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Blues Rythm'n' Blues Soul / Funk

Bai Kamara Jr & The Voodoo Sniffers : la révolte par les notes

Figure atypique du monde du Blues, BAI KAMARA JR marie avec talent ses racines africaines avec l’école américaine initiée par le grand John Lee Hooker notamment. Engagé, l’artiste appuie là où ça fait mal avec des textes aussi incisifs qu’ironiques. « Travelling Medicine Man » est un voyage musical bercé par un chant accrocheur et une musique élégante.

BAI KAMARA JR & THE VOODOO SNIFFERS

« Travelling Medicine Man »

(Mig Music/UVM)

BAI KAMARA JR est un homme du monde… du monde entier. Originaire du Sierra Leone, il a grandi en Angleterre et vit depuis plus de 25 ans à Bruxelles d’où il compose un Blues d’une inspiration très américaine. Car si la base de son jeu prend racine dans le Delta avec les pionniers du genre, il est aussi et surtout teinté de rythmes et de couleurs africaines. Afro-Blues ou World Blues, c’est selon.

Entouré d’un quatuor de haut vol dont deux très bons six-cordistes, c’est donc autour de trois guitares que se forge le Blues ensoleillé de BAI KAMARA JR & THE VOODOO SNIFFERS. Et pour ce dixième album, le musicien se présente avec 13 nouveaux morceaux et il est difficile de se défaire de ce très bon « Travelling Medicine Man ». Très narratif et délicat, le style du Sierra-Léonais est aussi épicé que chaleureux.

Généreuse, cette nouvelle réalisation traverse donc bien des registres à l’instar du précédent « Salone » sorti en 2020, qui lui a valu une belle reconnaissance et un succès mondial. Mais loin de s’endormir sur ses lauriers, BAI KAMARA JR va encore plus loin dans sa quête  artistique et le résultat est brillant (« Shake It, Shake It, Shake It », « Good, Good Man », « Enemies », « Star Angel », « Mister President », « It Ain’t Easy »). Rayonnant !

Photo : Bjorn Comhaire
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Blues Folk/Americana Soul / Funk

Eric Bibb : la lumière d’un sage

C’est la résonance d’un peuple opprimé qu’ERIC BIBB a voulu faire entendre sur « Ridin’ », où le musicien se fait l’écho de siècles de lutte des Afro-Américains avec un positivisme incroyable chevillé au corps et aux cordes. Précieux et précis, ce disque est autant un voyage qu’une réflexion sur les mouvements populaires actuels et passés, le tout distillé à travers des chansons sensibles et émouvantes et en évitant toute noirceur. Un modèle d’optimisme et d’une incroyable sobriété musicale.

ERIC BIBB

« Ridin’ »

(Dixiefrog)

La captivante voix de velours d’ERIC BIBB opère toujours comme par magie sur ce superbe « Ridin’ », et cela fait même cinq décennies et près de 40 albums que l’Américain installé à Londres régale de son jeu plein de finesse et si expressif. Teinté de Folk, d’Americana et d’un brin de Country, le bluesman a aussi conservé dans son répertoire ses racines Soul et Gospel, qui rendent cette nouvelle réalisation d’une grande et apaisante douceur. 

Librement inspiré de la peinture d’Eastman Johnson (« A Ride For Liberty » – 1862), la pochette de « Ridin’ » évoque sans détour l’espoir, la détermination et le courage de la communauté afro-américaine au fil du temps. C’est donc sur la base de ce concept qu’ERIC BIBB a bâti son nouvel opus où il exprime sa conception d’un racisme systémique et la façon de le purger du monde. Le songwriter est un humaniste, ainsi qu’un passeur.

Musicalement aussi, le songwriter ne s’interdit rien et nous promène dans des contrées funky, groovy et chaloupées dans un Blues dépouillé et très acoustique. Inspiré et délicat, il aspire à transmettre son espérance dans un voyage plein d’amour et de volonté. Et histoire de faire briller « Ridin’ » encore un peu plus, ERIC BIBB accueille les stellaires contributions de Taj Mahal, Jontavious Willis, Russell Malone et Habib Koité. Indispensable !      

