Catégories
Americana Blues folk France

Mylène Chamblain : heart & soul [Interview]

C’est dorénavant depuis la Belgique, où elle a pris son envol il y a quelques années, que MYLENE CHAMBLAIN déploie un Americana, teinté de Blues et de Folk, très personnel. Chanteuse, guitariste et compositrice, elle sort « Drive Me Mad », un album complet aux variations multiples et d’une fluidité envoûtante. Dans un univers fait avant tout de partage, elle s’affirme pleinement comme artiste et aussi en tant que femme libre et déterminée. La douceur de sa musique se mesure au caractère entier qu’elle distille sur ce nouvel opus très inspiré. Entretien (fleuve !) avec une artiste talentueuse qui met tout son cœur à l’ouvrage avec beaucoup d’émotion et de sensibilité.

– Avant de parler de ce nouvel album, j’aimerais qu’on dise un mot de ton parcours qui est assez atypique. Tu es originaire de Toulouse et pourtant tu vis depuis 20 ans en Belgique. C’est un choix de vie personnel ou artistique, car on sait le public belge très réceptif à ton style de musique justement ? 

Mon arrivée en Belgique en 2005 n’émane pas du tout d’un choix de vie artistique, mais il l’est devenu aussi en prenant la décision de faire le grand saut en 2005, alors que je revenais justement d’un concert dans un grand festival Country en France. En cause, une autre histoire atypique et en plusieurs temps. C’est l’histoire d’une jeune fille française de 12 ans qui tombe amoureuse pendant ses vacances d’été 1992 d’un jeune garçon belge de la région liégeoise, venu passer ses vacances avec ses parents du côté de Fréjus, dans le sud de la France. A l’époque, il était âgé de 15 ans. Nous avons correspondu plus de 12 ans au total avant que cela devienne plus qu’un amoureux de vacances, puisqu’il est devenu le père de ma fille des années plus tard. Auparavant, nous nous étions retrouvés une nouvelle fois au moment de la sortie de mon premier album « Hold Fast », et après mon retour d’une date au ‘Festival Country’ de Craponne S/Arzon. A l’époque, j’envisageais de vivre aux pieds des Pyrénées, et je me voyais faire ma musique dans une maison en pierre, au calme, comme une vieille hippie. Puis, il est revenu dans ma vie. Je n’avais rien à perdre, lui tout (il était rangé avec job et maison) s’il venait vivre avec moi dans le Sud de la France. J’ai donc sacrifié ma vie en France, mais en sachant que les rencontres musicales en Belgique étaient tout aussi possibles, voire même pouvaient donner de belles opportunités. J’ai fait le grand saut en mars 2005 aux côtés de mon premier prince charmant et j’ai travaillé non-stop pour remettre mon projet sur pied en recrutant des musiciens belges. J’ai été bookée l’année suivante sur plus de dix dates en Belgique, et même en Lituanie pour l’énorme ‘Festival Visagino’, rassemblant plus de 10.000 personnes à l’époque. Je me souviens aussi de mon premier passage à la RTBF Classic 21 en 2006. Mon album « Hold Fast » avait été diffusé dans les découvertes Country pendant plusieurs semaines, un grand moment de reconnaissance pour moi. Depuis, bien des choses ont changé, ce prince charmant est donc devenu le père de ma fille, mais nous avons chacun refait notre vie. Je suis restée simplement pour être auprès de ma fille et ne pas la couper de son père.

– Tu as sorti ton premier album à 24 ans, fais une longue pause avant d’effectuer ensuite plusieurs collaborations, notamment avec Plain Jane. Et ce n’est qu’en 2021 qu’on te retrouve avec l’EP « Body & Soul ». Tu as ressenti le besoin d’écrire et de composer une musique qui te ressemblait peut-être plus à ce moment-là ?

Mon écriture a évolué en même temps que moi et lorsque j’écoute chaque titre, que ce soit les compositions Country-Blues de mon premier album, les titres Pop-Folk pour Plain Jane, ou les titres plus Americana de « Body & Soul » et « Drive Me Mad », tous les sons de chaque production correspondent parfaitement à une époque, un état d’esprit et des demandes particulières. C’était surtout le cas pour Plain Jane, où le process de création était assez différent, car il fallait que je me détache émotionnellement de mes créations pour qu’elles s’envolent avec le son de Plain Jane. Au gré des épreuves, du temps, de l’expérience, mon son révèle vraiment mon état d’esprit à chaque étape et celui plus ancré, plus roots, plus assumé d’aujourd’hui concorde parfaitement aussi avec la femme épanouie que je suis devenue. Et il révèle aussi la confiance acquise et le fait de savoir mettre des mots et des idées plus claires sur les arrangements de mes titres. Tout est venu en même temps. Mon retour à ma carrière en 2018, Plain Jane qui se créait et l’appel de Julie Compagnon pour collaborer sur ce projet.

Ensuite en 2019, j’avais déjà bien avancé pour moi, en parallèle à ce projet pour lequel je devais travailler sans trop travailler pour ne pas m’accaparer les morceaux. En tant qu’auteure-compositrice, c’était une opportunité pour moi de composer différemment pour un projet qui n’était pas le mien et ce n’était pas non plus inné et naturel pour moi, mais cela m’a tellement apporté aussi. Je vivais une période difficile et le projet Plain Jane m’a sans doute permis de trouver un autre échappatoire, un autre souffle avant de continuer. Il fallait néanmoins que je reprenne les rennes de ma vie et de mon projet de carrière musical personnel. J’ai dû choisir de me distancer du projet de Plain Jane, tout en suivant l’actualité du groupe et en étant présente sur scène avec eux. Ce sont mes amis et nous nous soutenons beaucoup.

Enfin, en 2020, le confinement m’a laissé du temps pour reprendre ce que j’avais entamé en 2018. Cette période m’a aidé à me focaliser sur mon projet et j’ai croisé la route de l’arrangeur, orchestrateur et producteur musical Cyril Orcel, qui a découvert mes compositions après la publication sur Facebook de mes nouvelles compos prévues pour « Body & Soul ». Il a voulu sublimer le style Americana que j’étais en train d’élaborer. Il a compris où je voulais aller et depuis nous n’arrêtons plus de produire ensemble.

– Plain Jane était assez différent de ce que tu fais actuellement et sur « Body & Soul », l’ensemble était déjà plus américain dans le style comme dans le son. Est-ce que ce sont toutes ces étapes, qui ont finalement forgé et affirmé ta direction musicale d’aujourd’hui ?

Les choses se sont déroulées naturellement. Je suis plutôt intuitive et je ne calcule rien. Je savais en collaborant sur le projet Plain Jane que la direction musicale allait être légèrement différente. La méthode de travail et le son n’allaient donc pas être les mêmes qu’en ayant un contrôle total sur ma musique. Les influences étaient suffisamment similaires pour permettre la collaboration. Je devais aussi vivre parallèlement le projet Plain Jane pour comprendre que j’étais déjà en train de prendre un autre envol dans ma vie et dans ma carrière. J’ai décidé aussi de sortir de la Folk et de la Country Music, tout en ne reniant absolument pas ce caractère musical que j’aime toujours énormément, mais qui ne prend plus le dessus sur un besoin de retrouver un son plus roots et organique.

J’ai mis ma sensibilité du moment dans les compositions de Plain Jane tout en prévoyant des titres pour ma propre carrière musicale en parallèle. Si on écoute « Don’t Swear », « Five », « Fire In The Shade » ou « Human Scale » composés en intégralité pour Plain Jane et arrangés par ses musiciens, on entend les influences Pop, Alt-Country et Americana, parce que les musiciens de Plain Jane sont aussi portés vers ces sonorités vintage et qu’ils ont à peine touché aux titres. Les mélodies sont restées intactes, mais elles ont été remaniées comme Julie Compagnon l’entendaient. Avec ce projet, j’ai compris que je devais juste effleurer du doigt la musique pour Plain Jane en dosant suffisamment pour ne pas trop y mettre la patte ‘Chamblain’.

Dans « Body & Soul », il y a toute ma vérité, ma façon de jouer, d’entendre mes morceaux, mon esprit et les mots qui illustrent mon vécu, une production personnelle et la liberté de créer mon son. Que ce soit « Last Long Road », « Losing Game » ou « Something Instead », je retrouve l’âme Americana et l’esprit de la Road Music, qui me collent à la peau depuis longtemps mais que je n’avais pas encore tout à fait exploré. Après ces 10 ans de pause, j’avais tracé ma route et forgé ma musique vers quelque chose de plus roots, plus ancré et plus abouti aussi. Tout est devenu plus précis, assumé et affirmé avec le nouvel album « Drive Me Mad ». J’aime proposer ma signature artistique, mais aussi une diversité portée par le Rock des années 70, le Blues, la Country, ainsi que le Pop-Rock. Et tout ça avec une bonne dose de guitares slide, dont le son m’emmène absolument là où je veux être. Je me sens à ma place et libre de m’envoler vers ce que je veux au gré de mes inspirations et de mes émotions sans chercher à plaire ou viser un public en particulier et tout en produisant quelque chose d’accessible et sans doute moins complexe musicalement.

