laisser au public ? Et qu’avez-vous à dire à celles et ceux qui vont vous découvrir avec « Vanishing Point » ?

AB. : On aimerait laisser une image de sincérité. On a toujours fait les choses le mieux possible, joué avec la même intensité dans une salle vide ou dans une salle pleine ! On aime partager ce que l’on ressent, ce que l’on crée avec les gens qui nous suivent depuis longtemps, comme avec ceux qui nous découvrent.

– Enfin, il faut bien que je vous pose la question qui brûle toutes les lèvres : a-t-on une chance de revoir un jour DIRGE sur scène ou avec un nouvel album ?

AB. : Franchement, non je ne pense pas.

SL. : En tous cas, pas avec un nouvel album, ça c’est certain.

« Vanishing Point » est disponible depuis le 26 mars chez Blight Records et Division Records.

Bandcamp : http://dirgeparis.bandcamp.com

Facebook : https://www.facebook.com/DIRGE.fr

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Stoner/Desert

Dozer : maître du Stoner européen

On attendait DOZER avec de nouvelles compositions, enfin actuelles, mais il faudra encore attendre un peu. Les Suédois proposent des titres datant du début des années 2000… ce qui ne gâche rien au plaisir. Et avec une pochette signée du chanteur de Lowrider, « Vultures » fait plus que ravir.

DOZER

« Vultures »

(Heavy Psych Sounds Records)

En mars dernier, lors d’une interview à l’occasion de la réédition de trois de leurs albums, Tommi Holappa, guitariste de DOZER, m’avait confié qu’aucun nouveau morceau n’était en cours d’écriture. Et malgré l’insistance des fans (et la mienne !), il semblerait que le Suédois ait tenu parole. Certes, « Vultures » est constitué d’inédits, mais…

Se distinguant par un Stoner Rock hors-norme élevé par la voix incroyable de Fredrik Nordin, DOZER a su rendre son style aussi singulier que référent pour toute une génération de groupes. C’est à l’occasion de leur quatrième album, « Through The Eye Of Heavens », que les Scandinaves avaient alors mis en boîte ces six morceaux (et un bonus).

Enregistrés en 2004-2005 aux Rockhouse Studios de Borlänge en Suède, les morceaux de « Vultures » étaient au départ des démos de pré-production. Cela dit, il y a de quoi se ravir de les voir sortis du placard, tant certains rappellent la grande époque de DOZER (« The Blood Is Cold », « The Impostor », « Head Ghost » et le morceau-titre). On attend maintenant un vrai retour.

Retrouvez l’interview de Tommi Holappa (mars 2020) :

https://rocknforce.com/un-rocher-dans-le-desert/