La sensation qui émane de cette nouvelle réalisation des Britanniques a quelque chose de surnaturelle, tant elle devient de plus en plus immersive au fil des chansons. Avec « Land Of The Blind », DUNES s’ouvre de nouveaux horizons sur les fondations d’un Stoner Rock audacieux qui mêlent habillement un regard très actuel sur notre société et une vision artistique assurée, portée par un travail acharné sur des compositions rayonnantes. L’approche est solide et originale à bien des égards et elle fait définitivement entrer les Novocastriens dans la cour des grands.
DUNES
« Land Of The Blind »
(Ripple Music)
Face à la Mer du Nord, à Newcastle, DUNES voit le désert. Du moins, c’est ce que laisse penser son Stoner Rock emprunt d’une saveur très 90’s et de brûlantes vibrations. Le trio annonce ainsi son arrivée chez Ripple Music de belle manière avec « Land Of The Blind », son troisième opus, qui marque lui aussi un virage dans son approche. Après « Take Me To The Nasties » (2019) et « Gargoyle » (2022) sortis tous les deux chez Sapien Records, le power trio se fait plus explosif que jamais et le Fuzz à l’œuvre ici est pour le moins dévastateur et massif.
A mi-chemin entre des sonorités américaines façon Clutch et d’autres plus européennes comme Dozer, DUNES trouve sa voie et malgré un propos assez sombre dans les textes, l’ensemble se veut plutôt optimiste. Musicalement en tout cas, les Anglais se montrent très créatifs et « Land Of The Blind » affiche aussi une très bonne production. On la doit d’ailleurs au batteur du groupe, Nikky Watson, qui a su mieux que personne saisir l’essence des morceaux, enregistrés à l’extrême nord du pays aux Old Church Studios de Thropton avec Adam Foster.
Cette traversée existentielle est d’une densité intense. Dès la longue intro de « Cactus », DUNES nous immerge dans un univers assez feutré, mais torturé à l’image des paroles et de cette rythmique très dronique. L’épaisseur des riffs et l’ampleur de la basse rendent les titres très massifs avec également beaucoup d’explosivité et de profondeur, à l’instar de la magistrale intervention de Nick Carter (ex-Crane) sur « Northern Scar » et de Ryan Garney de High Desert Queen sur « Voodoo ». Une grande classe et un impact marquant.
Soufflant le chaud et le froid sur des morceaux très homogènes, MOON WIZARD présente un Stoner Metal varié, tout en maîtrise, à travers lequel cohabitent des atmosphères Doom, Heavy et même Hard Rock avec une épaisseur enveloppante. Mélodique et massif, « Sirens » impose des refrains entêtants portés par une frontwoman, qui se balade entre Metal et Rock sur des rythmes soutenus et languissants. Une réussite qui montre la vitalité de l’underground yankee.
MOON WIZARD
« Sirens »
(Hammerheart Records)
Troisième album pour Ashton Nelson (batterie), Aaron Brancheau (guitare) et Joseph Fiel (basse, chant) et le deuxième pour Sami Wolf (chant) qui a rejoint les trois amis d’enfance sur « The Night Harvest » sorti en 2020. Depuis cinq ans maintenant, MOON WIZARD peaufine son Stoner Doom Metal du côté de Salt Lake City, Utah, et « Sirens » est un bel aboutissement de ces dernières années de travail. Et cette présence féminine au chant a également ouvert un plus large champ d’action au quatuor.
Issus de la scène Black et Death, les trois musiciens de la formation originelle ont gardé un côté obscur dans leur Stoner et si le Doom domine les débats, les influences Heavy Metal sont très présentes et offrent à MOON WIZARD un aspect très mélodique. Et c’est aussi la voix de sa chanteuse qui distingue le combo avec originalité. On est loin d’un registre plombant et écrasant. Le groupe se veut plutôt accessible et se montre très accrocheur en s’inscrivant dans les pas très sabbathiens et classiques de leurs aînés.