– Depuis ton EP, tu travailles avec le directeur artistique Cyril Orcel. Comment est-ce que vous fonctionnez à deux et en quoi cela a-t-il pu changer ou faire évoluer ta vision artistique ?

Lorsqu’on écoute l’EP et le nouvel album, il y a une belle continuité musicale et de la maturité artistique. Lui, autant que moi, avons mutuellement appris de l’autre depuis cinq ans en nous écoutant notamment. On apporte nos compétences, mais aussi nos visions et notre ‘touche’ pour faire évoluer les morceaux. Ce travail a démarré à distance pendant le confinement et ce mode de fonctionnement a tellement bien fonctionné que nous avons continué à travailler ainsi, lui étant à Bruxelles, moi au sud de Liège. Il n’y a pas de pression, de contrainte de temps, mais un suivi et une façon de travailler très proactive. Nous nous adaptons bien aux journées de l’un et de l’autre.

Notre duo sur la composition, l’orchestration et les arrangements est la première étape et a prouvé son efficacité. Nous arrangeons ensemble le squelette de chaque titre, lui respectant la musicalité des compositions, de ce que je veux entendre mais en me proposant les arrangements qui vont pouvoir les faire s’envoler et prendre du relief. Ensuite, j’envoie les titres aboutis aux musiciens et on organise les enregistrements. Ils viennent chez Cyril pour les plus proches de Bruxelles, ou chez moi. On se partage les enregistrements de session et Cyril gère la plus grosse partie, ainsi que la phase finale du choix des pistes, du mixage et du mastering également. D’un point de vue stratégique et pratique, nous gagnons aussi beaucoup à créer ainsi. Et puis, le studio est prévu, mais ce sera pour travailler en live et retrouver ce côté humain et direct et accéder aussi à des sons qui libèrent encore plus les chansons.

– D’ailleurs, lorsqu’on écoute l’EP et le nouvel album, il y a une réelle continuité musicale avec aussi un côté plus roots et plus direct sur le nouvel opus. Tu as souhaité aller à l’essentiel en privilégiant les détails dans le songwriting à travers quelque chose de plus sobre et efficace ?

Oui tout à fait, je crois que « Drive Me Mad » révèle une certaine maturité et le fait que j’arrive à aller à l’essentiel, sans devoir réfléchir au moyen d’y aller. C’est certainement dû à l’âge, car ça a du bon d’avoir 45 ans et de ne plus avoir envie de perdre du temps et de l’énergie inutilement. « Body & Soul » était surtout la trace d’une vie qu’il fallait que je grave à jamais pour m’en libérer. L’écriture de ce cinq-titres a été influencée par un coeur, un corps et une âme meurtrie, c’est la trace d’une relation toxique et de violences qui m’ont marquée à vie et c’était nécessaire pour pardonner et passer à la suite. Tout est lié à mes émotions, la vie plus simple que je mène aussi et un état d’esprit apaisé. Disons que cela caractérise la vie qui a repris. Sûrement parce que je grandis encore et que la vie est une infinie suite de mouvements et ma musique évolue en même temps que moi. Aujourd’hui, je sens mon mental plus apaisé, moins complexe, je vais en effet plus à l’essentiel au quotidien et ce chemin psychologique se révèle dans mes écrits et ma façon de composer. Et je sais aussi que cette évolution artistique a été aidée par Cyril qui m’a dirigé artistiquement, doucement mais sûrement, en me conseillant de puiser en moi pour trouver une manière plus simple de composer pour marquer les esprits. Il m’a appris à écrire avec autant d’âme et de force et il a essayé de me pousser dans mes retranchements. Je croyais devoir calculer mes émotions, puis au fil des mois et des années, ma façon de penser a évolué et tout est devenu plus simple. Je pense avoir réussi à aller à l’essentiel pour moi et pour ma musique, sans pour autant perdre mon identité… et c’est un beau cadeau.

– Ce qui peut surprendre sur « Drive Me Mad », c’est la variété des styles qui vont de l’Americana à la Soul avec une légère touche Pop/Rock, et l’ensemble est relié autour du Blues, qui apparaît comme le point d’ancrage. Tu le considères comme ton influence première, celle qui guide l’ensemble ?

Oui, je pense que tu as vu juste. Si je devais choisir un style qui me résume, il y aurait toujours le mot ‘Blues’, bien que cela me gêne un peu étant donné que je ne fais pas du pur Blues, comme on peut l’entendre dans la musique des pionniers du Blues noir américain. Disons que les sons utilisés dans le Blues, les lignes et les blue notes doivent toujours être présentes dans ma musique, parce que je me sens profondément reliée à cette musique qui me parle depuis l’enfance, mais aussi aux sons et à l’âme du Blues. Il a été le point de départ de mon éveil musical. Et lors de mon passage à Clarksdale aux Etats-Unis en 2002, j’ai été complètement remuée, lorsque je suis entrée dans le bar qui a accueilli pour la première fois le grand B.B King à ses débuts. Quand j’écris, je me sens comme une âme solitaire, évoquant les injustices de ce monde, les besoins de liberté, d’égalité, mes chansons sont toutes des vieux Blues mis en musique avec les sons que je veux y mettre. C’est une recette avec des ingrédients de base essentiels. Cependant, je ne choisis jamais des instruments simplement pour que cela sonne Blues ou Folk. Ils vont surtout faire vibrer mes mots.

– L’album est aussi très organique, très bien arrangé et produit et avec une sensation d’immédiateté qui rappelle la scène. Est-ce que, justement, tu as en tête le rendu live de tes chansons au moment de la composition dans l’éventualité d’un échange avec le public ?

C’est ce que je voulais retrouver. Je suis très satisfaite et heureuse des choix réalisés avec Cyril mais il est vrai, et nous en discutons déjà, que je veux absolument retrouver ce son live et pourquoi pas, oui, en réalisant un album directement depuis la scène d’un concert. Tout est envisageable. C’est d’ailleurs comme cela que j’ai enregistré l’album « Hold Fast » en 2004, pas en public mais en live avec tous les musiciens en studio. J’ai eu la chance à 24 ans d’être épaulée par deux membres du groupe de Blues Awek, qui ont très vite cru au potentiel de ma musique. Nous avons répété une seule journée avant de rentrer en studio et 11 titres ont été enregistrés en deux jours et en live. Certaines sessions ont été réalisées séparément, mais la méthode a été entièrement analogique et artisanale. Un enregistrement sur bande et un mixage en temps réels est une incroyable expérience à laquelle j’ai participé aussi. C’est l’ingénieur-son Roger Shepherd que l’on m’avait conseillé qui fait ses armes chez E.M.I Music à Glasgow, qui est venu installer son studio à Toulouse. Depuis cette expérience, j’aspire à la renouveler, mais les conditions financières sont problématiques et demande d’agir en conséquence. Une captation live vidéo est envisagée cette année et pourquoi pas un enregistrement sur vinyle ? Le top pour moi ! (Sourires)

– Une chose m’a intrigué sur « Drive Me Mad », c’est justement le titre « It Drives Me Mad » que tu as composé il y a 20 ans. Qu’est-ce qui a changé pour cette chanson au fil du temps ? Pourquoi ne pas l’avoir sorti plus tôt et a-t-elle beaucoup changé par rapport à la version originale ?

Je l’ai composé en 2003 et je la jouais seule à Toulouse avant d’enregistrer l’album. Je ne l’avais pas vraiment terminée et c’était plus un défouloir pour moi. Je ne me sentais pas encore assez proche de ce morceau qui parlait d’une histoire d’amour. Je n’aimais pas cette relation et cette époque. J’ai voulu écrire cette chanson sans qu’elle m’accompagne vraiment. Et puis, trois ans plus tard, je l’ai rejoué avec un détachement émotionnel total, en concert avec les musiciens belges que j’avais recruté à mon arrivée. En récupérant mon projet, je n’ai pas tout de suite pensé reprendre ce titre qui ne me correspondait pas vraiment au temps de « Hold Fast », ni de « Body & Soul », mais avec le temps, j’ai remis sur pied de nouveaux arrangements. Je l’ai ensuite joué plus de deux ans à la fin de mes concerts et j’ai réalisé que le public adorait ce morceau. Comme je voulais inclure un titre plus Rock à ma musique, « It Drives Me Mad » était une évidence. Sans toucher à mes arrangements, ma mélodie et mes riffs, Cyril a rendu ce morceau plus abouti et nous avons compris qu’il serait parfait pour débuter l’année 2025 et lancer l’album en tant que single.

– D’ailleurs, « It Drives Me Mad » est un moment fort de l’album et on imagine facilement l’impact en concert avec ce côté Classic Rock. Pourquoi l’avoir placé en toute fin du disque ? C’est un choix qui peut surprendre…

Je n’ai rien calculé, ni planifié. Je crois que tout coulait de source, « It Drives Me Mad » ayant été finalement choisi pour lancer l’album. Je le trouve néanmoins toujours très bien à sa place, en dernière position, comme en concert où il emporte le public et clôture sur une note dynamique, positive et un mouvement Rock qui permet à tout le monde de danser, de chanter et de se défouler. Retenir ce morceau en fin d’album était aussi évident que de présenter l’album avec lui.

