Spontané, rugueux et instinctif, HIPPIE DEATH CULT donne déjà entière satisfaction sur album, alors que dire de ses performances live ! Celle captée à domicile le 9 novembre dernier au ‘Star Theater’ de Portland a dû résonner et retentir un long moment, tant la prestation offerte relève d’une intense déflagration. Les trois musiciens ont atteint des sphères Heavy Psych bardées de proto-Metal et d’un Stoner Doom puissant et aérien. Une véritable prouesse !
HIPPIE DEATH CULT
« Live At The Star Theater »
(Heavy Psych Sounds Records)
Le temps de trois réalisations studio, d’un changement de line-up qui a vu sa bassiste prendre aussi le chant, et la configuration passer en power trio, et HIPPIE DEATH CULT a effectué sa mue de la plus belle des manières. D’ailleurs, « Helichrysum », sorti il y a deux ans, avait déjà confirmé un virage vers un proto-Metal très Heavy aux contours Doom et à l’approche toujours aussi Psych. Avec le départ de son chanteur et claviériste Ben Jackson, les Américains ont adopté une ligne plus brute et musclée qui leur va franchement bien.
Plus épanouie que jamais, la frontwoman a vraiment pris les reines du groupe et donne le ton de ce « Live At The Star Theater ». Ce concert, que l’on ne retrouve ici qu’en partie, venait clore une tournée en 2024 où HIPPIE DEATH CULT avait parcouru les Etats-Unis, le Canada et l’Europe sans (presque) lever le pied. Et forcément, il fallait que le final ait lieu chez lui, à Portland dans l’Oregon, là où tout a commencé. Et le moins que l’on puisse dire est qu’il a fait trembler l’édifice du lieu… et pas à moitié !
Devant quelques privilégiés (que l’on entend même parler), le combo fait surtout la part belle à son dernier disque (« Arise », « Toxic Annihilator », « Shadows », et « Red Giant ») et termine ce live avec « Circle Of Days », morceau-titre de son deuxième opus. Et sur plus de 16 minutes, HIPPIE DEATH CULT prend magistralement son envol, scotche tout le monde et, finalement, nous laisse sur notre faim… mais bien sonner tout de même. A eux trois, Eddie Brnabic (guitare), Harry Silvers (batterie) et Laura Phillips (basse, chant) ont tout retourné.
Retrouvez aussi les chroniques des deux derniers albums du groupe :
GYPSY PISTOLEROS n’est pas prêt à entrer dans le rang et ce n’est pas ce bon « Church Of The Pistoleros », pourtant moins sauvage de prime abord, mais toujours très fougueux, qui viendra apporter la contradiction. Les Anglais y ont une fois encore mis toute leur âme et leur savoir-faire dans ce renversant cri de ralliement. Le combo en appelle à tous les laissés pour compte de la société dans une unité artistique à la fois courageuse et marginale. Accrocheur et revendicatif, l’attitude et l’audace affichées sont d’une fraîcheur réjouissante.
GYPSY PISTOLEROS
« Church Of The Pistoleros »
(Earache Records)
Après quatre singles convaincants (« Church Of The Pistoleros », « Shadow Walker », « Whatever Happened To The Old Town » et le punkisant « Last train To Nowhere »), GYPSY PISTOLEROS avait laissé entrevoir du changement et une orientation musicale légèrement différente. L’arrivée de l’ancien batteur de South Of Salem, Pip Sampson, a donné un bon coup de fouet au groupe, mais ce qui étonne surtout, c’est la production massive et presque trop ‘propre’ de ce nouvel effort, qui semble pourtant ouvrir une nouvelle ère à nos desperados.
Le Glam Metal/Rock du quatuor n’a rien perdu de sa verve, de sa vélocité et de son impact, c’est juste l’équilibre qui est plus évident. GYPSY PISTOLEROS mûrit et plutôt bien ! Enregistré aux renommés studios Old Cider Press de Pershore et surtout produit par Dave Draper connu pour son travail avec Nickelback, Terrovision ou Ginger Wildheart, « Church Of The Pistoleros » se présente comme un quatrième album très bien ciselé. Une manière aussi, finalement, de rendre les compositions aussi accessibles que percutantes. Car, ça claque !
Si GYPSY PISTOLEROS n’est pas constitué de membres d’un gang latino, mais de citoyens britanniques, il a aussi la particularité de proposer un son typiquement américain, sorte de triptyque Rock’n Roll effervescent et très cohérent. Toujours Glam dans l’esprit, le frontman n’est pas sans rappeler les invectives chères à Vince Neil ou Billy Idol, mais le combo s’en sort grâce à une originalité très particulière où se côtoient Metal, Rock, et Flamenco dans un bel élan fédérateur et souvent irrésistible (« Revolution », « Last Of The Comancheros »).
