Reprendre l’un des plus éminents membres du ‘Big Four’ californien avec la crème de la scène Stoner Doom, c’est l’ambition de Bob Balch de Fu Manchu accompagné de musiciens de Kylesa, Kyuss, Monolord et Lowrider. Sur des ambiances sombres et chargées, SLOWER présente sa vision d’un Slayer qui passe presqu’en mid-tempo et surtout qui se pare de voix féminines aériennes et vaporeuses, loin de la rage d’Araya et de sa bande. Le projet est ambitieux et le regard apporté sur ces cinq titres incontournables a de quoi dérouter par son approche, toute en décélération, mais non sans volume.
SLOWER
« Slower »
(Heavy Psych Sounds)
Si les fans de Slayer sont inconsolables depuis cette soirée du 30 novembre 2019, où le groupe donnait son dernier concert au Forum de Los Angeles, il se peut que l’EP de SLOWER leur apporte un peu de baume au cœur. A mi-chemin entre le Tribute et la cover, l’entreprise menée par Bob Balch a de quoi de surprendre, c’est vrai, mais aussi séduire à bien des égards. Le guitariste de Fu Manchu a décidé de réinterpréter cinq morceaux des rois du Thrash Metal dans des versions… très inédites. Loin des riffs acérés de Kerry King et de Jeff Hanneman, du chant rageur de Tom Araya et surtout des rythmiques de Dave Lombardo et de Paul Bostaph, « Slower » ne manque pourtant pas de sel.
Il est donc question ici de Stoner et de Doom, ce qui est à l’opposé du style racé et véloce du quatuor de la Bay Area, donc pas la moindre trace de Thrash à l’horizon. Pour faire court, l’idée avec SLOWER est d’avancer dans un concept ‘slow and low’, à savoir lent et bas. Et pour mener à bien l’ensemble, Balch s’est entouré d’un super-groupe avec Amy Barrysmith (Year Of The Cobra) et Laura Pleasants (Kylesa) au chant, les bassistes Peder Bergstrand (Lowrider) et Scott Reeder (Kyuss), ainsi que le batteur Esben Willems (Monolord). Leurs reprises prennent une tournure lourde, épaisse et lancinante, tellement les structures ont été repensées et refaçonnées dans un climat Doom pesant.
Et les Américains ont choisi cinq titres parmi les plus emblématiques de Slayer : « War Ensemble », « The Antichrist », « Blood Red », « Dead Skin Mask » et « South Of Heaven ». Difficile de faire plus fédérateur… sur le papier en tout cas. Car dans les faits, les tempos sont très ralentis, même si une double grosse caisse se fait parfois délicatement entendre, et surtout, le chant exclusivement féminin donne une tout autre perspective. SLOWER s’éloigne à un tel point des versions originales qu’on peine même à les reconnaître. L’exercice est cependant très réussi, malgré la distance avec le modèle. Les thrashers de la première heure risquent de s’y perdre rapidement, tandis que les fans de Stoner Doom se régaleront.
Avec près de 10K (comme on dit aujourd’hui) de followers sur Facebook, la STONER ROCK ARMY, créée et emmenée par le Québécois Eric Varasifsky, alias The General, est devenue incontournable pour tous les amateurs de Stoner Rock, bien sûr, mais aussi de tous ses dérivés qu’ils soient Heavy, Doom, Psych, Occult, Metal, Space, etc… Conscient de l’impact des réseaux, il est aussi présent sur Bandcamp, la plateforme la plus intelligente et de très loin, où l’on peut découvrir plus de 1.500 albums en ligne. Ayant attisé ma curiosité, j’ai voulu en savoir un peu plus sur l’homme au chapeau venu de la Belle Province. Entretien.
– Tout d’abord, comment es-tu venu au Stoner et quels sont les groupes qui ont fait la bascule et qui t’ont fait franchir le pas ?
