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Blues Rock

Eric Sardinas : bottleneck fever

Gorgé de slide solaire et de riffs entêtants, « Midnight Junction » s’impose assez naturellement comme l’une des meilleures réalisations de Blues Rock de l’année. ERIC SARDINAS a pris son temps et ces nouveaux morceaux libèrent autant de puissance que de finesse et de mélodies. Il est aujourd’hui au sommet de son art et sa maîtrise du dobro couplée au bottleneck (et vice-versa), touche ici la perfection.

ERIC SARDINAS

« Midnight Junction »

(earMUSIC)

S’il s’est mis très jeune à la guitare dans sa Floride natale, c’est durant les années 90 qu’ERIC SARDINAS a commence à faire parler de lui du côté de Los Angeles. Repéré par un certain Steve Vai qui a fait de lui son protégé, il a même participé au fameux G3 sur deux tournées mondiales. Mais c’est le Blues qui anime sa passion pour la six-corde, notamment le dobro, et « Treat Me Right », son premier effort solo sorti en 1999 sous son nom, amorce une aventure musicale très personnelle et débridée.

Neuf longues années après « Boomerang », l’Américain refait surface avec « Midnight Junction », son sixième opus solo, et c’est un véritable All-Stars band qui l’accompagne. Interprétées par le batteur Chris Frazier (Whitesnake, Foreigner), le bassiste Koko Powell (Lenny Kravitz, Sheila E), le claviériste David Schultz (Bo Diddley, The Goo Goo Dools) et le grand harmoniciste Charlie Musselwhite, les 13 chansons sont taillées sur mesure par un ERIC SARDINAS qui rayonne littéralement.

Très roots dans le son comme dans l’approche et malgré un groupe qui joue sur du velours, le songwriter et chanteur fait preuve de virtuosité bien sûr, de feeling évidemment et affiche surtout une très grande liberté. Son Blues Rock est instinctif, électrisant et d’une authenticité qui semble même le galvaniser (« Long Shot », « Said And Done », « White Lightnin’ », « Liquor Store »). Outre les deux superbes instrumentaux (« Swamp Cooler », « Emilia »), ERIC SARDINAS reprend aussi le « Laudromat » de Rory Gallagher avec classe.

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Hard FM Hard Rock

Ronnie Atkins : volontaire

Malgré de graves problèmes de santé, le chanteur emblématique de Pretty Maids enchaine les sorties en solo et a même donné de nombreux concerts avec Avantasia, preuve qu’il est loin de renoncer et que la musique semble être le meilleur des remèdes pour lui. Vocalement irréprochable, RONNIE ATKINS montre un état d’esprit très positif. Convaincant sur ses deux premiers opus, « Trinity » est loin d’être du même niveau, tant il est sans surprise et mal réalisé.

RONNIE ATKINS

« Trinity »

(Frontiers Music)

Diagnostiqué d’un cancer du poumon en 2019, et contre lequel il se bat toujours, RONNIE ATKINS mène son combat à coup d’album et à raison d’un nouveau par an depuis 2021. Après « One Shot », puis « Make It Count » l’année dernière, le frontman de Pretty Maids revient avec « Trinity » et dans un registre qui prend de plus en plus ses distances avec le Heavy Metal qui a forgé sa réputation. Ici, le Hard Rock proposé est très, très mélodique et a même quelques saveurs AOR, qui ne correspondent pas forcément au Scandinave.

Ecrit avec son guitariste Chris Laney, également aux claviers et qui signe la production, RONNIE ATKINS est toujours bien entouré. Pontus Egberg (Treat) tient la basse, Marcus Sunesson (Cyhra) la seconde guitare et Allan Sörensen (Pretty Maids) derrière les fûts donnent un bel élan aux compositions. Mais là où le bât blesse, c’est justement au niveau de la production souvent mangée par les nappes de synthés insipides, dont l’effet sirupeux aplati sans relâche l’ensemble, malgré les efforts du grand Jacob Hansen au mix.

Cependant, et même si on peine à distinguer le travail des deux six-cordistes sur les riffs et les rythmiques, on a le droit à quelques bons solos derrière lesquels RONNIE ATKINS se fait plaisir en jouant de toute sa puissance vocale. Le Danois tient l’album à bout de bras avec une force incroyable, mais même avec toute la volonté du monde, les moments où il sauve les morceaux sont trop rares (« Ode To A Madman », « Godless », « Shine », « Raining Fire »).  Sans nier la belle détermination du frontman, « Trinity » n’a pas le panache attendu.

