Décidemment, il semblerait que tout le monde se tourne vers la scène du Sud et peu importe le style. Certes, dans le Blues, il paraît assez normal et évident d’aller vers des origines avérées. Quand les musiciens issus du milieu du Metal, et pas des plus tranquilles, s’y mettent, on y regarde tout de même à deux fois… et en scrutant le pédigrée de l’aventurier. MARK MORTON, six-cordiste en chef de Lamb Of God, fait mieux de s’immiscer dans un genre pourtant loin de ses (bonnes) habitudes. Grâce à un jeu brut et direct, son côté roots fait même de son album une belle surprise. « Without the Pain » est un disque bien exécuté et convaincant.
MARK MORTON
« Without The Pain »
(Independant)
Tout d’abord, je tiens à rassurer les fans de Lamb Of God et ceux de Country Music aussi car, contrairement à ce que j’ai pu lire dans un très, très fameux magazine rocailleux français, MARK MORTON n’a pas sorti d’album de Country. Enfin, pas encore à ce jour, il me semble… Donc, histoire de rectifier un peu le tir hasardeux plein de graviers de notre belle presse nationale, le guitariste et chanteur s’est essayé (et plutôt bien !) au Rock Sudiste, c’est-à-dire au Southern Rock pour être le plus politiquement correct possible. Désolé, mais comme je sais que l’heure est aux fake news, je tenais à apporter quelques précisions. Direction donc le Sud des Etats-Unis avec ce « Without The Pain » de très bonne facture.
Alors, c’est vrai que notre tendre métalleux s’est fait plaisir en invitant quelques jolis noms plutôt associés au genre, comme le leader de Cadillac Tree, Jaren Ray Johnston, la chanteuse Country Nikki Lane, le rugueux Texan Matt James des Blacktop Mojo, le jeune Travis Denning de Georgie, ainsi que Charlie Starr et Jason Isbell de Blackberry Smoke, le très Outlaw Cody Jinkx, la jeune et talentueuse guitariste Grace Browers déjà chroniqué ici, ‘Mr Larkin Poe’ Tyler Bryant, le frontman de Clutch, Neil Fallon, le guitariste de Blues Rock Jared James Nichols et enfin le bassiste et chanteur de Mastodon Troy, Jayson Sanders… Il manque donc Dolly Parton à cette grand-messe de la Country orchestrée par MARK MORTON !
Assez éloigné donc des Miranda Lambert, Lainey Wilson et autres Carrie Underwood, on est plutôt ici dans les pas du Pride & Glory de Zakk Wylde, voire plus récemment de Cory Marks. Ne nous y trompons pas, le musicien originaire de Virginie, a mis le cap au Sud en sortant les muscles, et on n’en attendait pas moins de lui. Il prend à bras le corps le Southern Rock avec l’héritage très Metal qu’on lui connaît. Et ça sonne ! Les riffs épais et tranchants, un songwriting aux petits oignons et des solos de grande classe font de ce deuxième effort en solo de MARK MORTON un moment bien pensé et agréable. Proche des standards du genre, il lui manque cependant encore un peu d’identité franchement Southern. Propre et soutenu.
Groupe phare et emblématique de la scène Metal Symphonique mondiale, EPICA signe un neuvième album aussi nerveux qu’accrocheur, enveloppé d’arrangements grandioses et porté par la voix cristalline de Simone Simons. Audacieux et racés, les Hollandais ont cette fois modifié leur façon de composer. « Aspiral » se montre même peut-être plus accessible dans ses mélodies que ses prédécesseurs, tout en restant résolument Metal et même assez complexe. Inspiré et ascensionnel, il est ici question de cycles, de destruction et de renaissance. Lumineux et puissant, le sextet signe un retour éclatant. A la veille de sa sortie, la frontwoman revient sur la conception de ce nouvel opus, ainsi que sur son expérience en solo et les gigantesques concerts donnés en 2023 avec chœurs et orchestre. Entretien.
– Vous avez commencé à travailler sur « Aspiral » il y a plus d’un an avec un planning très établi. Et il en est ressorti beaucoup de chansons. Tout d’abord, comment le choix définitif des morceaux s’est-il effectué, et avez-vous cherché un lien entre eux, sans pour autant réaliser un album-concept ?
Oui, en fait, les chansons ont toujours besoin de temps pour évoluer et certaines nécessitent aussi plus de travail que d’autres. Mais une fois que ce processus est fait, nous les écoutons toutes ensemble et c’est à ce moment-là que nous choisissons les meilleures pour l’album. Après, on fait chacun une liste de nos titres préférés. Il faut trouver le juste équilibre pour l’album et ensuite chacun vote ! C’est un groupe très démocratique ! (Rires) C’est tout simplement comme ça qu’on définit la sélection définitive pour le CD. En ce qui concerne les paroles des chansons, elles sont finalement toutes assez connectées entre-elles, c’est vrai. Donc, l’ordre sur l’album n’a pas vraiment d’importance, en fait, en tout cas pas dans ce sens-là.
– J’aimerais qu’on parle des morceaux « A New Age Drawns », dont on découvre ici les parties sept, huit et neuf. Où en êtes-vous de cette saga et avez-vous l’intention de la prolonger encore ?
Non, la saga s’arrête ici avec les trois dernières parties. Et puis, c’est aussi notre neuvième album, donc… Il s’agit sur « Aspiral » d’un changement dans la conscience de toute l’humanité. Nous devons nous réveiller et réagir à ce chaos dans lequel nous vivons. Nous devons nous concentrer sur la communauté et faire les choses ensemble, en arrêtant de ne penser qu’à nous-mêmes. Et tout cela vient donc acter la fin de la saga sur ce disque.
– D’ailleurs, est-ce que la composition de ces morceaux a quelque chose de particulier pour vous ? Et est-ce que, finalement, « A New Age Drawns » n’est pas un peu la colonne vertébrale d’EPICA depuis ses débuts ?
En fait, les paroles sont écrites par Marc (Jansen, guitare et voix – NDR), ainsi que la musique. Et oui, tout a commencé il y a de nombreuses années aux tous débuts d’EPICA en 2005. C’est lui qui a probablement la connexion la plus forte avec cette saga. Et si l’on revient sur le dernier album avec les trois dernières parties, ma préférée est sans doute « The Grand Saga Of Existence », je l’adore !
– Vous avez sorti « Omega » il y a quatre ans, puis « The Alchemy Project » l’année suivante pour célébrer vos 20 ans, un disque accompagné de nombreux guests. Vous aviez ressenti le besoin d’explorer d’autres styles et de vous détachez un peu d’EPICA le temps d’un EP ?