Je suis de la vieille génération de groupes Rock et Hard Rock cultes des années 70 et j’ai toujours aimé les sonorités rétro, donc pour moi la musique Stoner s’en approche de beaucoup au niveau du son. Disons que la transition a été pratiquement automatique. En ce qui concerne les groupes, c’est difficile à dire car c’est un peu loin dans ma mémoire mais, bien sûr, Black Sabbath, qui est pour moi le premier vrai groupe Stoner, puis Kyuss, Fu Manchu, Orange Goblin, Sleep, Truckfighters et la liste continue…
– Cela fait maintenant quelques années que la STONER ROCK ARMY existe. Comment est née l’idée et surtout dans quel but ?
Il est important de savoir que la STONER ROCK ARMY existe depuis 15 ans et même un peu plus, car auparavant le groupe avait d’autres noms comme ‘Stoner Montréal’, ‘Stoner Rock Montréal’ et ‘Montréal Rock’, mais ces groupes Facebook que je tentais de créer ne fonctionnaient pas. Après un certain temps, j’ai décidé de tenter le coup une dernière fois, alors j’ai soudainement pensé à la ‘Kiss Army’. Eh oui ! Et je me suis dit pourquoi pas STONER ROCK ARMY ? Du coup, cela a fonctionné et les gens on commencé à participer de plus en plus et, à ma grande surprise, même les membres de groupes, ainsi que les labels s’y sont joints. Imagine mon excitation quand les héros que tu vénères te rejoignent. La STONER ROCK ARMY est simplement une page Facebook, qui nous permet de nous retrouver, de partager notre passion pour la musique, de permettre aux groupes de promouvoir leurs productions, ainsi que les labels. Et la maxime de la STONER ROCK ARMY est ‘We Are Family, In Music We Unite’ !
– Tu es très actif sur les réseaux sociaux où tu animes donc un groupe dédié, ainsi que sur Bandcamp. Quelle est la différence entre les deux ? Bandcamp fait presque penser à une collection, une sorte de discothèque virtuelle. C’est le cas ?
Bandcamp est effectivement une grande discothèque virtuelle. Pour les groupes, c’est la plateforme par excellence pour se faire connaître, selon moi, et elle est facile d’accès. Depuis longtemps, je clame haut et fort que Bandcamp est la place pour les groupes, car elle rapporte pour eux un peu d’argent pour leur permettre de nous livrer d’autres albums grâce à un effet pyramidal. L’un est donc un réseau social, tandis que l’autre fait office de discothèque.
– Tu es basé à Montréal au Québec, comment se porte la scène Stoner de ce côté du Canada ?
Oui, le quartier général de la STONER ROCK ARMY est effectivement à Montréal au Québec. La scène Stoner ici est de plus en plus forte, et j’en suis vraiment fier. Il y a beaucoup de bons groupes qui se forment et plusieurs sont même à mon avis du calibre des grands noms. Le talent est vraiment là et la passion aussi. Nous avons également de bons endroits où nous retrouver, mais j’aimerais y voir plus de groupes de l’extérieur. Parfois, et en de rares occasions, ils passent sans s’arrêter ici et c’est vraiment dommage, car ils seraient reçu en héro.
– En plus de ta forte présence sur le Net, tu organises aussi les ‘Stoner Rock Army Night’, c’est-à-dire des concerts. L’idée est de promouvoir les groupes locaux, ou est-ce que tu fais aussi venir des groupes étrangers, américains, par exemple ?
Il y a eu trois concerts de la ‘Stoner Rock Army Night’ qui ont été de vrais succès. A chaque fois, l’endroit était plein à craquer. Mais pour être honnête, j’étais un bleu en ce qui concerne la promotion et l’organisation de concert, et c’est Fred, le chanteur du groupe Sons Of Arrakis de Montréal, qui m’a donné ma chance et m’a servi de professeur. Il s’est occupé de tous les aspects pour les deux premiers concerts. J’ai beaucoup appris et ensuite pour le troisième, c’est mon pote Frank du groupe Paradise (Montréal), qui a finalisé mon apprentissage. Le problème reste toujours l’aspect financier. J’aimerais de plus en plus être en mesure de pouvoir faire venir les groupes d’ailleurs, qui sont aussi très intéressés pour venir jouer, mais je dois procéder étape par étape. Mon rêve ultime serait un véritable ‘Stoner Rock Army Festival’ de deux à trois jours en extérieur et que des gens de tous les coins du globe y participent.