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Blues Rock

Pacôme Rotondo : l’étoffe d’un futur grand

Avec toute l’énergie que procure un enregistrement en condition live et en trio, PACÔME ROTONDO sort son premier opus et les onze titres de « World Of Confusion » sont aussi bruts qu’ils sont emprunts d’une belle virtuosité. S’il se cherche encore un peu vocalement, le Français présente une évidente maturité dans ses compositions, qui rend son Blues Rock explosif et touchant à la fois.

PACÔME ROTONDO

« World Of Confusion »

(Rock & Hall)

Si les Etats-Unis nous ont régulièrement habitués à l’émergence de jeunes talents en matière de Blues, et de guitare, c’est nettement plus rare chez nous. Alors, ne boudons pas notre plaisir ! Originaire de Roanne, PACÔME ROTONDO sort son premier album, « World Of Confusion », et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il affiche déjà de belles ambitions, un savoir-faire évident et un héritage musical conséquent et assumé, malgré ses 22 ans. Il se montre entreprenant et a fait siennes des décennies musicales qu’il n’a pourtant pas connu.

Dans un esprit assez vintage où l’on devine sans mal les influences très irlandaises de Gary Moore, Rory Gallagher et Thin Lizzy, PACÔME ROTONDO livre un Blues Rock audacieux, sans fioriture et efficace. Entouré du batteur Sacha Fuhrmann et du bassiste Nathan Bechet, la formule en power trio offre une rugosité et une intensité, qui ne faiblissent pas tout au long de « World Of Confusion ». Au chant et bien sûr à la guitare, le songwriter se montre même surprenant dans un style très maîtrisé.

En ouvrant avec le très Southern « Sleep With the Devil », PACÔME ROTONDO prouve qu’il ne manque pas de feeling et le morceau est plutôt bienvenu étant donné le contraste avec la suite. L’Auvergnat penche surtout sur le British Blues comme on peut le vérifier sur « Love Means Life », « Burning Winds », « You’re A Liar » ou « Furies Of pain ». Et il se fait aussi plus délicat sur les power ballades « Dancing Queen » et « I’m Insane », où brille l’harmonica de Fred Brousse. Un premier essai très réussi et convaincant.

Photo Martin Meunier
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Blues Contemporary Blues

Buffalo Nichols : visionnaire

CARL ‘BUFFALO’ NICHOLS fait partie de la nouvelle génération du Blues américain, qui a la volonté de marier les racines du style avec une manière d’arranger les titres en portant un regard neuf et en utilisant toutes les techniques présentes et à sa disposition. Echantillonnages, samples d’un autre temps ou boucles aérées et discrètes de percussions, « The Fatalist » est un voyage mélodieux, où le violon, la guitare acoustique et l’électronique se côtoient et font cause commune autour d’un chant saisissant et captivant.

BUFFALO NICHOLS

« The Fatalist »

(Fat Possum Records)

Ce deuxième album de BUFFALO NICHOLS a quelque chose de fascinant. Ancré dans un Blues très roots et hors du temps, il est pourtant terriblement actuel et ce malgré son aspect très épuré. Car s’il sonne si organique, « The Fatalist » regorge de samples, de synthés et de programmation, ce qui le rend assez unique en son genre. Par ailleurs, le musicien du Wisconsin s’est occupé de l’intégralité du disque, à savoir de l’enregistrement, du mix et de la production, sans oublier le chant, la guitare, le banjo et les éléments électroniques comme des bruits de nature.

Avec sa voix rauque et profonde, BUFFALO NICHOLS nous transporte dans une sorte de western moderne, d’où quelques sonorités Country et Bluegrass s’échappent délicatement. Très sombre dans ses textes, le songwriter se livre sur des sujets personnels et sociétaux qu’il fait résonner d’une façon si évidente. Jamais avare de quelques slides, il s’est forgé un univers musical incroyablement riche. Et sur « The Fatalist » encore plus que sur son premier opus éponyme, le talent du bluesman de Milwaukee se niche dans les détails… et ils sont innombrables.