– L’album dégage aussi beaucoup de féminité et de sensualité et cela correspond d’ailleurs parfaitement à notre époque où les femmes sont enfin mieux représentées dans le monde du Blues, de l’Americana et même de la Country. Est-ce que cela veut aussi dire que c’est plus facile de s’exprimer aujourd’hui dans le milieu de la musique ? Et est-ce que c’est quelque chose que tu ressens aussi en tournée ?

Naturellement, je n’ai jamais cessé de produire ma musique avec foi et conviction, tout en sachant que déjà que c’était difficile de s’imposer d’abord en tant qu’artiste dans cette société. Ce n’est qu’après que j’y ai vu encore d’autres difficultés, c’est vrai. M’exprimer n’a jamais été difficile, mais être acceptée dans ce milieu n’a pas toujours été chose aisée. Ma difficulté était plus portée vers le fait que nous sommes toujours entourées d’hommes, que ce soit le public, les organisateurs ou les musiciens. Les hommes sont là et, en tant que femme, il est très difficile de passer à travers cette masse, sans se faire toucher les fesses. C’est une image un peu facile, mais c’est toujours bel et bien une réalité. La musique d’une femme passera un peu après l’intérêt physique qu’elle suscitera. Avec les années, ce qui est bien, c’est que j’ai non seulement gagné en confiance en moi, mais aussi en féminité, en sensualité, je m’assume beaucoup plus à 45 ans en tant que femme et ma sensualité se dégage davantage dans ma musique. Maintenant, j’ai aussi forgé un caractère, des moyens de défendre mes intérêts et surtout les mots pour me faire respecter. Ainsi, mon corps ou ma sensualité m’appartiennent, rendent service à mes compositions, mais je tiens à surtout rester certaine que ce soit bien par ma musique qui suscite d’abord de l’intérêt.

Je ne crois pas que ce soit plus facile en tant que femme de faire de la musique aujourd’hui en comparaison au temps de Ma Rainey ou d’Elizabeth Cotten. Mais ce que je réalise, c’est que les choses ne changent pas réellement à ce niveau. Nous devons toujours faire des efforts. Je sais, vu mon expérience, que nous devons encore et toujours faire nos preuves, présenter et proposer plus que les hommes ne le font. Il faut être séduisante en plus de proposer quelque chose de technique et artistique. La difficulté est toujours présente et le côté naturel et le produit abouti ne suffissent parfois pas. Il faut être charismatique, jolie et envoyer du lourd. Une femme doit avoir ce petit truc qui excite l’intérêt des organisateurs et s’il faut être honnête avec ça, il est évident que pour percer, une femme devra être tellement originale que son physique n’aura alors plus d’importance.

Nous sommes encore dans cette ère où la femme doit dégager sa sensualité en plus de réaliser une belle musique. Nous devons naturellement plus nous battre pour nous immiscer dans le milieu et nous imposer. Regardons les affiches de festivals et on comprend aisément que l’homme est bien plus représenté. En Belgique, nous devons d’ailleurs nous sentir fières de participer à des festivals 100% Women ! Etre fière de recevoir des subventions, parce que nous veillons à la parité homme-femme en tant qu’organisateur et organisatrice.

Nous avons juste une épreuve de plus à franchir, je pense, avant d’arriver sur scène. A nous de voir si nous considérons plus facile de jouer le jeu, de miser sur un jeu de séduction malsain, ou juste aimer sa sensualité et être soi. S’il faut accepter certaines conditions ou plutôt nous battre et résister à ce principe tout en nous imposant. Du caractère, il en faut indiscutablement plus que les hommes en plus d’avoir des choses à dire.

– Il y a des moments très intimes sur l’album et une vraie réflexion sur notre société notamment, et un morceau comme le très touchant « Lion Son » peut résonner aussi de bien des manières. Tu abordes tout ça de façon très personnelle, ou c’est l’aspect assez universel de ces thématiques qui t’importe le plus ? 

Pour te répondre sincèrement, je ne sais pas écrire ou composer sans y mettre toute mon âme. Si ce n’est pas personnel ou n’émane pas d’une histoire vécue, d’une émotion ressentie, d’une rencontre qui a du sens ou d’une réflexion personnelle sur le monde, il est difficile pour moi d’y mettre la force, la profondeur et la sincérité nécessaire à rendre mon titre en vraie résonance. C’est aussi parce que je ressens ma musique comme un tableau à peindre librement, un paysage à visualiser, une émotion à partager et aussi parce que j’aime que la musique permette une certaine liberté de projection. Je fais en sorte que chacun puisse se retrouver dans un texte, une musique et que la mienne appartienne à tout le monde, que chacun puisse trouver un peu de soi dedans et l’emporte avec lui, malgré les histoires très personnelles qui se trament autour. Je veille aussi à préserver une certaine intimité en n’utilisant que des images, car les choses dites trop directement, sans amplitude, ferment naturellement cette porte que je veux ouvrir au monde, à mon public. Si je parle de ma souffrance, on me laissera ma souffrance, on ne voudra sans doute pas écouter et partir avec moi en voyage. Ce sera bien trop personnel si, comme pour « Lion Son », j’explique clairement ce qui a inspiré cette chanson, la source réelle de l’émotion. Par discrétion aussi, je prends souvent le parti de ne résumer qu’une partie de l’histoire en me focalisant sur un détail et parfois, les choses dures peuvent éclairer le chemin et donner la possibilité de mettre en lumière la beauté plutôt que la douleur.

Pour « Lion Son » ou « Losing Game », je m’aperçois que la musique a clairement bien fait son travail car les émotions, dont on me fait part à leur écoute, révèlent que nous comprenons que la dureté du fond est captée émotionnellement et que la forme musicale choisie a permis d’alléger et faire que ces morceaux sont ressentis de manière intime, belle et sans être dérangeant. J’ai alors réussi ce que je voulais. Quant à « Lion Son », j’aurais l’occasion de la mettre davantage en lumière cette année, si le single sort en radio officiellement. Cette chanson compte beaucoup pour moi, mais aussi pour quelqu’un pour qui je l’aie écrite, suite à une bouteille à la mer lancée il y a deux ans sur la toile. Une vraie histoire, un vrai hommage.

– Un petit mot aussi du duo ‘Two Women Blues’ que tu as monté avec Geneviève Dartevelle. Vous tournez d’ailleurs ensemble en marge de vos projets. Peux-tu nous en dire un peu plus ? S’agit-il de compositions personnelles et est-ce qu’un projet discographique est dans un coin de vos têtes ?

Ce projet vient d’une idée naturelle de faire tourner mes chansons en version duo pour plus de facilité de programmation en Belgique pour les petits lieux, mais cela nous permettait aussi de nous rejoindre sur un fantasme de jouer du Blues simplement en duo. Elle comme moi, voulions depuis longtemps essayer cette formule, sans même nous connaître et alors qu’elle est à temps plein dans mon projet avec le band, cela coulait de source de devoir s’y pencher plus concrètement en parallèle. Je sais que je n’ai déjà plus beaucoup de temps à consacrer à un autre projet, puisque je donne déjà 200% de mon âme, de mon temps, de mon argent, de mon corps et de mon énergie à ma carrière et que Geneviève multiplie les répétitions et les concerts avec les nombreux groupes de Blues qui l’appellent.

Ce duo marche bien et reçoit des éloges en plus de remplir à bloc les salles de 100 à 150 personnes sans difficulté. Mais il faut parfois prendre du recul, avoir le temps de le travailler correctement et c’est là que les choses deviennent plus dures à installer en ce moment. Nous avons décidé de travailler sur un répertoire purement Blues arrangé à notre sauce, avec du Blues féminin aussi, mais pas uniquement, et tout en complétant les sets avec mes chansons, car il a fallu faire vite entre l’annonce du projet et la première proposition de concert. Tout est allé très vite et l’intérêt pour le duo a été fulgurant. C’est certainement le seul duo Blues féminin Harmonica/guitare-voix d’Europe et il suscite donc de l’intérêt, vu sa singularité.

Nous avons été bookées sur pas mal de concerts et de festivals Blues en 2024, tout en étant en tournée sur mon projet. Mais depuis la production et la sortie de mon album, je suis non-stop sur la promotion auprès des médias et en recherche de booking en France et à l’étranger et j’avoue ne pas savoir pour l’instant comment gérer les deux projets de front. Nous devions organiser des captions vidéos, un enregistrement aussi et puis, prises par nos projets parallèles, tout est assez compliqué à organiser mais tout viendra à point au moment opportun. Nous aimerions aussi participer au ‘Blues Challenge Festival’ et nous gardons bien nos projets en tête pour cette raison-là aussi.

– Enfin, depuis tes débuts, tu t’es toujours autoproduite. C’est une question de liberté artistique, devenue d’ailleurs plus compliquée aujourd’hui, qui te permet aussi de naviguer dans cette industrie musicale mangée par le numérique ? Ou, au contraire, il est devenu difficile de trouver un bon label ?