Sur une production soignée, plus solide qu’agressive, MOON WIZARD évite aussi les écueils grâce à une paire basse/batterie en osmose et un guitariste inspiré et efficace qui donne sa ligne directrice à « Sirens ». Avec une mixité vocale utilisée à bon escient, l’ensemble gagne en profondeur et devient vite addictif (« Luminare », « Dessert Procession », « Magnolia », « Sunday », « Epoch »). Avec ce nouvel opus, les Américains franchissent un cap et livrent un disque mature et créatif. Bien structurés, les titres présentent un volume intéressant.
Jouer sur l’imaginaire à travers un Stoner Metal instrumental n’est pas forcément le plus évident des exercices. Pourtant, l’univers des Genevois s’y prête et l’interprétation souvent chimérique sur le bien-nommé « Creatures » ne met pas bien longtemps à agir. On visualise sans mal les bêtes sauvages comme l’irlandais Dobhar-chú, le terrifiant islandais Vatnagedda, l’étonnante et aquatique japonaise Ningen ou encore notre bête de Gévaudan nationale. Un effrayant tableau brillamment mis en musique par SIX MONTHS OF SUN.
SIX MONTHS OF SUN
« Creatures »
(Cold Smoke Records/Urgence Disk)
On peut compter sur les doigts d’une main les groupes qui, tout en se faisant rares, parviennent à surgir avec une réalisation encore meilleure que la précédente. C’est le cas de SIX MONTHS OF SUN qui se présente avec « Creatures », son troisième album en l’espace de 15 ans et il permet enfin de mieux cerner les contours du Stoner Metal du power trio. Depuis leurs débuts, Christophe Grasset (guitare), Cyril Chal (basse, synthés) et Daniel Stettler (batterie) ont bâti un registre solide et personnel dans des sphères instrumentales saisissantes, qui laissent place à l’imagination.
L’aventure a débuté en 2013 avec « And Water Flows », puis « Below The Eternal Sky » en 2018 et « Creatures » vient apporter beaucoup de certitudes sur les intentions musicales des Suisses et les contours de leur Stoner Metal se font donc plus précis. Grâce à une vision claire de son jeu, SIX MONTHS OF SUN se montre même assez étonnant. Sans voix, ce nouvel opus est pourtant très narratif dans son déroulé et on le doit sans doute à cet aspect conceptuel développé tout au long des neuf titres et à une production massive et peu commune.
Certes, le combo libère un Stoner épais et aux textures multiples, appuyées par des notes de synthétiseurs discrètes, mais enveloppantes. Mais le travail sur les riffs est assez phénoménal, tout comme les parties de basse rugueuses et c’est la batterie qui vient vraiment distinguer SIX MONTHS OF SUN de la scène du même genre. Loin des rythmiques sourdes et pachydermiques à l’œuvre d’habitude, l’approche est clairement Metal, musclée et véloce. On se laisse littéralement embarquer dans cette odyssée aux atmosphères presqu’oniriques (« Zaratan », « Gevaudan », « Jersey Devil », « Dahu »).
Si JAX HOLLOW a basé sa réputation grâce à des concerts enflammés et un Blues Rock pied au plancher, la songwriter originaire du Massachussetts a de très nombreuses cordes à son arc. Avec « Come Up Kid », celle qui vit désormais dans la ‘Music City’ du Tennessee, n’a pas mis longtemps à en saisir des codes artistiques aussi riches que nombreux, et nourrit désormais son registre de saveurs Americana, Country et Folk. Porté par une production somptueuse et très organique, elle détonne dans un paysage où elle vient apporter de la fraîcheur et une véritable bouffée d’air frais sur des sonorités Indie et très libres.
JAX HOLLOW
« Come Up Kid »
(Independent)
Elle l’avait révélé il y a quelques semaines ici même, ce nouvel opus serait plus intime, plus personnel et sa direction ne serait peut-être pas non plus celle que l’on attend de la flamboyante guitariste-chanteuse. Il faut reconnaître que de ce côté-là, la surprise est belle et elle est de taille. Car si « Come Up Kid » s’ouvre sur « Changing Suits », suivi de « Easy Or Harder ? », deux morceaux plein d’allant, c’est un aspect plus délicat et aux teintes acoustiques plus présentes que nous présente JAX HOLLOW. Et la jeune Américaine semble aussi plus imprégnée de ce que peut apporter Nashville en termes de couleurs musicales.