Relativement urbain dans le traitement sonore, l’apport du violon de Jess McIntosh sur trois morceaux offre de la légèreté à « The Fatalist », qui se veut touchant et tout en émotion. Le côté très acoustique du Blues très Folk de BUFFALO NICHOLS se fond même dans un fiévreux Gospel sur le « You’re Gonna Need Somebody On Your Bond » de Blind Willie Johnson. Mêlant le passé du genre avec son futur, on assiste à une mise en œuvre très hybride, mais loin d’être synthétique. Et le poignant duo avec Samantha Rose (« This Moment ») vient clore l’album avec classe.

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Blues Blues Rock Contemporary Blues

Joe Bonamassa : fastueux

Avant de reprendre le chemin des concerts (d’ailleurs a-t-il seulement arrêté ?) pour des prestations qui s’annoncent hors normes, sur mer comme sur terre et y compris avec le fameux Black Country Communion, le guitariste et chanteur se fait plaisir avec un deuxième volume de son « Blues Deluxe », paru en 2003. JOE BONAMASSA nous gratifie de huit magnifiques reprises et de deux originaux inédits, le tout avec la virtuosité et le feeling devenus sa signature.

JOE BONAMASSA

« Blues Deluxe Vol.2 »

(J&R Adventures/Mascot)

Afin de se rappeler au bon souvenir de son album « Blues Deluxe » sorti il y a 20 ans et qui l’a célébré dans le monde entier, JOE BONAMASSA nous offre un second volet tout aussi brillant et inspiré par les artistes qui ont façonné son style. C’est aussi une façon pour l’Américain de jeter un regard sur une carrière exceptionnelle, où il s’est hissé parmi les bluesmen aussi incontournables que prolifiques. Il faut reconnaître que le chemin parcouru en deux décennies est défiant, tant il incarne aujourd’hui le renouveau du Blues.

Composé donc pour l’essentiel de reprises, « Blues Deluxe Vol.2 » donne toute la mesure de la progression (et oui !) de JOE BONAMASSA en tant que guitariste bien sûr, mais surtout comme chanteur, un rôle qu’il avoue avoir toujours du mal à pleinement assumer. Pourtant, la maturité de son chant est incontestable, tout comme la finesse et la précision de son approche des standards qu’il interprète ici. Et au-delà bien sûr de la qualité de la production, les arrangements sont comme toujours très soignés.

De Bobby ‘Blue’ Bland à Fleetwood Mac en passant par Guitar Slim et Albert King, JOE BONAMASSA revient à ses premières amours, celles qui ont forgé son identité de bluesman. Repris avec toute l’élégance qu’on lui connait et avec beaucoup d’humilité, ces huit morceaux cohabitent avec deux originaux. « Hope You Redize It (Goodbye Again) » a été composé avec Tom Hambridge, tandis que son complice et guitariste Josh Smith signe « Is It Safe To Go Home ». Une fois encore, c’est du grand luxe !

Photo : Adam Kennedy
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Hard US Heavy Rock International Rock/Hard

Electric Boys : funky voltage [Interview]

Trois décennies de carrière, un long break, des projets annexes et ELECTRIC BOYS nous revient avec un huitième album toujours aussi musclé, festif et dynamique. Avec « Grand Explosivos », les Suédois font toujours vibrer cette corde très Hard 90’s entre Rock US et Glam pêchu. Toujours aussi peu disert et même assez taiseux, son fondateur, chanteur, guitariste et compositeur Conny Bloom revient sur cette nouvelle galette et se rappelle au bon souvenir d’une époque révolue. Entretien.

– Il y a deux ans, vous aviez sorti l’album probablement le plus sombre de votre discographie, « Up!de Down ». Composé en pleine pandémie, on peut comprendre votre état d’esprit d’alors. Qu’est-ce qu’il vous a vous apporté, selon toi ? Peut-être d’avoir abordé des thèmes dont vous n’aviez pas forcément l’habitude ?

Nous ne l’avons jamais considéré comme un album aussi sombre que ça. Cela dit, c’est vrai qu’il a été inspiré par ce qui se passait à l’époque, que ce soit du point de vue des paroles comme de la musique. Je pense qu’il en est ressorti de bons morceaux comme « Upside Down Theme », « Tumblin’ Dominoes », « It’s Not The End », « Twang Em & Kerrang Em »…

– « Grand Explosivos » est votre huitième album. Il y a eu ce long break entre 1994 et 2011 avec des projets solos et l’aventure Hanoi Rocks. Est-ce que, finalement, ELECTRIC BOYS n’est pas le groupe dans lequel tu peux artistiquement le mieux t’exprimer ?

