Comme souvent chez elle, c’est en bousculant et en déplaçant les frontières du Blues que BETH HART s’ouvre la voie vers des horizons multiples avec cette force et ce talent, qui paraissent grandir au fil du temps. Sur « You Still Got Me », elle maîtrise plus jamais ses effluves vocaux, sans trop en faire d’ailleurs, et s’offre des flâneries musicales vibrantes et profondes. Son franc parler, parfois cru, fait d’elle la plus rockeuse des blueswomen et on se régale une fois encore de ses textes, qui n’éludent jamais rien. Entourée de grands musiciens, elle nous fait surfer sur un groove imparable et des crescendos irrésistibles.
BETH HART
« You Still Got Me »
(Provogue/Mascot Label Group)
Certaines voix sont inimitables, uniques et particulièrement marquantes. C’est le cas de BETH HART et de son légendaire trémolo. C’est deux-là sont indissociables et ils brillent une fois encore sur ce onzième et très attendu album. Car si « A Tribute To Led Zeppelin » a rapidement comblé un vide pendant la pandémie sans vraiment convaincre, son dernier opus a déjà cinq ans et parvenir à ce niveau d’interprétation et d’écriture a dû relever du défi pour l’Américaine, qui s’était donc offerte une escapade anglaise entretemps, sûrement plus facile à négocier pour elle. Car se hisser au niveau de « War In My Mind », c’est retrouver l’émotion et une certaine rage aussi qui font d’elle une chanteuse d’exception.
On avait déjà pu la retrouver sur l’album solo de Slash consacré au Blues en mai dernier avec la reprise de « Stormy Monday » de T-Bone Walker, où elle apparaissait littéralement habitée. Sans doute d’ailleurs le moment fort du disque. C’est donc assez naturellement que le guitariste de G N’R lui rend la pareille sur le génial « Savior With A Razor », qui ouvre « You Still Got Me » et où son sens du riff fait des merveilles. Là aussi, c’est sans doute l’un des titres les plus impactants de cette nouvelle production. Et l’autre guest de marque n’est autre que le légendaire Eric Gales, dont la virtuosité est toujours saisissante et qui fait briller « Sugar N My Bowl ». Mais ne nous y trompons, c’est bel et bien BETH HART qui mène le bal.
A travers les douze chansons qui composent « You Still Got Me », la Californienne se fait plaisir et les arbore toutes dans des styles différents. Blues Rock sur l’entame avec ses deux invités, très feutrée sur « Drunk On Valentine », carrément Country-Rock sur « Wanna Be Big Bad Johnny Cash » où sa gouaille fait des étincelles, ou sur la poignante ballade « Wonderful World », rien ne résiste à la frontwoman. Avec cette émotion à fleur de peau qui la caractérise, BETH HART se montre aussi envoûtante que touchante, grâce à une interprétation toujours très personnelle et presqu’intime (« Don’t Call The Police », « Machine Gun Vibrato »). Et si elle semble parfois s’éloigner du Blues, elle ne le quitte jamais.
(Photo : Greg Watermann)
Retrouvez la chronique de son album « A Tribute To Zeppelin » :
Si l’on connait le Blues Rock enflammé de SUE FOLEY, on connaît beaucoup moins sa passion pour l’Histoire de son instrument de prédilection : la guitare. Réputée pour son incroyable feeling, la guitariste et chanteuse est également une grande technicienne, qui n’hésite pas à s’aventurer dans d’autres registres que le sien. Avec « One Guitar Woman », son dernier album, la Canadienne présente un panel assez inattendu de styles qu’elle traverse avec maestria en rendant hommage aux pionnières de la six-corde. Entretien avec une musicienne complète, curieuse et qui aime l’aventure.
– Après le très Blues Rock « Pinky’s Blues », on te retrouve dans un registre très différent dans lequel on ne t’attendait d’ailleurs pas forcément. D’où t’es venue cette idée de rendre hommage aux femmes pionnières de la guitare ? Est-ce qu’il y a aussi eu un effet #metoo, qui t’a amené à imaginer cet album ?
C’est un album vraiment basé sur une inspiration et il n’y a aucun lien avec le mouvement #metoo. C’est juste une dédicace aux femmes qui m’ont ouvert la voie. Je travaille là-dessus depuis des années et j’essaie de maîtriser les styles de guitare spécifiques à chacune de ces héroïnes de la guitare.
Au départ, l’idée est née d’un processus d’entretiens avec d’autres guitaristes femmes pour un livre sur lequel je travaille. On est d’ailleurs encore un peu loin de sa sortie. Mais cet album est né de mon amour pour la musique traditionnelle et j’ai le sentiment de pouvoir incarner cet aspect des femmes pionnières, des styles et l’histoire de ces guitaristes. C’est un véritable travail et une démarche d’amour.
– L’idée de « One Guitar Woman » est de célébrer de grandes guitaristes et surtout de tous horizons. Que ce soit de la Country, de la Folk, du Blues bien sûr, mais aussi de la guitare classique ou du Flamenco, tu ne t’aies rien interdit. C’était important pour toi de parcourir un si large panel ?
Il s’est avéré que les femmes que j’étudiais appartenaient à des genres musicaux très divers. Cela m’a conduit vers différents domaines, notamment le classique et le flamenco. Je n’ai jamais rien sorti de tel auparavant, mais cela a été un excellent exercice pour élargir mon jeu de guitare et ma connaissance de la musique en général. Il y a tellement de grandes pionnières et elles ne sont pas toutes dans le Blues. Et cela a été pour moi une grande aventure musicalement.
– En tant que blueswoman, tu aurais aussi pu te concentrer sur les femmes dans le Blues. Il n’y avait pas suffisamment de pionnières, selon toi ?