Oui, « The Alchemy Project » a été pour nous un bon moyen d’expérimenter beaucoup de choses et également de travailler avec de nombreux artistes venus d’horizons différents. En effet, je n’avais pas eu, d’une certaine manière, le sentiment d’avoir de limite au niveau du chant par rapport au style propre à EPICA. Cela a aussi été très inspirant pour nous, d’autant que le retour des fans a été très bon. On a senti qu’on pouvait aller vers de nouvelles choses, sans trop penser à notre style précisément. L’idée était juste d’écrire des chansons, d’expérimenter autant que nous le souhaitions et de nous amuser surtout. Et c’est exactement ce que nous avions fait ! (Sourires)
– Et l’an dernier, tu as sorti « Vermillion », ton premier album solo. Tu as travaillé avec Arjen Lucassen d’Ayreon sur des morceaux plus progressifs et électroniques. C’est un projet que tu nourrissais depuis longtemps ? Quel était l’objectif premier ? C’était avant tout pour te faire plaisir, même si ton emploi du temps est déjà très chargé ?
Oui, j’avais l’idée d’un album solo depuis de nombreuses années, mais je n’avais jamais le temps de m’y consacrer. Il y a un bon moment maintenant, j’avais déjà contacté Arjen en lui demandant s’il serait intéressé. Il m’avait répondu positivement, mais il n’avait pas le temps ! (Rires) Ce n’est finalement qu’au début 2023 que nous avons commencé à travailler sur « Vermillion ». Bien sûr, je désirais avoir mon album solo pour moi-même et faire également quelque chose en dehors d’EPICA. J’ai toujours travaillé avec d’autres artistes, bien sûr, j’ai fait de nombreuses collaborations, mais je n’avais jamais réalisé un album entier seule. Et puis, j’ai toujours adoré la musique d’Ayreon et je me suis dit qu’il serait le meilleur pour le réaliser avec moi.
– Parallèlement, vous aviez donné deux concerts exceptionnels à Amsterdam et Mexico, « The Symphonic Synergy », qui sortira d’ailleurs sur l’édition limitée d’« Aspiral ». C’est toujours un grand moment pour vous de vous produire avec un tel orchestre et une chorale complète ?
Oh oui, c’est un rêve qui devient réalité ! C’est la meilleure manière pour nous de créer de la magie. Cela correspond vraiment à notre musique, mais c’est impossible de faire de tels concerts à chaque fois, car cela implique énormément de gens. Je suis très fière de « The Symphonic Synergy », car nous avons travaillé dur et ce fut deux concerts magiques. Je suis aussi heureuse qu’il soit disponible en Blue-Ray pour que tout le monde puisse l’apprécier. C’est vraiment un sommet dans notre carrière. Ce sont bien sûr des concerts qu’on aimerait faire plus souvent, mais c’est une énorme organisation pour créer de tels shows. Il y a eu au total 150 personnes, hors et sur scène, à travailler sur ce projet. C’était fou ! (Rires)
– Est-ce que cela reste un objectif important pour un groupe de votre style de pouvoir jouer avec un orchestre symphonique, afin de donner toute sa dimension et son relief à votre musique ?
Oui, c’est exactement ça. On aimerait en faire plus souvent, bien sûr. En 2027, EPICA célèbrera ses 25 ans et nous sommes déjà en train de réfléchir à ce que nous pourrions faire sur scène et offrir à nos fans. Jusqu’à présent, nous avons toujours célébré nos anniversaires avec le groupe, des chœurs et un orchestre. Cette fois, nous regardons les possibilités pour voir ce que nous pourrions produire dans le futur. J’aimerais beaucoup partir en tournée avec un orchestre mais, financièrement, cela coûte vraiment très cher de créer un tel spectacle ! C’est énorme ! (Rires)
L’album d’EPICA, « Aspiral », est disponible chez Nuclear Blast Records.
Photos : Tim Tronckoe
Retrouvez aussi la chronique de l’album « We Still Take You With Us – The Early Years » et celle de l’album solo de Simone Simons, « Vermillion » :
Spontanée et ambitieuse, la nouvelle réalisation de SMITH/KOTZEN dévoile surtout un réel et palpable désir de jouer et de composer ensemble. S’ils peuvent évidemment s’appuyer sur une technique exceptionnelle et très complémentaire, les deux artistes, qui se partagent aussi le chant, sont guidés par une culture musicale commune ponctuée d’étonnants contrastes dans le jeu. Et c’est justement toute la force de « Black Light / White Noise », qui est un modèle du genre, entre élégance sonore et puissance Rock.
SMITH/KOTZEN
« Black Light / White Noise »
(BMG)
Il y a quatre ans ADRIAN SMITH et RICHIE KOTZEN avaient surpris tout le monde avec un premier album éponyme d’une grande classe. Au-delà de cette union artistique assez improbable de prime abord, les deux guitaristes s’étaient trouvés naturellement autour d’un Classic Rock moderne et forcément affûté, s’ouvrant même de belles perspectives. D’ailleurs, quelques mois plus tard sortait l’EP « Better days », puis une version augmentée l’année suivante de cinq titres live. Rien d’un one-shot donc, et c’est tant mieux !
L’impatience commençait à grandir depuis quelques temps accompagnée de nombreuses questions. Et dès la première écoute, on ne peut que se réjouir de voir nos deux virtuoses toujours aussi inspirés et créatifs. « Black Light / White Noise » apporte beaucoup de certitudes, à commencer par la plus éclatante : il existe une touche et un son SMITH/KOTZEN. Assez loin de leur chapelle respective (quoique l’Américain en ait plusieurs), le duo côtoie les sommets, s’appuie sur ses héritages et les fructifie avec talent.
Enregistré à Los Angeles, mixé par Jay Ruston et produit par les deux musiciens et chanteurs, ce deuxième opus fait briller cette alchimie anglo-américaine, qui transcende les courants sur de solides racines Hard Rock et Blues. Accompagné par l’excellente Julia Lage (femme de Kotzen) à la basse et Bruno Valverde d’Angra derrière les fûts, SMITH/KOTZEN a plus que belle allure et cette nouvelle odyssée musicale devient immédiatement familière (« Muddy Water », « White Noise », « Blindsided », « Black Light », « Life Unchained »). Eblouissant !
Retrouvez la chronique du premier album et de « Better Days… And Nights » :
Alors qu’ils n’ont pas joué aux Etats-Unis depuis le début des années 90, les Suisses de GOTTHARD sont pourtant les plus Américains des représentants européens du Hard Rock. Un son unique inscrit entre Rock US et Hard mélodique, qui fait mouche à chaque album. Avec « Stereo Crush », pas de réel bouleversement, mais justement une belle continuité et une grande fidélité à un style où le groupe livre ce qu’il a de meilleur. Une sorte d’intemporalité entretenue avec talent et respect. Le genre de disque qui fait du bien.
