Trois ans après des débuts très prometteurs, les Strasbourgeois réalisent leur premier album, « Cycles », et la surprise est belle. Toujours dans un registre Stoner Rock, le spectre du quatuor s’est considérablement élargi, laissant entrer des sonorités Heavy, post-Rock, progressives et Doom. Très aérien, le groupe joue sur un groove épais pour libérer des paysages sonores très nuancés, appuyant sur les tessitures instrumentales et vocales avec soin. Et la galaxie de YOJIMBO s’élargit aussi avec de multiples projets autour d’un collectif d’artistes, afin de développer encore un univers déjà riche. Entretien collégial avec un combo plein de ressources et d’envie.
– Je me souviens très bien de votre premier EP éponyme sorti en 2022, dont les cinq morceaux m’avaient déjà fait forte impression. Que s’est-il passé ces trois dernières années ? J’imagine que les concerts vous ont permis d’acquérir de la confiance et aussi de mûrir votre projet…
Beaucoup de choses ! Déjà un changement de line-up en 2023 avec l’arrivée de Dom (Pichard – NDR) à la basse et aux chœurs, qui a remplacé Aurélien. Sophie (Steff, guitare et chant – NDR) et Flo (Herrbach – NDR) ont aussi quitté leur boulot pour se consacrer pleinement à la musique, et on a tous investi beaucoup plus de temps dans le projet. On répète deux jours complets par semaine, en plus du temps qu’on consacre à d’autres aspects du groupe, comme notre démarche multidisciplinaire et les collaborations artistiques. On travaille notamment avec le collectif M33, ce qui nous permet d’explorer d’autres champs que la musique pure. Les concerts nous ont aussi permis de gagner en assurance. On a bossé dur sur notre autonomie technique, et on a su bien s’entourer. En bref, on a fait en sorte de se donner les moyens de donner de l’ambition au projet.
– Sans parler de métamorphose, on vous retrouve avec un premier album, « Cycles », qui marque une évolution notable chez YOJIMBO. L’énergie y est décuplée, tout comme votre univers qui s’affirme clairement. Quelles ont été les principales étapes de cette maturité acquise ?
On a bossé dur, tout simplement. Beaucoup d’exploration, de remises en question, d’introspections aussi sur l’intention qu’on voulait faire porter à notre musique. On a pris le temps de chercher le bon son, de comprendre ce qu’on voulait vraiment transmettre. Le fait d’avoir Flo dans le groupe, qui est ingé son de métier, a été un vrai plus. Avec les moyens du bord, il a drivé toute la partie technique de la pré-production jusqu’à l’enregistrement avant que les copains du studio La Turbine mettent ça brillamment en forme au mix. Tout ça nous a permis d’aller loin dans les détails.
– Ce qui est aussi assez étonnant, et on le pressentait déjà sur l’EP, c’est cette sensation de liberté, qui s’épanouit dans un registre toujours aussi Stoner bien sûr, mais où l’aspect progressif, Doom et post-Rock sont plus présent. Vous aviez besoin de prendre de la hauteur musicalement ? De développer un côté plus aérien ?
Ça s’est fait assez naturellement. Quand on compose, on ne se dit pas ‘il faut que ça sonne Stoner’ ou ‘mettons une touche de Doom là’. On a un panel d’influences très large à nous quatre, et ça ouvre des portes qu’on n’hésite pas à pousser. On aime l’idée que notre musique soit écoutée comme un voyage, et on a sans doute davantage assumé ça dans « Cycles ». Et c’est vrai que les touches post/prog apportent une forme de carburant à cette volonté d’ouvrir les espaces dans ce voyage.
– Bien sûr, la production de « Cycles » n’a plus grand-chose à voir avec celle de « Yojimbo ». Est-ce que c’est une simple question de production, donc de moyen, ou au contraire, vous êtes parvenus à obtenir le son que vous aviez toujours souhaité ? Entre une puissance massive propre au Stoner et des passages plus légers et très sinueux…
Un peu des deux. On a accordé plus de temps, mais surtout on savait ce qu’on voulait. Ce n’est pas qu’une question de matos ou de studio, c’est aussi le fruit d’une vraie démarche sonore et artistique qu’on a affinée avec le temps. On a notamment beaucoup œuvré à ce que chaque instrument trouve sa place.
– YOJIMBO a toujours revendiqué ce côté cosmique que vous qualifiez même d’intergalactique. Sur « Cycles », il est encore très présent et plus poussé, je trouve. Est-ce qu’il y a, selon vous, un aspect de votre style, c’est-à-dire, le Stoner, le Prog ou le post-Rock qui prend un peu le dessus, et qui domine ce bel équilibre ?
On navigue vraiment à vue, mais le Stoner reste dans notre branche principale. Il y a des morceaux très Doom, d’autres très planants, d’autres plus Heavy… On essaie de ne pas prioriser un style au détriment d’un autre, mais plutôt de créer une continuité d’énergie ou d’évocation. L’esthétique intergalactique nous permet de lier tout ça sans cloisonner : c’est ce qui fait qu’on parle de ‘Stoner Intergalactique’.
– Même si l’on pourrait penser que votre propos pourrait être décalé, compte tenu d’une musique assez intemporelle, vos textes traitent de thématiques très actuelles comme l’écologie, le capitalisme, les conflits comme des choses plus personnelles. Comment conciliez-vous votre aspect ‘cosmique’, qui pourrait se prévaloir d’un certain détachement avec des sujets aussi concrets et sociétaux ?
Les textes sont écrits par Sophie, mais on les travaille au besoin ensemble ensuite, notamment pour chercher les bons niveaux de lecture. On veut que nos paroles aient du fond, mais aussi qu’elles laissent de la place à l’interprétation personnelle. Notre univers est peut-être cosmique, mais il parle du monde dans lequel on vit : des violences systémiques, de nos dérives politiques, de nos rapports au pouvoir ou à la nature. Le filtre science-fictionnel, ou symbolique, est là pour créer une mise à distance poétique, mais il n’y a jamais de déconnexion.
– Je trouve aussi ce premier album techniquement plus complexe. Y avait-il des choses que vous n’aviez pas osées sur « Yojimbo », car le groupe était encore jeune ? Et vous sentez-vous aujourd’hui peut-être débridé par rapport à vos débuts, car le potentiel était déjà là ?
C’est sûr qu’au début, il y a toujours une forme de retenue, d’hésitation à pousser certaines idées jusqu’au bout et un manque de maîtrise aussi. Aujourd’hui, on s’autorise beaucoup plus de libertés, que ce soit dans les structures, les textures, ou les intentions. On a aussi beaucoup évolué individuellement en tant que musiciens, notamment en travaillant nos instruments. Et puis, le groupe est soudé, donc la confiance mutuelle permet d’aller plus loin. On compose pour se surprendre autant que pour surprendre les autres.
– Vocalement aussi, l’évolution est flagrante. Sophie, est-ce que le fait que tu sois peut-être plus entreprenante vient de la scène et des facilités qu’elle enseigne ? Ou alors, comme tu es également guitariste, tu as peut-être aussi décidé d’accorder plus d’attention au chant dans une certaine mesure sur l’album ?
La maturité et le travail, clairement ! (Rires) J’ai passé plus de temps à analyser mes forces et mes faiblesses, mais aussi à davantage interpréter que simplement chanter. J’ai également un autre projet musical dans un tout autre registre (Folk Blues) avec lequel je tourne beaucoup, et qui m’a énormément fait évoluer vocalement. C’est un peu un mélange de tout ça : la tournée, le studio, la répétition, la composition et surtout … le recul. Mais j’attache un point d’honneur à évoluer guitaristiquement aussi. Je cherche à sortir de ma zone de confort pour aller plus loin, que ce soit en tant que guitariste ou chanteuse.
– Parallèlement à la sortie de « Cycles », vous avez également entamé une démarche artistique originale, celle d’écrire une nouvelle de Science-Fiction, mais sous la formule d’un collectif rassemblant différentes activités. Pouvez-vous en dire un peu plus ? Et celle-ci pourrait-elle être la base, par exemple, de votre prochain album ?
Oui, la nouvelle est un peu notre fil d’Ariane. C’est Stef (Legrand, batterie – NDR) qui en est à l’origine et on l’a retravaillée collectivement en 2023, avec l’accompagnement de Saïda Kasmi du collectif M33. Elle avait notamment déjà accompagné l’écriture de l’album concept de Mathieu Chedid. Cette nouvelle est à la fois un socle, un outil d’inspiration et un prétexte à collaboration. On partage des extraits ou des pitchs aux artistes avec qui on bosse, pour qu’ils puissent en proposer une lecture personnelle. On leur propose aussi de privilégier le réemploi quand c’est possible pour créer autour de cet univers. C’est une façon de sortir du cadre de la commande et d’ouvrir l’imaginaire. La nouvelle est déjà très présente dans « Cycles » et elle nous servira encore pour la suite, sous plein de formes possibles. Rien n’est décidé pour le moment et on ne veut pas figer le processus. Ce qui prime, c’est l’expérimentation.