J’aime le processus d’apprentissage de différents styles de musique. Par exemple, j’ai vraiment apprécié apprendre cette paix qu’Ida Presti incarne (guitariste et compositrice française, 1924-1967 – NDR) et donc la guitare classique. Quelle extension de mon jeu ! Il y a plusieurs femmes dans le Blues qui auraient pu aussi m’intéresser, mais elle était la plus inattendue et, je pense, plus variée aussi musicalement. Cela m’a mis à rude épreuve en tant qu’artiste.
– Si l’on reste sur la présence des femmes dans le Blues, on s’aperçoit que vous êtes de plus en plus nombreuses depuis de longues années maintenant. Qu’est-ce qui a changé aujourd’hui ? C’est le niveau de jeu qui est meilleur ? Je n’ose croire que ce soit juste une question de mode, ou de glamour…
Ce n’est certainement pas une question de mode ou de glamour. Je crois sincèrement que le fait d’avoir eu Memphis Minnie and Blues dans les années 1930, en tant que lead-guitariste a ouvert la voie pour nous toutes. On peut dire ça pour le Blues comme dans la musique classique avec Ida Presti. Il y a beaucoup de musiciennes dans ces deux genres et ce depuis des décennies. Quand j’ai débuté dans le Blues, il y en avait déjà plusieurs et Bonnie Raitt est devenue une référence à cette époque, ce qui a vraiment ouvert les yeux des gens sur les femmes qui jouent de la guitare solo. Je crois aussi que dans le Blues, c’est une question de feeling. En fin de compte, tu ne peux pas faire semblant quand tu joues. Et les plus grands musiciens connaissent très bien la différence.
– D’ailleurs, quel regard portes-tu sur tes consœurs comme Ana Popovic, Samantha Fish, Susan Santos ou Susan Tedeschi pour ne citer qu’elles ? Comme pour toi, on ne porte plus un regard uniquement féminin sur leur jeu. C’est une belle reconnaissance, ou cela s’inscrit plus simplement dans l’ordre des choses ?
Les choses ont progressé au fil des années jusqu’à ce qu’il y ait de plus en plus de femmes à jouer de la guitare. Tu les vois tout le temps sur les réseaux sociaux maintenant. J’ai vu des jeunes filles adolescentes arriver. Certains d’entre-elles sont des musiciennes incroyables. C’est très excitant. Je félicite toutes mes consœurs du monde du Blues. Je sais que ce n’est pas facile et que tout le monde travaille très dur pour en faire son métier et rester sur la route. Alors, elles ont toutes mon infini respect et toute mon admiration.
– Revenons à « One Guitar Woman », qui traverse donc de nombreux styles, mais aussi plusieurs époques et différents pays. Est-ce que c’était important aussi de montrer une certaine évolution dans le temps, les cultures et leur technique ?
Je me suis principalement intéressée aux styles de guitare de ces pionnières de la guitare. Ce sont des femmes qui, selon moi, ont eu un impact énorme à la fois sur leur culture et sur le monde de la guitare. C’est principalement là-dessus que je me suis concentrée. Et j’ai aussi choisi des chansons que j’aime vraiment jouer, bien sûr.
– D’ailleurs, comment as-tu effectué le choix de ces 12 musiciennes et des morceaux ? Ce sont d’abord et surtout celles qui t’ont influencé d’une manière ou d’une autre ?
Certaines de ces chansons sont des standards, ou les chansons les plus connues de ces artistes comme « Freight Train » d’Elizabeth Cotten, par exemple. Et j’ai aussi choisi d’autres morceaux, parce que je sentais pouvoir vraiment les interpréter avec tout mon cœur, comme « My Journey To The Sky » de Sister Rosetta Tharpe.
– A travers tous ces styles musicaux, dans lequel as-tu pris le plus de plaisir ? On peut imaginer que c’est le Blues, voire la Country, au vue de ta discographie ?
J’adore jouer du Blues, bien sûr et j’aime aussi beaucoup jouer du fingerpicking piémontais (une technique issue du Blues du Piemont jouée sans médiator – NDR). Ce sont des styles que j’ai joués toute ma carrière. J’ai commencé à faire du picking à l’adolescence, donc je suis très à l’aise avec ça. Honnêtement, j’ai apprécié tous ces registres différents. Mais le Blues est certainement ma plus grande zone de confort.
– Un mot aussi sur l’enregistrement qui est incroyablement limpide. Même si la production est assez épurée, j’imagine que cela ne facilite pas les choses entre des titres Folk, Country ou Flamenco. Y avait-il certains ‘codes’ à respecter au niveau des sonorités ou de l’intensité de ton jeu ?
J’ai fait appel ma dream-team, c’est-à-dire Mike Flanigin comme producteur et Chris Bell comme ingénieur du son. Ils sont vraiment étonnants. Ils ont tous les deux de très bonnes oreilles et se concentrent principalement sur l’obtention du meilleur son et de l’utilisation d’un excellent équipement. Et puis, quand nous avons masterisé l’album à Abbey Road à Londres, cela a vraiment été la cerise sur le gâteau. Il s’agit d’un disque de haute qualité (c’est-à-dire en HD – NRD) enregistré avec les meilleures personnes dans le meilleur cadre possible, puis masterisé dans l’un des meilleurs endroits au monde. Il est également mixé en son ‘Surround Dolby Atmos’. C’est vraiment incroyable. Je suis tellement fière de tous les membres de cette équipe.
– J’aimerais que tu m’expliques pour quelle raison tu as utilisé la même guitare pour tous les morceaux ? Tu aurais aussi pu adapter les instruments aux styles ? C’est un challenge que tu souhaitais aussi relever ?
Je m’attache souvent à une guitare. Je n’aime pas jouer avec beaucoup de guitares en concert, ou en studio. J’aime l’expérience de vraiment me connecter sur mon instrument. Et pour moi, cela signifie avoir une relation avec lui. Cette guitare est spéciale, je l’ai achetée moi-même à Paracho au Mexique, où j’ai rencontré son fabricant. C’était très spécial. Cet album montre la portée d’une guitare flamenco et comment elle s’adapte à différents styles de musique. Je pense qu’elle a fait du beau travail !