GOTTHARD
« Stereo Crush »
(Reigning Phoenix Music)
L’emblématique formation helvète nous revient cinq ans après « #13 » avec la ferme intention de perpétuer ce Hard Rock mélodique qui fait sa réputation depuis plus de trois décennies maintenant. Même si les fans de son phénoménale guitariste ont pu se rassasier un temps avec les trois albums de CoreLeoni, c’est encore avec GOTTHARD qu’il s’exprime le mieux, où le tandem Freddy Scherer/Leo Leoni fait toujours des étincelles. Et avec un Nic Maeder en grande forme, « Stereo Crush » présente de bien belles choses.
Toujours produit par l’ami de longue date Charlie Bauerfeind (Helloween, Blind Guardian), le quintet ne dévie pas franchement de sa trajectoire habituelle, et on ne saurait s’en plaindre. Si la rythmique est toujours aussi solide, GOTTHARD fait aussi de la place pour des morceaux plus calmes, entre ballades et mid-tempos, un registre qu’il maîtrise parfaitement. Et puis, il y a ces (gros) clins d’œil à un certain Richie Sambora que les amateurs ne mettront pas longtemps à repérer sur « Rusty Rose » et « Boom Boom ».
Ce quatorzième opus confirme encore toute la polyvalence dont il est capable et si l’on met de côté la fadasse reprise de « Drive My Car » aussi insipide que l’originale, il faut bien avouer que GOTTHARD tient son rang et assène avec le même dynamisme quelques compositions bien rentre-dedans (« AI & I », « Shake Shake », « Devil In The Moonlight »). Classique et efficace, « Stereo Crush » compte parmi les très bons albums du combo et c’est toujours un plaisir de constater qu’il reste inspiré et plus que fringuant.
On n’est pas prêt de déloger le toujours aussi prolifique Ginger Wildheart et c’est une très bonne chose ! Malgré les années qui passent et les modes qui défilent, le frontman britannique fait face aux vents et aux marées, solidement amarré à un Hard Rock à propulsion Punk, tout en affichant le visage exalté d’une âme intacte. THE WILDHEARTS livre donc son dernier brûlot, une réalisation pointilleuse, accrocheuse et explosive. Avec « Satanic Rites Of The Wildhearts », la modernité côtoie un savoir-faire inaltérable avec brio et sans la moindre hésitation.
THE WILDHEARTS
« Satanic Rites Of The Wildhearts »
(Snakefarm Records)
Plus de 35 ans après sa formation à Newcastle, THE WILDHEARTS tient toujours debout, malgré des splits incessants et, sans doute, une discographie qui aurait largement due être plus fournie qu’elle ne l’est. « Satanic Rites OF The Wildhearts » est le onzième album du groupe et il présente derrière l’inamovible et irréductible Ginger Wildheart au chant et à la guitare, Ben Marsden (guitare), Jon Poole (basse) et Charles Evans (batterie). Bien sûr, on n’y voit que du feu, tant l’identité musicale du groupe survole les membres qui le composent. Et il faut reconnaître que « Satanic Rites OF The Wildhearts » est un très grand cru. Les Anglais semblent avoir trouvé un nouvel élan, franchement réjouissant.
Avec un tel titre, on est en droit de s’attendre à un album musclé et irrévérencieux comme il sait le faire. Et THE WILDHEARTS ne déçoit pas, bien au contraire. Ce nouvel opus est l’un de ses meilleurs depuis très, très longtemps. Remarquablement produit par Jim Pinder qui l’a également mixé avec Carl Bown, il y a presque un air de revanche qui plane sur les nouveaux morceaux. Très actuel et percutant, mais aussi bénéficiant d’un travail minutieux sur les mélodies qui gardent leur côté so british avec cette petite touche punkisante sur les refrains, l’ensemble est hyper-fédérateur, à l’esprit très live et conçu à m’en pas douter pour offrir sur scène un débordement monumental d’énergie.
Surtout, THE WILDHEARTS s’amuse et cela se sent vraiment ! Malgré un titre et une pochette qui pourraient laisser penser le contraire, le quatuor s’éclate et la maîtrise est telle qu’elle lui permet de s’aventurer à peu près dans toutes les ambiances sans sourciller. Toujours aussi créatif, Ginger Wildheart amène tout son monde dans une débauche de riffs, de rythmiques claquantes et harangue presque l’auditeur. (« Eventually », « Troubadour Moon », « Maintain Radio Silence », « I’ll Be Your Monster » feat. Jørgen Munkeby). Le combo se présente comme une véritable confrérie d’un Hard Rock décomplexé, insouciant et imprévisible, qui manque singulièrement dans le paysage musical actuel.
Depuis ses débuts il y a 20 ans maintenant, HANGMAN’S CHAIR ne cesse d’évoluer, même si un lien persiste toujours entre ses albums. Du Sludge brutal au Doom très pesant, le groupe prolonge son aventure dans un post-Metal aux déflagrations Hard-Core avec un aspect Cold Wave et gothique plus prononcé aujourd’hui. Pour autant, la patte est toujours là, elle se peaufine et suit les envies et les inspirations de son binôme créatif, composé de Julien Chanut (guitare) et de Medhi Birouk Thépegnier (batterie). Sur ce septième opus, le quatuor français explore encore et toujours des sonorités qui collent à des textes emplis de mélancolie. Contraction de ‘Sadness’ et ‘addiction’, « Saddiction » s’inscrit dans un voyage musical très immersif, narratif aussi et surtout très captivant. Entretien avec un batteur passionné et très investi dans un projet, dont la vision se projette dorénavant sur le long terme.
– Il y a un peu plus de deux ans, vous sortiez « A Loner », premier chapitre d’une trilogie. « Saddiction » est donc sa suite. Est-ce qu’à l’époque, vous travailliez déjà sur ce nouvel album ?
Pour être sincère et transparent avec toi, cette histoire de trilogie est sortie de la tête de Julien lors d’une conversation qu’on a eu avec la personne qui nous a fait la bio du dernier album. J’ai trouvé ça intéressant même s’il a son point de vue et que j’ai le mien. Je trouve ça bien, parce que ça permet aussi de ranger un peu notre chambre. Quand on parle de trilogie, ça veut dire que c’est le second volet et qu’il va y en avoir un troisième, alors que je ne sais même pas ce qu’il va se passer demain. C’est donc assez étrange de parler comme ça comme d’un concept établi. Cela dit, ça permet aussi de voir un peu où on en est. Je comprends bien l’idée de Julien, car il a essayé de classer un peu notre style et notre concept musical au sein de HANGMAN’S CHAIR par rapport à nos albums. Et donc, ça se tient, bien sûr. C’est vrai qu’on avait ouvert une nouvelle ère avec « A Loner ». C’est un épisode, avec le confinement aussi, où l’on a eu envie d’explorer plus en profondeur le côté Cold Wave. Et « Saddiction » est arrivé à point nommé dans le sens où on a continué cette exploration. Je comprends bien l’idée de la trilogie, car je suis à un âge où je passe à un autre concept moi-même dans ma tête et dans ma vie. J’ai aussi quitté Paris avec toute la tension et la folie qu’il y a autour du groupe. J’aime donc l’idée de cette nouvelle ère avec cette trilogie. C’est surtout une manière de voir les choses, en fait. Il a son idée par rapport au son, tandis que je le vois plus comme une étape de vie.