– Enfin, j’aimerais qu’on dise un mot de cette magnifique pochette d’album que vous avez confié à l’équipe de Førtifem, dont on connait le travail pour de grands groupes, ainsi que pour les deux plus gros festivals Metal français. C’est assez rare de laisser carte blanche, surtout pour un premier album à des personnes extérieures. Comment s’est effectuée la connexion entre vous et leur avez-vous tout de même donné un fil rouge, voire vos nouveaux morceaux à écouter ?
C’est en réalité des amis de longue date de Dom. Il connaissait Jesse via des collaborations photo dans les années 2000, bien avant la création de Førtifem, et il a aussi rapidement accroché avec Adrien à leur rencontre. Dom squattait souvent leur canapé lors de ses passages réguliers à Paris. Depuis, leur travail a explosé, et à juste titre. Ils bossent avec des groupes mastodonte de la scène Rock/Metal et des marques de renom. Même si on aime travailler prioritairement avec des artistes de notre région, pour cette pochette on savait que c’était eux qu’il nous fallait. Pas seulement, parce que leur taf est incroyable, mais parce qu’ils ont une vraie démarche artistique et engagée qui résonne avec la nôtre. On a tout de même donné une idée très générale. Pour le reste la magie du duo a opéré et ils ont parfaitement saisi notre intention.
100% Benelux, le nouveau projet de BIG DAVE et de ses DUTCHMEN va ravir les amoureux du Blues made in Chicago et les replonger au milieu du siècle dernier dans les clubs enfumés de la célèbre cité de l’Illinois, l’oreille en alerte et le sourire aux lèvres. Tout en respectant cette tradition Shuffle, Gospel et Boogie, où de superbes ballades se frayent leur chemin, « Big Dave & The Dutchmen » va plus loin que le simple hommage, il perpétue le style avec un respect infini. Vibratoire, chaleureux et authentique, la torpeur de la production finira aussi par vous emporter.
BIG DAVE & THE DUTCHMEN
« Big Dave & The Dutchmen »
(Donor/Naked)
Enivrant par sa voix de velours et captivant grâce à un harmonica jamais bien loin, Big Dave Reniers chante le Blues en y mettant toute son âme. Il y a deux ans maintenant, celui qu’on connaît surtout pour ses prestations et sa discographie avec Electric Kings et Dizzy Dave Band s’est lancé un nouveau défi artistique, de haut vol comme il se doit, avec BIG DAVE & The DUTCHMEN. Car, c’est un peu plus au Nord, en Hollande, qu’il est allé chercher ses musiciens. Et le casting impressionne sur le papier avant même de poser une oreille sur ce chaleureux premier album éponyme de la formation.
Accompagné par Mischa den Haring (T-99, Chung Kings) à la guitare, Roel Spanjers (Luther Allison, Smokey Wilson) aux claviers, ainsi que Dusty et Darryl Ciggaar (The Rhythm Chiefs, Dry Riverbed Trio) à la basse et à la batterie, le chanteur belge s’est assuré d’évoluer avec un groupe de musiciens experts et incontournables de la scène Blues roots européenne. Alors, forcément BIG DAVE & THE DUTCHMEN se présente dans une configuration vintage, propre au Chicago Blues, dont il restitue l’atmosphère avec brio. Pour autant, si l’esprit est ancré dans celui des années 50/60, l’ensemble sonne très contemporain.
Et cette intemporalité musicale a été captée en seulement deux jours à Anvers au Rabbit Field Studio sous la houlette de Stef Kamil Carlens (Zita Swoon, Moondog Jr.), une prouesse autant qu’une évidence. L’énergie est brute, le feeling imparable, l’émotion à fleur de peau et, outre une maîtrise évidence de son sujet, BIG DAVE & THE DUTCHMEN impose sa patte et son jeu au cœur d’une tradition toujours aussi vibrante et hyper-groovy (« Never Love Again », « Daring Haring », « Trouble Of The World », « So Sweet »). Et la très organique production y est aussi pour beaucoup dans la beauté de ce bel opus. Irrésistible !
En associant Metal Progressif et post-Rock, ASH TWIN PROJECT s’ouvre un vaste champ d’expérimentation et c’est ce qu’il fait sur « Tales Of A Dying Sun », sorti il y a peu chez Klonosphere. Originaire du sud-ouest, les membres du quintet ne sont pas franchement des inconnus de la scène française, et leur technique comme les structures des morceaux ne laissent pas planer le doute. Guidé par le chant aérien et puissant de sa frontwoman, le quintet montre de belles choses et nous laisse même un peu sur notre faim. Thibault Claude, batteur et producteur de ce premier album, revient sur son aspect conceptuel et les multiples inspirations à l’œuvre au sein du groupe.
– Vous avez tous une expérience conséquente dans divers groupes de Metal comme Titan, Prophetic Scourge ou Silent Opera pour ne citer qu’eux. Quelles ont été vos motivations pour créer ASH TWIN PROJECT, qui évolue dans un style différent de ce que vous faisiez auparavant ?
Romain (Larregain, guitare – NDR), Robin (Claude, guitare – NDR) et moi avons effectivement surtout des expériences dans le milieu du Metal et particulièrement du Metal extrême, mais nos goûts et nos expériences ne se cloisonnent pas à ce milieu-là. La motivation à explorer de nouvelles esthétiques est donc avant tout une question de goût. J’ai proposé aux membres du groupe des compos instrumentales mêlant beaucoup de mes influences et ça a parlé à tout le monde. L’élément du groupe le plus éloigné du Metal est le chant d’Eglantine (Dugrand, chant – NDR), mais il n’y a eu aucune volonté de s’éloigner d’un style, ou de se rapprocher d’un autre. Avoir proposé à Eglantine de rejoindre le groupe a surtout été motivé par ses capacités vocales et les émotions qu’elle(s) procure(nt).
– Vous œuvrez donc dans un Metal Progressif tirant parfois sur le post-Rock. Cela vient-il de quelque chose qui vous attire depuis longtemps déjà et que vous souhaitiez explorer, ou plus simplement du fait que ces styles commencent enfin à émerger auprès du public ?
Justement, dans Prophetic Scourge, le côté Prog est pleinement assumé, c’est quelque chose qui nous parle énormément depuis toujours. On a toujours eu cet attrait pour le langage complexe de la musique : jouer avec les rythmes et les harmonies, explorer des structures progressives etc… sans perdre de vue le côté émotionnel. Là où dans les autres projets, on explore ça avec brutalité et technicité, on utilise ici un medium moins hargneux, plus axé sur le travail de l’ambiance et du relief. Le propos ne change pas, selon nous, mais il est effectivement moins cryptique ici.
– Par ailleurs, « Tales Of A Dying Sun » se montre solide au niveau du son et c’est d’ailleurs toi, Thibault, qui l’a produit. C’est quelque chose que vous teniez à gérer vous-mêmes ? Maîtriser ce premier album de A à Z ?
Oui, c’est un peu comme si la composition de cet album s’était terminée à la fin du mastering. Bon, j’exagère peut-être un peu, mais oui, la recherche du son a fait partie du processus de maquettage, puis d’enregistrement et enfin du mixage. Au-delà de ça, durant l’enregistrement, nous n’étions pas encore au courant que nous allions sortir l’album chez Klonosphere. Nous n’avions pas non plus de plan à suivre du genre ‘on va enregistrer à tel studio, puis on va faire appel à un tel pour le mixage, histoire qu’on ait un son monstrueux’. J’ai fait au mieux en fonction de mes connaissances et compétences sur le mixage (dans la continuité du travail de composition et de maquettage) et quand on a envoyé les morceaux finis à Klonosphere, ça leur a plu en l’état !
– Bien que votre musique soit très organique, vous tirez votre inspiration du jeu vidéo ‘Outer Wilds’ et donc d’un univers entièrement numérique. Comment y êtes-vous venus et est-ce un intérêt que vous partagez tous les cinq ?