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Blues Rock Hard Blues Southern Blues

The Answer : flamboyant

Savoureuse et chaleureuse, cette nouvelle réalisation des Anglo-irlandais est attendue depuis des années. Il faut reconnaître que THE ANSWER fait un parcours sans faute depuis plus de deux décennies maintenant. Entre Hard Rock et Blues Rock, le combo régale une fois encore avec ce lumineux « Sundowners » à la fois pêchu et délicat.

THE ANSWER

« Sundowners »

(Golden Robot Records)

Sept longues années se sont déjà passes depuis « Solas », dernier opus des Britanniques de THE ANSWER. Depuis sa création en 2000, le quatuor originaire de Newcastle d’un côté et de Downpatrick en Irlande du Nord de l’autre s’est forgé un solide répertoire commencé avec le phénoménale « Rise », qui a marqué les esprits et lui a permis d’écumer toute l’Europe avec les plus grands dont Ac/Dc.

Soudés depuis le début, Cormac Neeson (chant), Paul Mahon (guitare), Micky Waters (basse) et James Heatley (batterie) ont donc remis le bleu de chauffe et « Sundowners » est d’une incroyable fraîcheur. Le Rock Hard teinté de Blues ou le Blues mâtiné de Hard Rock, c’est selon, de THE ANSWER semble inusable et intemporel, niché quelque part entre Led Zeppelin et The Black Crowes.

Et ce septième album s’inscrit dans ce que le groupe a fait de meilleur. Dès l’envoûtant morceau-titre qui ouvre somptueusement les festivités, THE ANSWER prend les choses en main sur un groove imparable. Avec une production très soignée, l’équilibre entre les instruments est parfait et sert idéalement des chansons entêtantes (« Blood Brother », « California Rust », « Want You To Love Me », « Get On Back »). Classieux !

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Blues Rock

Ally Venable : déjà grande

En quelques années, ALLY VENABLE est passée d’un statut de star montante à celui d’artiste confirmée. Sans donner dans le démonstratif, la Texane, qui ne renie pas l’influence du grand Stevie Ray Vaughan, fait preuve de beaucoup de feeling dans un esprit délicieusement Southern. Avec « Real Gone », la jeune musicienne fait des étincelles et s’affirme avec classe.

ALLY VENABLE

« Real Gone »

(Ruf Records)

A quelques jours de son 24ème anniversaire, ALLY VENABLE sort déjà son septième album, si l’on inclue le sept-titres « Wise Man » paru alors qu’elle n’avait que 14 ans ! Et cet enfant prodige du Blues Rock ne s’arrête plus depuis et peaufine son jeu au fil du temps. Rien d’étonnant pour cette dernière considération, si ce n’est que son registre devient également de plus en plus personnel.

Guitariste et chanteuse de grand talent, ALLY VENABLE est aussi une songwriter accomplie et réalise même l’ensemble de « Real Gone ». Une maturité qui ne surprend pas plus que ça d’ailleurs lorsque l’on connait la portante courte carrière de la jeune femme. Et pour ce nouvel opus, elle s’est même offerte la collaboration du producteur Tom Hambridge (Susan Tedeschi, Kingfish, …).

Outre les deux moments que constitue la participation de Joe Bonamassa (« Broken And Blue ») et du géant Buddy Guy (« Texas Louisiana »), « Real Gone » regorge de pépites et la musicienne mène l’ensemble avec une élégance rare. Punchy sur le morceau-titre, « Justifyin’ », « Kick Your Ass » et « Two Wrongs », ALLY VENABLE se montre aussi très délicate sur « Gone So Long » et « Blues Is My Best Friend ». Une désormais grande dame !

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Blues Rock Southern Blues

Harlem Lake : sensible et virtuose

Avoir autant de talent et de créativité dès ses débuts, c’est suffisamment rare pour être souligné. Le Southern Blues Rock teinté de Soul de HARLEM LAKE est aussi fin et pertinent qu’il est techniquement irréprochable et irrésistible. Après un  premier opus de haut vol, les Néerlandais présentent « Volition Live », dont la qualité de la captation est le parfait reflet de leurs très belles compositions.