Dès « Keeping My hands Busy », c’est cette fibre qui ressort, tout comme sur le single « Don’t Call Me Baby » et ensuite « Fallout » et son violon. La musicienne avait présenté son nouvel effort comme étant une sorte de biographie de ses deux dernières années, faites de hauts et de bas. Et c’est vrai qu’en cela, son Americana se prête beaucoup plus à la narration, ce qui ne l’empêche pas d’assurer de belles envolées guitaristiques, passant de l’acoustique à l’électrique avec la même dextérité. Sorte de catharsis, « Come Up Kid » apparaît presque comme une libération pour JAX HOLLOW qui resplendit littéralement au chant.
Accompagnée par un groupe irréprochable et d’un feeling irrésistible, c’est sans doute la première fois aussi que la voix de la chanteuse prend une telle dimension. Capable d’une extrême sensibilité comme d’une puissance claire (« Corner Store Jay’s », « Blazing Glory », « Stone Cold Sober »), elle se balade d’un style à l’autre, d’une ambiance à une autre en jouant sur les émotions avec beaucoup de sincérité, comme sur la poignante chanson-titre ou la très country « Birds On A Wire ». Enfin, JAX HOLLOW clôt ce très bon disque avec le touchant « Sycamore St » pour un final de toute beauté en guitare et piano. Rayonnante !
Retrouvez son interview accordée au site il y a quelques semaines :
L’an dernier, les thrashers rhodaniens avaient mis fin au suspense en actant la venue d’un nouveau cogneur derrière les fûts, même si c’est l’ancien qui officie ici, et surtout la sortie imminente d’une troisième réalisation qui se sera faite attendre… dix longues années précisément. Avec « Age Of Revelation », le quintet vient remettre les pendules à l’heure et confirme qu’il n’a pas grand-chose à envier au reste de la scène européenne. Loin de là ! Très contemporain dans l’approche, DEADLYSINS surfe sur un groove hérité des pionniers du genre et cette touche vintage leur confère une solide posture.
DEADLYSINS
« Age Of Revelation »
(Adipocere Records)
Avec trois albums en 24 ans, on peut dire que DEADLYSINS avance à un train de sénateur. Sauf que lorsque le sénateur se met en marche, le coup d’accélérateur est assez fulgurant. « Age Of Revelation » reprend les choses là où elles en étaient il y a dix ans sur « Anticlockwise » en y ajoutant beaucoup de percussion, ce qui devrait se faire d’ailleurs sentir bientôt sur scène avec le nouveau batteur. Moderne tout en respectant les codes d’un Thrash Metal originel, le combo lyonnais prend ici une nouvelle dimension.
Et cela commence par la production nettement plus massive et puissante. Cela dit, si DEADLYSINS s’est offert un son très actuel, du côté des compositions, c’est plutôt vers le registre Old School qu’il faut lorgner. Comme depuis ses débuts, il fait la jonction entre la scène allemande pour son côté rigoureux et des structures en béton armé, et l’aspect plus fun et débridé américain de la Bay Area avec un zeste de Municipal Waste. On a donc tous les ingrédients d’un Thrash authentique et fédérateur.
Dès l’entame, sur « Reckoning Of The Unholy (Ecclesiasdick) », les deux Laurent aux guitares enchaînent les riffs acérés et promettent une suite qu’on devine savoureuse. Emmené par une rythmique galopante et martelant comme un seul homme, DEADLYSINS montre un visage qui ne trompe pas : les Français sont là pour en découdre et les assauts de leur frontman ne faiblissent pas (« Personal Disaster », « Ashes To Ashes », « Heart Drowned In Sulfur », « Covid 666 »). Une décennie de patience qui vole en éclat avec la manière et la rage !
Brut et authentique, le Blues que parcourt SHOTGUN SAWYER a beau emprunter les mêmes chemins que la scène plus ‘traditionnelle’, le poids et la lourdeur de sa rythmique notamment, mais aussi de la guitare, viendront heurter, puis assommer les amateurs de l’aspect léger et délicat du genre. Ici, C’est tout de même le Stoner Rock qui domine l’ambiance bluesy et Rock’n’Roll de ce « Shotgun Sawyer » immersif. Entre des lignes de basse bien grasses et une batterie très appuyée, ça frappe et cogne sans retenue… et ça fait du bien !
