La dynamique musicale adoptée par ALUNAH sur ce sixième album révèle une extrême maturité et surtout une grande maîtrise, qui permet au groupe de marier son Doom des débuts à des phases Hard Rock, progressives et psychédéliques. Avec « Strange Machine », le quatuor de Birmingham, la cité du Sabbath, lorgne vers l’excellence en s’ouvrant à d’autres horizons toujours très Stoner.
ALUNAH
« Strange Machine »
(Heavy Psych Sounds Records)
Chaque album d’ALUNAH est toujours une petite surprise en soi, tant ils sont différents les uns des autres. Et même s’il existe évidemment une continuité dans la discographie du groupe, à savoir une base Doom, la créativité des Anglais les pousse toujours un peu plus loin dans l’expérimentation et la quête d’une identité encore plus forte. Et « Strange Machine » se pose comme l’un des albums majeurs du combo.
Les changements de line-up déjà à l’œuvre sur le précédent album, « Violet Hour », semblent porter leurs fruits et ont ouvert bien des portes à ALUNAH. Toujours guidé par leur frontwoman Siân Greenaway et sa voix à la fois Soul, sensuelle et envoûtante, les Britanniques ont ajouté de la couleur à leur répertoire, qui portent désormais vers des ambiances Stoner et presque Desert.
Très solaire par moment (« Fade Into Fantasy », « Psychedelic Expressway »), c’est pourtant dans un Hard Rock doomesque et aérien qu’évolue dorénavant ALUNAH, tout en gardant ce côté épique (« The Earth Spins » avec Shane Wesley de Crowbar à la guitare) et un groove à toute épreuve (« Dead Woman Walking »). Avec « Strange Machine », le groupe est subjuguant de beauté et de clarté et son Stoner est éclatant.
Le magma dans lequel nous propulse ANNA SAGE sonne la révolte et donne l’assaut dans un Metal HxC brutal et sombre, qui n’en oublie pas pour autant de poser des ambiances savamment dissonantes et franches. Dans une veine post-HardCore sauvage, le quatuor parisien joue sur différents tableaux avec une redoutable efficacité. Rageur et captivant à la fois.
ANNA SAGE
« Anna Sage »
(Klonosphere)
A quelques mois près, ANNA SAGE fêtait ses dix ans d’existence. Un dixième anniversaire qui aurait pu être célébré de main de maître par ce premier album éponyme franchement digne de ce nom. Mais bon… Blague à part, avec « Anna Sage », les Parisiens entrent avec fracas dans la cour des grands, toujours armés du post-HardCore aussi ténébreux qu’incendiaire. Et le quatuor n’a rien laissé au hasard en appuyant là où il faut.
Après deux EP (en 2014, puis en 2018), ANNA SAGE n’a pas réduit la voilure et encore moins l’intensité de son jeu. Quatre ans plus tard, il renouvelle sa confiance à Francis Caste, celui-là même à qui l’on doit la superbe production du dernier album de Hangman’s Chair. Et bien leur en a pris, car on est d’emblée saisi par l’atmosphère de « Anna Sage » et par la finesse des arrangements et du mix.
Moderne, technique et percutant, ANNA SAGE se veut à l’image du célèbre hors-la-loi, John Dillinger, coincé par le FBI grâce à une prostituée qui a donc donné son nom au groupe. Sans concession, parfois chaotique et toujours très frontal (« The Holy Mice », « Hostile Cage », « Sinner Ablaze »), les titres sont très compacts et cette première réalisation ‘long format’ offre des sonorités impactantes phénoménales (« Wall Of Hate », « Loveless »). Pleine face !
Acéré, fulgurant et joyeux, CRISIX livre enfin un nouvel album, où il peut laisser exploser toute sa force et son envie de faire entrer ses fans dans un interminable mosh. Patron du Thrash Metal espagnol, le quintet de Barcelone se présente en « Full HD », façon déménageur. Une déflagration sonore et tout sourire !
CRISIX
« Full HD »
(Listenable Records)
Hyperactifs, les Catalans le sont à coup sûr. Depuis ses sessions « American Thrash » (2019) où le quintet rendait un hommage appuyé et très réussi à ses aînés, puis avec le très bon « EP Pizza » l’an dernier, CRISIX marque son territoire et il a tendance à très sérieusement s’agrandir. Et c’est une très bonne nouvelle tant le groupe apporte joie, fraîcheur et enthousiasme à la scène Thrash Metal européenne.