En ce qui concerne la guitare, je dirais que ce sont plutôt mes trucs en solo, qui me donnent le plus de liberté. Mais tous les différents projets, auxquels j’ai participés, m’ont toujours apporté quelque chose de nouveau et d’enrichissant. Et puis, j’ai aussi passé de très bons moments à jouer avec Hanoi Rocks.

– On retrouve beaucoup d’efficacité dans le songwriting, tout en gardant cet esprit très fun et funky, puisque vous êtes acteurs de cette vague 90’s assez insouciante. On a l’impression que ce sont vraiment le plaisir et une certaine légèreté qui guident vos morceaux…

Hummm… Je ne sais pas trop, en fait. Je pense que je suis un peu perdu dans ma propre bulle la plupart du temps ! (Rires) Quand des idées de chansons me viennent, je les enregistre sur cassette, de la même manière dont j’ai travaillé sur « Ups!de Down » et comme tous les disques avant. Mais oui, je suppose que ce disque est assez ‘insouciant’ dans l’esprit. Pour « Grand Explosivos », c’est vrai que nous en avions assez de tout ce qui concernait la pandémie. On avait juste envie de retourner à la vie et de nous amuser.

Photo : Gabrielle Holmberg

– D’ailleurs, sur « Grand Explosivos », vous faites quelque clins d’œil sur « When Life Treats You Funky » aux Beatles et « I’ve Got A Feeling » sonne très Billy Idol, surtout dans la voix. Sans tomber dans la nostalgie, c’est une façon pour vous de retrouver cette folie et ce feeling, qui manquent peut-être un peu aujourd’hui ?

Comme tu le dis, il y a un côté très insouciant dans tout ça, Du coup, il n’y a aucune pensée plus profonde que ça, qui viendrait se cacher derrière ! Pour « I’ve Got A Feeling », j’ai commencé à chanter et quand je l’ai réécouté, j’ai pensé la même chose que toi, que la voix combinée aux guitares sonnait un peu comme Billy Idol. Et j’ai aimé ce son ! Quant au ‘Nanana’ sur « When Life Treats You Funky », ce n’était au départ qu’une blague, qui me faisait penser aux petites mélodies joyeuses de George Clinton notamment.

– Si on regarde de près votre carrière, il y a eu les fastes années 90 avec un premier album (« Funk-O-Metal Carpet Ride ») produit par Bob Rock, une grande présence sur MTV, qui était à l’époque une référence et un réflexe pour toute une génération, dont je fais d’ailleurs partie. Pourtant, depuis 2011, ELECTRIC BOYS renoue avec le succès et votre style semble plus intemporel que jamais. Comment l’expliques-tu? Les modes sont toujours cycliques ?

C’est une question difficile. Je suis très fier et reconnaissant que nous ayons réellement ‘un son’ propre à ELECTRIC BOYS. On peut jouer et varier beaucoup de choses avec mes riffs, ma voix et la batterie/basse qui sonnent comme personne. C’est vraiment ‘nous’ au final. En tant qu’auteur-compositeur, je ne suis jamais les tendances et je déteste l’idée d’être prévisible. Si cela ressemble trop à autre chose, nous le modifions immédiatement et volontairement pour éviter de tomber dans de vieilles habitudes. Et oui, pour te répondre, je crois que tout est plus ou moins cyclique, y compris dans la musique.

Photo : Gabrielle Holmberg

– ELECTRIC BOYS est une institution dans les pays scandinaves comme le Danemark et la Suède bien sûr. Qu’en est-il du marché américain, car en vous écoutant, on pense inévitablement au Los Angeles de la grande époque ? Ca reste un objectif ?

L’Amérique était un grand marché pour nous à une époque, c’est vrai. On a envie d’y retourner, mais cela nécessite une réflexion et une planification minutieuse de notre part. Au final, ce n’est pas une mince affaire !

– Enfin, ELECTRIC BOYS est un groupe très établi depuis des années, quel regard portes-tu sur la multitude, pour ne pas dire l’incompréhensible déferlante de sorties d’albums actuelle ? Sans se poser la question de savoir si elles sont toutes sont légitimes, ne frôle-t-on pas l’overdose ?