SHOTGUN SAWYER
« Shotgun Sawyer »
(Ripple Music)
Depuis 2016, SHOTGUN SAWYER livre sa vision du Blues depuis la petite ville d’Auburn en Californie et son premier effort, « Thunderchief », avait d’ailleurs tapé dans l’œil de Ripple Music, qui s’était empressé de le signer. Trois ans plus tard, « Bury The Hatchet » est venu confirmer l’assise et l’originalité du combo. Car si le trio évolue bel et bien dans un registre proche d’un Blues hyper-roots, c’est aussi du côté Stoner qu’il s’illustre tant les riffs épais et fuzz sont légions et traversent des compositions inspirées du Classic et même du Hard Rock.
Par la suite et comme pour beaucoup de groupes, le Covid a mis un coup d’arrêt aux activités de SHOTGUN SAWYER, menant même à une brouille entre le chanteur/guitariste Dylan Jarman et son ami et batteur David Lee. Celui-ci a d’ailleurs mis les voiles et c’est Cody Tardell de Slow Season qui est derrière les fûts depuis ce début d’année. Le power trio est donc de retour avec un troisième opus éponyme, très révélateur de son identité artistique. « Shotgun Sawyer » est toujours aussi rugueux, bluesy et terriblement Rock.
Finalement, ces cinq ans ont peut-être été bénéfiques aux Américains, dont les morceaux n’ont jamais été aussi élaborés et l’émotion aussi présente. En faisant aussi appel à quelques invités à l’harmonica et aux claviers, SHOTGUN SAWYER élargit son spectre musical et le travail de Patrick Hills des Earth Tone Studios à Sacramento y est pour beaucoup. La production est ample, généreuse et organique (« Cock N’ Bulls », « The Sky is Crying », « Tired », « Isildur’s Bane », « Master Nasty », « Hopeless »). Imposant !
Depuis qu’elle mène sa carrière comme bon lui semble, l’artiste helvète va de surprise en surprise. Ayant délaissé le Metal pour un Rock plus mélodique, mais efficace et dynamique, SERAINA TELLI peaufine et approfondi son style. Avec « Black’n’White Sessions », ce sont d’autres nuances de ses deux productions, « Simple Talk » et « Addicted To Color », qu’elle parcourt plus sobrement, mais avec beaucoup de sincérité. Produit avec Rico Horber, ce double-album, où les invités se succèdent, est peut-être le plus abouti depuis ses débuts en solo.
SERAINA TELLI
« Black’n’White Sessions »
(Metalville Records)
Cinq ans plus tard, on en aurait presqu’oublié que SERAINA TELLI fut la frontwoman de Burning Witches, tant elle a réussi à imposer un style très personnel dans un registre plus Rock, mais toujours aussi solide. Resplendissante sur « Addicted To Color » l’année dernière, elle réapparait cette fois avec un troisième album assez spécial et très acoustique où l’on découvre une autre facette de la chanteuse et guitariste. En effet, elle a décidé d’offrir des versions épurées, et pleines d’énergie, de ses chansons.
« Black’n’White Sessions » est constitué des meilleurs morceaux de ses deux premières réalisations, 15 titres au total auxquels SERAINA TELLI a réservé un traitement plus intime. Et la Suissesse ne donne pas pour autant dans une ambiance feu-de-camp. S’accompagnant à la guitare et au piano avec quelques percussions sur certains titres, elle se montre d’une puissance étonnante et confirme, pour ceux qui en douteraient encore, qu’elle est une grande chanteuse. Et le deuxième CD en est d’ailleurs la preuve éclatante.
Car la seconde partie de « Black’n’White Sessions » présente plusieurs duos de haut vol, l’occasion à nouveau pour la multi-instrumentiste de laisser parler sa puissance vocale. Captivante avec Clementine Delaunay de Visions Of Atlantis, Anna Murphy (ex-Eluveitie, Cellar Darling) ou Lee Aaron, SERAINA TELLI joue aussi sur les contrastes avec Chris Boltendahl de Grave Digger, Britta Görtz et John Diva notamment. Très polyvalente, elle s’impose avec force et passion. Un très beau et très positif double-album.