– On te connait comme étant une grande Dame du Blues. Est-ce qu’un album du même genre pourrait voir le jour avec des reprises de blueswomen de légende, et pourquoi pas des duos entre femmes ?
Ces choses pourraient toutes arriver dans le futur, bien sûr. J’ai encore de nombreux chapitres à ouvrir… (Sourires)
L’incroyable nouvel album de SUE FOLEY, « One Guitar Woman », est disponible chez Stony Plain Records.
Retrouvez également les chroniques de ses deux derniers albums, dont celui-ci :
C’est par-delà le temps et le monde que SUE FOLEY a décidé de célébrer de grandes guitaristes, plus ou moins connues, mais qui ont marqué par leur talent, leur inspiration et leur technique la place et la présence des femmes dans des registres, où elles se faisaient bien trop discrètes. La songwriter a donc décidé d’emprunter leur chemin, du Mexique à la France en passant par les Etats-Unis, pour leur témoigner son respect et les faire aussi briller de la plus belle des manières. Une reconnaissance saisissante de beauté.
SUE FOLEY
« One Guitar Woman »
(Stony Plain Records)
Blueswoman (très) reconnue et accomplie, SUE FOLEY mène depuis trois décennies une carrière ponctuée de brillantes réalisations en solo, ainsi que de très belles collaborations. Humble et créative, c’est en effectuant des recherches sur ses consœurs pionnières de la guitare que lui est venue l’idée de cet album en forme d’hommage. A travers les époques et les styles, la Canadienne basée à Austin, Texas, remet en lumière ces femmes qui ont marqué l’histoire de son instrument de prédilection et dans une configuration franchement exceptionnelle.
SUE FOLEY ne se contente pas d’un simple tribute. Avec « One Guitar Woman », elle relève plusieurs défis, et non des moindres. Le premier a été d’enregistrer les 12 morceaux en acoustique et avec la même guitare : une flamenco à cordes en nylon, histoire de pouvoir monter en puissance à l’envie. Elle s’est aussi littéralement fondue dans la personnalité unique de ces musiciennes, tout comme dans leur registre. Et elle navigue avec la même habileté et le même feeling dans la Country, la Folk, le Classique, le Flamenco et bien sûr le Blues.
Somptueusement produit, « One Guitar Woman » traverse les chansons de Maybelle Carter, Elisabeth Cotten, Sister Rosetta Tharpe, la Française Ida Presti, Tejano Lydia Mendoza, Geeshie Wiley, Elvie Thomas… SUE FOLEY passe par toutes les ambiances et toutes les sonorités avec une rare authenticité et beaucoup de sincérité. Et si l’on trouve deux instrumentaux, il est impensable de ne pas saluer sa prestation vocale. Là encore, l’adaptation est remarquable et la justesse irréprochable. Grandes parmi les grandes, elle fait jamais autant partie de cette belle sororité.
Retrouvez aussi la chronique de son dernier album solo, « Pinky’s Blues » :
Malgré son jeune âge, KATIE HENRY a déjà tout d’une grande. Compositrice, pianiste, guitariste et chanteuse, elle embrasse le Blues avec un naturel déconcertant, tout en affichant déjà une originalité remarquable et beaucoup de personnalité. Ne s’interdisant aucun détour par le R&B, la Soul, le Rock ou la Pop, l’Américaine vient de sortir « Get Goin’ », son deuxième album, qu’elle a eu la chance d’enregistrer avec le grand Bernard Allison accompagné pour l’occasion de ses musiciens. Rencontre avec une blueswoman, dont les premiers pas annoncent un avenir radieux.
– « High Road », ton premier album, est sorti il y a six ans maintenant et le chemin parcouru est remarquable. Quel regard portes-tu sur ces premières années et tes débuts dans le New-Jersey ?
Merci d’apprécié mes progrès et mon parcours. En repensant à l’endroit où tout a commencé, je me sens vraiment reconnaissante que ma famille aime la musique et qu’il y ait eu un piano à la maison ! Je dois aussi beaucoup à ma grand-mère, parce qu’elle m’a écouté attentivement, lorsque je jouais et m’a fait prendre conscience de l’impact que la musique peut avoir.
– Tu as commencé à composer très tôt après avoir appris le piano, puis la guitare. Même si tu mélanges plusieurs styles dans tes albums, comment es-tu venue au Blues ?
Je dirais que la chanson « Hurts Me Too » d’Elmore James est vraiment ce qui m’a permis de comprendre que le Blues était en moi. J’ai vu un groupe le jouer en live et je suis rentrée chez moi pour l’apprendre, parce que j’avais un désir ardent de la jouer. C’était aussi l’une des premières chansons que j’ai interprétées au chant. Puis, j’ai rejoint mon premier groupe de Blues peu de temps après ça, car quelqu’un m’avait entendu la jouer. J’ai finalement découvert de plus en plus de choses et j’ai appris que c’est la base de toute la musique Classic Rock que j’aime et avec laquelle j’ai grandi.
– Il y a deux ans, les choses se sont accélérées avec la signature chez Ruf Records, un label reconnu dans le monde du Blues pour son beau catalogue, puis est sorti de « On My Way ». J’imagine que cela a été une belle récompense et aussi une grande source de motivation, non ?
Absolument ! Je suis très reconnaissante que mon chemin ait croisé celui de Thomas Ruf à ce moment-là. Ruf Records est devenu comme une famille pour moi maintenant.
– La même année, il y a eu « Blues Caravan » avec Ghalia Volt et Will Jacobs. Qu’est-ce que tu retiens de cette expérience avec de jeunes artistes comme toi, et qui t’a aussi permis de partir en tournée hors des Etats-Unis ?