Temporellement, j’ai décidé de m’inspirer de ce jeu environ dans le dernier quart de la composition de l’album. Outer Wilds m’avait profondément marqué quelques temps plus tôt et je voulais lui rendre hommage. En plus de l’aspect hommage, ce jeu est pour moi un bon exemple de ma vision de l’art et de ce que je souhaite transmettre via la musique, le lien s’est fait sur ça aussi, la dualité complexité/simplicité. Outer Wilds maîtrise selon moi l’équilibre parfait entre délire métaphysique, philosophie, soif de compréhension de l’inconnu d’une part, et émotion brute et viscérale d’autre part. En ce qui concerne les autres membres du groupe, Eglantine y a joué aussi, les autres non. Mais comme je disais plus haut, c’est le médium qui change (on n’est pas tous des joueurs fréquents), le propos tenu et les thématiques abordées nous passionnent tous les cinq.
– Quand on s’inspire d’un jeu vidéo, est-ce la recherche d’atmosphères particulières qui motive pour donner une cohérence à l’album, comme c’est le cas sur « Tales Of A Dying Sun » ?
Pas consciemment en tout cas. C’est vrai que le travail sur l’ambiance aide à ce qu’il y ait une cohérence sur tout l’album, mais pas sûr que ça ait un lien avec le fait que ça soit inspiré d’un jeu.
– Toujours à propos d’‘Outer Wilds’, le jeu tourne autour d’une boucle temporelle de 22 minutes précisément, et qui se réinitialise. C’est aussi un thème que l’on retrouve dans vos textes. Est-ce là le point de départ de l’aventure et du concept du groupe ? Et d’ailleurs, avez-vous envoyé votre album aux concepteurs du jeu ?
Non, on n’a pas envoyé l’album aux concepteurs, mais merci de le rappeler, il faut qu’on le fasse ! Alors, le point de départ est moins romanesque qu’une boucle temporelle. C’est le récital d’un examen pour que j’aie mon diplôme d’état de professeur de musique. Mais, oui, la notion de cycle est un des thèmes que l’on aborde et qu’on trouve intéressant, que ça soit pour s’intéresser à des choses abstraites (reproduction de schémas de pensée, ou de choix politiques) ou très concrètes (dynamique des astres et leur impact sur nos vies et croyances), voire les deux en même temps (liens entre la vie et la mort).
– ASH TWIN PROJECT présente des morceaux assez complexes dans leurs structures. Tout d’abord, sur quelles bases instrumentales partez-vous et est-ce que la technicité en elle-même peut aussi devenir une source d’inspiration ?
Sur cet album, la composition découlait d’une base instrumentale, car il n’y avait à l’époque simplement pas de chant. Ça pouvait venir d’une idée ou d’un exercice justement ! Par exemple, l’intro d’« Isolation » est un exercice de polyrythmie que j’avais trouvé sur internet. Arès l’avoir bossé derrière la batterie, je l’ai maquetté en jouant une basse qui suivait le rythme en 7 de la grosse caisse/caisse claire, et une guitare qui reproduisait le rythme en 5 du charley. Un exercice, ou quelque chose, qui nous attire l’oreille n’importe où peut devenir une source d’inspiration. Il s’agit ensuite de se l’approprier correctement. Dans « Isolation », cette idée a été vraiment reprise telle quelle sur la batterie, mais orchestrée différemment en faisant intervenir d’autre instruments. Et ça a inspiré la suite du morceau, où les rôles changent dans qui joue quel rythme (que ce soit les instruments ou les différents éléments de la batterie). En tout cas, la composition a été instrumentale, mais on espère pouvoir composer certains morceaux autour du chant maintenant, c’est une approche différente, mais qui permettrait à Eglantine d’apporter encore plus à l’esthétique du projet.
– Parallèlement à des aspects très Prog, post-Rock et parfois même Noise, ASH TWIN PROJECT reste très Metal au point même que vous accueillez le vocaliste Nicolas Lougnon pour quelques growls. En quoi est-ce pertinent compte tenu du talent de votre chanteuse Eglantine ? Est-ce devenu un passage obligé aujourd’hui, car les exemples se multiplient ?
Si on s’est senti obligés, ce n’est pas pour coller à une demande éventuelle des auditeurs, mais par goût personnel ! Certains riffs plus lourds, ou rapides, étaient propices à du chant saturé. Et comme on aime ça, cela aurait été dommage de s’en priver !
– Justement, il y a une direction artistique assez claire sur l’album. Le songwriting est efficace et la teneur des textes aussi. Malgré un univers dont on a déjà parlé, vos morceaux s’inscrivent dans une réalité authentique. De quelle manière faites-vous l’équilibre et le pont entre ce qui reste du domaine de l’imaginaire et un aspect plus concret ?
Finalement, le pont entre l’imaginaire et le réel se fait naturellement, parce que les deux sont liés. Il peut y avoir de l’abstrait et de la poésie dans n’importe quel objet concret, puisque cela réside dans l’œil de celui qui l’observe. On ne réfléchit pas toujours consciemment à cet équilibre, mais c’est vrai qu’il est présent. Disons que l’imaginaire est une porte d’entrée, une manière d’aborder certains thèmes tangibles avec plus de recul, et ça permet de laisser à chacun la possibilité de se les approprier à sa manière.
– Enfin, avec ses cinq titres, « Tales Of A Dying Sun » pourrait faire penser à un EP, mais sa durée se rapproche de celle d’un album. Avez-vous hésité entre les deux formats, car vous auriez aussi pu le compléter ?
À l’origine, on pensait sortir un EP autoproduit. Mais au fil du temps, une vraie thématique s’est imposée, avec une intention plus conceptuelle. Et ça, c’est typiquement ce qu’on associe à un album : un ensemble cohérent à écouter dans sa globalité. Aujourd’hui, le format album n’est plus forcément la norme, mais c’est celui qui nous semblait le plus adapté à ce qu’on voulait exprimer. Et puis, l’intérêt que nous a porté Klonosphere a aussi joué un rôle dans cette direction, bien sûr !
Le premier album d’ASH TWIN PROJECT, « Tales Of A Dying Sun », est disponible chez Klonosphere/Season Of Mist.
Lorsque l’on vit sa musique sur grand écran, autant être armé de fortes certitudes. C’est précisément le cas de MISS VELVET, qui signe un nouvel EP, « Triptych », dans la lignée de son premier album « Traveler ». Audacieux, passionné, sensible et sauvage, son Rock est à son image : moderne, brute, puissante et insaisissable. Derrière ce personnage qu’elle s’est entièrement créé et qu’elle façonne au fil du temps, se cache une chanteuse et compositrice à la vision claire et qui offre un nouvel éclat au Rock US, estampillé californien, avec beaucoup de force et de nuances. Entretien (fleuve) avec une artiste décidée, intrépide et féministe, qui marie son univers à celui de la mode dans un grand écart qu’elle vit et qu’elle assume pleinement.
– Avant d’arriver sur la côte ouest des Etats-Unis, tu vivais à New-York où tu chantais dans le groupe The Blue Wolf. Le style était plus urbain, avec beaucoup de cuivres et un petit côté funky. Pourquoi vous êtes-vous séparés après deux albums, et est-ce ce split qui a motivé ton déménagement pour la Californie ?
Avant la pandémie, j’ai eu un grand coup de chance à New-York en auditionnant pour George Clinton et Parliament Funkadelic au ‘B.B. King’s’ de Times Square. C’était un appel de dernière minute : un des programmateurs, qui connaissait mon manager à l’époque, m’a demandé si nous pouvions monter sur scène pendant la balance. Je jouais avec mon groupe depuis des années, dont certains d’entre nous depuis sept, huit, voire dix ans, et nous nous démenions sur la scène new-yorkaise. Ce soir-là, on nous a dit qu’on pouvait jouer un morceau, et qu’un membre de l’équipe de Parliament Funkadelic l’enregistrerait sur son téléphone et le montrerait à George, assis dehors dans son van. Et c’est ce qu’ils ont fait. Cinq minutes plus tard, on nous annonçait que nous avions le concert.
On était censé monter sur scène à l’ouverture des portes, mais George nous a fait l’incroyable cadeau de nous laisser monter sur scène à 20h, son créneau le plus important, dans une salle comble. Ce soir-là, tout a changé. Le lendemain, on a reçu un appel : 45 dates avec George. Cela a donné lieu à 60… puis 80… puis plus de 120 concerts et deux tournées mondiales. C’était électrique. Nous formions une équipe soudée et nous avions l’impression d’avoir enfin percé.
Puis la pandémie a frappé, et tout s’est arrêté. Ce calme était déstabilisant pour un musicien en tournée. On passe d’un mouvement constant à un arrêt total. Pendant ce temps, beaucoup de choses ont changé. Nous avons commencé à parler de choses en solo, de nouveaux projets. Et sur le plan personnel, j’ai renoué avec l’amour de ma vie. Je suis tombée enceinte. Le groupe s’est séparé. C’était un étrange croisement entre perte et renouveau, et chagrin et profond épanouissement. Je faisais le deuil de la vie que j’avais construite avec mon groupe, tout en entrant dans une nouvelle, en créant littéralement la vie.