Aussi fantasque que surprenant, YNGWIE MALMSTEEN règne sans partage sur un Heavy Metal qu’il a façonné sur des bases classiques et dont il est un prodige inégalé. Le guitar-hero, tout en contrôle et en maîtrise, s’avère aussi un redoutable compositeur, même si ses adaptations restent le summum de son art. Sur plus d’une heure et demi et 30 morceaux, il retrace cette voie unique, dont il n’a jamais dévié, où la fureur et le sublime se fondent dans une entité véritablement hors-norme.
YNGWIE MALMSTEEN
« Tokyo Live »
(Music Theories Recordings)
Qu’on l’adore ou qu’on le déteste, on ne reste pas insensible ou indifférent au jeu et au talent du Suédois. Et sur ce « Tokyo Live », cinquième album live et deuxième capté au Japon, le virtuose fait la preuve une fois encore qu’il reste ce maestro de la six-corde, fort d’une technique imparable et d’une vélocité phénoménale. En 40 ans de carrière, YNGWIE MALMSTEEN a réalisé 22 albums solos, en plus de deux autres avec, respectivement, Steeler et Alcatrazz en tout début de carrière. Enregistré au Zepp DiverCity de Tokyo le 11 mai 2024, il y célèbre cette fois ses quatre décennies au service d’un Metal néo-classique, dont il a fait sa griffe et dont il est l’étendard.
Avec un côté virtuose de chaque instant, le guitariste est pourtant un musicien sincère, qui vise toujours l’excellence et « Tokyo Live » témoigne de ce dévouement à une musique qu’il est l’un des rares à produire et qui demande autant de précision que de feeling. Grand amoureux de musique classique, YNGWIE MALMSTEEN a insufflé toute sa fougue dans les compositions de Paganini (« Paganini’s 4th »), de Jean-Sébastien Bach (« Badinerie ») et bien sûr d’Albinoni et son désormais légendaire « Adagio ». Jamais pompeux, il offre justement un aspect organique, tout en faisant reculer les limites de son instrument dans une explosion de technicité.
Cette nouvelle captation retrace l’ensemble du parcours incroyable du Scandinave, remontant même de ses débuts avec Alcatrazz (« Hiroshima Mon Amour ») jusqu’à « Parabellum » sorti il y a quatre ans. Le répertoire d’YNGWIE MALMSTEEN est vaste et les classiques se succèdent aussi généreusement que ses accords spectaculaires (« Rising Force », «Into Valhalla », « Evil Eye », « Far Beyond The Sun », « Seventh Sign », « Black Star », « You Don’t Remember I’ll Never Forget », « Toccata », …). L’homme à la Fender personnalisée montre à son public son amour pour les prestations live, celles où on ne triche pas et où il prend toute sa dimension.
Des twin-guitars au diapason, un rythme soutenu du début à la fin et une chanteuse à l’énergie communicative, il n’en fallait pas plus pour que THE RIVEN vienne confirmer avec force que sa présence dans le paysage Rock/Metal était tout sauf un hasard. Avec « Visions Of Tomorrow », la formation de Stockhölm passe le cap des trois albums avec une assurance qui fait d’elle l’une des meilleures représentantes de l’héritage laissé par la flamboyante NWOBHM. Et Totta Ekebergh assoit avec brio son statut de l’une des plus belles voix du style depuis longtemps.
THE RIVEN
« Visions Of Tomorrow »
(Dying Victims Productions)
Continuant son exploration dans un réjouissant revival 70’s et 80’s, les Suédois livrent leur troisième opus, « Visions Of Tomorrow », somptueux mélange de Power Rock, de Heavy Metal, de Hard Rock et d’un soupçon de Prog originel. En bientôt dix ans d’existence, THE RIVEN a très bien digéré ses influences pour atteindre une identité musicale désormais très personnelle et identifiable. Il s’appuie sur ses points forts, à savoir de belles combinaisons de guitares, une rythmique galopante et un chant féroce et aérien.
Après le très bon « Peace And Conflict » sorti en 2022, on attendait beaucoup du quintet et il y a de quoi de réjouir avec cet éblouissant « Visions OF Tomorrow ». Tout d’abord, l’excellente production signée Robert Pehrsson (The Hellacopters) met parfaitement en lumière le registre frais et direct du groupe. Sur un son très organique, THE RIVEN déploie son talent librement, loin des réalisations aseptisées d’aujourd’hui, avec une authenticité réelle et un sentiment d’urgence très perceptible. La performance est véloce et brute.