Comme toujours, la vie rayonne de gaieté sur ce nouvel opus de ROSALIE CUNNINGHAM. Avec « To Shoot Another Day », la Britannique nous plonge dans les 70’s avec une joie omniprésente. Très riche musicalement et d’une énergie contagieuse, ses chansons ont ce point commun de toutes évoluer dans une ambiance très psychédélique, progressive aussi, avec une liberté éclatante et sans se soucier vraiment d’une certaine nostalgie palpable, mais dont elle joue d’ailleurs avec malice et une désinvolture très élégante.
ROSALIE CUNNINGHAM
« To Shoot Another Day »
(Esoteric Recordings)
Décidemment, depuis le split de son groupe Purson en 2016, celle qui a aussi joué avec Jack White, vit un début de carrière en solo épanouissant. Après un premier album en 2019 suivi de l’excellent « Two Piece Puzzle » (2022), ROSALIE CUNNINGHAM a même sorti le très bon « Live At Capela » dans la foulée et nous revient aujourd’hui avec son troisième effort studio. Une fois encore, la jeune Anglaise se montre aussi surprenante que talentueuse et l’audace musicale dont elle fait preuve est juste incroyable.
La chanteuse, multi-instrumentiste et compositrice fait preuve d’une créativité débordante et « To Shoot Another Day » nous ballade dans des contrées Psych entre Rock, Soul, Funk et Blues avec une saveur vintage aussi délicate qu’authentique. Comme d’habitude, ROSALIE CUNNINGHAM s’est occupée de tout dans son home-studio avec la complicité de son guitariste et compagnon Rosco Wilson, qui a co-écrit quatre morceaux et participé au mix. Et les ambiances sont variées et chaleureuses pour devenir vite addictives.
Cela n’aura échappé à personne, le titre de cette nouvelle réalisation est un clin d’œil au légendaire James Bond, dont le thème de « Die Another Day » est repris dès le premier titre éponyme. Et l’atmosphère très cinématographique que l’on retrouve aussi sur la pochette se propage sur l’ensemble du disque à travers des chansons très soignées, pleines de paillettes sonores scintillantes et parfois dramatiques. Vocalement, ROSALIE CUNNINGHAM fait une véritable démonstration alternant fougue et douceur avec beaucoup de sensibilité.
Italienne et insulaire, EVA CARBONI n’avait, a priori, pas de prédisposition naturelle pour le Blues. Et pourtant, depuis quelques disques maintenant, elle a parfaitement réussi à imposer sa voix, mais aussi un registre qui parcourt sans retenue, et va même parfois au-delà, l’univers des notes bleues. Ce mois-ci est sorti « Blues Siren », un troisième album qui, comme son nom l’indique, est captivant à plus d’un titre et il est même difficile de s’en défaire facilement. Aujourd’hui installée à Londres, la chanteuse multi-culturelle continue de façonner un chant expressif et sincère entourée d’une équipe de haut-vol. L’occasion de revenir avec elle sur son parcours et également sa vision de la musique, de ce qu’elle apporte et aussi ses intentions pour l’avenir.
– Avant de parler de ce nouvel album, « Blues Siren », j’aimerais que l’on revienne sur ton parcours. Tu es née en Sardaigne, qui n’est pas véritablement une terre de Blues. De quelle manière l’as-tu découvert et surtout comment est venue cette envie de le chanter ?
Tout d’abord, je tiens à te dire que mon père est né et a grandi en France. Alors autrefois, je parlais très bien le français. Mais aujourd’hui, je suis très rouillée ! (Sourires) Il chantait beaucoup quand il était jeune, même s’il s’est ensuite consacré à autre chose. Mais enfant, il me faisait chanter des chansons de Gilbert Bécaud et d’Edith Piaf, assise sur la table de la cuisine pendant qu’il faisait la vaisselle. Dans notre maison, on écoutait toujours beaucoup de bonne musique et dans des styles très différents… C’est comme ça que j’ai découvert Janis Joplin. J’ai alors été frappée par la foudre, alors que je n’avais seulement que 11 ou 12 ans.