Après la naissance de mon premier enfant, nous étions encore en pleine pandémie, et mon mari et moi avons décidé de déménager en Californie. Nous en rêvions depuis des années. J’avais toujours imaginé que l’Ouest s’insinuerait dans ma musique et j’étais prête à recommencer. J’appelle cette période ma période d’incubation : la naissance de moi-même en tant que mère, en tant que femme et aussi la renaissance de MISS VELVET.
– Avoir traversé tout le pays t’a-t-il fait évoluer musicalement pour livrer aujourd’hui un Rock moderne, teinté de Hard et de Classic Rock ? Tu as finalement adopté un style qui colle à l’atmosphère de Los Angeles. Est-ce que tout cela s’est fait assez naturellement ?
La Californie a toujours porté en moi cette énergie mythique, un sentiment d’Americana ancré dans l’immensité de l’Ouest. Les sons qui sortaient de Laurel Canyon, la tradition narrative, cet esprit troubadour, comme les Eagles, Joni Mitchell, ces voix semblaient m’appeler bien avant même que j’y pose les pieds. Il y a quelque chose de particulier en Californie… La façon dont les montagnes se brisent dans la mer, les aigles au-dessus de ma tête, les routes sans fin qui mènent de la côte au désert de Mojave. C’est surréaliste et cinématographique, et en tant qu’artiste, j’avais soif de cette énergie naturelle brute.
A mon arrivée, je savais que ce nouveau chapitre de MISS VELVET refléterait cela. Sonorité, style, émotion : tout a commencé à s’harmoniser. Et oui, c’est arrivé de manière incroyablement naturelle, car j’en avais soif. J’avais cette vision en moi depuis si longtemps, et quand je suis arrivée ici, je me suis jetée à corps perdu. Les paysages ont directement inspiré la musique et les images. C’est pourquoi nous avons entièrement tourné « Triptych » dans le désert de Mojave. L’environnement n’était pas seulement un décor, il fait partie intégrante de l’histoire.
Il existe une longue tradition de musiciens puisant dans l’âme de la Californie, et je voulais faire de même, tout en la fusionnant avec les éléments modernes et surréalistes que j’explorais. J’ai adoré l’idée d’associer l’ouverture brute du désert à la haute couture, de mélanger le Classic Rock à une production moderne et à des textures inattendues. Il s’agissait de trouver cet équilibre : quelque chose d’intemporel, mais aussi résolument actuel.
– Ton premier album sous le nom de MISS VELVET, « Traveler », est sorti en novembre 2023. Ton adaptation à Los Angeles s’est donc faite très rapidement. As-tu immédiatement commencé à composer et à façonner ce personnage que tu revêts et que tu revendiques aujourd’hui ?
Tout s’est passé très vite, même si sur le moment, cela m’a semblé incroyablement intimidant. Je n’oublierai jamais l’un de mes premiers trajets sur l’emblématique PCH avec l’océan à ma gauche, les montagnes à ma droite et, sorti de nulle part, cet oiseau massif, peut-être un aigle, qui a traversé la route devant ma voiture. Son envergure était immense. Il était si calme, planant simplement sur ce décor sauvage. Et j’ai eu cette sensation de sortie du corps, comme si le temps avait ralenti. J’ai levé les yeux vers la montagne et je l’ai ressenti : le poids de ce que j’allais accomplir. J’étais arrivée en Californie sans connaître personne. Je prenais un nouveau départ. Et cette montagne représentait l’ascension qui m’attendait. Mais voir cet aigle voler avec tant d’aisance dans le vent m’a redonné de la force. C’était comme un message. Un rappel de force, de vision, d’objectif. Ce moment est resté gravé dans ma mémoire.
À partir de ce moment-là, j’ai plongé tête baissée. J’avais passé tant de temps à garder cette version de moi-même juste sous la surface, cette nouvelle version de MISS VELVET, cette femme façonnée par la perte, l’amour, la renaissance et la maternité. J’étais prête à exprimer tout ce que je portais en moi, à le filtrer à travers cet espace exalté et fantastique qu’occupe MISS VELVET. Elle est devenue le réceptacle de ce que j’avais de plus authentique.
Et puis, comme par hasard, j’ai rencontré ensuite ma partenaire créative actuelle, Esjay Jones. C’était absolument électrique. Deux personnes avec des histoires profondes, des vérités brutes et quelque chose à dire et prêtes à créer. Dès le début, il était clair qu’il ne s’agissait pas d’une simple collaboration. C’était de l’alchimie.
– Et il y a donc eu ta rencontre avec la compositrice et productrice Esjay Jones avec qui tu as co-produit et co-écrit « Traveler », puis « Triptych » récemment. La connexion entre vous semble incroyable. En quoi ce travail à deux a-t-il fait évoluer, et peut-être aussi, grandir ta musique et ta manière de l’aborder ?
Il se produit quelque chose d’incroyablement puissant lorsque deux femmes s’unissent avec force, confiance, respect et sans ego. C’est ça, travailler avec Esjay. Dès le départ, il y avait cette compréhension tacite que nous pouvions être pleinement nous-mêmes, explorer des idées folles, repousser les limites et créer sans crainte. Ce genre de partenariat créatif est une sécurité. C’est rare. Et cela a été une véritable transformation.
Avec « Triptych », la vision m’est venue presque comme un téléchargement : cet univers visuel et cinématographique que je voulais créer. Je l’ai apporté à Esjay et je lui ai dit : « Je veux écrire une bande originale pour ce film qui n’existe que dans ma tête ». J’avais ce concept de trois singles principaux, mais sept titres au total, avec des interludes et des changements de genres : cette histoire en trois actes. Et elle a immédiatement compris. Cette confiance et cette liberté créative sont essentielles.
On en parle souvent : MISS VELVET est une voyageuse de possibilités. Cette phrase est présente dans les paroles de « Traveler », mais c’est aussi une sorte de mantra qui guide notre façon de fonctionner. On retrouve des éléments de décor dans les deux albums : philosophie, visuels et même le symbolisme du tailleur à rayures, présent dans les deux projets. Dans « Triptych », elle le porte à nouveau, cette fois en blanc, et s’éloigne. Ce sont des choix réfléchis. Nous construisons ensemble une mythologie évolutive.
Ce qui rend ce partenariat encore plus spécial, c’est que nous naviguons toutes les deux sur des trajectoires similaires : en tant que femmes, en tant qu’artistes et en tant que créatrices trentenaires conciliant vie, identité, ambition et famille. Ce sont les sujets dont nous parlons. Ce sont les histoires que nous voulons raconter. Et en travaillant ensemble, j’ai découvert certaines des facettes les plus sincères de moi-même, celles que je souhaitais depuis longtemps exprimer en musique.
Esjay n’a jamais cherché à édulcorer quoi que ce soit. Elle respecte la voix. Elle comprend la puissance de ce qui est profondément identifiable et brut. Avoir une collaboratrice comme elle, qui comprend l’histoire dans son intégralité, qui vous rencontre dans l’histoire, c’est non seulement libérateur, mais aussi inspirant. Nous nous améliorons mutuellement.
– « Traveler » est un album explosif, mais aussi très personnel et intime dans les textes et avec des chansons qui sonnent presque Folk parfois. Est-ce que le fait d’être dorénavant en solo te permet-il d’aborder des sujets que tu n’aurais pas pu, ou oser, faire en groupe ?
Absolument. Etre solo, et surtout, avoir plus confiance en moi, m’a donné la liberté d’approfondir des sujets dont je n’aurais peut-être pas eu l’espace ou le courage d’explorer en groupe. MISS VELVET est devenue un réceptacle qui me permet d’appréhender les événements de ma vie en temps réel.
Avec « Traveler », l’accent n’était pas tant mis sur la maternité que sur le déménagement émotionnel et physique de New-York à la Californie. Ce changement, c’est-à-dire quitter une ville, un groupe, une vie que j’avais construite, et s’aventurer vers l’inconnu a été radical. Ça se ressent dans la musique. Il y a des moments sur « Traveler » qui sont véritablement Rock’n’Roll dans tous les sens du terme. Et c’était très intentionnel. C’était comme si je devais honorer le son et l’esprit qui m’avaient portée jusque-là avant de pouvoir m’en libérer pleinement. Je m’accrochais encore, d’une certaine manière, au poids de ce que je laissais derrière moi.