– Il n’y a pas vraiment de règles chez les artistes qui sortent des trilogies, mais concernant HANGMAN’S CHAIR, est-ce que vous voyez la trame des trois albums, ou est-ce que les idées émergent au fur et à mesure ?
Oui, je l’entends, je le vois venir. Pour le moment, je suis dans un cycle d’attente pour l’écriture et l’enregistrement et puis, nous sommes en pleine promo aussi. Je suis dans une phase de digestion par rapport à ce nouvel album. Après, c’est différent pour chaque groupe, mais en ce qui nous concerne, on met énormément de cœur à l’ouvrage. Il y a beaucoup de choses, beaucoup de sacrifices aussi. Tu sais, on se connaît avec Julien depuis nos 13 ans. Il y a une espèce de vie de couple, dans laquelle il faut gérer le côté humain et le côté professionnel avec tout le groupe. Il y a toujours eu des hauts et des bas dans les émotions et on retranscrit tout ça dans la musique, que ce soit des épreuves, des déceptions, des pertes… C’est la vie de tous les jours en fait. Et cela peut être parfois un peu lourd. J’ai un peu de mal à avoir une vision du futur, puisqu’on parle de cette trilogie. Et là, nous sommes au moment de la sortie de l’album, ce qui est toujours assez exceptionnel, même si les retours sont très bons dans les médias. J’attends maintenant ceux des auditeurs, qui sont une étape ultra-importante. Pour l’instant, je suis un peu en eaux troubles… ! (Rires)
– Je comprends très bien cette impression de vertige. Mais sur une trilogie comme celle-ci, on se lance tout de même dans une aventure sur le long terme, c’est-à-dire que vous ne pouvez pas ne pas faire le troisième…
Exactement ! Ça veut dire qu’il y a quelque chose de prédéfini ou de préparé. Mais sincèrement, je ne sais ce que demain nous réserve. C’est aussi pour ça que cette trilogie m’intéresse, même si j’ai du mal à intégrer l’idée pour l’instant. Julien a un rapport à l’écriture et je le comprends bien. Cela dit, il y a une globalité qui est assez effrayante. C’est le temps qui décide un peu de tout ça, par rapport à nos vies, et notre musique en est le reflet. Et avec tout ce que j’ai injecté de ma vie dans ce nouvel album, je suis vidé.
– Avant de parler du contenu de « Saddiction », j’aimerais qu’on parle de la production. Une trilogie s’étale environ sur 6/8 ans et vu les avancées technologiques actuelles, tout peut aller très vite, sans même parler d’IA. Vous vous êtes-vous posé des limites pour que ces trois albums gardent une unité sonore ?
C’est une bonne question car, pour moi et avec un peu de recul, les choses se sont faites assez naturellement sur les deux derniers albums. On ne se pose aucune limite, car ce serait grave quand même. En revanche, cela nous arrive de ne pas être d’accord et de mettre nos idées en opposition, bien sûr. Il y a toujours débat, mais il y a des choses assez naturelles au niveau de la composition. Avec tout ce qu’il s’est passé pour « A Loner », la signature avec Nuclear Blast, une visibilité augmentée, beaucoup de concerts car on n’a jamais autant joué de toute notre vie, on a senti avec Julien le besoin de prendre du temps pour digérer tout ça. Et finalement, cette espèce de schizophrénie nous a poussés à composer directement. On a été très inspiré, chacun de notre côté. Et comme j’ai déménagé au bord de la mer, je suis arrivé avec des morceaux plus lumineux et il y a eu un frein de la part de Julien, car il n’arrivait pas à entrer dans le truc. Il a fallu que je me réadapte, que je revois ma copie. Donc, tu vois, notre musique dépend de tout ça, de tous ces paramètres personnels dans nos vies. En fait, on ne se met pas de frein, mais il nous arrive de nous recadrer, de rester sur une espèce de ligne directrice en laissant aussi de la marge à la création et à l’exploration. C’est magique en tout cas de pouvoir écrire comme ça. Je touche du bois, car on arrive encore à être inspiré par la vie qui passe et tout ce qu’il peut y avoir autour. Et de tout ça, c’est vraiment génial d’en sortir des mélodies !
– En revanche, musicalement, l’évolution de HANGMAN’S CHAIR est nette, et pas seulement depuis « Saddiction » ou « A Loner ». Les influences gothiques et Cold Wave sont manifestes. Est-ce pour mieux coller au propos de l’album, ou c’est plus largement une direction que vous entendez tenir à l’avenir ? Parce qu’on est quand même très loin du Sludge de vos débuts…
Clairement ! On a commencé en 2005 avec HANGMAN’S CHAIR et je pense qu’à ce moment-là, on était très à fond dans la veine du groupe qu’on avait avant et qui était plus Hard-Core et Metal, tirant même sur le Doom et le Sludge de la Nouvelle Orleans. On écoutait énormément Pentagram, Saint Vitus, etc… C’est vrai que cela a dépeint sur nous et HANGMAN’S CHAIR est arrivé juste après. Sur nos deux premiers albums, on était complètement dans l’exploration. C’est vrai qu’aujourd’hui, j’ai un peu de mal à réécouter ces disques, car on s’y perd un peu nous-mêmes. Mais c’est assez touchant, car ce sont nos débuts aussi. Je pense que c’est avec « Hope / / / Dope / / / Rop » (2012 – NDR) que la bascule a eu lieu. Il a été déclencheur pour la suite. Après, l’important est de rester naviguer, car ça reste de la musique et c’est vraiment là que je me sens le mieux. J’ai aussi l’impression qu’on arrivait bien à digérer tout ce qu’on écoutait et c’était très varié. Ca pouvait aller de Depeche Mode aux Cure, mais aussi à la scène Hard-Core new-yorkaise qu’on a beaucoup écoutée avec les Cro-Mags, Bad Brains, etc… Ensuite, certaines choses sont revenues sur des bases qu’on aime. Dernièrement, on a peut-être écouté plus de choses Cold, post-Punk, New-Wave et gothiques. Ce sont des ambiances qu’on arrive à bien manier et dans lesquelles on sait combiner plusieurs ambiances. Julien arrive le plus souvent avec des morceaux froids et assez agressifs, tandis que les miens sont peut-être plus mélancoliques, mélodiques avec des arpèges et des effets. Et c’est ce mix des deux qui fait la couleur de l’album, sa lumière. C’est toute la magie de notre binôme.