– Le Stoner en général a beaucoup évolué en assez peu de temps finalement. Quels sont les courants qui ont ta préférence, et comment juges-tu l’évolution du genre ?
Je crois fermement que le Stoner Rock est le nouveau Rock et la tendance est de plus en plus à la hausse. Pour ma part, j’adore le Space Stoner et l’Occult, si on peut les classer ainsi. Je me fais vieux, donc je suis de plus en plus calme dans mes choix musicaux. (Rires) Je crois encore une fois que le vent tourne au niveau Rock, et c’est peut-être dû au fait que le genre est plus facile à produire. En seulement une année, il est clair qu’il y a eu beaucoup plus d’albums de Stoner, toutes catégories confondues, qui on vu le jour comparativement au Rock, disons plus commercial.
– Parmi les groupes émergents, quelles sont tes plus belles découvertes de cette année qui vient de s’achever ? Et à l’heure où tout le monde y va de son Top 10 notamment, quel est le tien ?
2023 a été une année complètement folle avec de très bon albums. A vrai dire, j’ai eu beaucoup de mal pour choisir mes albums préféré, ainsi que dans mes votes pour le ‘Doom Charts’, ce qui est rare. En général, je me décide assez rapidement. Je vois cela comme un bon signe, car plus la tache est ardue, plus la qualité des groupes et leur travail sont bons. C’est juste génial, non ? Mais certains albums se sont démarqués plus que d’autres. Le groupe Black Glow du Mexique notamment a gagné mon vote cette année, suivi de Nepaal, Child, The Spacelords, Tidal Wave, Westing, Occult Witches, Burn Ritual, Moon Coven, Acid King et j’en passe…
– Un dernier mot sur les labels, car il y a quelque chose de surprenant. De nombreux groupes Stoner, même établis, ne sont pas signés sur les grosses maisons de disques. Ça reste une musique de niche, selon toi ? Et, finalement, est-ce qu’un changement de ‘statut’ serait souhaitable pour le style en général ?
Bonne question. En fait, beaucoup de groupes se financent et font leur promotion eux-mêmes. Je sais que certains gros labels reçoivent beaucoup de demande dans l’année et ils doivent faire des choix et laisser parfois passer de bons albums. A ma grande surprise, certains groupes ne connaissent même pas les labels. J’en ai d’ailleurs dirigé quelques uns vers des maisons de disques. Alors, changer ? Pourquoi changer une formule gagnante ?
Sombre et ténébreux, « Silence By The Raging Sea » regorge de détails qui viennent se nicher avec une belle fluidité au creux des morceaux, qui se découvrent et se dévoilent un peu plus à chaque écoute. Stoner autant que Metal, le subtil Doom d’OCCULT HAND ORDER tend également vers le post-Rock et le Prog Rock 70’s avec une musicalité très organique. L’esthétisme poétique des Français peut paraître brumeux de prime abord et pourtant un bel éclat s’en échappe.
OCCULT HAND ORDER
« Silence By The Raging See »
(Independant)
Après des débuts remarqués avec un bon premier album éponyme en 2019, un an tout juste après sa formation, suivi du EP « The Chained, The Burned, The Wounded » qui a confirmé son intension et ses ambitions, OCCULT HAND ORDER semble décidé à passer à la vitesse supérieure. Pourtant autoproduit, le trio a confié le mastering de « Silence By The Raging Sea » au grand Magnus Lindberg, qu’on ne présente plus, pour un résultat très convaincant qui fait honneur aux morceaux de ce nouvel opus.