J’ai toujours été très indépendante et autonome dans l’âme et dans ma liberté de mouvement, ma capacité à avoir le contrôle sur ma vie ou mes projets depuis toujours. Et surtout, il m’a fallu une bonne dose de confiance dans ce système pour lâcher mes ‘bébés’ ou mettre mon projet entre les mains de labels ou de managers. J’ai fait quelques expériences, mais je ne sentais aucune vie, aucun mouvement et je fais confiance à mon rythme avant tout, à ma cadence. Même si c’est le rêve de tout artiste de déléguer les nombreux rôles que nous devons jouer en tant qu’indépendants, il n’est pas simple de tomber sur des gens honnêtes et bienveillants. Et surtout, si tu n’es pas un artiste bankable, je sais que l’intérêt premier d’aider à développer notre carrière sera ce que cela pourra récolter. Comme les choses changent tout le temps et que l’industrie musicale et les réseaux engendrent un marché concurrentiel presque impossible à défier, il faut soit accepter de se faire transformer pour devenir la poupée de l’industrie, soit resté libre, se battre, se surpasser et risquer alors de prendre plus de temps pour s’imposer.

Je pense que la musique que je fais actuellement est plus aboutie, mais le monde est plus exigeant encore et la musique Americana en Europe est une prise de risque, dont il faut assumer les conséquences. Mais comme je le dis, je ne compose pas pour plaire ou être dans le rang de ce qui se fait, je compose cette musique, parce que je l’ai en moi. Je ne suis peut-être pas née sur le bon continent ou à la bonne époque tout simplement. Alors quitte à ce que ce soit compliqué, je préfère mener ma barque et la contrôler.

J’essaie de voir comment faire en sorte d’amener le public à moi plutôt que de courir après lui outre-Atlantique. Une évasion nouvelle sur le continent américain n’est pas à exclure néanmoins. J’ai ma petite voix intérieure qui me dit que comme j’ai trouvé mon identité musicale, je vais pouvoir en parler bien mieux qu’avant et donc trouver les bonnes cibles. La musique doit voyager et pour moi le voyage a commencé.

Par ailleurs, il se trouve qu’un booking en France est en pourparler. J’ai des contacts qui s’intéressent à moi avec la sortie de l’album, ainsi que des labels et quelques festivals qui commencent aussi à me connaître. Ma patience, ma persévérance et le discours que je tiens maintenant semblent ouvrir de belles opportunités que je suis en train d’étudier. C’est un nouvel album, et surtout une nouvelle énergie. « Drive Me Mad » est une commande passée à l’univers. Si l’on me voit guitare brandie vers le ciel, ce n’est pas pour jouer au guitar-hero, mais bien pour illustrer ce vœu, cette volonté, cette fougue et cette passion qui me guide. Peut-être que la magie est en train d’opérer ? En tout cas, j’y aurais travaillé peu accompagnée, mais avec de belles rencontres-clefs, des manifestations en cours et je commence à récolter le fruit d’un long travail. J’observe, j’écoute, je prends, je garde ou je recommence… Rien ne doit être vu comme un obstacle ou une limite.

« Drive Me Mad », le nouvel de MYLENE CHAMBLAIN, est disponible sur le site de l’artiste :

www.mylenechamblain.com

Photos : Loreta Mander (1 et 6)

Catégories
folk Symphonic Metal

Serpentyne : black dreams

Toujours aussi narrative, la musique de SERPENTYNE est plus imaginative que jamais. Entre contes de fée horrifiques et sombres fables obsédantes, « Tales From The Dark » se meut dans une noirceur captivante, d’où jaillit la voix envoûtante de sa frontwoman qui semble parfois passer d’un cauchemar à l’autre avec une ténébreuse fluidité. Les Britanniques n’ont jamais été aussi sûrs de leur force et cela s’entend. L’ensemble est vif et palpitant.

SERPENTYNE

« Tales From The Dark »

(Rockshots Records)

Depuis son premier effort en 2010, SERPENTYNE est l’un des rares groupes de Metal Symphonique de son pays à s’être hissé au rang des meilleures formations européennes. En effet, les Londoniens ont de quoi de sentir seuls sur leur île à évoluer dans un tel registre. Pour autant, album après album, leur jeu s’affine et se renforce dans un univers original où la mythologie côtoie le médiéval avec une touche Folk et dans un esprit fantastique. Et avec « Tales From The Dark », le niveau montre encore d’un cran.

Six ans après « Angels Of The Night » et un changement de batteur, SERPENTYNE se montre toujours aussi solide. Assez loin des stéréotypes du genre, il évite soigneusement les écueils souvent pompeux pour livrer un Metal, certes symphonique, mais très Heavy, bardé de grosses guitares, d’une rythmique massive, de claviers assez discrets et surtout de la voix toujours aussi cristalline de Maggiebeth Sand. La chanteuse possède une large palette vocale et guide littéralement « Tales From the Dark ».

Ce sixième opus est aussi remarquablement produit et le son très organique à l’œuvre met en évidence les instruments dans un équilibre parfait. Et c’est cette atmosphère très brute qui apporte une belle respiration à « Tales From The Dark ». SERPENTYNE joue également sur la variété des ambiances, passant de moments très puissants et très Metal à d’autres presque gothiques et plus légers et cinématiques (« Phophetess Of Dreams », « Ghost Of Time Past », « Dreamer », « March Of Death »). Une belle inspiration.

Catégories
folk Hard'n Heavy Melodic Metal Symphonic Metal

Marko Hietala : the Northern mage

Très respecté pour son style d’écriture, ainsi que pour un jeu de basse très identifiable, MARKO HIETALA, qui avait pourtant annoncé son retrait, semble avoir retrouvé de l’envie et surtout de l’inspiration. A la tête d’un quatuor uni et chevronné, il donne vie à « Roses From The Deep », un disque très bien réalisé où le songwriting se révèle toujours aussi authentique dans des registres qui, malgré leurs différences, se retrouvent dans un même élan pour éclairer le monde musical de ce musicien hors-norme, dont la performance est toujours aussi saisissante. Un deuxième effort solo remarquable et captivant.

MARKO HIETALA

« Roses From The Deep »

(Nuclear Blast Records)

La réputation de MARKO HIETALA n’est plus à faire, ni son talent à démontrer. L’ancien bassiste et co-chanteur de Nightwish fait son retour en solo pour donner suite à « Pyre Of The Black Heart » (2020). L’homme aux multiples projets (Tarot, Northern Kings et de très nombreuses collaborations comme avec Delain, Ayreon ou Avantasia) livre l’album qu’on attendait un peu de lui, à savoir une production où s’entremêlent les genres, passant d’un Metal mélodique souvent Hard et parfois Symphonique, à de la Folk ou du Prog. On sait l’étendue stylistique du musicien particulièrement vaste et il en use avec beaucoup d’habileté.

Et on ne met bien longtemps à retrouver l’univers artistique du Finlandais. Parfaitement accompagné de Tuomas Wäinolä (guitare), Anssi Nykänen (batterie) et Vili Ollila (claviers), le line-up a de l’allure, conjugue expérience et jeunesse et débouche sur un « Roses From The Deep » fluide et équilibré. MARKO HIETALA tient solidement les rênes et déploie des compositions créatives et efficaces. Entre orchestrations généreuses et arrangements subtils, ces nouveaux titres montrent une belle énergie, beaucoup de sincérité et un savoir-faire imparable.

Dès l’entraînant « Frankenstein’s Wife » qui ouvre les festivités, suivi de « Left On Mars » en compagnie de sa complice de toujours, l’ex-chanteuse de Nightwish Tarja Turunen, le Scandinave semble vouloir rassurer ses fans les plus ‘métalliques’ et « Proud Whore » va aussi dans ce sens. Histoire d’ajouter encore un peu de piquant, Juha-Pekka Leppäluoto de Northern Kings, se livre à un véritable exercice de style sur « Two Soldiers », marquant un certain basculement pour la suite. Puis, MARKO HIETALA régale avec le long « Dragon Must Die » ou le très accrocheur « Impatient Zero », et aussi « Tammikuu » chanté en Finnois. 

Catégories
folk Rock

Détroit : fière poésie

Parfois à fleur de peau, mais aussi très solide et sûr dans ses écrits, l’ancien leader de Noir Désir n’a rien perdu de sa verve, de son sens du propos et de la métaphore. Aller chercher la petite bête au carrefour de ses mots est sincèrement inutile, tant les nouvelles compositions de DETROIT sont limpides, personnelles et fluides. Avec « L’Angle », le groupe nous balade dans des ambiances et des atmosphères diverses avec beaucoup de délicatesse et de force, sans jamais tomber dans ce lyrisme désuet très contemporain. Et grâce à une production lumineuse, c’est le genre de disque d’une qualité devenue très rare.