Avec le mosh élevé au rang de religion, le frontman Julián Baz et sa bande vont véritablement donner de la hauteur à leur carrière, basée jusqu’à présent sur d’incessants concerts donnés sans relâche. Inscrire sur disque l’incroyable énergie et la fougue qui se dégagent de CRISIX en live semblait être le dernier jalon à poser par les Espagnols pour asseoir définitivement leur belle réputation.
En révisant leurs classiques il y a trois ans, les thrashers sont défini et affiné leur style qui, s’il ne manque pas de folie, reste ancré dans un registre traditionnel, mais resserré pour plus d’efficacité (« Beast », « W.N.M. United » en version développée, « Extreme Fire Hazard », « Speak Your Truth »). Et enfin, CRISIX nous rappelle au bienveillant soleil de Barcelone avec « Macarena Mosh » et « Boc De Biterna ». Bouillonnant !
Tout en maîtrise et particulièrement créatif, LUX INCERTA a placé la barre tout en haut de la scène post-Metal et Doom française. Avec « Dark Odyssey », les Nantais effacent superbement la décennie passée à attendre ce deuxième album. Racée et magistralement orchestrée, cette nouvelle réalisation joue avec les ambiances et les atmosphères sans la moindre fausse note. Un modèle du genre.
LUX INCERTA
« Dark Odyssey »
(Klonosphere)
Il aura fallu attendre onze ans après « A Decade Of Dusk » avant d’avoir des nouvelles fraîches de LUX INCERTA. Il faut aussi préciser qu’entre-temps Benjamin Belot (chant) et Gilles Moinet (guitare) ont été occupés au sein de leurs formations respectives Penumbra et The Old Dead Tree. Mais cette longue décennie de patience en valait vraiment la peine, tant « Dark Odyssey » est un album saisissant et incroyable de diversité.
Sur la base d’un quintet pour l’enregistrement, car LUX INCERTA évolue aussi en concert, les Nantais nous plongent dans une aventure musicale où le Doom se fond dans un post-Metal parfois Black et même Sludge. Fort d’un univers très dark aux légers accents Gothic et New Wave, « Dark Odyssey » porte donc bien son nom et le travail d’écriture, d’arrangements et de production régale en tous points.
Sur les traces de leurs aînés et piliers du genre, les Français proposent un son très actuel à travers des morceaux très structurés et assez longs. Que ce soient les growls caverneux ou le chant clair (avec des passages en français sur « Decay And Agony »), LUX INCERTA brille de finesse et de puissance (« Far Beyond The Black Skies », « Dying Sun », « Farewell », « Fallen »). Enfin, les cordes apportent une touche profonde et délicate. Somptueux !
A force d’un travail acharné, les Lillois se présentent avec un album incroyable de créativité et osent à peu près tout à travers un registre où viennent s’entrechoquer des ambiances et des fulgurances étonnantes. STENGAH, en reprenant le titre d’un classique de Meshuggah comme nom, vise très haut et « Soma Sema » laisse entre voir le meilleur pour le quintet. Entretien avec Eliott Williame, batteur et compositeur du groupe.
– STENGAH est un nouveau venu sur la scène Metal française et dès votre premier album, vous mettez tout le monde d’accord en affichant une puissance phénoménale. Avant de parler de « Soma Sema », pouvez-vous revenir sur votre parcours, ainsi que sur votre signature chez Mascot Records pour vos débuts ?
Merci pour ce retour ! On a débuté le projet en 2013 en cherchant un line up stable et cohérent pour prendre le temps aussi de définir une identité précise et personnelle. C’est vraiment en 2016 que le groupe a commencé à exister avec les premiers concerts et la démo « Mechanic of the Sphere », sortie en avril la même année. En 2017, nous avons été sélectionnés et avons remporté le ‘Metal Battle France’, qui nous a envoyé jouer au ‘Wacken Open Air’, ce qui a été un gros tremplin pour nous faire repérer et gagner en visibilité. Ça nous a ouvert pas mal de portes, et de plus en plus de monde a commencé à s’intéresser à STENGAH. On a été très encouragé et très soutenu pendant la création de l’album jusqu’à tomber dans l’oreille d’un certain Richard Gamba, aujourd’hui notre manager et ami. Il nous a appris des milliers de choses et nous a accompagnés dans un premier temps pour sortir « Soma Sema » sur un label. Ce qui a fait la différence avec Mascot Records, c’est qu’ils se fichent un peu de savoir si le groupe est déjà connu, ou seulement émergent. Ce qui les intéresse avant tout, c’est la proposition artistique et le potentiel qui va avec. Ils y vont un peu au coup de cœur, et c’est pour ça qu’ils nous ont signé à l’époque. Honnêtement, c’est une des plus belles reconnaissances qu’on ait pu avoir sur ce disque.