Oh que oui ! Il est devenu très difficile de faire entendre sa voix de nos jours. Quand nous avons commencé, il n’y avait que quelques chaînes de télévision comme MTV et la radio KNAC. Si tu passais chez eux, les choses se produisaient et cela avançait bien, car tout le monde était à l’écoute. De nos jours, la musique est vraiment partout. On doit juste continuer à faire ce en quoi nous croyons. J’espère que les gens en parleront autour d’eux et que la musique d’ELECTRIC BOYS pourra circuler normalement et le plus possible.

Le nouvel album d’ELECTRIC BOYS, « Grand Explosivos », est disponible chez Mighty Music.

Retrouvez le chronique de l’album précédent :

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International Rock Progressif

Eloy : dans les arcanes de l’Histoire [Interview]

La boucle est bouclée pour Frank Bornemann, guitariste, chanteur et compositeur d’ELOY. La trilogie autour de la vie de Jeanne d’Arc arrive donc à son terme avec le troisième volet de cette folle aventure avec « Echoes From The Past ». Faisant suite à « The Vision, The Sword And The Pyre Part I & II », ce nouvel opus se présente dans une ambiance légèrement différentes des précédents, puisqu’on y retrouve une touche très personnelle et propre au groupe allemand. Son leader nous en dit plus sur cette épopée musicale moyenâgeuse, et pourtant si actuelle dans le son et les morceaux.

– « Echoes From The Past » a une saveur un peu particulière, puisqu’il est non seulement le 20ème album studio d’ELOY, mais il est aussi le dernier volet de la ta trilogie consacrée à Jeanne d’Arc. Quel regard portes-tu sur cette carrière bien remplie ?

Etonné par sa durée, ému par la grande attention qui a été accordée à la musique d’ELOY, reconnaissant pour une si grande communauté de fans autour du globe qui m’a permis de faire cette carrière et d’être toujours en forme et en bonne santé.

– Ce nouvel album fait donc suite à « The Vision, The Sword And The Pyre Part I & II », une aventure débutée en 2017. Comment as-tu fait évoluer la narration dans un premier temps ? Et est-ce que cette trilogie a été écrite en une seule fois, ou au fur et à mesure ?

Dès le début, j’ai eu l’intention de créer une œuvre absolument authentique et historiquement correcte dans tous ses détails. Pour ce faire, j’ai consulté différents historiens, dont Régine Pernoud et Olivier Bouzy, le directeur du Centre Jeanne d’Arc à Orléans. C’est ainsi que je suis devenu un fin connaisseur de son histoire. Pour m’inspirer, j’ai visité de nombreux lieux où elle avait vécu et travaillé. Puis, j’ai commencé à travailler sur l’œuvre. J’ai d’abord cherché un titre intéressant et je l’ai trouvé avec « La vision, l’épée et le bûcher », et je me suis lancé. Comme il s’agit d’une œuvre très complexe, je l’ai divisée en deux albums et je me suis d’abord concentré sur le contenu du premier, qui est sorti en 2017 et a été très remarqué. Il a eu un grand succès et s’est placé dans plusieurs charts.

Encouragé par ce succès, j’ai immédiatement travaillé sur le deuxième volet, qui est sorti en 2019 et a également eu du succès en se classant aussi dans plusieurs charts. Au début, je n’avais pas pensé à un troisième album. Plus tard, je me suis rendu compte que le conteur, Jean de Metz, n’avait pratiquement rien dit de ses impressions, pensées, peurs et sentiments sur les deux albums. J’ai donc décidé de créer un troisième volet, dans lequel il serait le protagoniste des événements aux côtés de Jeanne d’Arc et refléterait les événements dans sa mémoire. C’est devenu un album très émotionnel que j’ai intitulé « Echos du passé ». Et l’album marche aussi très bien.

– Musicalement, de quelle manière es-tu parvenu à trouver cet équilibre, car les trois albums montrent une belle unité ?

Je ne sais pas. J’ai simplement composé, écrit des textes et je me suis mis dans la peau de Jean de Metz. Je me suis donc totalement identifié à lui. Je devais penser et ressentir comme lui, sinon cela n’aurait pas été possible. En ce qui concerne la musique, j’avais plus de liberté que dans les deux précédents. Ainsi, lors de la composition, des éléments typiques d’ELOY ont été introduits dans la musique, ce qui a probablement rappelé aux fans d’anciens albums. Pour moi, il était important que la musique s’accorde avec les deux premiers, malgré ses moments de force, de sensibilité et d’émotion variables. L’accueil positif réservé à « Echoes From The Past » me montre que j’ai probablement réussi à terminer la trilogie sur une bonne note.