C’était la première fois que je voyageais hors des États-Unis, et surtout que je faisais une tournée ailleurs ! C’était très excitant et je ne savais pas à quoi m’attendre. C’était la première fois que je jouais aussi longtemps, soir après soir, et j’ai tellement grandi grâce à cette expérience. C’était aussi très amusant de jouer avec des artistes que je considère comme mes amis, parce qu’ils sont aussi très attachés à la musique et soucieux de bien faire.
– Et tu as eu aussi l’occasion de jouer aussi en Europe ensuite pour le 30ème anniversaire de Ruf Records, et notamment à Paris récemment au New Morning. Quelles différences as-tu noté entre le public américain et européen ? Est-ce que les amoureux de Blues sont les mêmes partout ?
Oui, j’étais tellement heureuse d’avoir eu l’opportunité de jouer à Paris ! J’ai eu envie de venir et d’y jouer toute ma vie et j’ai bien l’intention de revenir. Et je dirais que les amateurs de Blues sont les mêmes partout, mais que le public européen le fait vraiment savoir lorsqu’il s’amuse ! L’énergie dans la salle à la fin du spectacle pour un rappel est toujours très spéciale.
– Pour « Get Goin’ », tu as eu l’opportunité et la chance d’enregistrer avec Bernard Allison et son groupe. Il a aussi joué sur plusieurs morceaux et a produit l’album. Cela doit être une expérience incroyable, d’autant qu’elle a dû être très enrichissante à tous points de vue, non ?
Ce fut vraiment une bénédiction de travailler avec Bernard et son groupe. Ils ont fait de leur mieux pour me soutenir tout au long du processus. Bernard a notamment veillé à ce que je ne me limite en aucune manière. Il voulait faire ressortir toutes mes facettes musicales, ce que j’ai beaucoup apprécié. C’est gratifiant d’avoir travaillé dur ensemble et d’avoir cet album, dont nous sommes tous fiers.
– D’ailleurs, est-ce que tu avais déjà composé l’ensemble de l’album avant d’entrer en studio, ou y a-t-il eu un travail de co-écriture avec Bernard, ou juste quelques arrangements ou orchestrations sur certains morceaux ?
J’avais juste des ébauches de chansons et quelques arrangements avant d’entrer en studio, mais nous avons surtout beaucoup travaillé sur les chansons sur place.
– Justement, de quelle manière composes-tu ? Tu pars du piano ou de la guitare et est-ce que l’un ou l’autre va automatiquement donner la couleur du morceau ? La guitare peut être plus percutante, par exemple…
C’est vrai ! J’aime le côté percutant de la guitare et les chansons ressortent définitivement de manière différente. Je dirais que j’écris sur les deux instruments de manière égale. Généralement, je trouve une mélodie au chant et je construis autour de cela. La plupart des chansons commencent par le premier couplet, ou par ce qui finit par être le refrain, comme la chanson « A Doll’s Heart », par exemple. La mélodie du refrain est apparue, puis le reste de la chanson a été construit autour.
– Si « Get Goin’ » est très bluesy évidemment, on y décèle aussi des notes Pop, R&B, Soul, Soul et Rock. C’est important pour toi cette pluralité musicale ? Tu ne te sentais peut-être pas de réaliser un album purement Blues ?
Oui, il y a un mélange bluesy dans le son et les influences, car la pluralité musicale est très importante pour moi. J’essaie aussi de ne pas me concentrer sur la catégorisation de la musique que je fais, car cela peut limiter mon processus créatif au final. Au lieu de ça, je me concentre sur la création d’une musique que je ressens et qui résonne en m’étant fidèle intimement et aussi selon mon propre vécu.
– Même s’ils s’inscrivent dans une continuité très naturelle, « Get Goin’ » montre une étonnante maturité par rapport à « On My Way ». Tu as ressenti aussi une réelle progression dans ton jeu et dans la composition entre les deux albums ?
Merci ! J’ai vraiment l’impression d’avoir énormément grandi au cours des deux dernières années. Comme je le disais tout à l’heure, jouer soir après soir sur la tournée ‘Blues Caravan’ a vraiment renforcé mes capacités, et m’a aussi permis d’obtenir de plus en plus de premières parties et d’opportunités de festivals. Je pense aussi que certains changements personnels, ainsi que des pertes subies, m’ont fait plonger plus profondément en moi-même ce qui, je pense, transparaît aussi dans l’écriture.
– On l’a dit, tu es chanteuse, guitariste et claviériste. Dans quel domaine te sens-tu le plus à ton aise ? Seule au chant ou avec un instrument entre les mains ?
Jouer du piano et chanter est la configuration dans laquelle je me sens le plus à l’aise, car c’est comme ça que tout a commencé !
– Pour conclure, tu vas sûrement défendre ce nouvel album sur scène. Quels musiciens vont t’accompagner ? Ceux de Bernard, ou un autre groupe ?
Oui, j’ai vraiment hâte de jouer ces chansons en live et ce sera désormais avec mon propre groupe, mais si l’occasion se présente de jouer à nouveau avec Bernard, je la saisirai avec plaisir !
« Get Goin’ » de KATIE HENRY est disponible chez Ruf Records.
Feutré et sensuel, tout en dégageant une énergie brute, le Blues teinté de Soul et de R&B d’OTILIA DONAIRE est autant un appel à la danse qu’à une écoute très attentive. En effet, riche d’une section cuivre dynamique, il combine divers univers pour n’en faire qu’un. Soutenue par de belles guitares et des claviers chaleureux, l’Américaine vient de livrer « Bluesin’ It Up », un album qui se veut très personnel et fédérateur. De quoi enthousiasmer un large panel d’amoureux des notes bleues. Rencontre avec une chanteuse à la voix suave et puissante.