« Traveler » est donc devenu ce pont, un disque sur l’entre-deux. Sur le mouvement, l’incertitude et le début de la transformation. Et ce n’est qu’après avoir réalisé cet album que j’ai pu m’immerger pleinement dans l’espace décomplexé de « Triptych ». C’est l’endroit où je me suis enfin autorisé à explorer non seulement des thèmes émotionnels plus profonds comme la trahison, l’amour-propre radical, le deuil et le temps, mais aussi à expérimenter pleinement le paysage sonore. C’est devenu un espace d’exploration sonore audacieux. J’ai fusionné les genres que j’ai toujours aimés comme des éléments de tragédie grecque et de chœur, de la guitare flamenco, des cordes orchestrales luxuriantes, des thèmes de cinéma jusqu’à ce que j’appelle aujourd’hui le ‘Rock cinématographique’. Il s’agissait de créer quelque chose qui soit à la fois mythique et moderne. Théâtral, mais profondément personnel. C’est le moment le plus expansif et le plus libre que je n’aie jamais vécu.
– Il y a un réel esprit de liberté sur tes deux disques, « Traveler » et « Triptych », et cela se traduit par un Rock US puissant, avec aussi beaucoup de soins apportés aux arrangements comme le piano et les cordes, par exemple. C’était important pour toi que ta musique ne sonne pas trop brut pour garder peut-être aussi un côté féminin plus appuyé ?
Absolument. Mais je pense qu’il est important d’élargir ce que l’on entend par ‘féminin’. Pour moi, le féminin ne se résume pas à la douceur ou à l’élégance : c’est la profondeur, l’intuition, l’ancrage et la férocité. Avec « Triptych », je voulais me réapproprier le véritable sens du pouvoir féminin. Et cela impliquait d’accepter la vulnérabilité et la force. La beauté et la rage. La tendresse et les limites.
Il y a tellement de liberté là-dedans. Dans « Strut », on voit MISS VELVET s’abandonner à un amour-propre féroce et sans complexe. Et dans « Hallelujah », on perçoit quelque chose d’aussi puissant : l’acceptation. Même l’amour de l’ennemi. Une compréhension où l’on peut faire preuve de compassion, tout en revendiquant ce qui nous appartient. Qu’on peut tenir bon sans perdre sa grâce. Que tracer des limites ne vous rend pas dur, mais vous rend entier.
Je voulais que la musique reflète cette dualité. Les arrangements (cordes, piano, chœur) véhiculent émotion et mythe. Ils laissent la musique respirer d’une manière expansive et cinématographique. Mais l’énergie est toujours là. La puissance. L’architecture émotionnelle qui maintient les énergies masculines et féminines en tension. MISS VELVET vit dans cet espace : la liberté de s’appuyer sur les deux, d’explorer l’androgynie, d’être fluide, autoritaire, tendre et indomptable. C’est la beauté de « Triptych ». Il ne s’agit pas seulement de reconquérir le pouvoir, mais de redéfinir ce à quoi ce pouvoir ressemble et sonne.
– Justement, tu affirmes clairement ta féminité, ce qui n’est pas très simple dans l’industrie du Rock. Est-ce que revendiquer et véhiculer à travers ta musique un certain féminisme est important à tes yeux aussi ?
Ce n’est pas seulement important, c’est indissociable de l’art. Je ne considère pas le féminisme comme quelque chose que je dois intégrer à la musique : c’est la musique. Il est dans mes choix, des histoires que je raconte et de la façon dont j’incarne MISS VELVET. Il est dans le pouvoir de revendiquer ma propre voix sans compromis, de refuser d’être réduite ou adoucie pour le confort des autres.
Ce que j’affirme, ce n’est pas seulement la féminité, c’est tout le spectre de la condition féminine. Cela inclut la rage, la sensualité, le chagrin, la douceur, le glamour, la sérénité, la sauvagerie, la maternité, l’ambition, la contradiction, la sagesse. Tout est là. Et je pense que nous sommes enfin à un moment culturel où nous pouvons cesser de demander aux femmes de choisir une version d’elles-mêmes et de l’interpréter poliment. MISS VELVET vise à briser ce binaire. Elle vit à l’intersection de la féminité et de la vulnérabilité, du sacré et du profane.
Dans une industrie dominée par les hommes, surtout dans le Rock, affirmer une présence féminine, qui n’est pas conçue pour le regard masculin, peut être difficile. Mais je ne suis pas ici pour jouer selon les règles des autres. Je suis là pour élargir le récit. Pour montrer que le pouvoir féminin peut être raffiné et primordial. Ancré et indompté. Que le féminisme n’est pas une question de rejet, mais de revendication.
Alors oui, c’est profondément ancré dans ce que je fais. Non pas comme une déclaration, mais comme un droit inné. Comme une vérité que je vis haut et fort.
– Tu viens tout juste de sortir « Triptych », qui s’inscrit dans la continuité de l’album. Les trois nouveaux morceaux sont accompagnés d’interludes, mais aussi et surtout, il s’agit d’un véritable concept vidéo que tu as décliné sous la forme d’une tragédie grecque. D’où t’est venue l’idée à laquelle tu as aussi associé beaucoup d’esthétisme dans l’image?
L’idée de « Triptych » m’est venue lors d’un de ces moments rares et divins. J’étais assise sur ces rochers volcaniques noirs à Hawaï, lors d’un voyage avec mes enfants et mon mari. Je médite quotidiennement, cela fait partie de ma vie depuis huit ans, et ce matin-là, je venais de terminer une méditation lorsque je suis entrée dans ce magnifique espace intermédiaire : ni complètement revenue au présent, ni complètement ailleurs. A cet instant crucial, j’ai téléchargé l’intégralité de « Triptych ». J’ai revu chaque scène. L’arc narratif complet. L’Odyssée de MISS VELVET.
A l’époque, je traversais une période profondément douloureuse : la trahison de quelqu’un qu’on a aimé et en qui on avait confiance. C’est bouleversant. Cela vous bouleverse profondément. Et j’étais au point où j’avais le sentiment d’être dos au mur. Avec le recul, j’ai confié cette douleur à la seule personne capable de la porter sans se briser : MISS VELVET. Je me suis demandée : comment allait-elle affronter cela ? Et « Triptych » est devenu la solution. Dans la première partie, « Pistols At Dawn » », on voit MISS VELVET et son ennemie : MISS VELVET sur un cheval noir, l’ennemie dans une Mustang noire. On ne voit jamais le duel, mais l’image est claire : les deux forces se croisent en formation de V, filmées d’en haut. A la fin, elle se tient seule, une gaze rouge tombant de ses mains, symbolisant qu’elle a affronté l’ennemie et en est ressortie transformée, avec du sang métaphorique sur les mains. C’est la mort de l’illusion.
Puis, le chœur inspiré de la tragédie grecque la guide vers la deuxième partie : « Strut ». C’est l’instant d’un amour-propre triomphant, féroce et sans complexe. Entourée d’une communauté diversifiée de personnes s’exprimant dans leur forme la plus authentique, MISS VELVET est à la fois témoin et bénéficiaire de cet amour, et elle le lui rend au centuple. C’est une célébration de la reconquête.
Enfin, le chœur la conduit vers la troisième partie : « Hallelujah ». Un jugement spirituel. MISS VELVET est maintenant vêtue de blanc, debout sur une scène circulaire blanche, entourée du chœur, également en blanc. C’est l’acceptation totale. C’est la suite silencieuse, le moment de la transformation. Elle a affronté la trahison, revendiqué l’amour-propre, et arrive maintenant à un état de grâce, où elle peut aimer même son ennemi, tout en restant pleinement fidèle à sa vérité. « Triptych » s’achève sur la coda : une composition de cordes, sans paroles. MISS VELVET s’éloigne de la caméra, vers la suite. Ce n’est pas une fin, c’est un début.
Pour moi, « Triptych » était une forme d’alchimie émotionnelle. J’ai pris quelque chose que je pouvais à peine assimiler en temps réel et je l’ai traduit dans un monde visuel fantastique, où je pouvais l’affronter à travers l’art. Cela n’a pas fait disparaître la douleur, mais cela m’a offert un réceptacle. Une libération. Et ce faisant, je suis devenue une meilleure version de moi-même. Une meilleure mère, une meilleure épouse et une artiste plus honnête.
– Tu es aussi très présente sur les réseaux sociaux et très suivie. Accordes-tu beaucoup d’importance à ton image, car tu t’intéresses également de près à la mode ? Même si c’est très normal aujourd’hui, ça l’est un peu moins dans le monde du Rock. Comment gères-tu cela et est-ce que concilier ces deux passions te demande de bien les distinguer ?