– Entre Groove et post-Metal, votre style est aussi créatif que technique, ce qui rend votre album saisissant à tout point de vue. Vous jouez aussi sur les atmosphères avec un côté très progressif. STENGAH est un concentré de beaucoup de choses. Comment canalisez-vous toute cette énergie ?
Il y a un jeu de nuance que je retrouve principalement dans le Rock Progressif et le Jazz, où chaque moment va être impactant parce qu’il vient contrebalancer des couleurs musicales différentes. Ici, on joue sur le même plan, c’est-à-dire qu’un passage doux dans un morceau va renforcer énormément le suivant qui sera beaucoup plus agressif, ou inversement. Quelque chose de très sombre et très compacté va être mis en avant, parce qu’il va entrer en collision avec quelque chose de très lumineux et ouvert. Même si ça ne dure pas longtemps, ça suffit à ce que tout dans un morceau soit mis en valeur. Il y a des morceaux qui nous laissent, le public et nous-mêmes, totalement à bout de souffle. Et ça marche parce qu’il y a un temps de respiration avant ou après. Le défi évidemment est d’arriver à rendre tout ça très cohérent. Là, il faut y aller au feeling, tester, prendre des risques et se sentir satisfait quand ça fonctionne.
– « Soma Sema » fait vraiment penser à un voyage musical aussi chaotique que précis et très structuré. Quel est le point de départ de vos compositions ? Vous partez d’un thème mélodique, ou vous vous laissez guider par le texte ?
En général, il y a un thème qui me vient en tête, que je n’arrive pas forcément à identifier et qui me prend par surprise, puis en vient un autre, etc… Je dis souvent qu’il y a un côté accidentel. Je me laisse moi-même surprendre par la composition, ce qui demande beaucoup de concentration pour arriver mentalement à tout assembler comme un puzzle, en recherchant les bonnes transitions et le meilleur équilibre. Le texte peut arriver avant, pendant ou après. Il est un peu composé comme une guitare ou une batterie en attendant d’être restitué par le chant. Cette idée de voyage, de chaos et de structure, c’est tout à fait ça. Les trois cohabitent en permanence et forment un tout très personnel, et en même temps très ouvert et très contemplatif.
– Ce qui surprend aussi sur l’album, c’est l’approche presque animale des morceaux et leur aspect très moderne. C’est sur cette dualité que se basent le style et la démarche de STENGAH pour l’essentiel ?
Oui, je dirais que ça vient de la somme de nombreuses influences musicales et même d’autres formes d’arts, comme la peinture ou plus récemment la danse. Quand on ressent le mouvement de l’artiste dans sa production, je trouve ça saisissant. De même, il est très important pour moi de ressentir le musicien derrière son instrument dans la musique de STENGAH. C’est une manière de raconter quelque chose de sincère, qui prend aux tripes dès qu’on se laisse embarquer.
– Vous avez également un côté très avant-gardiste, malgré des riffs très Metal et tendus. A l’écoute de « Soma Sema », on a presque le sentiment que le Métal ne vous suffit pas et qu’il vous faut franchir d’autres caps. C’est le cas ?
A l’époque où le groupe s’est fondé, il était question de monter un ‘groupe de musique’, sans vraiment parler de Metal ou autre. J’aime préciser que le style Metal s’est imposé de lui-même à travers la composition et à mesure que le line-up s’est créé, notamment avec l’arrivée du chanteur qui est capable d’aller très loin en termes d’intensité musicale. Aujourd’hui, et je pense que c’est la grande force de STENGAH, on a un style musical très ouvert, qui va pouvoir se permettre d’emprunter à tous les genres musicaux. C’est une musique qui transpirera toujours notre amour pour le Metal sous toutes ses formes, mais qui a le potentiel d’évoluer constamment et de surprendre tout en restant cohérente.