HARLEM LAKE

« Volition Live »

(Independant)

Découvert il y a deux ans lors de la sortie de leur excellent premier album, « A Fool’s Paradise Vol.1 », les Hollandais ne cessent depuis de faire parler d’eux et l’aventure de cette jeune formation prend une très belle tournure. Auréolé d’une victoire à l’European Blues Challenge l’année dernière, HARLEM LAKE n’a pas attendu un deuxième enregistrement studio pour livrer déjà un premier opus live.

Enregistré le 27 août dernier au Culemborg Blues Festival aux Pays-Bas, « Volition Live » montre le groupe en pleine possession de ses moyens et surtout incroyablement inspiré. La scène révèle HARLEM LAKE avec éclat et les compositions de « A Fool’s Paradise Vol.1 » prennent une ampleur et un volume déjà perceptibles sur l’album. Et une autre surprise attend encore l’auditeur.

En effet, c’est en version XXL que le groupe s’est produit ce soir-là avec le soutien de choristes et d’une session cuivre qui vient augmenter le groove déjà l’œuvre sur les versions originales. Porté par la voix pleine d’émotion de Janne Timmer, le feeling de Sonny Ray à la guitare, des parties d’orgue Hammond de Dave Warmerdam et par une rythmique imparable, HARLEM LAKE prend un envol majestueux d’une classe monumentale.

Photo : Rob van Dalen
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Blues Blues Rock Ethnic

Moonlight Benjamin : volcanic voodoo

Rageuse et tellement libre, la nouvelle réalisation de MOONLIGHT BENJAMIN libère une énergie où tout paraît connecté. Explosif et saturé, le Blues ensorcelé de la Queen haïtienne illumine par une volonté fascinante de parvenir à un dessein musical unique. Et c’est chose faite avec « Wayo », qui claque autant qu’il rassemble dans un melting-pot d’influences variées et universelles.

MOONLIGHT BENJAMIN

« Wayo »

(Absilone/Socadisc)

Entre poésie et chamanisme, la chanteuse prêtresse avance sur ce troisième album dans un cyclone Blues et Rock libérant un cri de liberté pour son île meurtri et même au-delà. Dans sa voix, MOONLIGHT BENJAMIN semble également se faire l’écho des multiples catastrophes naturelles et les régimes politiques désastreux qu’a subi Haïti à travers un style aussi intemporel que moderne. Ce disque est un séduisant voyage chaotique. 

De cet esprit caribéen omniprésent et même si l’on retrouve aussi des rythmes typiquement africains, il émane une charge émotionnelle incroyable puisée dans la force insulaire de ses origines. MOONLIGHT BENJAMIN a fait sienne la puissance vaudou et l’impact sur ses propres textes chantés en créole est saisissant. Elle envoûte par un chant hypnotique qui se fond dans un Blues torturé. « Wayo » (cri de douleur en haïtien) prend ici tout son sens.

Intenses et spirituelles, ces onze nouvelles chansons produisent un relief étonnant et s’inscrivent dans une sorte de rituel où se croiseraient comme par magie The Black Keys et Rokia Traoré. Mais c’est sans compter sur la singularité vocale de MOONLIGHT BENJAMIN qui marie les genres avec une grande ferveur. « Wayo » est vraiment initiatique dans son approche très mystique, où la lourdeur des tempos accompagne des incantations magistrales.  

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Americana Blues Rock Classic Rock International

Bourbon House : le Rock à pleine gorgée [Interview]

Qualifier la musique de BOURBON HOUSE uniquement de Blues Rock serait bien trop réducteur. Sur un groove irrésistible, le quatuor du Wisconsin alimente son style de touches d’Americana et de Classic Rock, porté par la voix chaude et puissante de Lacey Crowe. A quelques semaines de la sortie du troisième album du groupe, la chanteuse fait les présentations et nous en dit un peu plus sur la démarche de BOURBON HOUSE qui, je l’espère, ne tardera pas à séduire le public français. Entretien.

Photo : Jocelyne Berumen

– J’avoue vous avoir découvert récemment et un peu par hasard. En poussant un peu des recherches, je me suis aperçu que depuis 2017, vous aviez déjà sorti un EP, deux albums et plusieurs singles ces derniers mois. Est-ce que le fait que BOURBON HOUSE soit si prolifique tient d’une certaine urgence à composer et à jouer ?