DETROIT

« L’Angle »

(Independant)

Evacuons d’abord toute polémique. Certes, on pourra toujours trouver un double-sens, voire certaines allusions dans les paroles de Bertrand Cantat, mais on peut aussi s’arrêter à l’aspect poétique de ses textes, car il reste bel et bien l’un des derniers en France à exceller dans le domaine. Et, très sincèrement, à l’écoute de « L’Angle », toutes tentatives de fouiner en quête d’éventuels règlements de compte de sa part seraient malvenus et déplacés. Surtout dans un pays où l’on célèbre un écrivain comme Céline qui a autant brillé par son rôle de fervent propagandiste du parti nazi que par sa fadasse prose, c’en serait presque vulgaire et à l’évidence ne rien connaître l’œuvre de DETROIT et de son chanteur.

Alors qu’en est-il donc de ce deuxième album (trois avec le live « La Cigale »), « L’Angle » ? Quand la majorité des médias s’est surtout posée la question de savoir s’il fallait l’écouter, ou pas, personne ou presque ne semble s’être penché sur son contenu. A croire que cela ne se fait pas. C’est à penser que les amoureux de la musique et des textes de Bertrand Cantat se doivent de l’écouter en catimini… Et sans mot dire, en deux mots. Bref, dix ans après « Horizons » et sept depuis « Amor Fati » sorti en solo, l’auteur, guitariste et harmoniciste poursuit l’aventure DETROIT en trio, où il est brillamment accompagné de Pascal Humbert (basse, batterie, guitare) et Jérémie Garat (violoncelle, guitare).

Très acoustique et mystérieux à bien des égards, « L’Angle » dévoile une nouvelle facette musicale, toujours aussi intense et profonde. Des terres andalouses (« Je Ne Savais Pas », « Recueillement »), en passant par le très secret Pays Basque, DETROIT met légèrement le Rock de côté (excepté sur « Oh Non Non Non » et « Au Royaume Des Aveugles ») et se consacre à des élans fiévreux, atmosphériques et captivants portés par une voix vive et percutante, qui domine dans le moindre détail ces nouvelles chansons (« La Beauté », « Les Roseaux Soucieux », « Les Âmes Sauvages », « Fleur Du Chaos » et le morceau-titre). La maturité artistique de ce nouvel opus est un écrin pour ces paroles étincelantes.

Photo : Détroit

Catégories
Americana Blues folk Soul

Eric Bibb : un écrin pour du nectar

La productivité d’ERIC BIBB n’a d’égal que son inspiration… et elle est grande ! Alors qu’en avril, il sortait « Live At The Scala Theatre » quelques mois tout juste après le génial « Ridin’ », il récidive déjà avec un « In The Real World », majestueux dans sa simplicité et dans ce flow Soul dont il a le secret. Très dynamique dans les arrangements, il a donné sa confiance à Glen Scott, le patron de Repute Records, qui a produit, arrangé et mixé les chansons. Magnifiquement équilibré et savamment travaillé, les harmonies vocales sont incroyablement riches et s’élèvent à un niveau auquel on est finalement habitué de sa part.

ERIC BIBB

« In The Real World »

(Stony Plain Records/Repute Records)

L’Américain a le Blues voyageur. Après s’être installé à Paris à 19 ans, puis en Suède pour finalement s’établir en Angleterre, ERIC BIBB n’est peut-être pas prophète en son pays, mais il l’est assurément sur le vieux continent. Ce qui, pour un pasteur, est une bonne première étape. On ne compte plus ses innombrables albums, autour de la quarantaine, mais on peut souligner que chacun d’entre eux est d’une beauté renversante. Le précédent, « Ridin’ » lui a valu d’être nominé aux fameux Grammy Awards et « In The Real World » a de grande chance, lui aussi, de prendre le même chemin, en espérant une récompense au bout.

Après cinquante ans de carrière, un record de récompenses et une intronisation au ‘Blues Hall Of Fame’ en 2015, ERIC BIBB s’offre une magnifique ode à l’introspection et à la quête de soi. Et c’est dans les studios d’un autre grand artiste, Peter Gabriel, qu’il est allé immortaliser les 15 chansons de « In The Real World ». Comme toujours avec lui, le son est limpide, cristallin et la qualité des réalisations effectuées dans au ‘Real World Studios’ donne une couleur pleine de douceur, et aussi de profondeur, à des mélodies passionnées et des textes apaisants, tout en restant engagé dans un humanisme de chaque instant.

Dès les premières notes de « Take The Stage », on se retrouve enveloppé de la voix chaude et rassurante d’ERIC BIBB. Toujours très sociétal dans son  propos, il plonge surtout dans ses souvenirs d’enfance dans des ambiances d’ailleurs très différentes passant du Delta au Gospel et à la Folk, et parfois légèrement Country. Il avoue même présenter avec « In The Real World » une sorte d’autoportrait de ses influences (« Everybody’s Got A Right », « This River (Chains & Free) », « Neshoba County », « Dear Mavis », et bien sûr la chanson-titre). Le bluesman a l’écriture forte et sensible et sa musique est aussi immaculée qu’électrique.

Retrouvez la chronique de « Ridin’ » :

Catégories
Blues folk Roots Rock

Melissa Etheridge : un moment d’évasion

Au fil des années et malgré de nombreuses souffrances, l’engagement et la lutte menée avec ténacité par MELISSA ETHERIDGE ne faiblit pas, bien au contraire. Et le bien-nommé « I’m Not Broken » est une nouvelle pierre à l’édifice bâti par la songwriter à la voix éraillée et tellement chaude. A l’instar de Johnny Cash en son temps, c’est dans une prison pour femmes de la cité qui l’a vu naître qu’elle a capté l’une de ses plus enthousiastes et bouleversantes performances. Saisissant de vérité !

MELISSA ETHERIDGE

« I’m Not Broken (Live From Topeka Correctional Facility) »

(Sun Records)

Alors que Paramount + diffuse une docu-série sur sa vie, MELISSA ETHERIDGE sort un double-album live, qui est probablement l’un de ses disques les plus poignant et émouvants,  mais aussi plein d’espoir, de sa longue carrière. L’activiste, lauréate de deux Grammy Awards, ayant vaincu un cancer du sein il y a 20 ans et accusé la mort de son fils de 21 ans due à une overdose d’opioïdes en 2020, est un modèle de résilience et c’est en musique comme toujours et dans un endroit assez spécial qu’elle se livre avec force.

Dans sa ville de natale de Leavenworth, Kansas, et devant 2.500 femmes de la prison de Topeka, MELISSA ETHERIDGE a offert un concert unique, tout en émotion et avec conviction, et qui a littéralement enflammé son auditoire. La chanteuse, guitariste et compositrice avait même un petit cadeau pour l’occasion. Inspirée par les lettres de cinq résidentes du centre correctionnel, elle a composé la chanson « A Burning Woman », qui est bien évidemment l’un des moments forts de la prestation de l’Américaine.

Toujours aussi Blues et Folk, le Roots Rock de MELISSA ETHERIDGE traverse le temps et les épreuves pour faire chavirer l’assemblée durant 90 minutes. En dialoguant avec son public entre chaque morceau, elle installe une proximité et une convivialité vraiment touchante et pleine de sens. L’esprit de communion entre la musicienne et les détenues donne d’ailleurs lieu à des instants d’une grande beauté et très positifs (« All American Girl », « Born Under A Bad Sign », « I’m The Only One », « Like The Way I Do »). Un disque qui fait du bien !

Retrouvez la chronique de son album précédent…

… Et une plus ancienne sur Facebook :

https://www.facebook.com/share/p/XusQAoVrd4WG7kio

Catégories
Blues Rock folk International

Madison Galloway : independent youth [Interview]

Le talent n’attend pas le nombre des années et c’est avec beaucoup de maturité dans l’écriture, comme dans le jeu, que MADISON GALLOWAY présente son deuxième album éponyme. Très bien entourée et parfaitement produite, la Canadienne s’inscrit dans un Blues Rock très contemporain, plein de fougue et assez insouciant. Accrocheurs et vigoureux, les morceaux de la chanteuse et guitariste ne devraient plus tarder à taper dans l’œil des producteurs et organiseurs de concerts européens. Avec ce nouvel effort, elle s’affiche sans complexe et avec une belle assurance. Entretien avec une compositrice indépendante et volontaire.

– Tu n’avais que 19 ans lorsque tu as sorti ton album « Moon & Mercury » en 2019 et c’était même après un premier EP « Who Knows Where », paru quatre ans auparavant. C’est un parcours très précoce. Comment es-tu tombée dans la musique si jeune et à quel âge as-tu commencé à composer ?

Mes parents sont de grands fans de musique, donc elle a joué un rôle important dans ma vie. Nous écoutions toujours des disques, des CD, des cassettes ou la radio. Ils m’ont inscrite à des cours de piano à l’âge six ans et j’ai continué pendant 11 ans. Quand j’avais 12 ans, j’ai commencé à jouer de la guitare, ce qui m’a vraiment passionné. Très vite, j’ai participé à quelques concours de chant destinés aux jeunes talents et à 15 ans, j’ai fait ma première scène ouverte. J’en ai fait de plus en plus. Puis, j’ai commencé à organiser mes propres petits concerts dans des restaurants, des bars et lors d’événements en ville. J’ai grandi à partir de ça. Et la même année, à 15 ans, j’ai commencé à écrire mes propres chansons et j’ai sorti mon premier EP en juillet 2015.