– Comme sur « A Loner », il y a un gros travail sur les tessitures sonores et les atmosphères. Pourtant, vous restez percutants. L’ambiance post- Metal/Rock domine toujours avec un petit côté Doom sous-jacent. L’idée d’entretenir le Sludge de vos débuts est définitivement passée ?
C’est vrai que sur « A Loner » et avec tous les concerts qu’on a donné ensuite, on est peut-être allé plus loin dans le côté post-Rock et le gothique parfois. On a beaucoup travaillé le traitement du son et des tessitures. Avec « Saddiction », ce qu’on a fait naturellement, c’est peut-être retrouver ce côté doomy et Sludge de nos débuts. Ca se mélange aussi beaucoup mieux, c’est plus digeste. Le travail sur ce dernier album a aussi été de réintégrer les sons de nos premiers amours et que ce soit harmonieux. Et j’ai l’impression que ça a débouché sur le deuxième volet de cette… trilogie ! (Rires) Il y a un équilibre plus évident avec des chansons plus courtes aussi et qui sont un peu le résultat de la tournée précédente. L’envie a été d’aller droit au but sur certaines choses.
– Parlons un peu des vidéos, qui ont aussi beaucoup d’importance chez HANGMAN’S CHAIR. Sur « Cold & Distant » (extrait de « A Loner »), Béatrice Dalle faisait partie de l’aventure et cette fois sur « Kowloon Light », il y a clairement une référence au « Into The Void » de Gaspard Noe…
« Into The Void » est clairement une référence, c’est vrai, et nous sommes très fans de l’œuvre de Gaspard Noe. On a adoré ce film car, esthétiquement, il est incroyable. Il a été hyper-loin dans la photo. On n’a pas non plus voulu aller volontairement dans ce sens, mais les gens avec qui on travaille savent qu’on aime ce genre-là et que nous sommes très friands du travail de Gaspard Noe. C’est super en tout cas que tu l’aies ressenti, car c’est une grosse influence. Et puis, il y a aussi un côté cinématique chez HANGMAN’S CHAIR, parce que ça nous a toujours fait vibrer. Il y a des liens très proches avec la vidéo et la photo, c’est certain. On se rapproche de certains univers comme celui de Lynch, par exemple. J’adore les vidéos qui subliment un morceau et j’adore les musiques qui subliment les images. C’est très lié.
– Avec un album aussi conceptuel et les clips qui sont réalisés, on imagine que vous allez aussi soigner la scénographie de vos concerts à venir. De quelle manière travaillez-vous cet aspect au sein du groupe ?
On travaille avec des techniciens qui nous apportent énormément de conseils. Il faut savoir aussi que nous sommes un groupe avec un certain statut, c’est vrai, mais pas illimité. On a un agent qui travaille très bien, qui nous trouvent les dates et les budgets, donc il faut toujours aussi voir l’aspect financier et ce que l’on peut faire, ou pas. Et puis, on fait aussi une musique qui est très terre-à-terre et j’adore aussi les groupes qui n’ont pas forcément de scénographie particulière. On essaie de faire ce que l’on peut et d’améliorer à chaque fois nos concerts de ce côté-là et on a la chance d’avoir une belle équipe qui s’occupe très bien de la création en habillant la musique du mieux possible. On a déjà intégré de la vidéo sur nos concerts par le passé, mais budgétairement, c’était très compliqué. Ensuite, il y a le risque de décrochage du public avec trop d’infos d’un coup. Après, c’est quelque chose que j’aime beaucoup chez d’autres groupes, où la musique s’y prête peut-être plus. Pour l’instant, je préfère de l’habillage d’éclairage. Il y a un équilibre à trouver, il ne faut pas non plus se cacher derrière une scénographie, malgré l’air du temps où le public attend de gros shows.
– Justement, comment allez-vous organiser votre setlist ? Car, au-delà des deux derniers albums, il y a les cinq précédents ?
Ce n’est jamais évident chez HANGMAN’S CHAIR de construire un set avec la longueur des morceaux, car on joue une heure et quart/une heure et demi et même 45 minutes en festival. C’est vrai qu’à la sortie d’un album, on a envie de le jouer, même en partie, car il y a de la nouveauté à présenter. Maintenant, 2025 est une année un peu particulière, car on fête les 20 ans du groupe, donc on a envie de jouer d’anciens titres aussi. On veut en intégrer certains qu’on n’a pas joués depuis très longtemps, en ajoutant certains arrangements pour les fondre dans le set. On y travaille ! (Sourires)
– Pour conclure, est-ce vous travaillez déjà sur le chapitre final ? Ou alors, allez-vous faire une pause pour vous concentrer exclusivement à la scène ?
(Rires) J’ai des morceaux ! En fait, je compose constamment, dès que je peux. Ce n’est pas ciblé, mais j’ai des choses. J’essaie de me mettre sur mes machines le plus possible, mais il n’y a rien de défini. C’est un peu ce qu’on se disait au début de l’interview… (Sourires) Et j’ai aussi besoin de voir où « Saddiction » va nous mener et à quelle sauce on va être mangé ! (Rires)
Le nouvel album de HANGMAN’S CHAIR, « Saddiction », est disponible chez Nuclear Blast.
Photos : Andy Julia
Retrouvez également l’interview du groupe au moment de la sortie de « A Loner » :
« Parasomnia » est probablement l’album le plus attendu de ce début d’année dans la sphère Metal. 16 ans après son départ, Mike Portnoy fait son retour en patron et DREAM THEATER célèbre comme il se doit les quatre décennies d’une carrière incroyable, faite de quelques turbulences, mais d’une exemplarité remarquable. Ce nouvel opus témoigne du savoir-faire, de la créativité et de la technicité qui rendent unique son Metal Progressif. Et si certains y trouvent déjà redire, quelle importance, finalement…
DREAM THEATER
« Parasomnia »
(InsideOut Music/Sony Music)
Totalement réfrigéré par un « A View From The Top Of The World » ennuyeux et démonstratif, lequel a pourtant reçu toutes les louanges possibles et même un Grammy Award, c’est avec un peu d’appréhension que j’ai glissé « Parasomnia » dans la platine. Cela dit, le retour du grand Mike Portnoy derrière les fûts avait de quoi me rassurer, puisqu’il nous rend le DREAM THEATER dans son line-up originel et inégalable avec James LaBrie au chant, John Petrucci à la guitare, John Myung à la basse et Jordan Rudess aux claviers.
Et c’est sans doute cette alchimie qui manquait depuis « Black Clouds & Silver Linings » sorti il y a déjà plus de 15 ans. Un seul être vous manque… Pour autant, les Américains ont gardé leurs bonnes habitudes, puisqu’on retrouve Petrucci à la production, James ‘Jimmy T’ Meslin à l’enregistrement et Andy Sneap au mix. Et il ne faut pas attendre bien longtemps pour voir DREAM THEATER rayonner de nouveau. D’ailleurs, l’instrumental qui ouvre « Parasomnia », « In The Arms Of Morpheus », donne déjà le ton et l’atmosphère du disque.