Oui, parce qu’on a toujours envie de travailler sur quelque chose de nouveau. Je pense qu’en musique, il est difficile d’attendre, car il y a tellement de choses à faire entre l’écriture et l’enregistrement, ainsi qu’avec les tournées, les tournages de clips, etc… Créer de nouvelles choses est toujours quelque chose de très excitant.

– Votre premier EP éponyme était déjà annonciateur de votre Blues Rock si particulier. On a le sentiment que vous saviez dès le départ qu’elle était la voie à suivre. C’est le cas ?

Quand Jason (Clark, guitare – NDR) et moi avons commencé à écrire des chansons ensemble, il était plus qu’évident que nous étions sur la même longueur d’onde. Je pense que notre signature sonore a à voir avec notre combinaison en tant qu’auteurs-compositeurs. Ça tient aussi du fait que nous complétons très bien nos créations respectives. Je ne pense pas que je pourrais écrire ce genre de musique avec quelqu’un d’autre.

Photo Jocelyne Berumen

– D’ailleurs, BOURBON HOUSE a conservé le même line-up, je crois. Cette unité entre vous se ressent aussi à travers vos morceaux qui sont très spontanés et qui sonnent aussi très live sur disque. C’est important pour vous de garder cet aspect très direct ?

En fait, il y a eu quelques fluctuations en ce qui concerne notre section rythmique. Mais Jason et moi avons toujours été les auteurs-compositeurs, c’est pourquoi ça sonne toujours comme du BOURBON HOUSE. Le son ‘live’ auquel tu fais référence est un peu intentionnel même s’il est également assez inconscient. Nous avons beaucoup grandi en ce qui concerne l’enregistrement depuis notre premier EP, donc nos productions sont bien meilleures. Mais, nous apprécions toujours autant l’authenticité. Nous ne surproduisons pas, nous n’éditons pas, nous ne quantifions pas, nous ne corrigeons pas la hauteur, etc… Donc si un morceau nécessite cent prises pour être bon, c’est ce qu’il faut faire. Il est important pour nous que l’humain ne soit pas supprimé de la chanson pendant la production. Les petites imperfections sont belles aussi.

– Vu d’Europe, la musique du groupe faite de Blues, de Rock, d’Americana et de quelques sonorités Southern apparaît comme très roots. Est-ce que vous vous sentez un peu dépositaires et surtout héritiers d’un style typiquement américain ?

Je pense que tout est lié. Nous n’aimons pas nécessairement nous enfermer dans un style et nous utilisons des éléments de différents types de musique, mais au cœur des chansons de BOURBON HOUSE se trouvent les sons roots du Blues, de l’Americana et du Rock’n’Roll qui, je pense, influencent tant d’autres genres de toutes les régions du monde aussi.

Photo : Che Correa Photography

– Ce qui ressort aussi de votre discographie, c’est que vos compositions et votre jeu s’affinent au fil de vos réalisations, même si « Into The Red » est beaucoup plus Rock que les autres. On a presque l’impression que chaque album est une nouvelle page blanche. C’est aussi comme ça que vous le percevez et l’appréhendez ?

Oui, absolument. Nous n’avons aucun intérêt à créer des variations d’une même chanson. Et même si nous avons une signature sonore à défendre et que nous écrirons toujours ces chansons Blues Rock solides et efficaces pour nos fans, nous avons toujours le désir de composer en allant encore plus loin et approfondir chaque morceau.

– Depuis juillet dernier, vous avez sorti quatre singles (« Resonate », « Out For Blood », « High Road Gypsy » et « Blue Magic »). Pourquoi ce choix et est-ce que ces chansons se retrouveront sur un album à venir prochainement ?

Oui ! En fait, nous en sommes maintenant à cinq singles depuis un an, si on inclue le dernier, « 20 to Life ». Il est tout simplement plus facile de commercialiser un album, lorsque tu as déjà sorti cinq singles. En fait, on travaille dessus depuis la sortie de « Resonate ». Notre quatrième album sortira au printemps et comprendra les cinq singles, deux versions acoustiques et quatre titres inédits.