– J’aimerais qu’on parle de la production et du mix qui présentent un parfait équilibre entre les deux guitares, la rythmique et le chant. Dans quelles conditions et avec qui avez-vous travaillé ? Et est-ce que le résultat est à l’image de ce que vous aviez en tête au départ ?
Je pense que ce qui donne cette sensation d’équilibre, c’est que nous nous sommes acharnés à donner un aspect ‘Live’ aux enregistrements studios. À la batterie, je ne cherche pas à coller absolument au clic. Le métronome est plus là en guise de repère. Je considère la basse comme une extension de la batterie, et vice versa. Donc même chose, dans quasiment tous les passages de l’album on joue seulement à deux, et non pas à trois avec le clic. On a bossé avec Thomas Jankowski au Sound Up Studio à Tourcoing, qui est aussi notre ingé-son live. L’avantage est que Thomas est lui-même batteur, ce qui lui permet de comprendre facilement cette approche rythmique un peu hors du temps et des mesures. Autre exemple, j’ai parfois fait refaire les parties de guitares, car elles étaient trop précises avec le tempo, ce qui donnait un aspect mécanique à certains riffs parmi les plus techniques.
– Vocalement, il y a aussi beaucoup de changements de tons et de tessitures. Comment adaptez-vous la voix à la ligne musicale ? Elle-t-elle le lead sur les morceaux ?
Pour le chant, on a enregistré au studio d’Alex Orta, qui est plus tard devenu guitariste au sein du groupe. À l’époque, nous avons enfermé Nicolas dans un tout petit espace, comme s’il se retrouvait lui-même piégé dans la thématique de l’album (qui parle d’un esprit piégé dans son propre corps). Je te rassure, on a pris soin de lui quand même ! Mais l’idée a été pour lui de s’immerger totalement dans les textes et la musique, et de mon côté, je lui racontais des paysages entiers, des rêves, avec des couleurs et des sensations. En quelque sorte, on a un peu joué avec le principe de synesthésie… Finalement, Nico s’est approprié tout ça et en a fait sa propre interprétation. C’est vraiment là que la voix s’est parfaitement intégrée dans la musique, à travers quelque chose à la fois d’écrit et de spontané. Ça nous a permis d’aller explorer tout un tas d’émotions qui sont parfaitement retranscrites dans son chant, et donc avec tout un tas de sonorités parfois même inattendues. On l’entend essoufflé dans « Swoon » ou à bout de souffle à la fin de « Blank Masses Inheritance », et ce n’est pas du bluff. C’est le fruit d’un engagement corporel et mental énorme de la part de tous à l’intérieur de cette musique.
– Enfin, un petit mot sur la scène, car avec la qualité des groupes français actuels, on peut imaginer de très beaux plateaux. Avec quelles formations seriez-vous ravis de partager l’affiche?
Il y a tellement de groupes… J’ai envie de dire à peu près tout le monde, même dans des styles un peu différents, on est toujours très ouverts quelque soit la nature du groupe. Si on reste en France, je dirais Igorrr, Hangman’s Chair, Gorod, Benighted ou même Gojira… des projets déjà bien connus, mais c’est vrai qu’il y a un paquet de belles découvertes à faire en France ou chez nos voisins en Europe. Et depuis qu’on a repris les concerts, c’est intéressant de découvrir comment tous ces groupes ont évolué durant les deux ans de stand-by général. J’ai envie de citer Oddism ou The Lumberjack Feedback qui sont de chez nous, ou Huntsmen (US) et Loathe (UK). Nous allons prochainement retrouver un groupe de Rock Prog semi-acoustique à Bordeaux, qui s’appelle Qlay, avec qui nous partageront une date là-bas le 14 Novembre 2022. On va mélanger les genres, et ça va être énorme. On serait encore ‘hors Metal’, mais mon plus grand rêve serait de partager un jour la scène avec le groupe français légendaire Magma, mené par Christian Vander.
« Soma Sema », l’album de STENGAH, est disponible depuis le 18 mars chez Mascot Records.