Avec une frontwoman en état de grâce et au sommet de son art, la confiance semble encore renforcée et les Scandinaves laissent pleinement « Visions Of Tomorrow » prendre son envol. Nerveux et massifs, ces nouveaux morceaux sont particulièrement affûtés et transmettent une sensation immédiate de familiarité, tout en restant originaux (« Far Away From Home », « Killing Machine », « Crystals », « Seen It All », « Follow You » et le morceau-titre). THE RIVEN frappe fort et marque les esprits grâce à un élan créatif décisif.
Retrouvez la chronique de « Peace And Conflict » :
Pour qui ne serait pas encore familiarisé avec CIRITH UNGOL (ça doit exister !), ce « Live At Roxy » est fait pour vous. Cultivant son côté underground, malgré une position de précurseur, le combo livre une prestation inoubliable et, à travers 20 morceaux triés sur le volet, parcourt sa carrière sans rien éluder et commençant même par son dernier opus en date… et en entier ! En attendant un septième joyau que le groupe annonce imminent, savourez donc celui-ci sans aucune modération.
CIRITH UNGOL
« Live At The Roxy »
(Metal Blade Records)
Plus de quarante ans après sa première prestation aux fameux ‘Roxy Theatre’ du Sunset Strip de Los Angeles, CIRITH UNGOL est retourné l’an dernier foulé à nouveau les planches de l’endroit qui les a presque vu naître. Car la carrière du combo de Ventura en Californie, est à l’image de son Heavy Metal : épique ! Enregistré à l’occasion de la sortie de son dernier album effort, le quintet avait offert à ses fans une soirée hollywoodienne digne de ses plus grandes heures. Et au menu de ce double-album, on retrouve l’intégralité de « Dark Parade » sur le premier disque et les classiques du groupe sur le second.
La première chose qui attire l’attention sur ce « Live At The Roxy », c’est ce son gras et robuste, tellement identifiable et véritable marque de fabrique des Américains. Sans artifice, CIRITH UNGOL se montre direct, d’une redoutable efficacité et on a surtout le sentiment d’être au cœur de ce concert, qui s’avère vite hors-norme. Très rapidement, on se prend dans ce Heavy, teinté de Doom et aux allures Power Metal (le vrai !) unique en son genre. Emporté par un Tom Baker en très grande forme, le public ne s’y trompe pas et semble savourer chaque riff et chaque embardée rythmique avec un plaisir qui s’entend clairement.
C’est devenu si rare aujourd’hui de voir un groupe interpréter l’intégralité de son nouvel album en concert qu’on se délecte de découvrir en version live le très bon « Dark Parade », sorti en 2023. Pour autant, CIRITH UNGOL n’oublie pas ses fans de la première heure et passe en revue sur le deuxième volet ses morceaux devenus de véritables hymnes pour beaucoup. De « Join The Legion » à « Atom Smasher », « I’m Alive », « Back Machine », « Chaos Descends ou « Frost And Fire », la setlist est époustouflante et vient nous rappeler à quel point les Américains sont incontournables sur la scène mondiale.
Retrouvez également la chronique de « Dark Parade » :
Avec « Harrowing Insight », les Allemands gagnent en intensité et la chanteuse Tamara Amedov montre la pleine capacité de son chant. Très ferme et jouant sur une diversité qui les guide, le quatuor trouve l’équilibre dans un nouvel opus qui confirme toutes ses aptitudes à produire un Metal Symphonique, qui se détache un peu de la scène actuelle. Les grosses guitares et la massive rythmique montre la voie sur des orchestrations qui servent parfaitement les morceaux. Un beau troisième effort.
VISIONATICA
« Harrowing Insight »
(El Puerto Records)
En une décennie, VISIONATICA s’est imposé comme le groupe incontournable de la scène Metal Symphonique allemande dans un élan qui ne cesse de croître. Le quatuor a patiemment franchi les étapes et avec « Harrowing insight », il s’impose même parmi les plus créatifs d’Europe. Sophistiqué, mais loin d’être pompeux comme c’est si souvent le cas, il laisse une impression de facilité dans un registre qui n’use pas démesurément d’artifices. Pour autant, ce troisième opus brille aussi par des arrangements subtils.
Grâce à une frontwoman qui a pris l’ascendant sur ces nouveaux morceaux à travers une prestation limpide et cristalline, où elle se montre aussi délicate que tranchante, VISIONATICA prend donc une nouvelle dimension. A noter également que c’est dorénavant Martin Kainbacher, qui officiait chez Ardent Spirits et Entera, qui est le nouveau batteur. Avec des parties orchestrales plutôt sobres et efficaces, « Harrowing Insight » affiche une puissance de feu implacable et dense, n’hésitant pas à faire également dans la nuance.