– Après un EP, plusieurs singles, deux albums maintenant et un grand nombre de concerts à ton actif en une dizaine d’années, tu affiches un très beau début de carrière. J’imagine très bien que tout ça demande beaucoup de travail. C’est ce tu ambitionnais depuis toute petite ?

Tu as raison, c’est beaucoup de travail. Il y a tellement à faire en amont et je pense que beaucoup de gens ne s’en rendent pas toujours compte. Même si j’ai toujours aimé écouter et jouer de la musique, devenir artiste de scène n’était pas vraiment mon rêve quand j’étais petite. Au lieu de ça, je voulais être peintre. Le dessin, la peinture et les autres domaines des arts visuels ont toujours été mes passions. C’est lorsque j’avais 14/15 ans, en commençant à rechercher davantage d’opportunités pour réaliser des performances, que j’ai décidé de faire carrière dans la musique.

– Lorsqu’on se penche sur ta discographie, on remarque que tu es passée par la Folk, le Rock, le Blues avec une couleur musicale très américaine et parfois même légèrement Pop. Est-ce qu’aujourd’hui, tu penses avoir trouvé ton identité artistique personnelle, ou te reste-t-il encore des domaines à explorer ?

Je pense que j’en suis proche. Je veux continuer à développer mon son et mon style, mais j’ai l’impression d’avoir trouvé la direction que je veux prendre. J’ai cependant des goûts assez différents et aussi d’autres affinités musicales. Donc, je me vois bien explorer d’autres domaines, et même si cela se fait parallèlement à mes projets principaux.

– Tu es originaire de Fergus en Ontario, un Etat qui a aussi vu grandir des chanteuses comme Alannah Myles et Shania Twain pour en citer qu’elles. On retrouve d’ailleurs quelques similitudes dans certaines de tes intonations. Elles t’ont influencé, notamment Alannah, ou c’est juste parce que tu as grandi en les écoutant ?

En fait, je n’ai pas beaucoup écouté Alannah Myles ou Shania Twain. Les deux artistes canadiennes qui m’ont vraiment inspiré sont Joni Mitchell et Alanis Morissette. Joni Mitchell est en fait l’une des premières artistes dont je me souviens avoir chanté les chansons et m’être dit : ‘Eh, j’aime chanter en fait !’.

– Parlons maintenant de ce deuxième et très bon album éponyme. Je le trouve assez différent de tes précédentes réalisations. Il est très Rock, très mature, accessible aussi et il dégage beaucoup d’énergie. Est-ce que tu as procédé différemment pour la composition et l’écriture de ces nouveaux morceaux ?

Quand j’ai écrit ces chansons, j’avais une idée de la façon dont je voulais qu’elles sonnent dans leur production finale. Et c’était plutôt dans un univers Blues Rock. J’ai commencé à faire beaucoup de collaborations pendant la pandémie et, par conséquent, presque toutes les chansons de cet album ont été co-écrites. C’est quelque chose de différent par rapport à mon précédent album « Moon & Mercury », qui n’en contenait qu’une seule.

– Tu joues également toutes les parties de guitare sur l’album. Par ailleurs, les refrains des chansons sont aussi très accrocheurs. Lorsque tu composes, tu pars d’un riff ou de la mélodie, car elles semblent vraiment guider les morceaux ?

Bien souvent, oui ! Mais cela dépend de la chanson. Parfois, je commence par les paroles, mais je pense que pour la plupart des morceaux de l’album, j’ai d’abord commencé par le riff de guitare. Puis, j’ai créé la mélodie et les paroles ensemble.

– Même si ce nouvel album est très musclé et plus solide aussi, tu restes très attachée à l’acoustique. On t’a d’ailleurs vu à plusieurs reprises seule à la guitare sur les réseaux sociaux à discuter avec tes fans. C’est une manière différente aussi d’aborder tes morceaux ? Et dans quelle configuration es-tu la plus à l’aise ? Et composes-tu également en acoustique ?

Quand j’ai commencé à jouer de la guitare, je jouais toujours en acoustique. En ce moment, je me sens le plus ‘chez moi’, lorsque je joue avec ma guitare Godin à corps creux. Mais j’aime toujours jouer avec l’acoustique. Sur l’une de mes dernières chansons, je l’utilise beaucoup, car je n’ai pas besoin d’ampli. Et cela me permet aussi de composer plus facilement dans ma chambre, ou à l’extérieur.

– En plus de la composition des morceaux, du chant, de la guitare et de quelques percussions, tu as aussi coproduit l’album avec Ross Hayes Citrullo et Stacey Shopsovitz. C’est important pour toi d’être présente à toutes les étapes du processus ?

Oui, c’est important d’être présente à toutes les étapes de l’enregistrement. J’aime l’équipe derrière ce projet et je fais confiance à leur expertise, mais en étant là, je peux m’assurer que ma vision des chansons est respectée. Je souhaite également en savoir plus sur les aspects plus techniques de l’enregistrement. Donc, être impliquée dans toutes ces étapes me permet d’apprendre des personnes avec qui je travaille. Je pense que c’est l’un des avantages d’être une artiste indépendante !

– Justement en parlant de son, la production du disque est très organique, directe et vraiment live. L’album est donc très spontané dans l’interprétation également. C’est une manière aussi de présenter ce à quoi on peut s’attendre en concert ? Cet aspect très roots de ton jeu ?

Je pense que l’objectif de cet album, du point de vue de la production, était de créer des sons Rock organiques, mais avec quelques éléments modernes. J’adore les icônes du Classic Rock, en particulier Led Zeppelin, mais je suis aussi une grand fan de groupes plus récents comme The Black Keys, Larkin Poe et Tyler Bryant & The Shakedown. Je suis inspirée par la façon dont ils sont tous capables de fusionner différents aspects. J’adore ce style très charnel, plein de Soul et doté de nombreux sons granuleux sur des productions modernes, qui créent ces sons Blues Rock actuels et emblématiques. Et puis, je pense que ces chansons conviennent aussi naturellement au concert.

– Justement, un mot sur les concerts. Est-ce que le fait d’être en Ontario, une région anglophone du Canada, t’offre plus de possibilités pour jouer aux Etats-Unis qu’au Québec notamment ? Et te verrons-nous en France bientôt ?

En fait, je n’ai pas encore donné de concerts aux États-Unis, ni au Québec. Mais en ce moment, j’ai plus de contacts avec les États-Unis. J’adorerais jouer dans ces deux endroits. Et bien sûr, j’adorerais venir jouer en France et j’espère pouvoir le faire bientôt ! (Juste après cette interview, la Canadienne a annoncé assurer la première partie de ses compatriotes The Commoners en Angleterre dès le 19 juillet pour une dizaine de dates – NDR)

Le nouvel album éponyme de MADISON GALLOWAY est disponible sur toutes plateformes et, bien sûr, sur le site de l’artiste :

www.madisongalloway.com

Catégories
Blues Rock Boogie Blues folk France

Manu Lanvin : l’histoire d’une amitié [Interview]

13 ans après sa disparition, la musique de Calvin Russell résonne toujours chez les amateurs de Blues aux saveurs Folk, Country et Rock. Ayant trouvé l’Eldorado en France dans les années 90/2000, le Texan n’a bien sûr pas manqué de créer de solides liens d’amitié, parmi lesquels on retrouve MANU LANVIN. Le leader des ‘Devil Blues’ avait d’ailleurs enregistré avec lui « Dawg Eat Dawg » en 2009, un moment fort dans sa carrière. Aujourd’hui, le chanteur et guitariste lui rend un magnifique hommage avec ce « Tribute », qui voit se succéder des artistes au horizon divers pour redonner vie à des chansons pour beaucoup inoubliables et dans tous les cas toujours très touchantes. Entretien avec ce ‘Frenchy’, qui redonne toutes ses lettres de noblesse au musicien d’Austin.

Photo : Tamara Pienko

– On connait la genèse de l’album qui date donc de ce concert donné il y a deux ans à ‘La Traverse’ de Cléon, près de Rouen. De là à vouloir ensuite réaliser un disque, il y a un pas à franchir. Quel a été le déclic ? Y a-t-il eu une demande particulière, ou cela reste personnel ?

Non, il n’y a eu aucune demande. Cela aurait d’ailleurs pu être orchestré par des maisons de disques ou des éditeurs, mais ce n’est pas le cas. Cela fait suite à ce concert, qui m’avait été demandé, à ‘La Traverse’ qui est une salle que j’aime beaucoup. Il y a une programmation  très qualitative avec beaucoup d’artistes anglo-saxons de Classic Rock, notamment, et de grands bluesmen. Ils m’ont demandé si je voulais faire revivre, le temps d’une soirée, la musique de Calvin Russell. J’ai accepté en leur disant que je souhaitais le faire avec des invités. On a la chance en France d’avoir des artistes très intéressants et qui sont américains. Ils sont donc plus légitimes pour défendre ce répertoire. Je pense à Neal Black, Beverly Joe Scott, qui est à côté en Belgique, Janet Martin… J’avais envie de personnes qui partagent ce langage-là et je voulais aussi que sa femme et sa belle-famille soit là et se sentent concernées. C’était une soirée très, très émotionnelle, en plus d’afficher complet. Il s’est passé quelque chose de très fort et c’est là que je me suis rendu compte que la musique de Calvin était encore inscrite dans le cœur des gens qui l’avaient connu. D’ailleurs, lors de mes concerts quand je vais au merchandising signé des albums, il n’y a pas une seule fois où on ne me parle pas de sa musique. Elle est toujours là et elle m’accompagne. Je trouvais que c’était un peu frustrant pour les gens qui n’avaient pas pu assister à ce concert-là de ne pas leur proposer une nouvelle lecture de certaines de ses œuvres. C’est donc ce que je me suis mis en tête de faire après ce concert. Je suis entré en studio avec mes musiciens, en reprenant d’ailleurs plus ou moins la même setlist qu’à ‘La Traverse’ et j’ai commencé mon petit casting dans ma tête.