– J’aimerais aussi que l’on parle de ta voix, Lacey, qui est aussi puissante que délicate. Est-ce que tu écris tes textes, car on te sent réellement habitée et très investie dans leur interprétation ?

Merci ! J’écris les paroles, oui. Non seulement parce que cela m’aide à transmettre le message à un niveau personnel, mais il est également important pour moi sur le plan sonore que les mots sonnent bien de la façon dont je les chante.

– D’ailleurs, la complicité qu’il y a entre ta voix et les riffs de Jason est très souvent explosives. De quelle manière travaillez-vous ce bel équilibre entre la voix et la guitare ?

En fait, si tu écoutes bien les riffs, il n’y a aucune raison pour que je les couvre avec ma voix. Pourquoi le ferai-je d’ailleurs ? C’est aussi une question de respect mutuel. Aucun de nous n’a un énorme ego et on croit toujours que tout ce qui est bon pour la chanson est ce qui doit être fait. Les voix et les guitares doivent se compléter et ne pas se concurrencer ou s’opposer.

– Enfin, il y a une chose qui me laisse un peu perplexe. Comment un groupe comme BOURBON HOUSE n’a-t-il pas encore signé sur un label ? C’est un désir d’indépendance et de pleine liberté ? Ou un manque d’opportunité ?

Je suppose que c’est un peu des deux. Nous avons eu des offres et avons même été signés brièvement. Nous voulons garder le contrôle et nous ne savons pas vraiment ce qu’un label pourrait faire de plus pour nous. L’industrie de la musique est si différente maintenant que les labels ne sont plus nécessaires pour réussir. En bref, nous ne cherchons pas à être signés. Mais si un gros label nous proposait la bonne offre, nous l’étudierions bien sûr.

Retrouvez BOURBON HOUSE et toute son actualité sur son site :

https://www.bourbonhouserocks.com/

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Blues Rock International

Eamonn McCormack : Irish vibes [Interview]

De par son style et ses sonorités, le Blues irlandais a toujours tenu une place particulière grâce, notamment, à ses deux piliers que sont Rory Gallagher et le nordiste Gary Moore. Tout en perpétuant la tradition, le guitariste et chanteur EAMONN McCORMACK impose une touche très personnelle à son Blues Rock. Le natif de Dublin livre un huitième album éponyme puissant et profond. Entretien avec un songwriter et un bluesman de son temps.

– On t’avait quitté il y a trois ans avec « Storyteller », un album lumineux emprunt d’une belle touche irlandaise. Avec ce nouvel album, ton jeu et surtout les morceaux sont beaucoup plus sombres et bruts. La différence d’ambiance et d’atmosphère est grande et manifeste. Que s’est-il passé ? On te sent un peu moins enjoué…

En effet, l’album laisse peut-être paraître ça, mais c’est juste ma façon d’être honnête et c’est aussi ce que je ressens. Avec les années Covid, puis la guerre en Ukraine, la société via Internet est aussi devenue très sombre. Il me fallait écrire avec mon cœur et je savais que certaines chansons ne seraient pas pour les timides. Je n’ai jamais été formaté. Donc, si je ressens le besoin d’écrire sur des sujets qui dérangent, j’ai du mal à me retenir et personnellement, j’ai toujours cru que c’était ce qui caractérise l’art également. Mais si on regarde le bon côté des choses, je suis en fait une personne positive, même si beaucoup de choses sont difficiles et dingues dans le monde d’aujourd’hui. Mais avec le temps, je crois que des changements apparaîtront et que nous, ou la prochaine génération, vivrons dans un monde meilleur et plus sûr.

– Tu ouvres l’album avec « Living Hell », long de huit minutes, au tempo assez lent et à la noirceur dominante. C’est assez inédit que démarrer un disque avec un titre d’une aussi grande émotion. C’est un choix très fort. Qu’est-ce qui t’a décidé à placer cette chanson en début plutôt qu’un titre plus entraînant et joyeux, et quel est son thème principal ?