Très bien produit, l’apparition du violon libère également beaucoup de fraîcheur et de respiration au Metal Symphonique de la formation germanique (« Sympathy For The Devil »). S’engouffrant dans des sonorités orientales sur « Scheharazade », VISIONATICA fait preuve d’une belle adaptation, comme avec l’apparition d’Ambre Vourvahis de Xandria sur « Fucking Seducer ». Ici, les riffs sont racés, les solos biens sentis et les mélodies prennent le dessus en restant solides (« Psychopaths », « Paralyzed », « Flashback »). Très réussi !
En donnant (presque) autant d’importance à sa musique qu’à son image, SICK N’BEAUTIFUL est parvenu à imposer un concept très personnel, grâce aussi à une frontwoman polymorphe à la présente magnétique. Avec « Horror Vacui », les Transalpins s’essaient à une formule plus synthétique dans le son, tout en conservant une dynamique pêchue et Metal, groovy et tout en puissance. Solidement ancré dans son temps, le quintet reste toujours aussi féroce.
SICK N’BEAUTIFUL
« Horror Vacui »
(BLKIIBLK)
En un peu plus de dix ans, SICK N’BEAUTIFUL s’est fait une jolie place sur la scène Metal Alternative européenne. En mixant un Shock Rock mélodique avec un Modern Metal explosif, les Italiens se distinguent des productions actuelles et leur univers Sci-Fi livre aussi un visuel intéressant. Emmené par la captivante Herma Sick, le combo se présente avec « Horror Vacui », un quatrième album très actuel, percutant et pour le moins varié. Futuriste dans son approche, celui-ci conserve également son aspect théâtral.
Toujours aussi Heavy et ne lésinant pas sur les riffs lourds et les solos concis et efficaces, SICK N’BEAUTIFUL fait monter la pression sur ce nouvel opus en affichant un visage rageur et un rythme très soutenu. Avec une identité de plus en plus évidente, la formation romaine avance sur des titres massifs et accrocheurs, mais là où le bât blesse, c’est au niveau de la production de « Horror Vacui ». Si l’utilisation des machine est aujourd’hui omniprésente, les sonorités très ‘fête foraine’ frôlent franchement le sabordage.
Mais au-delà d’un son parfois brouillon, de bonnes compositions surnagent même si certaines références comme celles d’Alice Cooper ou de Rob Zombie se font toujours sentir (« (Human Is) Overrated », « Death Police », « My Wounds », « Hate Manifesto », « Raise The Dragon », « Haunted »). Avec une énergie brute et un groove dense, SICK N’BEAUTIFUL s’en sort bien avec quelques touches Hip-Hop et tribales plutôt bienvenues. « Horror Vacui » bouscule les genres avec beaucoup d’intensité et fait souffler un vent de fraîcheur.
En associant Metal Progressif et post-Rock, ASH TWIN PROJECT s’ouvre un vaste champ d’expérimentation et c’est ce qu’il fait sur « Tales Of A Dying Sun », sorti il y a peu chez Klonosphere. Originaire du sud-ouest, les membres du quintet ne sont pas franchement des inconnus de la scène française, et leur technique comme les structures des morceaux ne laissent pas planer le doute. Guidé par le chant aérien et puissant de sa frontwoman, le quintet montre de belles choses et nous laisse même un peu sur notre faim. Thibault Claude, batteur et producteur de ce premier album, revient sur son aspect conceptuel et les multiples inspirations à l’œuvre au sein du groupe.
– Vous avez tous une expérience conséquente dans divers groupes de Metal comme Titan, Prophetic Scourge ou Silent Opera pour ne citer qu’eux. Quelles ont été vos motivations pour créer ASH TWIN PROJECT, qui évolue dans un style différent de ce que vous faisiez auparavant ?
Romain (Larregain, guitare – NDR), Robin (Claude, guitare – NDR) et moi avons effectivement surtout des expériences dans le milieu du Metal et particulièrement du Metal extrême, mais nos goûts et nos expériences ne se cloisonnent pas à ce milieu-là. La motivation à explorer de nouvelles esthétiques est donc avant tout une question de goût. J’ai proposé aux membres du groupe des compos instrumentales mêlant beaucoup de mes influences et ça a parlé à tout le monde. L’élément du groupe le plus éloigné du Metal est le chant d’Eglantine (Dugrand, chant – NDR), mais il n’y a eu aucune volonté de s’éloigner d’un style, ou de se rapprocher d’un autre. Avoir proposé à Eglantine de rejoindre le groupe a surtout été motivé par ses capacités vocales et les émotions qu’elle(s) procure(nt).
– Vous œuvrez donc dans un Metal Progressif tirant parfois sur le post-Rock. Cela vient-il de quelque chose qui vous attire depuis longtemps déjà et que vous souhaitiez explorer, ou plus simplement du fait que ces styles commencent enfin à émerger auprès du public ?