– Ton album « Bluesin’ It Up » vient de sortir, mais à t’écouter chanter, on se doute que tu n’en es pas à ton premier coup d’essai. Peux-tu revenir sur ton parcours et les étapes qui ont forgé ton style et ta voix ?
J’ai toujours eu une certaine prédisposition pour le chant, mais je n’ai commencé à faire de la musique professionnellement qu’en 2009, après avoir terminé mon atelier de performance en groupe à la ‘Blues Bear School of Music’ de San Francisco. C’est mon instructeur, feu le bluesman de San Francisco, Johnny Nitro, qui m’a fortement encouragé à chanter le Blues. Mon premier CD avec, disons, un guitariste anonyme, était horrible et lorsque j’ai quitté ce groupe en 2014, j’ai enfin pu naviguer de manière plus créative avec l’aide de mon bassiste, Chris Matheos et du guitariste Joe Lococo. J’ai enfin eu un contrôle créatif total et je suis restée fidèle à mon propre style vocal, embrassant le timbre naturel de ma voix. Koko Taylor, la regrettée icône du Blues de Chicago et qui a également un grain assez brut, est l’une de mes principales influences musicales.
– Tu es chanteuse, leader de ton groupe et également compositrice. Est-ce que tu écris paroles et musique et as-tu un instrument de prédilection, car cet album est musicalement très riche et dense ?
J’écris les paroles et je compose avec mon bassiste, Chris Matheos et mon guitariste Joe Lococo. Je ne sais ni lire, ni écrire la musique, mais je peux l’entendre dans ma tête et j’ai la capacité de la traduire en sachant quel style et quel tempo jouer, y compris au niveau des mélodies, des riffs et des solos. Je n’ai pas vraiment d’instrument de prédilection, mais j’apprécie la guitare slide électrique et les claviers up-tempo. J’adore le Chicago Blues et j’ajouterai aussi de l’harmonica sur mon prochain album, ainsi que de la flûte.
– Justement, pour l’essentiel, tes morceaux sont guidés par les claviers, que ce soit le piano ou l’orgue. Le Blues est pourtant très souvent porté par la guitare. Tu as toujours procédé ainsi ?
En fait, je n’avais pas le budget pour ajouter des claviers et des cuivres sur mon dernier EP, « Queen Bee ». Alors, j’ai pris certaines de ces chansons et je les ai réarrangé, soit en les réenregistrant, soit en ajoutant des claviers et/ou des cuivres. Je joue désormais davantage de concerts live de cette manière, avec des claviers, car le son est beaucoup plus riche. Ils ont été enregistrés séparément dans les home-studios des deux claviéristes, qui jouent sur l’album : Greg Rahn et Pamela Charles-Arthur, qui est ma claviériste actuelle de la SF Bay Area. Pamela est dynamique et talentueuse, et c’est merveilleux de partager et de diffuser une énergie féminine si féroce sur scène avec elle.
– Il y a un autre élément qui domine sur « Bluesin’ It Up », ce sont les cuivres qui sont omniprésents, un peu à la façon d’un Big Band. Ce sont des orchestrations qui t’inspirent beaucoup, car on y perçoit également quelques touches jazzy ?
Je n’ai généralement pas le budget nécessaire pour ajouter des cuivres à la plupart de mes concerts, mais mon objectif est faire plus de spectacles avec un groupe complet, incluant claviers, saxophone et trompette. Je chante avec mon cœur et j’aime aussi le Blues jazzy, donc il y a une influence de Billie Holiday sur quelques-unes de mes chansons. Daniel Casares, saxophoniste de SF Bay Area, a écrit la plupart des sessions cuivre et je suis très satisfaite du son Soul et jazzy qu’il a ajouté aux arrangements.
– Par ailleurs, il y a un grand nombre de musiciens qui t’accompagnent sur « Bluesin’ It Up ». Est-ce que tu considères cet album comme l’œuvre d’un collectif ou, plus simplement, tu souhaitais avoir leur présence à tous sur ces 12 morceaux ?
C’est un album collectif et collaboratif, c’est vrai. Je savais ce que j’attendais de chaque musicien et je leur ai donné toute la liberté d’apporter des idées, de créer des arrangements et des solos. C’était génial d’avoir des cuivres à fond sur certaines chansons et sur mon prochain album, ce sera le cas pour chaque morceau.
– Parallèlement, est-ce que tu as un groupe fixe pour les concerts ? Quelques musiciens attitrés qui te suivent depuis longtemps ?
J’aime jouer avec un line-up régulier composé de musiciens talentueux : Joe Lococo à la guitare, Edgar San Gabriel à la basse, Robi Bean à la batterie et Pamela Charlles-Arthur (Pamma Jamma) aux claviers. Chris Matheos, qui est le directeur musical de cet album et de mon précédent EP, joue de la basse sur toutes les chansons à l’exception de « Hoochie Coochie Woman » et « Voodoo Woman ». Malheureusement, il a déménagé dans le sud de la Californie, donc il ne joue plus régulièrement avec moi. Mais quand je partirai en tournée, il le fera certainement s’il est disponible.
– Il y a également quelques reprises sur l’album. Peux-tu nous en dire plus sur ces choix et pour quelle raisons tu n’as pas réalisé un album entièrement original ?
Ce sont des chansons que j’aime chanter en concert et qui sont généralement une manière d’amener tout le monde sur la piste de danse. Je ne me lasse jamais de les chanter, donc c’était une évidence de les ajouter, en particulier « Hoochie Coochie Woman » (un morceau de Muddy Waters – NDR), qui a été ma première chanson de Blues que j’ai commencé et qui est devenue l’une de mes chansons signatures. J’ajouterai très probablement toujours quelques reprises, des classiques, que j’aime chanter pour garder le Blues vivant.