– Tu avais un lien très fort et spécial avec Calvin Russell, qui était aussi un personnage atypique et attachant. Est-ce qu’il t’a fallu prendre un peu de recul lors de l’enregistrement pour mieux contrôler et canaliser ce flux d’émotion, ou au contraire l’immersion a-t-elle été totale ?

Je pense que le temps a joué en notre faveur. Je n’aurais pas pu faire cet album juste après sa disparition. Là, on a pu se détacher d’une forme d’emprise émotionnelle. Cela dit, bizarrement, cela m’est arrivé plusieurs fois pendant l’enregistrement. Juste à côté du studio ‘La Chocolaterie’, j’ai une petite maison de ville mitoyenne, où j’ai accueilli Calvin juste avant et pendant l’enregistrement de « Dawg Eat Dawg ». Ensuite, il y a eu la tournée et il dormait ici. Il y avait malgré tout son fantôme qui était là ! (Sourires) Il m’a d’ailleurs laissé quelques plumes qui sont toujours là, elles aussi. Ensuite, le travail est différent, car je suis le directeur artistique du projet. La question s’est donc posée de faire ou non du plagiat de Calvin Russell, ou est-ce qu’on allait essayer d’aller plus loin ? Ce qui était intéressant, c’était de moderniser certaines versions, de leur offrir une deuxième lecture et aussi de prendre certaines choses à contre-pied. Par exemple, personne ne s’attendait à ce que ce soit une femme (Beverly Joe Scott – NDR) qui chante « Crossroads », qui est le morceau emblématique de Calvin. Il fallait faire une sorte de passage de relais, car il a laissé un super catalogue. Il était très fort au niveau du songwriting et en me replongeant dans tout ça, j’ai retrouvé des trésors que je ne connaissais même pas à l’époque où je le côtoyais. Il y a vraiment des pépites ! Et les faire interpréter par d’autres artistes, c’est vraiment ça qui me plait dans ce genre d’hommage.

Photo : AFP

– La tracklist contient 14 chansons. Certaines s’imposaient comme bien sûr « Crossroads », « Trouble » ou « Soldier ». Pour les autres, comment s’est effectué le choix ? Certains artistes ont-ils proposé des morceaux qui les touchaient plus particulièrement, par exemple ?

En fait, je me suis beaucoup inspiré de la magie qui avait opérée à ‘La Traverse’. La tracklist n’a pas tellement bougé. Parfois, ce sont les circonstances qui décident. Il y a un équilibre avec des passages plus lents, d’autres plus Folk qu’on connait bien chez Calvin. Et puis, c’est aussi très Rock’n’Roll, car il avait vraiment ça en lui. Il aimait les morceaux avec de grosses guitares un peu sales, le Boogie aussi… Et c’est un aspect que je connais bien de lui, car j’ai eu la chance de l’accompagner sur scène. Il vibrait littéralement lorsque tu commençais à envoyer des décibels. J’aime aussi ce côté-là chez lui, ainsi que l’aspect très dépouillé, très acoustique, très intimiste et très introspectif finalement, tout comme des choses beaucoup plus brutes de décoffrage qui font bouger les gens. C’est ce que j’ai essayé de faire pour avoir cet équilibre sur l’album.

– Parlons des interprètes et d’abord des Américains qui, comme Calvin, ont aussi un lien très fort avec la France. C’est apparu comme une évidence dans le choix, car ils le connaissaient tous ?

Beaucoup de choses ont pesé dans la balance, en fait. J’ai d’abord trouvé ça intéressant que ce soient des amis de Calvin qui lui rendent hommage comme Beverly Joe Scott. Nous avions d’ailleurs donné son dernier concert ensemble dans le Sud, près de Manosque, sur les hauteurs. Elle était venue chanter le tout dernier morceau, « Ain’t Leaving Your Love », dont je me rappelle très bien, puisque c’était moi qui l’avait accueilli sur scène. C’était important pour moi qu’elle accepte de venir sur cet hommage. Pareil pour Popa Chubby, qui est un autre ‘exilé’ des Etats-Unis comme il le dit très bien. Ils auraient d’ailleurs tous voulu avoir la même carrière chez eux qu’ils ont eus en Europe, mais les circonstances ont fait que c’est ici que ça leur a souri. C’est ce qui s’est passé pour Calvin, qui a été ‘star’ sur le tard. Et contrairement à chez lui, c’est chez nous que ça a pris, et c’est exactement pareil pour Popa Chubby. C’est vrai aussi qu’on doit beaucoup à Patrick Mathé (fondateur du label New Rose – NDR), qui était un véritable découvreur de talents qui ne prenaient pas aux Etats-Unis et qu’il ramenait en France sur son label. Et ça fonctionnait plutôt pas mal. J’ai donc pris des gens qui le connaissaient et qui font aussi partie de mon réseau. Et puis, ça raconte une histoire. Si j’avais pris des artistes anglo-saxons, qui ne connaissaient pas l’histoire de Calvin, ça ne m’aurait pas paru intéressant pour cet hommage. Mais c’était aussi important d’avoir des gens qui ne connaissent pas forcément très bien son répertoire comme Théo Charaf, Craig Walker, Haylen et même Hugh Coltman. Et comme Calvin était une voix, il me fallait vraiment des chanteurs à voix. Je ne pouvais pas m’amuser avec des guignols ! (Rires) Il fallait que ce soit séduisant et il y ait certaines évidences aussi.

Manu Lanvin & Calvin Russell en 2009 – Photo :Eric Martin

– Pour rester sur la France, il y a aussi des choix chez les interprètes qui peuvent surprendre, car ils ne viennent pas directement de l’univers du Blues. Je pense bien sûr à CharElie Couture, Axel Bauer et à ton père Gérard. C’est une manière de dire que Calvin ne touchait pas seulement les amateurs de Blues ?

Oui, je pense. Ce serait dommage de le classer comme un artiste destiné à quelques ‘happy fews’ et aux ayatollahs du Blues. D’ailleurs, Calvin n’aimait pas le Blues plus que ça. Il avait fait sa propre recette avec ce mélange de Rock, de Folk et de Blues. Le plus important pour moi était d’avoir des personnalités et des grains de voix, et peu importe le style musical d’où ils viennent. Après, il y a quand même beaucoup de similitudes. Quant à mon père, il a écrit « 5m² ». Ils étaient amis et, même s’il vient du cinéma, c’est une chanson qui raconte beaucoup de choses. C’est l’histoire de Charlie Bauer (militant révolutionnaire d’extrême gauche et ancien complice de Jacques Mesrine – NDR) que mon père a rencontré quand il a été consulté pour le film sur Mesrine. On sait très bien les années de prison que Calvin a fait de son côté et il y avait donc une belle histoire qui s’écrivait en enregistrant ce « 5m² » ensemble.

– D’ailleurs, « 5m² » qui est chanté par ton père et toi, et « Soldier » par Axel Bauer, le sont en français. C’est assez inattendu. D’où l’idée est-elle venue de traduire le texte de Calvin ?

C’est vraiment Axel Bauer qui m’a soufflé cette idée. Je ne pensais pas enregistrer « Soldier » en français. Et puis, face à ce qu’il m’a balancé le lendemain, j’ai trouvé ça bien et je me suis dit que cela pouvait ouvrir l’album à d’autres gens sans s’enfermer et qu’il ne soit pas écouté uniquement par celles et ceux qui connaissent déjà Calvin. Cela peut aussi ouvrir la porte au public d’Axel Bauer, par exemple, qui pourrait peut-être s’intéresser à qui est derrière tout ça. Ca remet en lumière l’artiste, mais aussi le songwriter qu’il était.

Photo : Patrick Swirk

– L’album est donc très varié dans les ambiances avec même trois duos, ce qui le rend très collégial d’ailleurs. L’intention était-elle de dévoiler le plus possible l’univers de Calvin, qui était assez vaste, malgré certaines apparences ?

Oui, c’est ce que je pense avoir décodé chez lui. Il y a aussi tous les aspects de sa musique telle qu’elle était présentée. Je voulais être fidèle à ça, à ce côté collégial également qui apporte beaucoup de puissance à cet hommage quand tu as plusieurs interprètes qui échangent sur un titre. Cela dit, les chansons de Calvin ont déjà fait leur travail en termes d’émotion, bien avant cet album. On peut en récréer une autre, intacte, avec une nouvelle histoire, puisqu’elle est interprétée par plusieurs personnes. Je trouve que cela apporte une richesse de plus à l’album.