Sur six titres étendus, les Lyonnais prennent le temps de poser des atmosphères sur des structures psychédéliques et progressives qui se distinguent par des passages faisant l’équilibre entre des moments rugueux et dynamiques et d’autres légers et aériens. OCCULT HAND ORDER parvient à définir et distinguer son univers unique forgé de Stoner et de Metal avec beaucoup de précision, grâce également à une très bonne production. Très Doom, « Silence By The Raging Sea » a également des saveurs 70’s très envoûtantes.
Sur des ambiances occultes (forcément !) et ésotériques, le power trio parvient rapidement à captiver et le chant lointain se fait même incantatoire et parfois légèrement chamanique, tant il donne l’impression de s’évaporer. De plus, OCCULT HAND ORDER étonne encore sur la richesse instrumentale qu’il affiche malgré une formation assez restreinte. Les teintes sont multiples, les fulgurances transcendent et les mélodies portent l’ensemble avec générosité (« Sink », « Pyre », « Fever », « Tidal Waves »). Renversant !
En seulement trois petites années d’existence, KADABRA a su émerger de manière éblouissante avec une première réalisation ambitieuse et très réussie. Niché au cœur des grands espaces de l’état de Washington, le combo a pris encore plus de volume, tout en ayant peaufiné une approche très personnelle de son Heavy Stoner Psych, un brin progressif et totalement addictif. « Umbra » vient confirmer toute la créativité déjà manifeste sur « Ultra », sorti il y a deux ans.
KADABRA
« Umbra »
(Heavy Psych Sounds Records)
La découverte du trio américain avec son premier album « Ultra » en 2021 avait déjà été une belle surprise. Et avec « Umbra », KADABRA fait bien plus qu’attester ses débuts tonitruants et vient même clamer haut et fort qu’il va falloir compter sur lui à l’avenir. Heavy et Psych, le Stoner Rock du groupe prend une nouvelle dimension et montre toute l’expérience acquise en tournée et surtout un sens plus affûté du songwriting, sans pour autant perdre cet esprit jam si particulier.
Sur « Umbra », KADABRA va beaucoup plus loin musicalement pour livrer des compos encore plus précises et affinées. D’ailleurs, l’évolution est d’autant plus notoire et palpable que Dawson Scholz est toujours à la production. Très bien réalisé, ce deuxième opus révèle un jeu nettement plus fluide, une meilleure maîtrise des atmosphères déployées et surtout l’incroyable complicité à l’œuvre entre Garrett Zanol (chant, guitare), Ian Nelson (basse) et Chase Howard (batterie).
En ouvrant « Umbra » avec l’instrumental « White Willows », KADABRA donne une forte indication quant au contenu du disque. Cette fois encore, le combo nous propose un voyage très Psych, progressif et tellement musclé qu’on plonge parfois dans des profondeurs presque Doom. Grâce à des chorus envoûtants, des guitares épaisses et un chant entêtant, ces nouveaux morceaux sont particulièrement immersifs (« High Priestess », « The Serpent I & II », « Battle Of Avalon », « Mountain Tamer »). Eclatant !
Retrouvez la chronique du premier album du groupe :
Les plus fidèles d’entre vous se souviennent sûrement des [Going Faster] que j’avais mis en place, afin de pouvoir parler d’un maximum d’albums pour faire face à l’avalanche de sorties. Les groupes ne semblaient pas vraiment apprécier la formule, alors j’avais arrêté, histoire de ne froisser personne, mais aussi au risque de passer à côté de bien belles choses. Cela dit, il faut faire des choix et ce sont souvent les mêmes qui en pâtissent.
L’une des conditions était que les planètes soient alignées, qu’il y ait donc des points communs et une démarche artistique proche. C’est le cas ici avec les Norvégiens de SUPERLYNX et les Finlandais d’ORBITER. Les deux voisins évoluent dans un registre Psychedelic Doom Rock/Metal, sont guidés par une frontwoman et surtout partagent le même label : Argonauta Records. Alors, allons-y !