– Tu as beaucoup de sensualité dans la voix, ce qui donne beaucoup de charme à tes morceaux. Est-ce que tu penses que le Blues est le style qui véhicule le mieux cette approche si attractive et sexy auprès du public ? Et donc, qui est un énorme atout…
Merci ! Je chante avec mon cœur et la musique Blues pénètre au plus profond de mon âme. Je sens que je peux me connecter avec les gens, parce qu’ils peuvent ressentir la passion authentique que j’éprouve lorsque je chante.
– Pour conclure, quel est ton objectif principal pour le futur ? Faire le plus de concerts possible à travers les Etats-Unis et même au-delà, ou peut-être trouver un label pour un prochain album ?
Tout cela en même temps ! Entrer sur le circuit des festivals Blues avec des tournées nationales et internationales, signer avec un label de Blues et enregistrer au début de l’année prochaine. C’est difficile d’être une artiste indépendante, et je dirais que c’est vraiment un travail d’amour. J’ai enregistré mon album, « Bluesin’ It Up », chez Afterdark Recording à San Francisco, le studio d’enregistrement d’Armando Rosales, mon cousin. C’était une joie absolue et maintenant, j’ai vraiment la fièvre de l’enregistrement ! Donc, j’y retournerai au début de l’année prochaine. Peut-être aussi participer à un festival en France dans un futur proche ? Ce sont tous les rêves sur lesquels je travaille.
Le dernier album d’OTILIA DONAIRE, « Bluesin’ It Up », est disponible sur le site de l’artiste :
C’est de l’autre côté de l’Atlantique que le bluesman ROBIN TROWER est allé chercher sa nouvelle muse artistique en la présence de SARI SCHORR, rayonnante chanteuse de la ‘Big Apple’. Et cette rencontre fait des étincelles sur ce « Joyful Sky », dont on espère qu’il ne soit pas un simple one-shot. Très Soul et R&B dans l’ensemble, le Blues resplendit à travers la guitare du maître, tandis que sa partenaire multiplie les variations en jetant le trouble sur des titres taillés sur mesure. Du grand art !
ROBIN TROWER featuring SARI SCHORR
« Joyful Sky »
(Provogue/Mascot Label Group)
A travers sa belle et longue carrière, ROBIN TROWER n’a eu de cesse de faire preuve de créativité que ce soit en solo ou au cours de ses très nombreuses collaborations. Avec la New-Yorkaise SARI SCHORR, le guitariste a visé juste tant le duo fonctionne à merveille. Partageant aussi le même manageur, les deux artistes se trouvent très naturellement sur des chansons que le Britannique a composé spécialement et d’autres plus anciennes qu’il a réarrangé en fonction de la voix de l’américaine. La combinaison de ces deux talents est tout simplement exceptionnelle, le tout dans une chaleur d’un groove irrésistible.
Si SARI SCHORR n’a pas bénéficié des mêmes lumières que certaines de ses consœurs, elle compte deux albums studio et un live à son actif, est membre du ‘New-York Blues Hall Of Fame’ et fut longtemps la choriste de Joe Louis Walker et de Popa Chubby avant de former un groupe avec Innes Sibun, le guitariste de Robert Plant. Autant dire que la blueswoman n’est pas la première venue comme on peut l’entendre sur « Joyful Sky », où sa voix puissante, délicatement éraillée et sensuelle fait des merveilles. Sa présence aux côtés de ROBIN TROWER ne doit donc rien au hasard.
Interprète des compositions de l’Anglais, elle se meut subtilement entre ses notes pleines d’émotion enveloppées de la wah-wah de sa célèbre Stratocaster rendues inimitables par ce toucher unique. Avec un registre vocal dont on peut retrouver des similitudes chez Beth Hart notamment, SARI SCHORR illumine littéralement « Joyful Sky », qui porte si bien son nom (« Burn », « The Distance », « The Circle Is Complete » avec ses sept minutes très 70’s, « Joyful Sky », « Flatter To Deceive », « I’ll Be Moving On »). Tandis que l’Américaine séduit par une intonation sublime et flottante, ROBIN TROWER éblouit par sa justesse et un feeling brûlant.
Dans une atmosphère très vintage, mêlant sonorités Country, Boogie, Rockabilly et Shuffle, le Blues GHALIA VOLT revêt une parure bien différente de ce à quoi elle nous a habitué. Toujours incisive et aussi un peu plus légère, elle livre un manifeste féministe d’une grande finesse d’écriture et d’une musicalité très colorée. Avec « Shout Sister Shout ! », la musicienne ouvre un nouveau chapitre de sa belle carrière sur de nouveaux horizons.
GHALIA VOLT
« Shout Sister Shout! »
(Ruf Records)
Une fois franchi l’océan qui sépare la capital belge de la Nouvelle-Orléans, GHALIA VOLT n’a pas perdu de temps et a rapidement pris les choses en main. Dès son premier album autoproduit en 2016, « Have You Seen My Woman », jusqu’à « One Woman Band » qu’elle a enregistré seule en live au mythique Royal Sound Studio de Memphis, la blueswoman est dorénavant une artiste reconnue sur la scène internationale et avec « Shout Sister Shout ! », c’est une nouvelle facette de sa personnalité qu’elle dévoile.
Après s’être exprimée dans un registre assez traditionnel et un Blues Rock électrisant, GHALIA VOLT s’essaie à autre chose en passant de la chaleur Southern de la Louisiane et du Tennessee à celle, nettement plus aride, de Joshua Tree dans le désert californien de Mojave. Et si les célèbres studios Rancho De La Luna sont surtout réputés pour leurs joutes Desert Rock, Stoner et Psych, c’est dans un style très marqué Hill Country Blues que la Bruxelloise présente ses nouveaux morceaux.