– Par la suite, tu es partie pour Los Angeles où tu as obtenu ton diplôme de chant à la prestigieuse ‘Vocal Power Academy’ avec la très réputée Elisabeth Howard. En quoi cette école a-t-elle un passage obligé et est-ce là que tu as véritablement trouvé ‘ta voix’ ?
Oui, la ‘Vocal Power Academy’ est arrivée plusieurs années après. J’ai un peu vagabondé, puis j’ai rencontré Elisabeth Howard en Italie dans une masterclass, et j’en suis tombée amoureuse. Ensuite, je l’ai rejointe à Los Angeles où j’ai pu approfondir mes connaissances avec sa super méthode. J’ai aussi beaucoup travaillé sur moi et sur ma voix, en revoyant finalement tout ce que j’avais appris auparavant. Je voulais qu’elle résonne librement, sans tension et qu’elle devienne un instrument qui me permette d’exprimer tout ce que je ressentais à l’intérieur de moi. Je l’ai ensuite cultivée et soignée avec amour et curiosité.
– Étonnamment, c’est ensuite en Angleterre aux côtés du guitariste et compositeur Mick Simpson que tu trouves l’association parfaite, puisque vous travaillez toujours ensemble. On aura pu penser que tu serais restée aux USA, berceau du Blues, et pourtant c’est à Londres, où tu vis aujourd’hui d’ailleurs, que tu t’épanouies. Tu as plus d’affinités avec le British Blues, ou c’est juste un concours de circonstance ?
Ma rencontre avec mon ami, le grand guitariste et auteur-compositeur-interprète Mick Simpson, m’a fait entrer dans une famille britannique fantastique et magique. Il m’a présenté à mon producteur Andy Littlewood, qui est aussi musicien, auteur, interprète et un compositeur incroyable avec qui je collabore depuis 2017. J’adore chanter du Blues britannique et aussi made in USA. J’aimerais d’ailleurs faire une tournée aux Etats-Unis bientôt et pouvoir rendre visite à mes amis américains.
– Tu es également compositrice et tu co-signes plusieurs chansons de « Blues Siren ». Dans quel domaine interviens-tu le plus ? On imagine que les paroles ont une place particulière dans ton univers musical…
Quand j’ai l’inspiration pour écrire une chanson, elle me vient comme une histoire à raconter. La musique et les paroles naissent pratiquement ensemble. Pour moi, c’est comme recevoir un cadeau et j’en suis très reconnaissante. Je me laisse guider par ma voix intérieure. « Blues Siren », par exemple, m’est venue alors que je réfléchissais à ma vie et à celle de tous mes merveilleux amis, qui ont rendu ce monde plus beau avec leur voix. Cette chanson, sérieuse et avec une légère ironie, contient un peu de moi, un peu de toutes les grandes reines du Blues et un peu aussi des moins connues, mais qui n’en sont pas moins de grandes chanteuses de Blues. Elles ont toutes ouvert leur cœur pour donner de douces émotions à travers leur chant.
– « Blues Siren » est ton troisième album après « Italia Square » (2019) et « Smoke And Mirrors » (2022), auxquels il faut ajouter quelques singles et l’EP « In The Name Of The Blues ». Je me suis amusé à écouter ta discographie de manière aléatoire et c’est incroyable de voir à quel point il y a une intemporalité dans ta musique au point que c’est difficile de dater tes chansons. Est-ce que c’est ce que tu cherches avant tout à travers tes disques ? Qu’ils soient hors du temps ?
Oui… Avec Andy, on suit le flux du moment. C’est aussi parce que, pour moi, le temps n’existe pas… Mais là, c’est un peu plus compliqué à expliquer ! (Sourires) Et je suis très contente que tu aies écouté toute ma discographie, merci !
– « Blues Siren » vient donc tout juste de sortir, mais il y a quelques mois tu nous as fait patienter avec l’EP « In The Name Of The Blues », qui est d’ailleurs plus Rock et plus rugueux que ton répertoire habituel. Pour quelles raisons as-tu sorti ce format-court ? Ce sont des chansons que tu avais de côté depuis un moment déjà, ou est-ce peut-être parce qu’elles ne s’intégraient pas vraiment dans ce troisième album ? Car il est assez différent, y compris dans le son…
En fait, « In the Name of the Blues » est arrivé comme un double-single avant la sortie de l’album. Et comme nous avions déjà beaucoup de chansons, c’est devenu un EP. Nous avions un tas d’idées et nous y sommes allés doucement ! Cela dit, même sur « Blues Siren », il y a beaucoup de Rock, des chansons comme « Don’t Get In My Way », « Walking A Tightrope », ou « Alive And Breathing » le sont définitivement. L’album alterne avec des morceaux aux saveurs différentes et qui vivent tous ensembles en harmonie.