Toujours aussi percutant, DESTRUCTION a parfaitement huilé sa machine de guerre et affûté ses instruments pour livrer ce « Diabolical », aussi sauvage et virulent qu’à ses débuts. Mené sur un rythme d’enfer, ce 15ème album vient célébrer les 40 ans de carrière de ce groupe mythique, qui a marqué le Thrash Metal d’une empreinte indélébile. Une fois encore, c’est un régal !
DESTRUCTION
« Diabolical »
(Napalm Records)
Au panthéon du Thrash Metal allemand, il y a Kreator, Sodom, Tankard et DESTRUCTION. Et depuis quatre décennies maintenant, ces quatre-là nous régalent d’album en album repoussant dans leurs extrêmes retranchements les frontières de leur style. Et pour ce 15ème album, « Diabolical », Les teutons ont sorti l’artillerie lourde, enchainant parfaitement avec le « Live Attack » sorti l’été dernier. Ici encore, le combo est très loin de rendre son dernier souffle et affiche même une forme olympique.
Afin de fêter comme il se doit son 40ème anniversaire, DESTRUCTION n’y est pas allé de main morte et offre un nouvel opus enthousiasmant à plus d’un titre. Mike Sifringer (guitare) Schmier (chant, basse) et Wawrzyniec Dramowicz (batterie) prouvent une fois encore qu’ils demeurent les rares représentants de cette grande époque à encore pouvoir catapulter leurs fans dans un Thrash aussi tranchant et racé que mélodique et Heavy. Les légendes ne meurent jamais.
Dès « Under The Spell », les Allemands nous mettent dans le bain avec une paire basse/batterie survoltée, des riffs ravageurs et toujours ce chant qui vient sonner la révolte (« Diabolical », « Hope Dies Last » et le très Heavy « Tormented Soul »). Imparable de rapidité et d’explosivité (« State Of Apathy », « The Lonely Wolf »), DESTRUCTION s’offre même en fin d’album, petite cerise sur le gâteau, une réjouissante reprise de GBH (« City baby Attacked By Rats »). Diabolique !
Grand artisan du Thrash Metal, MESHUGGAH poursuit sa route en évoluant avec une régularité et une créativité inamovibles. Le Metal extrême des Suédois traverse aujourd’hui le Groove, le Djent, l’Atmospheric et le Progressif avec une touche et une technique rarement atteintes par d’autres. « Immutable » terrasse, sur plus d’heure, tout sur son passage avec une intensité monstrueuse. Fascinant de puissance et de précision.
MESHUGGAH
« Immutable »
(Atomic Fire Records)
Depuis sa création en 1987 et son premier album en 1991 (« Contradictions Collapse ») : MESHUGGAH, c’est 35 ans de rage, de férocité et d’une technicité jamais rassasiées. Fidèles au poste, Jens Kidman (chant), Fredrik Thordendal (guiatre) et Tomas Haake (batterie), tous fondateurs du combo, continuent de repousser les limites de leur style et « Immutable » s’inscrit parmi les meilleures réalisations des Suédois.
Si le Thrash Metal originel du groupe reste identifiable, il faut bien avouer que MESHUGGAH a su traverser les époques, assimiler les courants et se les approprier avec un feeling et une puissance de feu phénoménales. Sans bouleverser ses habitudes, les Scandinaves présentent des morceaux massifs et hypnotiques, passant en revue tout ce que le Metal compte d’extrême à l’heure actuelle.
Les guitares, véritable marque de fabrique du groupe, avancent façon rouleau-compresseur sur des riffs colossaux où les huit cordes, accordées au moins deux tons plus bas par rapport à la moyenne, offrent un volume saisissant (« The Abysmal Eye », « The Faultless »). MESHUGGAH insiste sur les rythmes répétitifs et assommants (« Armies Of The Preposterous », « Phantoms »), tout en se faisant atmosphériques (« Ligature Marks »). Gigantesque !
Architecte d’un Drone Doom Oriental original et envoûtant, le trio belge WYATT E. vient de livrer une nouvelle réalisation créative et atypique, où il nous renvoie quelques siècles dans le passé. « Āl Bēlūti Dārû » (« La ville éternelle » en langue akkadienne) donne du sens à une musique pourtant instrumentale en la structurant de manière très narrative. Sebastien (guitare/synthé) nous en dit un peu plus sur la démarche et la façon de travailler du groupe.
– Avant de parler de ce nouvel album, j’aimerais que tu reviennes sur votre parcours débuté en 2015. En l’espace d’un EP et d’un album, WYATT E. s’est taillé une belle réputation. Vous vous y attendiez ?