Je me souviens qu’une fois que les dix chansons étaient prêtes, j’ai tout de suite pensé que « Living Hell » ouvrirait l’album. J’avais l’idée dans un coin de la tête dès le départ. En plus, c’était une des premières chansons, sinon la première, composée pour l’album. Je me suis donc habitué à ce qu’elle le soit avant même que nous ayons commencé l’enregistrement. Pendant un moment, j’ai également pensé qu’elle serait sans doute trop sombre pour démarrer. Mais je me suis immédiatement repris ! Bon sang, c’est un sujet profond sur lequel je me sens très légitime. Toute l’activité et cette industrie corrompue des armes à feu profitent directement, ou indirectement, aux gangs de rue et se propagent aussi dans des fusillades dans les écoles, dans les guerres de la drogue, dans les armées d’enfants et finalement attisent la guerre elle-même dans sa globalité.

– Au fil de l’album, on retrouve toujours ce Blues Rock très brut et délicat aussi, notamment dans les solos de guitare. S’il est toujours aussi survolté, c’est l’un de tes disques le plus pesant et le plus lourd dans le propos également. Il reflète peut-être plus notre société et notre monde d’aujourd’hui. C’est ce que tu as voulu dépeindre ?

Oui, je voulais relayer mes sentiments et projeter mes émotions dans les chansons, surtout qu’il s’agit de l’actualité du monde qui nous entoure aujourd’hui. Je joue toujours de la guitare en pensant d’abord à la chanson. C’est très important. Par conséquent, une chanson sur la guerre contre la drogue, ou la guerre nucléaire, ne sonnerait pas avec une ambiance douce. Donc ça devient sacrément lourd par endroit, mais c’est quelque chose de très naturel pour moi. Je n’y pense pas vraiment en tant que tel, c’est une sorte d’approche en pilote automatique. Je comprends tout de suite quelle guitare et le son qui fonctionneront pour chaque chanson. J’ai tendance à jouer très lourd, mais sans franchir cette frontière avec le Metal. Ma façon de jouer me permet de le faire tout en conservant cette sensation de Blues. C’est juste mon jeu qui est ainsi.

– Il règne cet esprit irlandais avec une morale finalement assez présente sur beaucoup de morceaux comme « Letter To My Son » ou « Angel Of Love ». Sans donner de leçon, il y a un côté protecteur et prévoyant. C’est assez rare de voir cet aspect assez engagé dans ta discographie. C’était important pour toi de livrer certains messages cette fois-ci ?

Bien sûr, je pense que la paternité change beaucoup votre point de vue sur la façon dont vous voyez les choses. Et oui, il y a toujours un élément de conseil irlandais, qui vient de notre culture. Il y a un prédicateur craignant Dieu et qui est ancré dans le cœur, l’âme et le corps, lorsque vous venez d’Irlande. C’est difficile à changer. Mais pour moi, « Letter To My Son » et « Angel Of Love » sont des chansons d’espoir. Avouons-le, il y a assez de cupidité, de haine et de racisme dans le monde et c’est donc aux parents d’éduquer leurs enfants à l’amour. Nous pouvons le changer pour le mieux, mais beaucoup de travail reste à faire. Dans « Angel Of Love », je demande qu’un ange d’amour soit envoyé, mais en fait, ce n’est qu’un portrait, une vision romane. Ce dont nous avons vraiment besoin, c’est d’un véritable Sauveur qui serait capable un jour, dans un avenir pas trop lointain, de rassembler toutes les grandes et petites puissances nucléaires et les amener à s’asseoir à une même table pour discutez de l’avenir, parce que nous savons que la guerre nucléaire sera dévastatrice pour tous.

– Et en marge, on retrouve ton style en power trio avec des morceaux beaucoup plus festifs comme « Rock’n’Roll Bogie Shoes » et « Social Media Blues », qui sont très dansants et beaucoup plus fun. Ce sont d’ailleurs des respirations très bienvenues sur l’album. C’est aussi comme ça que tu as souhaité qu’on les perçoive ?

C’est assez inconscient finalement. Ces deux chansons se prêtent à des sujets amusants et plus légers. Je me souviens les avoir joué sur ma guitare acoustique, assis dans une chambre d’hôtel et avoir pensé : « Génial ! Quelques chansons plus fun pour équilibrer un peu l’album » et cela pourra aussi empêcher l’auditeur de prendre du Prozac ! (Rires)

– Souvent, lorsqu’on sort un album éponyme, c’est pour affirmer son identité. La tienne est multiple avec des influences du Delta, Southern, parfois funky, Metal et celtique, bien sûr. Et ensuite, très moderne dans son graphisme, la pochette en dit long aussi. Comment l’as-tu imaginé ?