Justement, dans Prophetic Scourge, le côté Prog est pleinement assumé, c’est quelque chose qui nous parle énormément depuis toujours. On a toujours eu cet attrait pour le langage complexe de la musique : jouer avec les rythmes et les harmonies, explorer des structures progressives etc… sans perdre de vue le côté émotionnel. Là où dans les autres projets, on explore ça avec brutalité et technicité, on utilise ici un medium moins hargneux, plus axé sur le travail de l’ambiance et du relief. Le propos ne change pas, selon nous, mais il est effectivement moins cryptique ici.
– Par ailleurs, « Tales Of A Dying Sun » se montre solide au niveau du son et c’est d’ailleurs toi, Thibault, qui l’a produit. C’est quelque chose que vous teniez à gérer vous-mêmes ? Maîtriser ce premier album de A à Z ?
Oui, c’est un peu comme si la composition de cet album s’était terminée à la fin du mastering. Bon, j’exagère peut-être un peu, mais oui, la recherche du son a fait partie du processus de maquettage, puis d’enregistrement et enfin du mixage. Au-delà de ça, durant l’enregistrement, nous n’étions pas encore au courant que nous allions sortir l’album chez Klonosphere. Nous n’avions pas non plus de plan à suivre du genre ‘on va enregistrer à tel studio, puis on va faire appel à un tel pour le mixage, histoire qu’on ait un son monstrueux’. J’ai fait au mieux en fonction de mes connaissances et compétences sur le mixage (dans la continuité du travail de composition et de maquettage) et quand on a envoyé les morceaux finis à Klonosphere, ça leur a plu en l’état !
– Bien que votre musique soit très organique, vous tirez votre inspiration du jeu vidéo ‘Outer Wilds’ et donc d’un univers entièrement numérique. Comment y êtes-vous venus et est-ce un intérêt que vous partagez tous les cinq ?
Temporellement, j’ai décidé de m’inspirer de ce jeu environ dans le dernier quart de la composition de l’album. Outer Wilds m’avait profondément marqué quelques temps plus tôt et je voulais lui rendre hommage. En plus de l’aspect hommage, ce jeu est pour moi un bon exemple de ma vision de l’art et de ce que je souhaite transmettre via la musique, le lien s’est fait sur ça aussi, la dualité complexité/simplicité. Outer Wilds maîtrise selon moi l’équilibre parfait entre délire métaphysique, philosophie, soif de compréhension de l’inconnu d’une part, et émotion brute et viscérale d’autre part. En ce qui concerne les autres membres du groupe, Eglantine y a joué aussi, les autres non. Mais comme je disais plus haut, c’est le médium qui change (on n’est pas tous des joueurs fréquents), le propos tenu et les thématiques abordées nous passionnent tous les cinq.
– Quand on s’inspire d’un jeu vidéo, est-ce la recherche d’atmosphères particulières qui motive pour donner une cohérence à l’album, comme c’est le cas sur « Tales Of A Dying Sun » ?
Pas consciemment en tout cas. C’est vrai que le travail sur l’ambiance aide à ce qu’il y ait une cohérence sur tout l’album, mais pas sûr que ça ait un lien avec le fait que ça soit inspiré d’un jeu.
– Toujours à propos d’‘Outer Wilds’, le jeu tourne autour d’une boucle temporelle de 22 minutes précisément, et qui se réinitialise. C’est aussi un thème que l’on retrouve dans vos textes. Est-ce là le point de départ de l’aventure et du concept du groupe ? Et d’ailleurs, avez-vous envoyé votre album aux concepteurs du jeu ?
Non, on n’a pas envoyé l’album aux concepteurs, mais merci de le rappeler, il faut qu’on le fasse ! Alors, le point de départ est moins romanesque qu’une boucle temporelle. C’est le récital d’un examen pour que j’aie mon diplôme d’état de professeur de musique. Mais, oui, la notion de cycle est un des thèmes que l’on aborde et qu’on trouve intéressant, que ça soit pour s’intéresser à des choses abstraites (reproduction de schémas de pensée, ou de choix politiques) ou très concrètes (dynamique des astres et leur impact sur nos vies et croyances), voire les deux en même temps (liens entre la vie et la mort).
– ASH TWIN PROJECT présente des morceaux assez complexes dans leurs structures. Tout d’abord, sur quelles bases instrumentales partez-vous et est-ce que la technicité en elle-même peut aussi devenir une source d’inspiration ?