– Ta fascination et ton admiration pour Jeanne d’Arc ne sont pas récentes, car tu avais déjà composé les morceaux « Jeanne d’Arc » en 1992 et « Company Of Angels » en 1994. Est-ce qu’à l’époque, tu avais déjà imaginé créer une telle épopée musicale ?

Oui, j’y pensais déjà lorsque j’ai composé le premier titre sur le thème de Jeanne d’Arc en 1990. Mais c’était trop tôt pour une grande œuvre conceptuelle, car je n’avais pas le temps et la tranquillité nécessaires à l’époque pour composer et produire un tel opus. C’est pourquoi nous en sommes restés sur une seule chanson. « Company of Angels », en 1984, était prévu pour un film américain, mais il n’a jamais vu le jour. J’ai donc placé ce titre sur l’album « The Tides Return Forever ». Ensuite, j’ai eu une période très chargée, avec de nombreuses productions dans mon studio, et je n’ai pas eu le temps de m’attaquer à une œuvre aussi importante. Ce n’est que bien plus tard que j’ai eu l’occasion de réaliser ce rêve.

– « Echoes From The Past » semble t’avoir pris plus de temps, puisqu’il n’y avait que deux ans entre les deux premiers albums. Cela est-il dû au Covid, ou l’album t’a-t-il demandé plus de travail ?

Oui, le problème a en effet été le Covid. Les musiciens et les ingénieurs du son étaient constamment absents. La production de cet album a été très éprouvante. Je suis d’autant plus heureux de ce succès.

– Comment pour les deux précédents, Jean de Metz, compagnon d’armes de Jeanne d’Arc, est le protagoniste principal de l’histoire. Tu n’as pas été tenté de faire parler ton héroïne cette fois ?

Non, car cet album était dédié à Jean de Metz et à ses pensées et sentiments. Jeanne s’exprimait déjà sur « The Vision, the Sword & the Pyre Part 1 » avec la voix d’Alice Merton.

– Musicalement, ton Rock Progressif sonne très moderne aussi, tout en conservant ce côté intemporel propre à ELOY. Est-ce que le changement de line-up sur « Echoes From The Past » t’a également apporté un nouvel élan dans le jeu, la production et peut-être même dans la composition ?

Il n’y a pas eu de changement de casting, mais seulement des absences. Pendant la période de production, j’étais très souvent seul dans le studio. Les deux claviéristes, Hannes Folberth et Michael Gerlach, n’étaient pas là, et Steve Mann n’a pu participer aux claviers que pendant une période limitée, car il devait faire des tournées aux Etats-Unis, au Japon et en Angleterre en tant que guitariste. Au cours de la production, j’ai donc été très souvent seul en studio et je n’avais que sporadiquement des musiciens invités, auxquels j’expliquais ce qu’ils devaient jouer. Il n’y a eu aucun problème pour la basse et la batterie. Matze et Stephan ont apporté de superbes accents, qui ont donné un profil supplémentaire à l’album. Néanmoins, c’était une production épuisante et souvent solitaire pour moi, et finalement, j’ai dû mixer toute la musique et créer un pré-master.

– Ce qui est assez incroyable avec ELOY, c’est que tu as abordé des registres allant du Hard Rock au Space Rock en passant par le Krautrock, le Symphonique et bien sûr le Progressif. Pourtant, le style et le son du groupe sont immédiatement identifiables. Est-ce que c’est parce tu es le détenteur de cette identité depuis le début et que, finalement, ELOY ne pourrait pas continuer sans toi ?

Ce que tu supposes est vrai. J’ai effectivement fondé le groupe, j’ai fortement influencé son style par mes compositions et mon travail de production. J’ai également navigué à travers tous les changements de line-up. J’ai toujours tenu à ce que le groupe conserve son identité, et les fans m’ont largement récompensé pour cela.

– Enfin, lors de notre dernière interview, tu me disais que tu ne souhaitais pas faire de concerts autour de cette trilogie, mais un spectacle musical interprété par des artistes français. Où en est le projet aujourd’hui ?