– Pour rester sur l’héritage laissé par Calvin Russell, ce qui me surprend vraiment, c’est de ne pas entendre souvent son nom revenir dans les influences de certains artistes, surtout américains d’ailleurs. Comment est-ce que tu l’expliques ? Il n’était pourtant pas si ‘confidentiel’ que ça…

Il l’était en tout cas aux Etats-Unis. J’allais souvent le voir là-bas à Austin. Quand je me baladais le soir sur la ‘5th Street’, on me demandait ce que faisait un Français ici. Quand je disais que je produisais et que j’étais le collaborateur artistique de Calvin Russell, on me répondait : ‘Ah oui, c’est le Texan qui fonctionne bien en France et en Europe !’. Ca s’arrêtait à ça. Il faisait quand même partie de cette communauté de musiciens des années 70/80 qui ne tournaient qu’à Austin, mais ça n’allait pas plus loin que les frontières de la ville. C’est vrai que c’est étonnant. Pour tout te dire, il y a une chose que j’ambitionne, ou que j’adorerai, c’est que l’histoire de cet album, qui fait lumière sur Calvin, puisse donner envie à la création d’un film ou d’un documentaire. On peut continuer l’histoire musicale d’un artiste après sa disparition. C’est peut-être jouable. J’ai beaucoup fait écouter l’album à des musiciens américains avec qui je travaille en ce moment. Ils sont sidérés et ils se demandent comment ils ont pu louper ça ! Et ils s’intéressent maintenant à l’original. Je ne suis qu’un relai avec ce disque. D’ailleurs, je pars jouer à New-York fin juillet et j’ai trois titres de Calvin dans ma setlist. Je continue à jouer sa musique dans son pays d’origine, qui ne le connait même pas. C’est insensé !

Nicolas ‘Nikko‘ Bonnière, Calvin Russell et Manu Lanvin en 2009 – Photo : Eric Martin

– Tu chantes également sur trois morceaux (« Wild Wild West », « Ain’t Leaving Your Love » en duo avec la chanteuse Haylen et « 5m² » avec Gérard). C’était important aussi pour toi d’interpréter tous ces titres de ce projet que tu portes depuis le début ?

Au début, mon équipe pensait que j’allais chanter tout l’album ! Comme l’idée était de faire un hommage, tout le monde avait imaginé que ce serait ‘Manu Lanvin chante Calvin Russell’. Pour moi, ça n’avait pas beaucoup de sens. A mon avis, plus il y a de participants, plus l’hommage est beau ! Et c’est ce qui m’a plu dans ce projet, que ce soit quelque chose de collectif. C’est ce qui me semblait intéressant. Pour l’anecdote, j’ai fait toutes les voix témoins des morceaux avant de les envoyer aux artistes. Quand Beverly Joe Scott a écouté « Crossroads », elle m’a dit que je devais le chanter, que c’était à moi de le faire ! Il y a eu une gentille petite bataille ! Il a fallu négocier ! (Rires)

– Un mot enfin au sujet de Popa Chubby qui livre d’ailleurs une version incroyable de ce « All We Got Is Rock And Roll », qui lui va si bien, et avec cette trompette quasi-cosmique et incroyable de Boney Fields. On le sait actuellement malade. Est-ce que tu as des nouvelles rassurantes sur son état de santé ?

On s’est vu récemment lors de son dernier Olympia (le 17 mars – NDR), où il m’a invité à monter sur scène avec lui pour un titre. Il répond moins depuis quelques temps, bien sûr. En tout cas, l’opération s’est bien passée. Maintenant, il faut que les résultats soient bons et que la convalescence aille bien aussi. Cela dit, Ted (son prénom – NDR) est très présent sur les réseaux sociaux et tant que je le vois poster des choses, je suis rassuré. Et puis, c’est un mec balaise. Il n’en donne peut-être pas l’impression avec ce poids imposant et sa béquille, mais c’est quelqu’un de très vif dans le regard. Il a malgré tout une énergie de dingue, il y a le feu chez lui dans les yeux et dans le regard. Il fait partie des guerriers et je pense qu’il va s’en sortir. J’ai toute foi. C’est quelqu’un qui a envie de vivre, il n’a pas envie de se laisser tomber. Ce n’est pas du tout le caractère de ce mec-là ! (Sourire)

« Tribute To Calvin Russell », orchestré par Manu Lanvin est disponible chez Gel Prod/Pias.

Catégories
folk Psych

Dorian Sorriaux : éclatant de sérénité

La musique de DORIAN SORRIAUX est le signe d’une certaine intemporalité qui, pourtant, se renouvelle grâce à l’apport de sonorités variées. D’un classicisme assumé et d’une précision toute moderne et aérienne, l’élégance de ce premier album séduit autant par la diversité des ambiances à l’œuvre, que par une interprétation remarquable. Très organique, « Children Of The Moon » a été enregistré en Bretagne, mixé en Suède et les compositions n’en sont que plus éclatantes, tant leur esthétisme dégage une rare intensité.

DORIAN SORRIAUX

« Children of the Moon »

(The Sign Records)

Le Breton est réputé pour son esprit d’indépendance et DORIAN SORRIAUX s’inscrit parfaitement dans cette lignée. Alors qu’il avait entamé une belle carrière à l’international avec Blues Pills en tant que guitariste principal du groupe suédois, qui sortira d’ailleurs son nouvel opus, « Birthday », début août, il a préféré retrouver sa liberté artistique après six ans de bons et loyaux services. Un retour au bercail qui date de 2018 et depuis lequel le Finistérien s’est forgé un univers musical plus personnel.  

Du haut de ses 28 ans, le songwriter est, on le sait, déjà aguerri grâce à de multiples tournées, ainsi que par le travail en studio avec son ancienne formation. Après un premier EP, « Hungry Ghost » il y a six ans déjà, DORIAN SORRIAUX se livre sur la longueur avec dix morceaux relativement acoustiques et assez éloignés de son registre précédent. Délicat, paisible et intimiste, « Children Of The Moon » évolue dans une Folk très 70’s sur le fond, mais très contemporaine dans la forme, malgré des références assez évidentes.

Et le compositeur n’est pas seul, puisqu’on retrouve notamment la fratrie Moundrag à ses côtés apportant une touche psychédélique à un style assez éprouvé que DORIAN SORRIAUX pare de beaucoup de fraîcheur (« Light In The Dark », « Shine So Bright », « To The Water » et le troublant « Believe That You Can Change »). Sur des arrangements très soignés, l’ensemble est d’une profonde richesse et est mené par une vision authentique et préservée de toute intention nostalgique ou revival.

Catégories
Blues Desert Rock folk Psych

Black Snake Moan : une incandescente narration

Dans un psychédélisme qui puise dans des ambiances ancestrales et très roots dans le ton, le Blues Folk de BLACK SNAKE MOAN fait corps avec un Desert Rock pour éclore dans un registre original et lumineux. Souvent aride, on passe pourtant par les rives du Mississippi entre rituels et mélodies enchanteresses. De cette intemporalité onirique émane un univers parfois chamanique construit sur une multitude de cultures musicales différentes, qui finissent par ne faire qu’une sur ce « Lost In Time » solaire et envoûtant.

BLACK SNAKE MOAN

« Lost in Time »

(Area Pirata Records/Echodelick Records)

Avec sa voix douce et chaude portée par une légère réverb’, BLACK SNAKE MOAN (un nom qui rend hommage au grand pionnier du Blues Blind Lemon Jefferson) nous embraque dans un voyage immersif entre mystères et spiritisme. Avec « Lost In Time », son troisième album, il traverse le temps et l’espace en nous guidant avec un style fait de Blues, de Folk, de Psych, de Desert Rock et doté une touche western, le tout n’étant pas sans rappeler une certaine époque des Doors. Et au fil des titres, les paysages défilent… 

A la tête de BLACK SNAKE MOAN se trouve l’Italien Marco Contestabile, compositeur, multi-instrumentiste (guitare, batterie, percussions, basse et claviers) et chanteur. C’est aussi lui qui a brillamment arrangé et produit de manière si organique ce nouvel opus. Car ce qui séduit sur « Lost In Time », c’est la proximité du son qui se dégage de ce one-man-band hors-norme. Très spirituel dans l’approche, le musicien se promène dans des songes hypnotiques, des atmosphères captivantes et des lieux variés. 

Sur des morceaux relativement courts d’environ trois minutes, excepté les très bons « Shade Of The Sun » et « Cross The Border », BLACK SNAKE MOAN nous emmène dans les déserts amérindiens, sur la terre des anciens Etrusques comme dans des prairies luxuriantes. On suit les étoiles entre lumière et obscurité sur un rythme délicat et parfois flottant (« Dirty Ground », « Come On Down », « Sunrise », « Goin’ Back », « Put Your Flowers », « West Coast Song »). Une épopée qui a des allures de rêves mystique.

Photo : Stefano Dili