Absolument pas. Nous n’avions aucune velléité live pour ce groupe. Nous souhaitions faire de bonnes chansons, certes, mais nous ne souhaitions pas forcément en faire un objet live.
– Vous évoluez dans un registre qui combine le Drone Oriental et le Doom avec un sens du storytelling assez stupéfiant pour un groupe instrumental. Sur quoi vous basez-vous pour composer vos morceaux, car on peut penser à une grande jam ?
On construit nos chansons en fonction de ce dont on a envie de parler. Donc, en ce sens, il s’agit d’un processus très réfléchi. Mais pour cela, nous avons besoin de matière première. Celle-ci nous la devons essentiellement à de longues jams.
– WYATT E. est un trio et pourtant votre musique est particulièrement riche. S’il y a beaucoup de programmation et de synthé, votre son est très organique, à un point qu’on peut imaginer un ensemble de musiciens plus conséquent. Comment procédez-vous ? Vous enregistrez de manière acoustique certaines parties vous-mêmes avant de les sampler ?
Hors de toutes ces jams, on sort pas mal de pistes qu’on superpose sans vouloir faire de choix drastiques de coupes. Donc, on les conserve et on fait le choix des séquences que nous enregistrons, soit pour l’album, soit pour le live et sur lesquelles nous jouons. Le but étant d’interpréter un maximum de choses dans les limites du possible.
– Tout en étant instrumentale, votre musique repose sur des bases historiques ou légendaires. « Āl Bēlūti Dārû » relate un pèlerinage dans l’empire néo-babylonien. Est-ce qu’avant de composer vos titres, vous effectuez des recherches spécifiques sur ces époques pour vous inspirer des atmosphères qu’elles pourraient vous évoquer ?
Bien sûr, que ce soit au niveau de l’imagerie et des costumes aussi. L’idée n’est pas de faire de nous des historiens. Je nous vois plutôt comme des interprètes d’un film ou d’un opéra ‘basé sur des faits historiques’. Cette période, et cet épisode en particulier, relève d’un choix personnel lié à l’un de nos membres.
– Justement, cette nouvelle réalisation est composée de deux morceaux de 19 minutes chacun. C’est un format peu courant et très audacieux. C’est l’aspect expérimental qui vous intéresse le plus et qui vous guide ?
Nous aimerions que nos pistes puissent être plus longues. Le dernier album va encore plus loin dans cette direction, je pense. Elles s’enchaînent de manière très organique. Mais 19 minutes, c’est aussi la limite d’un disque 12” en vitesse 33rpm pour conserver la qualité de notre musique sans en altérer la définition. C’est plus une contrainte qu’une liberté pour nous, en fait.
– Il y a aussi beaucoup d’instruments traditionnels dans votre musique. Comment faites-vous le choix de les utiliser et en jouez-vous vous-mêmes, afin de mieux maîtriser l’ensemble ?
Il n’y en a pas tellement, je pense que c’est aussi notre son qui est particulier. Mais lorsque cela se présente, soit nous invitons des musiciens, soit nous expérimentons, soit il s’agit d’instruments que nous maîtrisons d’une certaine manière.
– Un mot sur la production qui est signée Billy Anderson et le master par Justin Weis, deux spécialistes du genre. Un style comme le vôtre nécessite des choix judicieux. Ces collaborations étaient une évidence pour vous ? Et comment cela s’est-il passé ? Vous leur avez laissé carte blanche, ou avez-vous au contraire suivi de près leur travail ?
Une évidence, oui. Aller chercher la bonne personne permet aussi de sublimer ton travail. Billy a effectué des choix très tranchés auxquels nous n’aurions pu nous résoudre seuls. Le mix s’est éclairci avec son travail. Et nous lui avons clairement laissé les mains libres.
– Aviez-vous des exigences particulières, comme notamment pouvoir réinterpréter l’ensemble à l’identique sur scène, par exemple ? Car, en studio, il est facile de réaliser des choses difficilement jouable en concert par la suite…
Cela revient un peu au début de notre conversation avec les choix que nous effectuons sur ce qui reste sur les bandes, ce qui en disparaît et ce que nous jouons. Une fois que le mix est terminé, nous réapprenons à jouer nos morceaux. Nous nous les réapproprions parfois en retirant des éléments, mais souvent en y ajoutant de nouveaux aussi. Je dirais que les morceaux sont sensiblement différents en live. Pas par la difficulté de les jouer, mais dans la gestion des instruments le plus souvent. Il s’agit surtout d’une organisation efficace de nos ressources.