Tout a commencé autour de mon propre logo celtique, qui était l’idée de mon management. Mes initiales, ‘E-Mc-C’, sont y cachées ! Une fois les chansons écrites, et aussi diverses soient-elles, il y avait cet entremêlement qui me représente tellement. Donc, à peu près au même moment avec mon management, nous nous sommes dit que l’album était fidèle à ce que je suis, à mon style et à mon écriture. Alors, pourquoi ne pas en faire un album éponyme et avec mon nouveau logo ? Et nous nous y sommes tenus…

– Après une écoute attentive de l’album, on y décèle beaucoup de nuances avec un gros travail effectué sur les arrangements notamment. Où et dans quelles conditions a-t-il été enregistré ? Je trouve qu’il sonne légèrement différemment des précédents…

Il a été enregistré dans le même studio que « Storyteller » en Allemagne et de manière similaire, c’est-à-dire en live autant que possible. Les morceaux ont été répétés pour la plupart sur la magnifique île de Texel aux Pays-Bas. La grande différence sur cet album est que j’ai finalement pu développer le son de ma guitare exactement là où je le voulais. Et je l’ai fait sous la direction et avec l’aide de Hoovi, qui est un arrangeur et designer sonore autrichien. De plus, Arne Wiegand est un producteur fantastique et il a également ajouté sa magie au mix final.

– J’aimerais que tu nous dises un mot de ces deux chansons que tu as dédié à Lemmy de Motörhead et à l’aviatrice Amelia Mary Earhart, appelée également Lady Lindy (« Hats off to Lemmy » et « Lady Lindy »). Si je vois bien le lien avec Lemmy, le second est plus étonnant. On sent une grande marque de respect et presque de remerciement, c’est le cas ?

Oui, « Hats Off To Lemmy » est exactement ça. C’est un hommage au Hell Raiser sans compromis qu’était Lemmy. Je crois qu’il était le rockeur le plus authentique de tous les temps. Il était vraiment entier et il a vécu sa vie à fond.

Et c’est vrai que les pionniers de l’aviation m’ont toujours fasciné : des frère Wright, Alcock et Brown à Charles Lindburgh et Amelia Earhart. Quand j’étais jeune, mon père m’a montré sur la plage de Galway, où Alcock et Brown ont débarqué. Mais l’histoire d’Amelia a toujours été la plus intéressante pour moi. C’était une vraie pionnière. Elle vivait à une époque où les femmes ne mettaient pas de pantalon, sans parler de piloter son propre avion. Elle était en avance sur son temps. J’ai également écrit une chanson sur l’album au sujet du grand chef apache Geronimo et le sort des tribus indigènes. Son histoire est à la fois incroyable et tragique.

– Enfin, depuis huit albums maintenant, on t’a vu et considéré à juste titre comme la relève du Blues Rock irlandais, qui vit toujours dans le souvenir de Rory Gallagher et aussi du nordiste Gary Moore. Quel regard portes-tu sur la scène de ton pays, dont on entend finalement assez peu parler ?

C’est vrai que je suis très heureux de jouer, d’enregistrer, de faire des tournées et de perpétuer à ma manière une tradition unique de Blues Rock celtique. J’ai eu le plaisir de jouer et d’enregistrer avec Rory et Gary, et  j’étais conscient de cette chance. Il y a pas mal de groupes ‘Tribute’ à Rory et Gary et c’est cool. Mais j’aimerais voir plus de jeunes Irlandais écrire et interpréter leur propre Blues Rock. Il y en a quelques-uns, mais très peu et c’est dommage, car les artistes de Blues Rock irlandais apportent quelque chose de très différent et de spécial dans leur jeu. Il y a une grande scène Rock chez nous et nous avons aussi le ‘Rory Gallagher International Tribute Festival’ à Ballyshannon dans le Donegal. Les médias nationaux et grand public ne soutiennent pas le Blues et le Rock autant qu’ils le devraient en Irlande. Ils l’ignorent presque et c’est dommage.