Sur cet album, la composition découlait d’une base instrumentale, car il n’y avait à l’époque simplement pas de chant. Ça pouvait venir d’une idée ou d’un exercice justement ! Par exemple, l’intro d’« Isolation » est un exercice de polyrythmie que j’avais trouvé sur internet. Arès l’avoir bossé derrière la batterie, je l’ai maquetté en jouant une basse qui suivait le rythme en 7 de la grosse caisse/caisse claire, et une guitare qui reproduisait le rythme en 5 du charley. Un exercice, ou quelque chose, qui nous attire l’oreille n’importe où peut devenir une source d’inspiration. Il s’agit ensuite de se l’approprier correctement. Dans « Isolation », cette idée a été vraiment reprise telle quelle sur la batterie, mais orchestrée différemment en faisant intervenir d’autre instruments. Et ça a inspiré la suite du morceau, où les rôles changent dans qui joue quel rythme (que ce soit les instruments ou les différents éléments de la batterie). En tout cas, la composition a été instrumentale, mais on espère pouvoir composer certains morceaux autour du chant maintenant, c’est une approche différente, mais qui permettrait à Eglantine d’apporter encore plus à l’esthétique du projet.
– Parallèlement à des aspects très Prog, post-Rock et parfois même Noise, ASH TWIN PROJECT reste très Metal au point même que vous accueillez le vocaliste Nicolas Lougnon pour quelques growls. En quoi est-ce pertinent compte tenu du talent de votre chanteuse Eglantine ? Est-ce devenu un passage obligé aujourd’hui, car les exemples se multiplient ?
Si on s’est senti obligés, ce n’est pas pour coller à une demande éventuelle des auditeurs, mais par goût personnel ! Certains riffs plus lourds, ou rapides, étaient propices à du chant saturé. Et comme on aime ça, cela aurait été dommage de s’en priver !
– Justement, il y a une direction artistique assez claire sur l’album. Le songwriting est efficace et la teneur des textes aussi. Malgré un univers dont on a déjà parlé, vos morceaux s’inscrivent dans une réalité authentique. De quelle manière faites-vous l’équilibre et le pont entre ce qui reste du domaine de l’imaginaire et un aspect plus concret ?
Finalement, le pont entre l’imaginaire et le réel se fait naturellement, parce que les deux sont liés. Il peut y avoir de l’abstrait et de la poésie dans n’importe quel objet concret, puisque cela réside dans l’œil de celui qui l’observe. On ne réfléchit pas toujours consciemment à cet équilibre, mais c’est vrai qu’il est présent. Disons que l’imaginaire est une porte d’entrée, une manière d’aborder certains thèmes tangibles avec plus de recul, et ça permet de laisser à chacun la possibilité de se les approprier à sa manière.
– Enfin, avec ses cinq titres, « Tales Of A Dying Sun » pourrait faire penser à un EP, mais sa durée se rapproche de celle d’un album. Avez-vous hésité entre les deux formats, car vous auriez aussi pu le compléter ?
À l’origine, on pensait sortir un EP autoproduit. Mais au fil du temps, une vraie thématique s’est imposée, avec une intention plus conceptuelle. Et ça, c’est typiquement ce qu’on associe à un album : un ensemble cohérent à écouter dans sa globalité. Aujourd’hui, le format album n’est plus forcément la norme, mais c’est celui qui nous semblait le plus adapté à ce qu’on voulait exprimer. Et puis, l’intérêt que nous a porté Klonosphere a aussi joué un rôle dans cette direction, bien sûr !
Le premier album d’ASH TWIN PROJECT, « Tales Of A Dying Sun », est disponible chez Klonosphere/Season Of Mist.
Décidemment, il semblerait que tout le monde se tourne vers la scène du Sud et peu importe le style. Certes, dans le Blues, il paraît assez normal et évident d’aller vers des origines avérées. Quand les musiciens issus du milieu du Metal, et pas des plus tranquilles, s’y mettent, on y regarde tout de même à deux fois… et en scrutant le pédigrée de l’aventurier. MARK MORTON, six-cordiste en chef de Lamb Of God, fait mieux de s’immiscer dans un genre pourtant loin de ses (bonnes) habitudes. Grâce à un jeu brut et direct, son côté roots fait même de son album une belle surprise. « Without the Pain » est un disque bien exécuté et convaincant.
MARK MORTON
« Without The Pain »
(Independant)
Tout d’abord, je tiens à rassurer les fans de Lamb Of God et ceux de Country Music aussi car, contrairement à ce que j’ai pu lire dans un très, très fameux magazine rocailleux français, MARK MORTON n’a pas sorti d’album de Country. Enfin, pas encore à ce jour, il me semble… Donc, histoire de rectifier un peu le tir hasardeux plein de graviers de notre belle presse nationale, le guitariste et chanteur s’est essayé (et plutôt bien !) au Rock Sudiste, c’est-à-dire au Southern Rock pour être le plus politiquement correct possible. Désolé, mais comme je sais que l’heure est aux fake news, je tenais à apporter quelques précisions. Direction donc le Sud des Etats-Unis avec ce « Without The Pain » de très bonne facture.