Sur ce cinquième opus, la songwriter n’est plus seule et est même particulièrement bien entourée. Sous la houlette de David Catching à la production et à la guitare, on retrouve le batteur Danny Frankel et le claviériste Ben Alleman. Avec Eddie 9V qui co-signe « Hope On A Rides », GHALIA VOLT forme aussi un duo complice. Jouant sur la diversité, la chanteuse montre une incroyable polyvalence et beaucoup de facilité (« Every Cloud », « No Happy Home », « Shout Sister Shout ! », « Can’t Have It All », « Po’ Boy John »). Très rafraîchissant !
Avec ce cinquième album, GRAINNE DUFFY entre définitivement dans la cour des grand(e)s avec une classe et une personnalité très affirmée, qui rayonnent littéralement sur « Dirt Woman Blues ». La songwriter, chanteuse et guitariste irlandaise livre un opus d’où émane beaucoup de force, de caractère sur des sonorités où ses racines celtes se fondent dans un groove très américain. La musicienne est partie sous le soleil de Californie enregistrer ces morceaux très roots et modernes à la fois dans lesquels sa voix s’impose avec puissance, dynamisme et délicatesse. Rencontre avec une artiste brillante.
– Trois ans après le très bon « Voodoo Blues », tu reviens avec « Dirt Woman Blues » qui est beaucoup plus roots et rugueux. Est-ce qu’après un peu plus de 15 ans de carrière, tu penses que c’est l’album qui te ressemble le plus ? C’est en tout cas l’impression qu’il donne…
Oui, je pense qu’il me ressemble beaucoup, parce qu’il combine mon amour pour le Blues et ses racines et la musique celtique. Les deux ensemble. C’est une réelle unité à travers le son et les éléments. C’est quelque chose que j’ai toujours voulu représenter dans ma musique.
– Tu as co-écrit l’album avec ton mari Paul Sherry. Comment se traduit ce travail ? C’est plutôt une opposition de styles ou une complicité qui grandit au fil du temps ?
C’est clairement une complicité qui grandit au fur et à mesure. C’est une sorte de travail artisanal que l’on fait tous les deux. Nous sommes très ouverts et, même si nous avons chacun notre style, on s’ouvre à celui de l’autre pour en faire quelque chose qui nous ressemble aussi. Au fil du temps, mon état d’esprit a changé également et aujourd’hui, nous sommes très complices musicalement, c’est vrai.
– « Dirt Woman Blues » emprunte de nombreuses directions à travers le Rock, un Blues souvent Old School, des éléments d’Americana aussi et pourtant l’ensemble sonne très moderne. On a l’impression que ton côté ‘vintage’ est une sorte de façade pour aller encore plus loin dans l’expression de ta musique. C’est le cas ?
Oui, c’est vrai qu’il y a un côté beaucoup plus ‘vintage’ qui s’exprime sur cet album. Cela dit, je suis très ouverte à la scène Blues contemporaine et j’espère même en faire partie, car je suis une artiste de mon temps. Mais c’est vrai que j’écoute beaucoup de musiques plutôt anciennes et les vieux bluesmen, qui ont forgé ce style. Et je pense que ce côté un peu ‘Old School’ vient de là, c’est même certain.
– Tu es originaire de la ville de Monaghan dans le nord de l’Irlande et il se trouve que son nom signifie ‘Les petites collines’. Je ne pense pas que ce soit une coïncidence, mais plutôt une explication à ton style si mouvant et plein de contrastes. Qu’en penses-tu ? Il y a une part d’inconscient ?
Monaghan est une petite ville, un petit coin qu’on appelle aussi ‘Les petites Collines’, c’est vrai. Je pense que l’endroit où tu vis se reflète forcément à travers ses paysages et son atmosphère dans ce que tu écris et composes. Ca rythme aussi ta vie de manière inconsciente avec ses hauts et ses bas. Vivre dans un endroit comme celui-ci a bien sûr une influence, qui va bien au-delà de la musique.
– Pour rester en Irlande, on retrouve plusieurs inspirations dans la narration de tes morceaux surtout, ainsi que cette fougue qui habitait aussi Rory Gallagher. Dans quelle mesure penses-tu que l’empreinte celtique se lise et influence ton jeu ?
Rory Gallagher fait partie de notre histoire nationale. Et il faut aussi y ajouter Van Morrison, les Cranberries, les Coors et beaucoup d’autres qui ont apporté leur influence à travers leur musique. Je pense que c’est ce que les gens appellent ’celtique’ et je le prends aussi pour moi-même. Je ne sais pas vraiment dans quelles mesures on peut entendre ces influences sur le dernier album notamment, mais j’en suis ravie. Ce mélange est notre héritage. Parfois, tu ne sais pas vraiment d’où ça vient, mais c’est là. C’est naturel et c’est une partie de ce qu’est être irlandais. Et pour revenir à Rory, sa musique m’a beaucoup influencé au même titre que toute cette période avec Gary Moore également, bien sûr.
– Parlons de ce nouvel album que tu es partie enregistrer en Californie. Pourquoi ce choix ? Est-ce parce que les musiciens qui t’accompagnent et ton producteur se trouvent aux Etats-Unis, ou juste pour y trouver certaines sensations et vibrations ?
Oui, c’est un choix de mon nouveau producteur, qui a cherché de nouvelles personnes pour l’album. C’était très important pour nous de trouver des musiciens qui partagent aussi notre vision du Blues, afin d’aller dans le même sens. Il a monté une équipe de très, très haut niveau. L’album a été enregistré à la fois à domicile dans mon studio et dans un studio à Encinitas, en Californie et ce sont Chris Goldsmith (Ben Harper) et Marc Ford (The Black Crowes) qui ont produit l’album. Nous sommes accompagnés du guitariste Marc Ford (The Black Crowes) et de la session rythmique de Gary Clark Jr. composée du batteur et percussionniste JJ Johnson et du bassiste et claviériste Elijah Ford (Le fils de Marc). Tout le monde a pu apporter sa touche et on s’est tous très, très bien entendus.