Il est de facto impossible d’interpréter une telle œuvre uniquement avec une formation de groupe sous forme de concert avec de grands chœurs et des scénarios orchestraux. Dès le début, j’ai eu l’idée et l’intention de présenter « The Vision, the Sword and the Pyre » (sans « Echoes From The Part » et d’abord en France) comme un spectacle musical, à savoir un mélange de théâtre et de musique. Tous les dialogues et les paroles qui mènent l’action doivent provenir d’une troupe de comédiens français, qui se produisent sur scène. Les textes doivent bien sûr encore être écrits. Pour cela, je vais bientôt travailler avec un écrivain français. Il n’y aura pas de dialogues chantés, comme c’est le cas pour les comédies musicales. Si des représentations ont lieu à un moment ou à un autre dans d’autres pays, les textes parlés seront interprétés dans la langue du pays par une troupe de théâtre locale. Tu vois, le chemin à parcourir reste encore long et il n’est pas du tout certain que nous y parvenions. Croisons les doigts !

Le dernier album d’ELOY, « Echoes From The Past », est disponible chez Drakkar Entertainment.

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Blues Soul / Funk Southern Blues

Dr Sugar : saupoudré de feeling

Bluesman (très) averti et baroudeur de longue date sur la scène hexagonale notamment, c’est sous le pseudonyme de DR SUGAR que le songwriter français se présente en solo. Les dix titres de « These Words » semblent avoir été composés en Louisiane, sur les rives du Mississippi, tant l’atmosphère contient des effluves en provenance directe de la Nouvelle-Orléans. Irrésistible.

DR SUGAR

« These Words »

(Rock & Hall)

Depuis de longues années maintenant, Pierre Citerne, alias DR SUGAR, fait partie de ces artisans incontournables de la scène Blues française. Ancien leader des Marvellous Pig Noise, il se livre cette fois seul, mais toujours très bien accompagné, sur ce « These Words » qui nous transporte du côté du delta du Mississippi, non loin de la Nouvelle-Orleans avec un Blues chaleureux et personnel. Ici, les couleurs et les sons s’entremêlent dans une douceur bienveillante.

C’est à Montpellier et sous la houlette de Niko Sarran des Red Beans & Pepper Sauce, qui tient ici aussi les baguettes en plus de signer la production, que DR SUGAR a mis en boîte ses nouveaux morceaux et « These Words » a vraiment quelque chose de réjouissant. Un pied dans le bayou et l’autre dans les quartiers animés et festifs de ‘Big Easy’, le Blues du Français a des saveurs Soul, Gospel, R&B et Funky, qui sont autant de gourmandises saupoudrées d’un groove exceptionnel.

Le dobro en bandoulière et l’harmonica jamais bien loin, DR SUGAR nous embarque dans une balade Deep South très roots. Entraînant et gorgé de soleil, le musicien enchaîne les titres avec un groupe où rayonnent l’orgue Hammond et les chœurs. La touche très ‘Churchy’ de son registre flirte habillement avec une nostalgie joyeuse et dans une belle fluidité (« Ready To Give Love Again », « I Want To Go To New-Orleans », « Drinking Muddy Water », « The Little Church » et le morceau-titre). Vivifiant et tonique !

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Experimental Pop Rock Progressif

Steven Wilson : une sorte d’état de grâce

Exigeant, pointilleux, minutieux et soucieux de la qualité et du positionnement du moindre son, STEVEN WILSON n’a rien perdu de sa créativité et continue sa quête musicale à travers « The Harmony Codex », souvent alambiqué, mais plus cohérent que « The Future Bites », où le chanteur, multi-instrumentiste et producteur avait perdu beaucoup de monde en route. Plus immersif encore et avec une extrême finesse, il revient avec parcimonie dans des contrées plus Rock, moins Pop, et aussi plus charnelles et palpables que l’Electro très distante et réfrigérante dans laquelle il s’était engouffré. Stratosphérique et expérimental, le musicien est en phase avec son époque et peut-être même en avance sur son temps.