– Enfin, pour avoir lu beaucoup de choses sur WYATT E., j’ai noté que l’on parlait presque systématiquement de performances plutôt que de concerts vous concernant. C’est aussi la vision que vous avez de vos prestations scéniques ?
Nous souhaitons, en effet, le temps d’un concert, emmener le public en immersion, les inviter à écouter l’histoire que nous avons à raconter. De la même manière qu’un film ou un opéra, comme nous l’évoquions plus haut.
L’album de WYATT E. « Āl Bēlūti Dārû » est disponible depuis le 18 mars chez Stolen Body Records.
Profond et dynamique, ce deuxième album de MIND IMPERIUM montre une perspective massive et une approche originale du Groove Metal. Très Ambient, « Nemesis » vient confirmer la technicité et la créativité du trio lyonnais. Explorant nombre d’émotions diverses, le groupe tire admirablement son épingle du jeu.
MIND IMPERIUM
« Nemesis »
(Wormholedeath Records)
MIND IMPERIUM annonce d’entrée de jeu la couleur : c’est dans un indicible désespoir qu’il puise une force inépuisable et un désir de vengeance. Pour faire court, le deuxième album du trio français évolue dans des atmosphères mélancoliques et rageuses, faisant de « Nemesis » un disque particulièrement saisissant dans lequel on se laisse happer par un Groove Metal Ambient original.
Depuis 2013, les Lyonnais peaufinent leur univers obscur et, après un premier EP (« Amongst The Ruins » – 2013), puis un album (« Way To Carcosa » – 2018), livrent ce très bon « Nemesis ». Enregistré au printemps dernier, ces nouveaux morceaux se meuvent d’atmosphères noires en ambiances parfois pesantes ou percutantes, que MIND IMPERIUM maîtrise parfaitement.
« Spirits Of The Dead » ouvre l’album et donne le ton avant la déferlante qui va ensuite s’abattre. Si l’ensemble garde une teneur Ambient, MIND IMPERIUM excelle dans un Groove Metal doté d’un growl puissant, qui offre un relief imparable grâce à de gros coups de blast bien sentis (« Divine Offering », « Burning Embers », « Nemesis »). Redoutable d’efficacité et envoûtant de par son univers !
Loin du glamour des plages mexicaines ou même californiennes où il réside, 8 KALACAS se présente depuis 20 ans comme l’un des groupes phares du Metal SkaCore. Tranchant et revendicatif, le sextet sort un troisième album qui sent la poudre. « Fronteras » explose sur chaque morceau et respire autant la fiesta que la guérilla.
8 KALACAS
« Fronteras »
(Atomic Fire Records)
Enjoué et explosif, voilà le cocktail survitaminé servi frappé par le sextet californien 8 KALACAS. Troisième album déjà pour les bandidos du SkaCore Metal et il faut bien avouer que « Fronteras » est un mélange de saveurs pour le moins détonnant. Prenez un Hard-Core féroce et du Metal massif, ajoutez-y une session cuivre frénétique, un chant féroce en espagnol, et le Mexique version mariachi sous acid vous tend les bras.
Enregistré à Los Angeles, ce nouvel opus dépeint avec engagement et rage les nombreux travers de la société américaine. Sans détour, 8 KALACAS dénonce les divisions de classe, raciales et sexistes de son quotidien avec un ressentiment acerbe non-dissimulé. Le combo frappe vigoureusement avec des morceaux propices au plus furieux des moshs. Bien plus qu’un groupe, les Américains sont une famille, une véritable tribu soudée comme jamais.
Sur un groove imparable, des riffs acérés, une solide rythmique et une folle combinaison trompette/trombone, le SkaCore des Californiens devient très vite addictif et la contagion se propage au fil des morceaux (« Frontera », « R2rito », « Luna », « Luz Y Fer », « 1941 »). Artisan d’une fusion endiablée, 8 KALACAS ne se prélasse pas sous le soleil d’une plage mexicaine, mescal ou tequila en main : il dynamite sans retenue.