Alors, c’est vrai que notre tendre métalleux s’est fait plaisir en invitant quelques jolis noms plutôt associés au genre, comme le leader de Cadillac Tree, Jaren Ray Johnston, la chanteuse Country Nikki Lane, le rugueux Texan Matt James des Blacktop Mojo, le jeune Travis Denning de Georgie, ainsi que Charlie Starr et Jason Isbell de Blackberry Smoke, le très Outlaw Cody Jinkx, la jeune et talentueuse guitariste Grace Browers déjà chroniqué ici, ‘Mr Larkin Poe’ Tyler Bryant, le frontman de Clutch, Neil Fallon, le guitariste de Blues Rock Jared James Nichols et enfin le bassiste et chanteur de Mastodon Troy, Jayson Sanders… Il manque donc Dolly Parton à cette grand-messe de la Country orchestrée par MARK MORTON !
Assez éloigné donc des Miranda Lambert, Lainey Wilson et autres Carrie Underwood, on est plutôt ici dans les pas du Pride & Glory de Zakk Wylde, voire plus récemment de Cory Marks. Ne nous y trompons pas, le musicien originaire de Virginie, a mis le cap au Sud en sortant les muscles, et on n’en attendait pas moins de lui. Il prend à bras le corps le Southern Rock avec l’héritage très Metal qu’on lui connaît. Et ça sonne ! Les riffs épais et tranchants, un songwriting aux petits oignons et des solos de grande classe font de ce deuxième effort en solo de MARK MORTON un moment bien pensé et agréable. Proche des standards du genre, il lui manque cependant encore un peu d’identité franchement Southern. Propre et soutenu.
Groupe phare et emblématique de la scène Metal Symphonique mondiale, EPICA signe un neuvième album aussi nerveux qu’accrocheur, enveloppé d’arrangements grandioses et porté par la voix cristalline de Simone Simons. Audacieux et racés, les Hollandais ont cette fois modifié leur façon de composer. « Aspiral » se montre même peut-être plus accessible dans ses mélodies que ses prédécesseurs, tout en restant résolument Metal et même assez complexe. Inspiré et ascensionnel, il est ici question de cycles, de destruction et de renaissance. Lumineux et puissant, le sextet signe un retour éclatant. A la veille de sa sortie, la frontwoman revient sur la conception de ce nouvel opus, ainsi que sur son expérience en solo et les gigantesques concerts donnés en 2023 avec chœurs et orchestre. Entretien.
– Vous avez commencé à travailler sur « Aspiral » il y a plus d’un an avec un planning très établi. Et il en est ressorti beaucoup de chansons. Tout d’abord, comment le choix définitif des morceaux s’est-il effectué, et avez-vous cherché un lien entre eux, sans pour autant réaliser un album-concept ?
Oui, en fait, les chansons ont toujours besoin de temps pour évoluer et certaines nécessitent aussi plus de travail que d’autres. Mais une fois que ce processus est fait, nous les écoutons toutes ensemble et c’est à ce moment-là que nous choisissons les meilleures pour l’album. Après, on fait chacun une liste de nos titres préférés. Il faut trouver le juste équilibre pour l’album et ensuite chacun vote ! C’est un groupe très démocratique ! (Rires) C’est tout simplement comme ça qu’on définit la sélection définitive pour le CD. En ce qui concerne les paroles des chansons, elles sont finalement toutes assez connectées entre-elles, c’est vrai. Donc, l’ordre sur l’album n’a pas vraiment d’importance, en fait, en tout cas pas dans ce sens-là.
– J’aimerais qu’on parle des morceaux « A New Age Drawns », dont on découvre ici les parties sept, huit et neuf. Où en êtes-vous de cette saga et avez-vous l’intention de la prolonger encore ?
Non, la saga s’arrête ici avec les trois dernières parties. Et puis, c’est aussi notre neuvième album, donc… Il s’agit sur « Aspiral » d’un changement dans la conscience de toute l’humanité. Nous devons nous réveiller et réagir à ce chaos dans lequel nous vivons. Nous devons nous concentrer sur la communauté et faire les choses ensemble, en arrêtant de ne penser qu’à nous-mêmes. Et tout cela vient donc acter la fin de la saga sur ce disque.
– D’ailleurs, est-ce que la composition de ces morceaux a quelque chose de particulier pour vous ? Et est-ce que, finalement, « A New Age Drawns » n’est pas un peu la colonne vertébrale d’EPICA depuis ses débuts ?