Ce seizième album sonne même comme une libération pour le quintet. Comme souvent, il dépasse largement l’heure et il n’est pas lassant un seul instant (sauf pour les grincheux, bien sûr !). L’exigence est toujours au rendez-vous et l’inspiration ne manque pas. Et si l’ensemble est assez sombre et très Heavy, les morceaux sont d’une fluidité absolue, mélangeant à la fois les mélodies et une technique irréprochable (« Night Terror », « Dead Asleep », « Midnight Messiah » et le monumental « The Shadow Man Incident » et ses 19mn). DREAM THEATER renoue littéralement avec son ADN et s’offre un nouveau souffle.
La créativité des sœurs Lovell est suffisamment rare pour être soulignée. Alors que certains artistes peuvent connaître un moment d’essoufflement, chez LARKIN POE, l’enchaînement des albums semble plutôt leur faire du bien… Une sorte d’épanouissement comme le laisse entendre le titre de l’album, le huitième album des Américaines. De passage à Paris, Rebecca et Megan reviennent sur la conception de « Bloom », leur travail avec Tyler Bryant, cette connexion privilégiée avec leurs fans et, bien sûr, leur Grammy Award pour le ‘meilleur album de Blues contemporain’ l’année dernière…
– Avant de parler de « Bloom », votre nouvel album, j’aimerais vous féliciter pour votre Grammy Award remporté l’an dernier pour « Blood Harmony », et amplement mérité vu sa qualité et son succès. Il donne aussi l’impression d’arriver au bon moment dans votre carrière. Au-delà de la joie que cela procure, est-ce aussi une réflexion que vous vous êtes faite par rapport à votre parcours ?
Rebecca : En fait, c’est très rafraîchissant ! Et c’est assez fou de voir que 2025 marque aussi les 15 ans de LARKIN POE. Au fil des années, nous avons vécu un long et incroyable voyage avec de nombreuses expériences qui ont été très formatrices. On a vraiment eu la chance d’avoir le temps et l’espace pour vraiment déterminer les histoires que nous voulions raconter et cela nous a aussi construit en tant que groupe. C’est vrai que d’avoir tourné aussi intensément à la sortie de « Blood Harmony » nous a appris énormément de choses sur nous-mêmes. Alors, recevoir un Grammy pour cet album est véritablement un honneur. Et par ailleurs, c’est arrivé à un moment génial, car nous étions en pleine écriture de « Bloom », au mois de janvier de l’an dernier. Quand nous sommes allées à Los Angeles et que nous avons remporté ce Grammy, nous sommes juste rentrées chez nous pour terminer l’album. Finalement, je pense qu’il a eu un impact très positif d’un point de vue créatif dans son processus d’écriture.
– Justement, où en étiez-vous de la composition de « Bloom » lorsque vous avez gagné ce Grammy Award ? Et a-t-il changé quelques petites choses par rapport à l’album, voire lui a donné une nouvelle direction avec une perspective différente ?
Rebecca : Je pense que cela nous a donné la confiance de nous dire que nous étions sur le bon chemin. Tu peux parfois te retrouver sur une voie qui peut s’assombrir et tout à coup, tu aperçois cette petite lumière qui te rassure. Ce Grammy nous a donné la conviction que ce que nous faisions allait dans le bon sens.
Megan : Nous créons notre propre musique, nous la produisons nous-mêmes et nous la sortons sur notre propre label. Nous faisons exactement ce que l’on aime, sans essayer d’être influencées par des pressions extérieures. C’est même le contraire, on regarde beaucoup autour de nous pour essayer de trouver ce que nous voulons dire aux gens.
– Vous avez beaucoup tourné pour défendre « Blood Harmony ». Dans ces cas-là, est-ce que vous vous consacrez uniquement à la scène, ou trouvez-vous le temps aussi pour composer ?
Megan : Nous aimons écrire en saison, en quelque sorte. En fait, lorsque nous sommes en tournée, nous classons et répertorons toutes nos expériences. Et parce que nous sommes avant tout un groupe de scène, nous adorons les concerts. C’est ce qui conduit tout notre processus de création, cette idée de jouer et de communier avec les gens. Donc, nous avons pris beaucoup de notes de tous les moments spéciaux lors de la tournée de « Blood Harmony ». Et ensuite, nous avons pu tous les apporter en studio quand nous avons enregistré les chansons de « Bloom ». Et je dois dire que de tous les albums que nous avons faits, j’ai vraiment hâte de présenter celui-ci au public cette année. Nous avons vraiment hâte de revenir et de jouer ces nouvelles chansons.
Rebecca : D’ailleurs, je crois que c’est en France que nous avons le plus de dates dans toute l’Europe. Et cela va être une expérience vraiment cool de se connecter avec les gens à travers ces nouveaux morceaux.
– Si ce nouvel album est toujours aussi accrocheur, l’impression qui domine est que vous semblez plus ‘sérieuses’ dans la composition comme dans votre jeu. Il y a beaucoup d’assurance et de sérénité. Avez-vous le sentiment d’avoir encore franchi un nouveau palier ?
Rebecca : Oh, merci ! Je pense qu’en entrant dans la trentaine, nous avons réussi à définir ce que peut être le succès à nos yeux. C’est aussi dû à toutes les conversations que nous avons pu avoir entre sœurs, sur qui nous sommes en tant qu’individus, tout en réfléchissant sur nos vies intensément. Nous essayons de nous défaire des critiques extérieures ou de n’importe quelle autre pression. Et je pense, en effet, que l’âge que nous avons aujourd’hui se reflète dans les chansons de « Bloom ». C’est vrai que, par rapport à nos autres albums, l’expérience acquise dans la composition et l’enregistrement se ressent plus ici.
Megan : Notre principal engagement en entrant en studio a été de se dire que nous voulions écrire avec le plus d’honnêteté et de vulnérabilité possible. Parfois, on peut être tenté de composer avec le point de vue d’un personnage et cela ne nous ressemble pas forcément, car nous sommes vraiment empathiques et sensibles. Et je pense que c’est aussi ce qu’attendent les gens pour se retrouver dans nos chansons. Ainsi, lorsque l’on se met à écrire et à composer, nous voulons absolument que cela se rapproche le plus du réel.
– « Bloom » dans son ensemble est plus tourné vers le Blues Rock et vous y apportez beaucoup de fraîcheur avec un son plus massif. Il sonne d’ailleurs très live. C’était l’intention de départ ? D’avoir ce côté plus brut et très roots?
Rebecca : En fait, nos albums précédents étaient une sorte de ‘retour à la maison’. Nous avons été élevées dans la musique roots et nous avons joué très jeunes du Bluegrass, de la Country et toute la musique américaine en général. Et le Blues a eu une influence majeure pendant des années, tout au long de notre enfance.