SUPERLYNX
« 4 10 »
(Argonauta Records)
Pour leurs dix ans d’existence, les Norvégiens opèrent quelques changements avec la sortie de « 4 10 ». Tout d’abord, le groupe fait son arrivée sur le label italien Argonauta Records et surtout il accueille à la guitare et en live Espen Krøll. Musicalement, on retrouve le style si particulier de SUPERLYNX voguant dans un Psych Rock profondément Doom et Heavy. Au chant, Pia Isaksen (également bassiste) hypnotise toujours autant, parfaitement soutenue par Ole Teigen (batterie) et Daniel Bakken (guiatre). Très atmosphérique, le registre du combo peut laisser penser à une jam directement inspirée par les rêves et une part de surréalisme. Et si la noirceur de « 4 10 » est envahissante, la lumière entre aussi de bien des manières. Avec ce quatrième album, SUPERLYNX s’impose avec classe et une sincérité débordante.
ORBITER
« Hollow World »
(Argonauta Records)
Derrière cette fascinante pochette se cache un opus qui l’est tout autant. Déjà enthousiasmant sur « The Deluge », son premier EP sorti en 2020, la formation d’Helsinki se présente avec un long format, qui en dit déjà long sur ses ambitions et son talent. Mixé et produit par Hiili Hiilesmaa (Him, Apocalyptica) et masterisé par Ted Jensen (Alice In Chains, Mastodon), « Hollow World » fait l’écart et surtout la jonction également entre un Doom Metal massif et un Stoner Rock puissant et dynamique. ORBITER montre beaucoup d’assurance et de créativité, à l’instar de sa chanteuse Carolin, qui enveloppe les morceaux de sa voix captivante, tranchant ainsi avec les riffs acérés et l’ambiance psychédélique à l’heure tout au long de ce premier album. Une montée en puissance très réussie sur des morceaux qui ne manquent pas de créativité.
C’est une réalisation hantée que proposent les Australiens de ROCKY’S PRIDE & JOY avec « All The Colours Of Darkness », sorte de plongeon dans les ténèbres sur un son imposant où se croisent le Doom Metal et le Stoner Psych dans une harmonie morbide, mais tout sauf repoussante. Au contraire, le groove méchamment puissant vient habillement faire contraste avec une voix lointaine, des riffs agressifs et des rythmes organiques et très nuancés. Une belle découverte.
ROCKY’S PRIDE & JOY
« All the Colours of Darkness »
(Electric Valley Records)
Il semblerait que cette maison de chemin de fer maudite en photo sur la pochette, nichée dans la banlieue ouest d’Adélaïde, soit le point de départ de l’inquiétante aventure de ROCKY’S PRIDE & JOY. S’y sont passés des évènements morbides, des rencontres paranormales, des rites occultes, des actions violentes et c’est ce qui a inspiré Brenton Wilson (guitare, chant), Jessi Tilbrook (batterie) et Dominic Ventra (basse). Et ces trois-là sont tellement soudés que l’onde de choc qui secoue ce premier album est assommante, particulièrement vibratoire et dotée d’une interprétation musclée.
En place depuis 2020 et après de nombreux concerts dans son Australie natale, le trio est fin prêt pour se livrer sur huit titres où son Stoner Doom pose une empreinte singulière et originale. Déjà perçue sur les singles « Time’s Up » et « Future Sell » à ses débuts, la démarche de ROCKY’S PRIDE & JOY ne consiste pas seulement à tout écraser sur son passage, elle se révèle bien plus fine et complexe que ça. Certes, les riffs saturés de Fuzz ne manquent pas d’épaisseur, la rythmique est d’une lourdeur absolue, mais le groupe laisse parfois entrer la lumière.