En fait, les paroles sont écrites par Marc (Jansen, guitare et voix – NDR), ainsi que la musique. Et oui, tout a commencé il y a de nombreuses années aux tous débuts d’EPICA en 2005. C’est lui qui a probablement la connexion la plus forte avec cette saga. Et si l’on revient sur le dernier album avec les trois dernières parties, ma préférée est sans doute « The Grand Saga Of Existence », je l’adore !
– Vous avez sorti « Omega » il y a quatre ans, puis « The Alchemy Project » l’année suivante pour célébrer vos 20 ans, un disque accompagné de nombreux guests. Vous aviez ressenti le besoin d’explorer d’autres styles et de vous détachez un peu d’EPICA le temps d’un EP ?
Oui, « The Alchemy Project » a été pour nous un bon moyen d’expérimenter beaucoup de choses et également de travailler avec de nombreux artistes venus d’horizons différents. En effet, je n’avais pas eu, d’une certaine manière, le sentiment d’avoir de limite au niveau du chant par rapport au style propre à EPICA. Cela a aussi été très inspirant pour nous, d’autant que le retour des fans a été très bon. On a senti qu’on pouvait aller vers de nouvelles choses, sans trop penser à notre style précisément. L’idée était juste d’écrire des chansons, d’expérimenter autant que nous le souhaitions et de nous amuser surtout. Et c’est exactement ce que nous avions fait ! (Sourires)
– Et l’an dernier, tu as sorti « Vermillion », ton premier album solo. Tu as travaillé avec Arjen Lucassen d’Ayreon sur des morceaux plus progressifs et électroniques. C’est un projet que tu nourrissais depuis longtemps ? Quel était l’objectif premier ? C’était avant tout pour te faire plaisir, même si ton emploi du temps est déjà très chargé ?
Oui, j’avais l’idée d’un album solo depuis de nombreuses années, mais je n’avais jamais le temps de m’y consacrer. Il y a un bon moment maintenant, j’avais déjà contacté Arjen en lui demandant s’il serait intéressé. Il m’avait répondu positivement, mais il n’avait pas le temps ! (Rires) Ce n’est finalement qu’au début 2023 que nous avons commencé à travailler sur « Vermillion ». Bien sûr, je désirais avoir mon album solo pour moi-même et faire également quelque chose en dehors d’EPICA. J’ai toujours travaillé avec d’autres artistes, bien sûr, j’ai fait de nombreuses collaborations, mais je n’avais jamais réalisé un album entier seule. Et puis, j’ai toujours adoré la musique d’Ayreon et je me suis dit qu’il serait le meilleur pour le réaliser avec moi.
– Parallèlement, vous aviez donné deux concerts exceptionnels à Amsterdam et Mexico, « The Symphonic Synergy », qui sortira d’ailleurs sur l’édition limitée d’« Aspiral ». C’est toujours un grand moment pour vous de vous produire avec un tel orchestre et une chorale complète ?
Oh oui, c’est un rêve qui devient réalité ! C’est la meilleure manière pour nous de créer de la magie. Cela correspond vraiment à notre musique, mais c’est impossible de faire de tels concerts à chaque fois, car cela implique énormément de gens. Je suis très fière de « The Symphonic Synergy », car nous avons travaillé dur et ce fut deux concerts magiques. Je suis aussi heureuse qu’il soit disponible en Blue-Ray pour que tout le monde puisse l’apprécier. C’est vraiment un sommet dans notre carrière. Ce sont bien sûr des concerts qu’on aimerait faire plus souvent, mais c’est une énorme organisation pour créer de tels shows. Il y a eu au total 150 personnes, hors et sur scène, à travailler sur ce projet. C’était fou ! (Rires)
– Est-ce que cela reste un objectif important pour un groupe de votre style de pouvoir jouer avec un orchestre symphonique, afin de donner toute sa dimension et son relief à votre musique ?
Oui, c’est exactement ça. On aimerait en faire plus souvent, bien sûr. En 2027, EPICA célèbrera ses 25 ans et nous sommes déjà en train de réfléchir à ce que nous pourrions faire sur scène et offrir à nos fans. Jusqu’à présent, nous avons toujours célébré nos anniversaires avec le groupe, des chœurs et un orchestre. Cette fois, nous regardons les possibilités pour voir ce que nous pourrions produire dans le futur. J’aimerais beaucoup partir en tournée avec un orchestre mais, financièrement, cela coûte vraiment très cher de créer un tel spectacle ! C’est énorme ! (Rires)
L’album d’EPICA, « Aspiral », est disponible chez Nuclear Blast Records.
Photos : Tim Tronckoe
Retrouvez aussi la chronique de l’album « We Still Take You With Us – The Early Years » et celle de l’album solo de Simone Simons, « Vermillion » :