C’est intéressant, car je ne vois pas vraiment cela comme une combinaison de deux passions distinctes. Pour moi, la mode, la musique, la narration, le langage visuel, tout cela fait partie d’une même impulsion. J’aime utiliser les réseaux sociaux comme une sorte de journal intime. Cela me permet de partager des idées au fur et à mesure qu’elles arrivent, qu’il s’agisse d’une nouvelle vision mode, d’un croquis sonore, d’un moment de ma vie de famille ou simplement d’une émotion du jour. C’est devenu un moyen de faire découvrir l’univers évolutif de MISS VELVET, non seulement en tant qu’artiste, mais comme une expérience artistique à 360°.
Et oui, il y a toujours du bon, du mauvais et du truand avec les réseaux sociaux, mais j’essaie de les aborder comme une extension de l’art. C’est là que je peux exprimer différentes facettes de MISS VELVET : un jour, ce peut être du glamour, le lendemain, une maternité brute, le surlendemain, un teaser conceptuel. Rien de tout cela n’est linéaire. C’est circulaire. Expansif. Ces derniers temps, je me sens de plus en plus attirée par le mot ‘artiste’. Pas seulement ‘artiste d’enregistrement’, même si cela fait partie de moi, mais artiste au sens large et plus sauvage du terme. J’en ai parlé avec mon label et mon équipe : cette idée que MISS VELVET est une entité créative vivante et dynamique. Et cela implique d’explorer de nouveaux espaces de performance, de nouveaux formats visuels, de nouvelles façons d’interagir avec le public au-delà du modèle traditionnel des tournées.
Je suis enthousiasmée par l’idée qu’il n’y ait plus qu’une seule façon de faire. Nous vivons une époque où les frontières entre les disciplines s’estompent, et cela me donne une immense liberté. Les réseaux sociaux font partie intégrante de cette danse. Et les ‘Velvets’, cette communauté qui m’a trouvée en chemin, en font partie aussi. C’est vraiment exaltant. Grandir et évoluer en temps réel et inviter les autres à en être témoins.
– Enfin, j’imagine que tu dois être impatiente de présenter tes nouvelles chansons sur scène. As-tu des projets dans ce sens aux Etats-Unis ou en Europe où tu étais récemment ?
Absolument ! J’ai hâte de retourner sur scène et de partager cette nouvelle version de MISS VELVET. Le spectacle vivant est le point de départ de tout pour moi, et honnêtement, c’est la raison pour laquelle je fais tout cela. Rien n’est comparable à ce contact électrique et humain avec le public. Cet échange d’énergie, ce moment où tout devient réel.
Je suis particulièrement impatiente de donner vie à « Triptych ». Je rêve de différentes manières de le présenter pleinement, pas seulement sous forme de concert, mais comme une expérience immersive. Qu’il s’agisse d’une résidence, d’une installation multi-sensorielle ou de quelque chose d’entièrement nouveau. Je travaille à la création d’un format live qui nous permette de pénétrer pleinement dans l’univers de « Triptych » : sa dramaturgie, ses visuels et son arc émotionnel.
Nous travaillons activement à la préparation de prochaines dates de tournée aux Etats-Unis et, espérons-le, en Europe. Alors oui, la scène, qui est ma maison et mon havre de paix, m’appelle. Et j’ai hâte d’y répondre.
L’album « Traveler » et l’EP « Triptych » de MISS VELVET sont disponibles chez Mother Ride Records.
Photos : Chris Quinn (1, 4), Horz (2, 3, 5, 7) et Luisa Opalesky (8).
Retrouvez également la chronique de « Traveler » :
Une chose est sûre : du Nord de l’Angleterre, on distingue parfaitement le Sud des Etats-Unis, du moins les notes de musique qui s’en échappent. Et lorsque cette association trouve une telle harmonie, le résultat est réjouissant. Les débuts discographiques de KATIE AND THE BAD SIGN sonnent comme ceux d’une carrière qui démarre tambour battant. Avec « Revolution », la vigueur du Rock se fond dans l’authenticité du Blues et de l’Americana pour déboucher sur un registre passionné et captivant, porté par une voix incroyable.
KATIE AND THE BAD SIGN
« Revolution »
(Bleakheart LTD)
Farouche et chaleureuse, sensuelle et sauvage, KATIE AND THE BAD SIGN laisse déjà exploser tout son talent, et celui de ses musiciens, sur un premier album très réussi, de ceux qu’il nous arrivait encore d’entendre il y a des années. Car « Revolution » a tout d’un tremplin exceptionnel, qui devrait permettre à la formation de Manchester de se faire une place de choix sur une scène, où les artistes actuels s’entrechoquent. Et il est ici question d’un Rock infusé de Blues et d’Americana avec quelques touches Country. Un beau mix.
Katie O’Malley, de son nom complet, n’est pas franchement une inconnue. Son premier EP, « Never Be The Same », date de 2019 et elle a ensuite enchaîné avec quelques autres (« Dirt On My Knees », « Old Motel Rooms »), tout en distillant quelques singles à l’occasion. Mais avec « Revolution », KATIE AND THE BAD SIGN prend littéralement son envol. Sa voix est puissante, dégage une chaleur accueillante et, parfaitement accompagnée, l’ensemble libère un relief saisissant, d’autant que les mélodies de la songwriter sont imparables.
Puisque de nos jours, les références sont de mise, on retrouve quelques effluves d’Amy MacDonald, de Larkin Poe aussi et d’une certaine Janis pour l’aspect brut, éraillé et direct à travers une superbe performance vocale. L’avenir de KATIE AND THE BAD SIGN se présente sous les meilleurs auspices avec un style riche et varié, une attitude très Rock, un brin 70’s et un sentiment de liberté prédominant (« Wolf At The Door », « Voodoo », « The River », « Gaslighter », « Wild West » et le morceau-titre). D’une époustouflante vérité.
Après avoir quitté la Californie pour Seattle, SERPENT RIDER a vu son line-up presque totalement remanié. Mais ce premier effort vient confirmer que sa volonté n’a pas changé et que c’est toujours dans un Heavy Metal vintage et épique chevillé au corps qu’il évolue avec de plus en plus d’assurance. Grâce à une chanteuse qui sort des habituelles prestations féminines du genre, le quintet ne vient pas révolutionner le style, mais y apporte tout de même une touche d’originalité tout en perpétuant un héritage bien assimilé.
SERPENT RIDER
« The Ichor Of Chimaera »
(No Remorse Records)
Tout d’abord sous la bannière de Skyway Corsair en 2015, la formation américaine a du se réinventer au fil des années et surtout suite à un déménagement de son fondateur de Los Angeles pour Seattle il y a quatre ans. Dès lors, le leader et guitariste rythmique Brandon Corsair s’est mis en quête de nouveaux musiciens qu’il n’a d’ailleurs pas mis très longtemps à trouver. Cette nouvelle mouture de SERPENT RIDER (petit hommage à Manilla Road) sort aujourd’hui dans un registre entre un Heavy Metal assez épique et un Doom langoureux.
Désormais complété par R. Villar au chant, Brian Verderber à la basse, Drake Graves derrière les fûts et le dernier arrivé Paul Gelbach à la lead guitare, le groupe est au complet et « The Ichor Of Chimaera » est un premier album solide, gorgé de références multiples, bien mené et délivrant une saveur Old School directement inspirée des années 80. Cela dit, ce bond dans le temps n’empêche nullement SERPENT RIDER de se montrer original et d’avoir le mérite d’avoir son propre univers, bien aidé en cela par sa frontwoman.
Car elle est justement l’une des forces du quintet, grâce à une prestation vocale surprenante. Pas franchement Metal, mais plutôt Rock et très aérienne, elle parvient à nous guider dans les méandres de cet opus, où sa voix se fait même fantomatique sur certains titres. Une belle polyvalence qui permet à SERPENT RIDER de se mouvoir dans des ambiances variées. Outre un morceau-titre audacieux, on retiendra « Steel Is The Answer », « Matri Deorum », « Tyrant’s March » et le très sinueux « In Spring ». Une belle première !
Après deux formats courts, les Transalpins passent enfin à la vitesse supérieure et après des années de travail durant lesquelles ils ont investi les Marsala Studios de leur ville de Gênes, voici « Shaping The Chaos ». Mêlant Heavy Stoner Psych et post-Rock progressif, IKITAN se fait très original et paraît avoir minutieusement assemblé ses nouvelles compos en prenant soin de chaque détail. Sur une production parfois rugueuse, mais lumineuse et organique, l’ensemble est fluide et très dynamique.
IKITAN
« Shaping The Chaos »
(Taxi Driver Records)
Découvert il y a cinq ans à l’occasion d’un EP audacieux, « Twenty-Twenty », constitué d’un seul titre de 20 minutes et 20 secondes, IKITAN avait ensuite récidivé l’année suivante avec « Darvaza y Brinicle », sorti en cassette à une poignée d’exemplaires. On retrouve d’ailleurs ces deux titres sur ce premier album que les Italiens travaillent depuis 2021. Ils y ont peaufiné leur Heavy Stoner Psych aux teintes post-Rock et progressives, et comme « Shaping The Chaos » est entièrement instrumental, il est franchement hypnotique.