Simple de prime abord, la musique du combo ne brille pas seulement par son efficacité, mais aussi par les détails qui donnent beaucoup de relief aux arrangements de « All The Colours Of Darkness ». ROCKY’S PRIDE & JOY déploie soigneusement sa noirceur avec une dynamique infaillible (« Red Altar », « Revenge », « Crawl », « Tunnel Vision », « Your Hell », « Pure Evil »). La batteuse/cogneuse mène la formation avec force pour nous embarquer dans un univers presque désertique, où l’acoustique « Lucifer’s Lullaby » vient apporter un peu de douceur (!) sur ce très bon premier opus.
Belle révélation de la scène Stoner Doom de la côte ouest américaine il y a cinq ans, SORCIA vient confirmer de manière éclatante ce qu’il avait laissé entrevoir sur ces deux premiers efforts. Massif et véloce, « Lost Season » évolue sur une dynamique tout en variation et très bien maîtrisée par les trois musiciens. Et la dualité entre la voix féminine et masculine apporte beaucoup de profondeur et de mélodie à cet opus réussi et convaincant.
SORCIA
« Lost Season »
(Desert Records)
SORCIA a la dent dure et c’est une bonne chose ! Formé en 2018, le trio américain a sorti son premier album éponyme deux ans plus tard, au moment-même où le monde s’arrêtait de tourner. Plutôt que d’abdiquer, c’est dans la composition et l’écriture d’un EP, « Death By Design » (2021), qu’il s’est plongé tout d’abord, puis dans celles de « Lost Season ». Entre temps, le groupe a pris du volume et ce deuxième opus confirme tout son potentiel.
Avec une belle assurance, Jessica Brasch (chant, basse), Neal De Atley (chant, guitare) et Bryson Marcey (batterie) balancent cinq énormes pavés d’un Stoner Doom dont la longueur des morceaux témoigne d’une intensité constante. SORCIA a peaufiné « Lost Season » pour le rendre compact et puissant. Très Metal, le style du combo de Seattle s’appuie aussi sur une très bonne combinaison vocale complémentaire et subtile.
Ce qui est frappant également, c’est le travail effectué sur les sons de la basse et de la guitare. En multipliant différentes approches, SORCIA se distingue par une grande variété qui donne du relief aux titres. Obsédant dès « Miss Ann Thrope », rentre-dedans sur « An Axe Named Otis », « Faded Dune » et l’épais « Dusty », les Américains montrent beaucoup de polyvalence jusqu’au magistral « Entering The Eight House », qui clôt l’album.
Toujours aussi costauds, les Américains s’affirment de plus en plus dans un style qu’ils ont forgé en assimilant et en digérant pleinement leurs influences. Avec « After The Fall », ils s’en détachent parfaitement pour s’engouffrer dans un Heavy Stoner Doom à la fois massif et lourd, mais aussi plein de finesse et très créatif. THUNDER HORSE atteint sa pleine puissance et un rythme de croisière soutenu.
THUNDER HORSE
« After The Fall »
(Ripple Music)
En découvrant THUNDER HORSE il y a deux ans après avec son deuxième album « Chosen One », la synthèse entre Black Sabbath, Saint Vitus, Mountain et Crowbar m’avait déjà conquis d’autant que le quatuor se montrait original et vivifiant. Avec « After The Fall », il peaufine de belle manière ses intentions et son Stoner aux saveurs Heavy Metal avec de légères teintes bluesy et à la chape de plomb Doom fait toujours des étincelles.
Sans doute plus groovy que son prédécesseur, ce troisième opus dispose aussi d’une production plus soignée et plus puissante, même si THUNDER HORSE reste fidèle à une conception artisanale. Le côté rugueux et brut des Texans est intact et entre références à la NWOBHM et un esprit très 70’s et Classic Rock, « After The Fall » trouve sa place dans un registre finalement personnel, savoureux et souvent sauvage.
Toujours guidé par son frontman et guitariste Stephen Bishop, le groupe présente un duo de six-cordistes hors-pair, grâce à des solos bien sentis et aux envolées de T.C. Connaly qui permettent à THUNDER HORSE de se lancer dans des chevauchées intenses (« After The Fall », « Monolith », la parenthèse « The Other Side », « Aberdeen », « Requiem »). Au fur et à mesure, cette nouvelle réalisation monte en qualité pour finir en apothéose.