Le nouvel album d’EAMONN McCORMACK est disponible sur le site du musicien :

https://eamonnmccormack.net/

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Rythm'n' Blues Soul / Funk

The Supersoul Brothers : soul on fire !

Un premier album studio très bien accueilli et voilà que THE SUPERSOUL BROTHERS réapparaît déjà avec un disque live enregistré à domicile, « The Road To Sound Live ». Et c’est avec un optimisme communicatif que les musiciens du Sud-ouest font parler la poudre dans la joie à travers 15 titres mêlant Blues, Soul et Rythm’n Blues. Entre fougue et émotion, la communion est intense.   

THE SUPERSOUL BROTHERS

« The Road To Sound Live »

(Dixiefrog)

Révélé en 2021 grâce à un premier album digne des meilleures formations du genre (« Shadows & Light »), le sextet palois a cette fois les honneurs de son label et de ses ‘Dixiefrog Live Series’. La collection propose des captations scéniques inédites et THE SUPERSOUL BROTHERS se livre brillamment à l’exercice sur ce deuxième volume de haut standing. Un pari osé après un unique opus… mais largement remporté !

C’est dans leur Béarn natal, lors de ‘La Route du Son’, que le groupe a enflammé le public le 26 mars 2022 lors d’un concert désormais gravé dans le sillon et dépositaire d’une Deep Soul torride. Et l’énergie déployée sans compter par le frontman David Noël et ses compagnons de route hisse THE SUPERSOUL BROTHERS parmi les combos hexagonaux les plus dynamiques et inspirés… et évoluant dans une bonne humeur omniprésente.

Faisant la part belle à leur effort studio avec sept morceaux, les Français sont littéralement portés par une foule entièrement acquise à leur cause. Et si l’ombre de leurs aînés The Blues Brothers plane sur « The Road To Sound Live », la puissance du set lève rapidement le voile et THE SUPERSOUL BROTHERS partage de somptueuses reprises de grands noms, dont le « Heroes » de David Bowie dans une version Soul étonnante. Brillant et vivifiant ! 

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Blues

Nico Wayne Toussaint : comme un seul homme

Harmoniciste hors-pair, c’est pourtant à la guitare et au chant que s’illustre cette fois NICO WAYNE TOUSSAINT sur ce très bon « Burning Light », où le musicien s’autorise une belle et grande balade à travers le Blues et tout ce qu’il comporte comme diversité. Preuve que le style est encore loin de s’éteindre, et même qu’il brille de mille feux.

NICO WAYNE TOUSSAINT

« Burning Light »

(Independent/L’Autre Distribution)

Il aura fallu douze albums et une collaboration de près de 20 ans avec l’excellent label Dixiefrog à NICO WAYNE TOUSSAINT pour se lancer enfin en solo avec une guitare en main… même si ses harmonicas ne sont jamais bien loin. Originaire de Pau et grande figure du Blues français, le musicien a joué avec des pointures comme James Cotton, Luther Allison, Neal Black, Andrew Strong ou encore Guy Davis. Autant dire qu’entre la France et les Etats-Unis, il a eu tout le loisir de se faire plaisir aux côtés d’artistes prestigieux.

Si le talent de NICO WAYNE TOUSSAINT est incontestable, on ne l’attendait pas forcément à la guitare, et c’est là qu’il surprend autant qu’il épate. Bluesman dans l’âme, avec « Burning Light », il laisse s’exprimer son propre ressenti et son amour du genre avec une simplicité et une authenticité qui se lisent à chaque note. Les ambiances se confondent et se multiplient, passant de sonorités à la Ry Cooder à du Old-Tight plein de ressentis.  

Guitariste, il ne l’était donc pas. Pourtant, NICO WAYNE TOUSSAINT fait aussi figure de vieux briscards, quant il fait parler la slide (« I Thank You God »). Et ça lui va plutôt bien quand il rend hommage au bluesman John Campbell sur le morceau du même nom. Plus relevé sur « Wanna Try Somebody » et « Valentine », il multiplie les ambiances (« Give Me Back The Key », « How Long To Heal ») avec une classe que l’on savait déjà grande.