Megan : Nos avons grandi au son du Allman Brothers Band et du Blues du Delta. Puis, nous avons éliminé beaucoup de paramètres autour de tout ça pour ne garder que ce qui représente les véritables aspects de nous-mêmes. Mais nous écoutons tous les genres de musique et nous les accueillons volontiers. Je pense que la plupart d’entre elles ressortent et se font entendre sur « Bloom ». Elles brillent à côté du Blues…
– Cet album est aussi très personnel et parfois même sociétal dans le propos. Et vous avez écrit et composé « Bloom » ensemble. Il semble très fusionnel. C’est le cas ou êtes-vous aussi peut-être à un moment de votre vie où vous vous posez de nouvelles questions ?
Rebecca : Je pense que cela vient sûrement avec l’âge aussi. L’expérience que nous acquérons tous les jours suit son cours et on continue à apprendre. On se construit petit à petit en faisant des erreurs. Et nous en ferons encore, tout en nous connaissant mieux en vieillissant. Je pense qu’aujourd’hui, à la trentaine, nous avons déjà vécu beaucoup de choses. En tant que sœurs, nous avons partagé de la joie et de la tristesse ensemble. Nous avons connu la paix et la lutte. Nos préférences et nos envies aujourd’hui vont vers plus de paix, d’empathie, d’entendement et de joie. Et je pense que nous pouvons écrire dans cette perspective, même en célébrant nos erreurs à travers tout ce que nous vivons. Ces expériences nous connectent profondément. Paradoxalement, nous nous sentons bien dans ce monde de chaos, avec cette information en continue qui ne fait qu’alimenter la peur chez les gens. La musique doit nous inspirer de la joie, du lâcher-prise et célébrer les petits moments de bonheur et toute la beauté de la vie. On le prend comme un grand cadeau pour nous-mêmes et on espère vraiment aussi que nos fans le percevront de la même manière.
– Tout en restant assez Heavy, « Bloom » a toujours cette saveur Southern avec des touches Country, Americana et 70’s. LARKIN POE a-t-il déjà trouvé le juste milieu, cet équilibre qui vous convient et vous caractérise ?
(Rires) Megan : Pour ce disque en tout cas, je pense que « Bloom » représente où nous en sommes et qui nous sommes aujourd’hui. Qui sait ce que l’avenir nous réserve… Nous essayons toujours de faire d’autres choses, donc nous verrons bien. Mais, pour le moment, c’est vrai que cet album représente un bel équilibre entre le Blues, la Country, la Folk et l’Americana… La musique, la musique, la musique !!! (Sourires)
– Et le Rock… !
(Rires) Megan et Rebecca : Oh oui ! Et le Rock, le Rock, le Rock !!! Un sacré paquet de Rock même ! (Rires)
– Rebecca, Tyler Bryant ton époux, est également très impliqué dans l’album et il le coproduit d’ailleurs avec vous. Est-ce que l’évolution musicale sur « Bloom » vient d’une collaboration plus étroite entre vous trois ?
Rebecca : « Bloom » est, je crois, le troisième ou le quatrième album sur lequel nous travaillons avec Tyler. C’est une expérience incroyable de pouvoir garder ça dans la famille et de l’avoir comme partenaire. C’est une ‘Dream Team’ ! Et au-delà de la connexion familiale, nous avons enregistré l’album dans notre studio à la maison. C’est un environnement très sécurisant et créatif pour nous. Et pour être honnête, c’est la meilleure façon pour nous d’écrire et de produire notre musique ensemble. De mon point de vue, Tyler est ma muse et je suis heureuse de pouvoir faire de la musique avec l’amour de ma vie ! C’est d’ailleurs aussi le cas avec Megan, qui m’inspire énormément. Et puis, Tyler a un réel respect pour Megan et moi en tant que groupe. C’est un grand fan de LARKIN POE et il n’a aucun intérêt à tenter de changer ce que nous sommes et ce que nous faisons. Il veut simplement nous soutenir. Je pense que nous faisons du bon travail ensemble, tous les trois, en tant qu’équipe. Je suis particulièrement fière de ce que nous avons co-écrit. « Mockingbird », « Little Bit » et d’autres chansons sont parmi mes préférées sur l’album et cela a quelque chose de très spécial de le faire en famille.
– On pourrait passer tout l’album en revue, car il contient d’excellentes chansons, mais j’aimerais qu’on s’arrête sur « Easy Love », qui est décliné en deux parties. L’avez-vous pensé comme la charnière du disque avec ses deux ambiances très différentes ?
Rebecca : C’est vrai qu’elles ont des atmosphères très différentes. Nous étions un peu réticentes à l’idée d’inclure les deux parties d’« Easy Love » sur l’album, parce que beaucoup de paroles se rejoignent. Mais je pense que c’est une expérience assez cool pour les auditeurs de démarrer le voyage avec la première partie, qui détaille le début d’une relation. La seconde va plus loin dans l’amitié. On a donc ces deux phases représentées dans l’album et cela me va très bien comme ça.
Megan : C’était assez amusant aussi de faire quelque chose de différent et d’inclure finalement les deux chansons sur le disque. C’est également un petit écart dans notre processus habituel de création. En fait, Rebecca et Tyler étaient en train de chanter la première partie et, au fur et à mesure, celle-ci est devenue la seconde. C’est un bel exemple de la façon dont les chansons peuvent se développer, grandir et changer. Elles sont devenues très différentes l’une de l’autre. C’est assez cool pour nous de pouvoir faire ça. La tension n’est pas la même sur les deux parties, alors qu’elles sont en fait une suite. C’est très intéressant à concevoir.
– Entre le travail sur toutes les cordes, guitares et violon, et sur vos voix, il y a énormément de soin porté aux arrangements. Est-ce que vous avez plus osé cette fois-ci, ou est-ce que, plus simplement, vous avez eu plus de temps pour vous investir pleinement ?
Rebecca : C’est une bonne question, car nous étions plus focalisées sur le chant au départ, Megan et moi. On voulait vraiment mettre les voix en avant et nous y avons beaucoup travaillé. On a passé beaucoup de temps à jouer les morceaux en acoustique avant d’entrer en studio. Nous étions concentrées sur les riffs, les ponts et la dynamique de chaque chanson. C’était important pour nous qu’elles soient déjà très fortes avant d’être produites. Cela nous a donné, à Megan et moi, l’occasion de nous assoir avec juste une guitare et un dobro pour les jouer encore et encore. Il fallait qu’elles soient vraiment terminées, complètement écrites avant d’être prêtes à être enregistrées. A mon avis, c’était une bonne idée d’avoir passé autant de temps en pré-production pour les développer.