Cette fois, le power trio propose près d’une heure de voyage sonore, où il nous offre sa vision d’évènements naturels ayant secoués la planète à des endroits bien spécifiques, neuf au total. Ainsi, ce concept commence avec « Chicxulud », qui fait office d’intro et livre le ressenti puissant et massif d’IKITAN sur le cratère de l’impact qui a tué les dinosaures. Deux minutes qui imposent « Shaping The Chaos » de belle manière. Et la suite nous mène dans la Vallée de la Mort, au Kenya, en Antarctique et même aux côté d’une baleine…
Toujours aussi progressif, variant les tempos et avec à un beau travail sur les tessitures, le groupe se montre particulièrement accrocheur. IKITAN monte en puissance au fil des morceaux, multipliant les riffs solides, les lignes de basse hyper-groovy et avec un batteur très aérien et parfois aussi assez Metal. D’atmosphères planantes en grondements sauvages, le combo fait preuve de beaucoup de créativité comme sur « Natron », pièce maîtresse du disque où s’invitent percussions et violon, ou encore le génial « 52Hz Whale ». Exaltant !
Retrouvez l’interview du groupe à la sortie de sa première production :
Rarement un si jeune groupe aura paru aussi insaisissable. Si les premiers titres de ce premier opus peuvent laisser présager de la suite, le combo prend tout le monde à contre-pied avec une dextérité et une fluidité très réfléchies. Sans intellectualiser son style et son jeu, TORPEDO TORPEDO déploie beaucoup de sensibilité et de feeling. Le groupe sait déjà parfaitement où il va, et les émotions sur lesquelles il se meut font écho à un nombre impressionnant de courants musicaux. « Arrows Of Time » développe des allures cosmiques et accrocheuses avec une justesse puissante et très personnelle.
TORPEDO TORPEDO
« Arrows Of Time »
(Electric Fire Records)
Le moins que l’on puisse dire, c’est que la scène Stoner autrichienne est d’une grande discrétion, pour ne pas dire d’une confidentialité presqu’absolue. Cela dit, les choses pourraient changer, car les Viennois font une entrée assez fracassante et surtout très convaincante avec leur premier album, « Arrows Of Time ». Après avoir sorti un premier EP de quatre titres en 2022 (« The Kuiper Belt Mantras »), TORPEDO TORPEDO se présente cette fois sur la longueur, ce qui permet de constater et de savourer toute la richesse et l’originalité de son Heavy Stoner Psych extrêmement varié.
Car, dans une ambiance assez cinématique, le power trio multiplie les embardées et se montre d’un éclectisme parfois surprenant. Empruntant au Space Rock, au post-Rock, au Doom essentiellement, mais aussi en glissant quelques touches bluesy dans les guitares, on y décèle même des réminiscences Grunge dans la voix. Autant dire que les membres de TORPEDO TORPEDO ont parfaitement assimilé un nombre important de styles et, même en opposition, ils parviennent à leur donner vie dans une unité bluffante et singulière. Une belle preuve d’intelligence et de maîtrise.
Résumer « Arrows Of Time » en quelques mots est peine perdue, puisque chacun des huit morceaux sont très différents dans leur approche. Pourtant, on s’y retrouve ! TORPEDO TORPEDO prend le soin de ne pas nous perdre en route, malgré des envolées aériennes qui viennent côtoyer des déflagrations chaotiques volcaniques dans un Doom Metal lourd. Ecrasant, mais terriblement groovy, ce premier effort joue sur une technique, plus qu’une technicité, dans des atmosphères qui peuvent être intrigantes, légères, progressives, enivrantes ou carrément épiques. Spectaculaire !
A l’écoute de ce premier album de DAMAGE DONE, c’est tout d’abord cette ambiance très familière qui séduit, tant elle captive et peut même rappeler quelques souvenirs. La deuxième surprise vient du fait que le quatuor évolue entièrement en acoustique, soutenu par une rythmique légère et aérienne et quelques discrets claviers. Une approche qui nous renvoie forcément aux légendaires concerts d’une certaine chaîne musicale américaine dans les années 90. Cependant, pas l’ombre d’une quelconque nostalgie sur « Stranger Skies », qui nous transporte dans un univers très immersif avec une rare proximité. Les Français s’aventurent avec talent dans des chemins tracés par Pearl Jam ou Alice In Chains. Rencontre avec le chanteur Romaric Lamare et le guitariste Florian Saulnier.
– Cinq ans après un premier deux-titres, « The Fire », DAMAGE DONE livre enfin son premier album. « Stranger Skies » s’inscrit d’ailleurs dans la continuité de l’EP. Est-ce que vous avez été ralenti dans votre élan par la pandémie, ou vous a-t-il fallu plus de temps pour l’écrire et le composer ?
Florian Saulnier (guitare lead, voix) : En 2020, on ne pensait clairement pas sortir l’album cinq ans plus tard. Le contexte de la pandémie nous a beaucoup ralentis et le groupe n’était pas encore au complet. En voyant que l’on allait devoir repousser le projet de l’album, même si peut-être la moitié des morceaux étaient déjà là, on tenait quand même à offrir un aperçu de ce qu’allait être cet album. « The Fire » a été enregistré chacun chez soi et n’a pas bénéficié d’une production optimale, mais il a tout de même permis de montrer une première facette de notre univers et c’était vraiment l’objectif de ce premier EP. Par la suite, on a pu compléter le groupe et finaliser les morceaux sur les aspects rythmiques et les arrangements. Ça a pris plus de temps que prévu initialement et par la suite, l’enregistrement de l’album a dû être réalisé sur six mois environ. Finalement, « Stranger Skies » arrive plus tard que ce que l’on aurait aimé, mais il sort avec les directions sonores et les choix artistiques qui correspondent pleinement à notre vision.
Romaric Lamare (chant, guitare) : Ce qui est intéressant, c’est que c’est à peu près à cette période qu’on a commencé à trouver notre rythme de composition. Et c’est à la sortie de la pandémie qu’on a commencé à vouloir affiner l’évolution de notre musique.
– En tout cas, l’évolution musicale du groupe est très nette. J’ai le sentiment que « Stranger Skies » vous apporte aussi cette identité claire qui vous manquait peut-être avec, notamment, un son plus personnel. Sans parler forcément de maturité, avez-vous pu cette fois aller jusqu’au bout de vos idées ?
Florian : « Stranger Skies » a été composé sur la durée et je pense pouvoir dire qu’on a évolué dans notre style, et donc dans notre son, pendant la composition de ces morceaux. On s’est pas mal attardé sur la direction vers laquelle on voulait emmener notre musique. Finalement, on a développé ce côté ‘Rock/Grunge’ en quelque chose d’un peu plus aérien et beaucoup plus arrangé que ce qu’étaient les morceaux du groupe à la base. C’est ce qui marque la différence entre « The Fire » et « Stranger Skies ». On a pu donner plus de profondeur à nos morceaux, tout en explorant des textures sonores que l’on n’avait pas imaginées à la base. Quelque part, on a mieux défini le style du groupe, tout en restant fidèles à nos premières inspirations.
– Etonnamment, on retrouve les deux chansons de « The Fire », c’est-à-dire le morceau-titre et « Dead End Run » dans des versions plus dynamiques et avec un relief nouveau. Vous teniez absolument à ce qu’elles soient présentes sur « Stranger Skies » ? Pour quelles raisons ? Et l’idée était-elle aussi de leur donner un nouvel éclat ?
Florian : Complètement car, à nos yeux, les morceaux n’avaient pas pu profiter d’une production optimale. Et même si effectivement, l’album sort cinq ans après cet EP, ces chansons faisaient partie intégrante de l’album au début du projet. On a donc pu, plus ou moins, les développer et les réarranger dans le sens du reste des compositions.
Romaric : Ça nous tenait à cœur que ces morceaux soient sur l’album et qu’ils bénéficient du même traitement que les autres, que ce soit en termes de production, comme le dit Flo, mais aussi en termes d’exposition et de diffusion.
– Ce premier album est également très bien produit et il met en valeur des arrangements qu’on ne trouvait pas sur l’EP, qui était plus brut dans l’approche. Est-ce que lorsqu’on propose une musique acoustique, ou semi-acoustique, c’est un travail plus important dans le sens où vous vous mettez peut-être plus à nu ?