STEVEN WILSON

« The Harmony Codex »

(Virgin Music)

Lorsqu’on reçoit un album en service de presse, il est accompagné la majorité du temps d’une rapide bio contenant les infos nécessaires à une bonne approche du disque et surtout de son contenu. Pour STEVEN WILSON, les choses prennent une autre tournure, même s’il est loin d’être le seul dont on connait le parcours par cœur… Mais mon premier réflexe a été d’écouter l’album avant de me pencher sur le processus technique. Et en plongeant dans « The Harmony Codex », je me suis d’abord dit qu’on avait retrouvé le grand musicien de Porcupine Tree et que, même si cette nouvelle réalisation insistait surtout sur une aventure technologique, la créativité du britannique paraissait ravivée et l’émotion de retour.  

Comme toujours, les talents de producteur de STEVEN WILSON sautent aux oreilles dès les premières notes de « Inclination ». Spécialement conçu pour une écoute dans des conditions ‘Dolby Atmos’, il n’est cependant pas nécessaire d’avoir un studio de professionnel pour faire immédiatement le distinguo d’avec une production ‘normale’. La différence ici se situe précisément dans la composition et les arrangements des morceaux. Avec cette entame très Electro, j’ai bien cru que je partais me morfondre à nouveau dans les méandres Pop et pénibles de son précédent disque. Certes, il y a des machines, beaucoup de machines, et pas mal de bidouilles, beaucoup de bidouilles, mais l’essentiel est ailleurs.

STEVEN WILSON donne un sens à « The Harmony Codex » dans son ensemble et surtout dans sa complexité. Celle-ci d’ailleurs n’est pas exagérée, même si l’obsession du détail est loin de l’avoir quitté. Dans un mix mêlant Ambient et Prog avec quelques notes Rock et Pop, ce septième opus solo de l’artiste se veut très sophistiqué, les échantillonnages sont légions et le tout baigne dans une atmosphère numérique souvent froide. Mais en s’attardant sur les morceaux les plus organiques et sur le chant de l’Anglais, le voyage n’en est que plus réaliste et authentique (« What Life Brings », « Impossible Tightrope », « Rock Bottom », « Actual Brutal Facts », « Staircase »). Une sorte d’état de grâce, oui, très personnel et même envoûtant.

Photo : Hajo Mueller
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Blues Folk/Americana

Dom Martin : across the Éire

Captivant et électrisant, le chanteur et guitariste DOM MARTIN livre un peu d’un an après le très bon « A Savage Life », un disque tout aussi poignant de vérité où l’Irlandais distille un Blues unique, qui fait le pont entre des influences américaines marquées, l’empreinte omniprésente d’un British Blues étincelant et une atmosphère celtique chaleureuse. « Buried In The Hail », s’il est plus sombre dans son approche, ne manque pourtant pas d’élégance, ni d’éclats lumineux.   

DOM MARTIN

« Buried In The Hail »

(Forty Below Records)

Le pays du trèfle, dans son intégralité, a toujours été une terre de Blues et de Folk et c’est peut-être pour cette raison que « Buried In The Hail » est probablement l’album de DOM MARTIN, qui sonne le plus irlandais. Sans doute aussi parce qu’il est le plus Folk et le plus intimiste du musicien. Toujours aussi roots, ce troisième opus studio parcourt des contrées Blues, bien sûr, mais aussi Folk et Americana, des styles qu’il affectionne tout particulièrement et qui se prêtent parfaitement à l’ambiance très acoustique à l’œuvre ici.

Enregistré dans les fameux Golden Egg Studios dans la province de Leinster et produit à Dublin, où DOM MARTIN a fait équipe avec les très réputés Chris O’Brien et Graham Murphy, « Buried In The Hail » propose des morceaux très épurés et d’une apparente légèreté. Moins électrique donc que ses précédentes réalisations, le songwriter nous embarque dans une balade irlandaise chargée d’émotion, qui commence par l’instrumental « Hello In There », où sa guitare sèche se mêle à des rires d’enfants avec une magie palpable.

C’est vrai que la douceur, la lumière et une certaine bienveillance dominent sur l’ensemble des titres, dont certains affichent clairement une ambiance celtique (« Government », « Belfast Blues », « The Fall »). DOM MARTIN se fend également d’une reprise magistrale et pleine de nostalgie du « Crazy » de Willie Nelson. En explorant les âmes et les esprits, le natif de Belfast se livre avec délicatesse et authenticité (« Buried In The Hail », « Lefty 2 Guns »), sans perdre de sa vivacité (« Daylight I Will Find », « Unhinged », « Howlin’ »). Superbe !      

Photo : Will Carter

Retrouvez la chronique de l’album précédent :