Megan : Je pense que nous sommes surtout restées focalisées sur les structures des chansons et notamment leurs rythmes, avant même les voix et les arrangements. On voulait aussi limiter le temps passé à chanter en studio, afin de garder le plus d’authenticité et éviter de multiplier le nombre de prises pour rester le plus sincère possible. On ne souhaitait pas trop les interpréter pour essayer d’atteindre une certaine perfection, mais plutôt conserver l’aspect sincère de chacune d’elles. C’était très bien comme ça et c’est aussi une façon de donner plus d’importance au moment précis où l’on chante.
– Puisque vous êtes en France où l’on vous aime beaucoup, est-ce que l’ingénieur du son avec qui vous avez longtemps travaillé, David Benjamin, sera de cette nouvelle aventure et de votre prochaine tournée cet automne ?
Rebecca : Nous sommes tellement honorées d’avoir pu travailler avec lui. Combien d’albums avons-nous fait ensemble ? Trois, peut-être même plus si on inclue les EPs. Il est devenu au fil du temps un partenaire très important pour nous. A chaque fois que nous jouons à Paris, c’est un peu spécial, car il vit ici. S’il vient, il participera au concert, car il a laissé une empreinte importante sur notre musique. Et nous le remercions sincèrement pour toute l’énergie créative qu’il a apporté, car il a su développer notre son sur tous les albums que nous avons fait ensemble. Nous aimons David comme un frère. C’est une connexion familiale de plus avec ce beau pays qu’est la France et c’est fabuleux ! (Sourires)
– Une dernière petite question avant de se quitter. Vous qui avez de si jolis sourires, pourquoi êtes-vous toujours si sérieuses sur les photos et vos pochettes d’albums?
(Grands rires) Rebecca et Megan : On ne sait pas ! Quand on est devant des photographes, c’est toujours bizarre et parfois, il faut avoir un visage courageux et valeureux ! Mais on y travaille ! (Rires) Nous sommes des personnes très souriantes au quotidien et nous aimons rire et sourire ! Nous n’aimons tout simplement pas sourire aux photographes ! (Rires) Ok, alors regarde bien nos prochaines pochettes d’album ! (Rires)
« Bloom » est disponible sur le label du groupe, Tricki-Woo Records, distribué par Wagram Music en France.
Chaque nouvelle réalisation de WARDRUNA, et c’est la sixième, paraît toujours plus fascinante que la précédente. Quatre ans après « Kvitravn », le collectif articulé autour de Selvik et de Hella, grands artisans de cette quête mémorielle artistique, s’ouvre encore de nouvelles perspectives grâce à des rituels et des récits mythologiques saisissants et d’une rare authenticité. Plus que jamais, les Européens sont incontournables et surtout inégalables avec ce magnifique « Birna ».
WARDRUNA
« Birna »
(Columbia/Sony Music)
Celles et ceux qui connaissent, ou vivent, en écoutant de la musique traditionnelle, d’où qu’elle vienne, savent l’impact et l’effet souvent viscéral qu’elle produit. Pour les autres, il peut y avoir un côté magique, surnaturel et transcendant qui peut surprendre et séduire aussi. Et c’est vrai qu’Einar Selvik, ex-Gorgoroth, est un maître en matière de transmission et de conservation d’une culture ancestrale qu’il parvient aussi à rendre très moderne dans son approche. WARDRUNA représente par conséquent la vie qui continue.
Souvent assimilée simplement à de la néo-Folk/Ambient, la musique des Norvégiens va au-delà en ce sens qu’elle n’a rien d’expérimentale. A l’instar d’un ‘scalde’, le poète scandinave, le leader du groupe s’inspire autant de sons de la nature que d’instruments traditionnels à qui il a d’ailleurs souvent lui-même redonné vie. Et depuis ses débuts, l’objectif de WARDRUNA est de proposer une reconnexion à la Terre et ce qui lui appartient. Et sur « Birna », c’est l’ours qui est le centre du projet.
Animal emblématique de la culture nordique, il est donc ici le sujet du disque, auquel il donne d’ailleurs son titre en vieux norrois. Toujours aussi introspectifs, les nouveaux morceaux traitent autant des forces que de la vulnérabilité de l’ours et WARDRUNA sait toujours aussi bien se faire hypnotique (« Ljos Til Jord »), intense (« Hertan », « Birna »,) et bien sûr Pagan et poétique (« Tretale », « Hibjørnen »). Et entre la voix rauque et profonde de Selvik et la dimension céleste de celle de Linda-Fay Hella, le voyage se fait instantanément.
La confiance affichée sur ce nouvel opus de LARKIN POE fait plaisir à entendre ! Déterminées et sensibles, les Américaines s’affirment avec force, que ce soit dans des morceaux très, très appuyés ou des petites douceurs plus délicates et très sudistes. La chaleur du son, la pertinence du songwriting et l’interprétation de chaque membre du groupe vient confirmer, si c’était nécessaire, que le duo familial est là pour durer et l’instantanéité de son jeu est plus éclatante que jamais. « Bloom » ne triche pas et dispatche des saveurs live irrésistibles. On en redemande.
LARKIN POE
« Bloom »
(Tricki-Woo Records/Wagram Music)
Tout juste auréolées d’un Grammy Award l’an dernier pour leur album « Blood Harmony », les sœurs Lovell font déjà leur retour avec un septième album, qui se veut plus mature que son prédécesseur. Il y a une tonalité plus grave sur ce « Bloom », ce qui n’en fait pas pour autant un disque sombre ou triste. C’est surtout dans le jeu que ça se sent, comme si LARKIN POE jouait avec plus de sérieux, laissant de côté (du moins en partie) les envolées de Megan et sa lap-steel pour un Blues Rock plus carré et peut-être un peu moins pétillant, mais plus élaboré et engagé, et avec aussi une certaine nostalgie.
Toujours magistralement accompagné par Tarka Layman à la basse, Caleb Crosby à la batterie, Michael Webb à l’orgue, Eleonore Denig au violon et Tyler Bryant à la guitare rythmique, à la basse et qui co-produit également « Bloom », Rebecca et Megan livrent probablement l’une des réalisations de LARKIN POE les plus abouties. Très Rock et brut, l’énergie très Southern se propage à une vitesse folle dès « Mockingbird » et se diffuse sur l’ensemble des 11 chansons. Les riffs sont toujours aussi accrocheurs, les voix entraînantes et l’authenticité plus présente que jamais.
Leurs influences Country et 70’s sont cette fois plus manifestes aussi, comme si les deux musiciennes avaient le désir de revenir à leur tendre enfance bercée par le Bluegrass et le soleil de leur Georgie natale. « Easy Love », déclinée en deux partie, semble la chanson charnière de l’album, qui éblouit ensuite grâce à « Bluephonia » et « If God is A Woman », les deux morceaux incontournables et emblématiques de « Bloom ». LARKIN POE dévoile un potentiel qu’on soupçonnait déjà, bien sûr, mais qui prend ici une nouvelle dimension (« Pearls », « You Are the River », « Bloom Again », « Nowhere Fast »). Addictif !