– Vous n’avez pas forcément la même culture, mais vos influences pourtant convergent. Comment as-tu présenté tes morceaux et, malgré leur talent, est-ce que leur adaptation à un Blues moins américain que leurs racines a été rapide ?
Les vibrations et le groove sont très américains, je pense. C’est vrai qu’il y a un mix entre les deux cultures. Les morceaux les plus rapides sonnent plus anglais, alors que lorsqu’ils sonnent américain, ils sont plus cools et plus relax. Cela vient aussi surtout du son et de l’ambiance californienne, je pense. L’album combine bien les deux avec des compositions plus britanniques et celtiques sur un son typiquement américain, en effet. Nous avons beaucoup aimé travailler sur ces deux aspects et c’était très agréable de se retrouver tous ensemble et pouvoir confronter nos influences et nos envies.
– D’ailleurs, le Blues américain et le British Blues sont très distinctifs l’un de l’autre et très reconnaissables. Or, sur « Dirt Woman Blues », c’est difficile à définir. C’est ce qui se passe quand une Irlandaise enregistre aux Etats-Unis avec des musiciens américains, ou juste une simple volonté de ta part de te démarquer ?
Oui, je pense que c’était une décision très réfléchie, en tant que femme, d’aller enregistrer aux Etats-Unis avec des musiciens américains. Ce n’est pas facile de se mettre à nu lorsque l’on est une femme irlandaise dans un tel contexte. Nous nous sommes vraiment concentrés sur le son et le côté organique des morceaux. Je voulais aussi mettre en valeur ma voix, bien sûr, mais aussi mes parties de guitare.
– Pour conclure, j’aimerais que l’on parle de la pochette de l’album. Je la trouve très sombre et emprunte d’une certaine tristesse, alors que l’ensemble de « Dirt Woman Blues » est très lumineux et souvent même enjoué. Quel message, s’il y en a un, as-tu voulu faire passer ?
Je voulais une pochette différente des précédentes avec un design bien précis. Il y a un côté ‘Old Woman Blues’, qui se démarque de ce que l’on peut voir habituellement sur les albums réalisés par des femmes. C’est vrai qu’il y a un côté assez sombre, qui représente aussi une partie de notre Histoire. Elle montre les aspects opposés qui fondent aussi la condition féminine, que ce soit comme mère de famille et également en termes d’émancipation et de liberté. C’est peut-être aussi une autre vision de ce qu’est une blueswoman aujourd’hui.
Le nouvel album de GRAINNE DUFFY, « Dirt Woman Blues », est disponible sur son Bandcamp :
D’une voix puissante et très souvent délicate, DANA FUCHS pose un regard sans concession sur le monde à travers un Southern Blues mâtiné de Rock, de Soul et de Folk. Très bien accompagnée, c’est en songwriter accompli que la chanteuse et guitariste présente son onzième album, « Borrowed Time ».
DANA FUCHS
« Borrowed Time »
(Ruf Records)
Malheureusement trop méconnue dans nos contrées européennes, DANA FUCHS mène pourtant une brillante carrière façonnée dans un Blues très Southern, roots et Soul. Depuis « Lonely For A Lifetime » sorti en 2003, la chanteuse du New-Jersey, qui a grandi en Floride, distille son registre si particulier à travers des chansons qui ont fait d’elle une compositrice désormais reconnue et assez unique en son genre.
Sur des sonorités sudistes très rurales et authentiques, les 12 morceaux de « Borrowed Time » forment une belle et solide unité. Produit par Bobby Harlow (Samantha Fish), ce onzième album de DANA FUCHS est à la fois rugueux et lumineux, faisant la part belle aux guitares, héritage direct de ses influences puisées chez Lynyrd Skynyrd et même Led Zeppelin. Et la fusion opère avec une magie de chaque instant.
De sa voix rauque et sensible, la blueswoman sait envoûter l’auditeur entre titres très Rock (« Double Down On Wrong ») et ballades plus Soul (« Call My Name »). Très inspiré par l’actualité mondiale et la société actuelle, DANA FUCHS livre des textes forts qui, posés sur une musique intemporelle, donne une dimension artistique saisissante à « Borrowed Time ». Un Southern Blues au féminin rondement mené.
Le Blues de BONNIE RAITT est éternel et sa voix garde cette intensité rare qui fait d’elle l’une des plus grandes blueswomen de tous les temps. Compter les très bons albums de la songwriter américaine serait déplacé, mais « Just Like That… » en fait bel et bien partie, malgré les épreuves endurées ces derniers mois par la musicienne. A travers un style toujours très Soul, elle resplendit de toute sa classe.
BONNIE RAITT
« Just Like That… »
(Redwing Records)
Les décennies passent et l’étincelle brille toujours chez BONNIE RAITT, qui livre une fois encore un grand et bel album. Six ans après l’excellent « Dig In Deep », la chanteuse américaine a réuni ses partenaires de prédilection pour un « Just Like That… » des grands jours. Enregistré l’été dernier à Sausalito en Californie, ce nouvel opus sort sur son propre label, preuve d’une liberté tenace.
Brillamment accompagnée par les fidèles James Hutchinson (basse), Ricky Fataar (batterie), Glenn Patscha (claviers) et Kenny Greenberg (guitare), BONNIE RAITT passe du Blues à la Soul avec une touche toujours Rock et même Reggae avec la reprise de Toots Hibbert, « Love So Strong ». La musicienne s’éclate, son enthousiasme est toujours aussi communicatif et du haut d’une telle carrière, rien ne lui résiste.
Ponctué de somptueux chorus de slide, de refrains entêtants et de partitions exceptionnelles d’orgue, « Just Like That… » s’inscrit parmi les meilleures productions de la Californienne. De « Made Up Mind », à « Waitin’ For The Blow », « Livin’ For The Ones » ou le très bon morceau-titre, BONNIE RAITT éclabousse de son talent ce nouvel album très inspiré et virtuose. Une perle… encore !