A l’instar d’un boxeur désireux de passer dans la catégorie supérieure, BIRDS OF NAZCA a pris du volume et affiche une colossale force de frappe. Sur un groove toujours aussi obsédant, le tandem avance dans un Heavy Stoner très solide et une saveur Psych dans laquelle le Doom s’invite avec puissance sur ce vivifiant « Héliolite ».
BIRDS OF NAZCA
« Héliolite »
(Independant)
Cela fait maintenant quatre ans que BIRDS OF NAZCA a pris son envol et se déploie sur la scène Stoner Heavy Psych hexagonale. Fort d’un très bon premier album éponyme sorti en 2020, le duo composé de Guillaume (guitare) et de Romu (batterie) est de retour, mais cette fois dans un format court, « Héliolite », dont les titres des morceaux ont un côté mystérieux alors que le son, quant à lui, n’a jamais été aussi massif.
A la première écoute, on pourrait se dire que les Nantais ont recruté un nouveau membre. Ce n’est pas le cas. A côté des deux amplis de guitares, BIRDS OF NAZCA en a simplement ajouté un troisième, mais de basse. Et la différence et l’impact sonore sautent directement aux oreilles. Tremblements et vibrations sont au rendez-vous et le binôme a clairement pris de l’épaisseur et se rapproche de plus en plus d’un Doom ravageur.
Toujours aussi complices, les deux musiciens semblent avoir pris beaucoup d’assurance car, passé l’intro, on plonge dans 20 minutes d’une sorte de jam enfumée, hyper-Rock et toujours instrumentale. « Inti Raymi » donne le ton, immédiatement suivi de « Spheniscus » qu’on avait pu découvrir lors d’un Live des ‘Smoky Van Sessions’. Puis, « Gucumatz », véritable pièce maîtresse de l’EP avec ses 9 minutes 34, vient diaboliquement clore cette nouvelle, mais bien trop courte, réalisation de BIRDS OF NAZCA.
Quand le Stoner Doom s’imprègne de la chaleur Southern du Tennessee, le son prend tout de suite une saveur spéciale. Et WYNDRIDER l’a parfaitement compris et déboule avec un premier opus éponyme inspiré et costaud. Derrière le micro, Chloe Gould impose sa griffe et guide l’ensemble avec fermeté tout en apportant une touche féminine très originale.
WYNDRIDER
« WyndRider »
(Independant)
C’est dans les montagnes de l’Est du Tennessee que WYNDRIDER a vu le jour. En mars 2022, le groupe donnait son premier concert et en septembre de la même année, il était en studio pour y enregistrer son premier album. Autant dire que les Américains ont les idées qui fuzzent… et il n’y a pas que les idées d’ailleurs. Le style compact et vibratoire dilué sur « WyndRider » a de quoi faire trembler les murs.
A la tête du combo, on trouve Chloe Gould, une chanteuse très Rock qui mène l’ensemble avec force grâce à une voix puissante qui sait aussi parfois se faire suave. Assez rare pour être souligné, WYNDRIDER fait donc partie de ces formations Stoner Doom à se présenter avec une frontwoman pleine d’assurance et capable de variations étonnantes. Psych et Southern, le chant d’action est donc vaste et le Fuzz, justement, domine.
Marqué du seau de Black Sabbath et teinté d’un Blues gras bien sudiste dans les riffs, le quatuor pose sa patte dès l’entame avec « Pit Witch » pour une mise en jambe solide. S’appuyant sur des mid-tempos massifs (« Creator », « Mother In Horns »), WYNDRIDER ne manque pas non plus de mordant et peut compter sur un chant qui monte en régime au fil du disque (« Electrophilia », « Space Paper/Acid Saloon »). Très convaincant !