Romaric : Tout dépend de l’approche qu’on recherche. On aurait pu faire le choix de rester sur quelque chose de plus dépouillé et brut, mais ça ne cadrait pas avec notre vision. L’idée est vraiment de faire le lien entre le côté intimiste de l’acoustique et le côté plus immersif et moderne avec des arrangements discrets, mais qui permettent d’emporter encore plus l’auditeur avec nous.
– On l’a dit, DAMAGE DONE est apparu en 2020, une période où l’acoustique n’était pas un style très répandu, pour ne parler que du monde du Rock. Comment prend-on la décision de s’aventurer dans un tel registre, qui est devenu depuis la fin des 90’s très confidentiel ?
Florian : Je ne pense pas que l’on puisse vraiment parler de prise de décision. C’est surtout une question d’envie et de ce qui nous touche depuis pas mal de temps déjà. Au début du projet, on s’est retrouvé avec la même passion pour des morceaux que l’on chantait avec notre guitare chacun de notre côté. Après avoir passé pas mal de temps sur des reprises d’Alice In Chains, Pearl Jam ou d’autres artistes plus ‘Folk’ comme Ray LaMontagne ou même Neil Young, nos premières compositions étaient largement orientées. On a parlé précédemment des changements dans notre style qui sont venus un peu après, pendant le travail sur les morceaux, mais à la base que ce soient nos compositions ou notre style en lui-même, tout est vraiment venu naturellement.
– Justement, restons un peu sur ces fameuses années 90, et les légendaires ‘MTV Unplugged’, dont vous ne cachez d’ailleurs pas l’influence qu’elle a eu sur le groupe. Est-ce qu’il y a aujourd’hui un manque de ce côté-là, celui d’un Rock plus léger et aérien, qui ne se cache pas derrière un mur de guitare et qui laisse apparaître une authenticité réelle et palpable ?
Romaric : C’est encore une question de parti-pris. Mais si on s’y intéresse, il y en a pour tous les goûts. L’idée de l’acoustique, c’est en effet de rester au plus près des émotions, avec une sorte de fragilité et de simplicité, car on est plus à nu. Il y a tout de même pas mal d’artistes qui explorent cette voie acoustique, que ce soit le temps d’un album, ou bien de façon plus permanente. Il y a même des groupes qui, tout en restant électriques, arrivent à garder cette légèreté et ce côté aérien. Donc, je ne pense pas qu’on puisse dire qu’il y a un manque, simplement différentes approches. Pour nous, l’acoustique s’est imposée naturellement, parce que c’est ainsi qu’on se sent le plus à l’aise pour s’exprimer et transmettre ce qu’on a envie de partager.
– D’ailleurs, même si DAMAGE DONE se présente en acoustique, on retrouve cette même touche dans d’autres registres comme la Folk, l’Americana ou le Blues. Et cela revient même en force. Même si vous restez dans un style très Rock et légèrement progressif, sentez-vous une certaine proximité avec ces autres genres, essentiellement américains d’ailleurs ?
Romaric : Oui, il y a forcément une sorte de proximité, et comme l’a dit Flo, on a pas mal écouté des artistes comme Brother Dege, Neil Young, Ray LaMontagne et d’autres, qui sont issus de ces genres… Aujourd’hui je pense qu’on s’en éloigne un peu avec quelque chose d’un peu plus progressif, mais on garde toujours cette connexion avec la Folk et ce côté plus Rock, ou Grunge pour faire court. Ça restera quelque chose qui est dans l’ADN du groupe et le mien notamment dans ma façon de chanter. Ce sont aussi les styles où je me sens le plus à l’aise pour exprimer ce que j’ai à sortir.
– Revenons à « Stranger Skies », où l’on retrouve une douce mélancolie, qui colle souvent au style, c’est vrai. La prestation vocale est d’ailleurs incroyable, tant elle dégage une vérité dans l’engagement comme dans les textes. On a presque l’impression que la voix porte l’ensemble ou, en tout cas, est là pour captiver immédiatement l’auditeur avec des intros assez courtes. C’est le style qui nécessite une telle approche, selon vous ?
Romaric : C’est certain que ce style se prête bien à cette mélancolie. Il a un côté plus organique et l’idée de départ était justement de mêler cette chaleur acoustique avec une voix qui renforce cette intimité, tout en ajoutant les harmonies de Flo pour apporter plus de profondeur et d’ambiances à l’ensemble. Le fait que nous ayons commencé à composer à deux sur une bonne moitié de l’album n’y est pas étranger non plus, car l’intention était vraiment de placer les guitares et les voix au cœur de la démarche.
– Si votre musique peut paraître très épurée de prime abord, on est finalement assez loin du compte, puisque quelques claviers et samples viennent en complément des deux guitares et d’une rythmique électro-acoustique. L’objectif était-il aussi d’apporter une richesse sonore supplémentaire à « Stranger Skies » ?
Romaric : Exactement ! L’arrivée d’Antoine à la batterie et de Victor à la basse nous a vraiment poussés dans cette direction. Victor est un touche-à-tout passionné de synthétiseurs et de samples, et nous avons pris le temps de travailler chaque morceau pour enrichir les ambiances et la palette sonore. De son côté, Antoine a apporté son toucher et sa précision rythmique, donnant à l’album un juste équilibre entre intimité et une dynamique subtile.
– Enfin, on a l’impression qu’un style comme le vôtre se prête aussi à des endroits plus petits et des ambiances peut-être plus cosy et feutrées. Est-ce que c’est quelque chose que vous recherchez : une grande proximité avec votre public, plutôt que des lieux trop grands et peut-être mal adaptés ?
Florian : Alors, c’est ce que l’on recherche, mais peut-être pas entièrement. Et c’est clair aussi que l’on adore ces concerts donnés dans des endroits plus ‘petits’, car on va pouvoir aisément créer cette atmosphère intimiste qu’on affectionne beaucoup.
Romaric : Oui, ce qui compte vraiment pour nous, c’est l’atmosphère du concert. Peu importe la taille du lieu, tant que l’on arrive à créer cette bulle où la musique prend toute sa place. La proximité avec le public, c’est quelque chose de fort, mais on a aussi besoin que les conditions soient bonnes : un bon son, une belle écoute… C’est ça qui permet de transmettre pleinement l’émotion et de faire vivre les morceaux comme ils ont été pensés.
L’album de DAMAGE DONE, « Stranger Skies », sera disponible le 28 mars chez Klonosphere.
Basés à Las Vegas, les membres de ce tout nouveau combo du Nevada n’en sont pas à leur coup d’essai et leur leader, Dario Lorina, présente même un CV conséquent. Rien d’étonnant donc à ce que DARK CHAPEL sonne comme un groupe de vieux briscards. L’expérimenté six-cordiste et chanteur a façonné cette première réalisation pierre par pierre et le résultat est plus que convaincant. Derrière une impression ténébreuse, « Spirit In The Glass » est éclatant sur bien des points. Entre moments calmes et explosions spontanées, il est particulièrement rassembleur.
DARK CHAPEL
« Spirit In The Glass »
(MNRK Heavy)
Actif au sein de Black Label Society depuis plus dix ans, de nombreuses collaborations et deux albums solos instrumentaux à son actif, ça devait sûrement démanger Dario Lorina de créer une nouvelle entité plus personnelle. Celui qui a aussi œuvré chez Lizzy Borden pendant quatre années a donc fait appel à Brody DeRozie (guitare), Mike Gunn (basse) et Luiz Silva (batterie) pour donner vie à BLACK CHAPEL, nouveau projet Hard Rock teinté de nuances bluesy, un rien grungy et surtout aux sonorités sombres et au groove magnétique.
Moins rentre-dedans que la formation guidée par Zakk Wylde, le quatuor renoue avec l’esprit 90’s du genre, mais très modernisé dans le son comme dans la forme. DARK CHAPEL n’a absolument rien de passéiste ou de nostalgique, c’est même tout le contraire. Incisif et bardé de belles guitares, « Spirit In The Glass » passe en revue de nombreuses références, joue très habillement sur les mélodies et s’aventure aussi dans des ambiances unplugged plus légères (« All That Remains »). Les Américains maîtrisent et n’éludent rien.
La voix chaude et rauque de Lorina colle parfaitement au style que le guitariste a voulu déployer. Le travail sur les riffs et les solos est remarquable, tant il en émane de la sérénité et un aspect vraiment spontané (« Afterglow », « Hollow Smile », « Gravestoned Humanity », « Bullet In Our Chamber »). DARK CHAPEL réussit un coup de maître avec « Spirit In The Glass », souhaitons maintenant qu’il ne s’agisse pas d’une simple récréation, car ce premier opus a quelque chose de rafraîchissant, tant il est terriblement bien pensé.