– Vocalement, tu t’inscris depuis tes débuts dans la tradition des grandes chanteuses de Blues et de Soul comme Etta James ou Aretha Franklin, grâce à une voix à la fois sensuelle et puissante. Curieusement, tu vas un peu à contre-courant des chanteuses actuelles qui jouent un Blues moderne plus Rock et explosif. Est-ce que, finalement, le secret ne vient-il pas du travail que tu fais sur les atmosphères ?
Comme je te le disais, j’aime beaucoup jouer avec ma voix et c’est souvent la chanson qui m’inspire et m’invite à la suivre. Sur certains titres, je chante ce que je suis, dans d’autres, je raconte une histoire en étant spectatrice. Cela peut se faire de manière plus intime, limpide ou explosive. Dans le monde du Blues, il y a beaucoup de chanteuses et de chanteurs fantastiques et authentiques et chacun suit ce qu’il ressent à ce moment-là. Cette diversité est belle et c’est génial qu’elle existe. Je n’aime pas me coller une étiquette et je ne pense pas que quiconque aime cela d’ailleurs. Beaucoup d’artistes, femmes et hommes, ont toujours aimé parcourir ce style à travers différentes atmosphères et expérimenter en permanence.
– D’ailleurs, si tu évolues dans un registre Blues au sens large du terme, il y a de nombreuses influences Soul et Jazzy avec un côté feutré et une certaine dramaturgie dans ton répertoire. C’est finalement cette chaleur très présente sur tes albums que tu recherches tant dans les textes que musicalement, comme une façon de capter intensément l’attention de l’auditeur ?On a presque le sentiment que tu ne veux rien manquer du vaste monde du Blues. Et en fin de compte, rien ne te résiste, non plus. C’est important pour toi de ne pas te restreindre à un seul courant ?
J’ai eu la chance d’étudier intensément de nombreux styles vocaux et chacun m’a laissé quelque chose. Au départ, le Blues ne nous est pas venu très naturellement, à nous les Européens. C’est une question de culture, bien sûr. Nous ne sommes pas nés noirs, ni en Amérique. Mais nous pouvons nous imprégner, écouter et intégrer en nous ce qui vient de ceux qui ont respiré le Blues depuis leur enfance et nous l’approprier à notre manière. Elisabeth m’avait dit une fois qu’elle avait même dû enseigner le Blues à des élèves noirs, qui avaient été adoptés par des blancs en Amérique.
– Juste avant « Blues Siren », tu as aussi sorti quelques singles comme « Winter Of 51 », « The Magic » et une version étendue incroyable de « Call My Name », toujours avec ton complice Mick Simpson. Ce sont des chansons qui n’étaient pas prévues pour un album, ou est-ce que, dans ce nouveau monde numérique, c’est aussi une façon de rester présente pour tes fans et à travers les réseaux sociaux ?
Parfois, Andy et moi essayons de tenir compagnie à nos amis et aux fans qui nous suivent avec quelques chansons, même en version single ou sur un EP. On le fait en attendant l’arrivée du nouvel album qui, comme tu le sais bien, demande parfois un peu plus de temps que prévu. « Winter Of 51 » et « Call My Name » font toutes deux partie d’un album. Pour « Call My Name », Mick avait joué un très long et très beau solo en studio. C’était si intense et touchant que nous avons décidé de le présenter dans une version augmentée. « The Magic », quant à elle, est une chanson que nous avons sortie à Noël dernier. Elle est pour moi très spéciale et sincère.
– Enfin, 2024 a été une belle et riche année pour toi avec un EP et un album complet. J’imagine que 2025 sera consacrée essentiellement à la scène, à moins que tu ne travailles déjà sur le successeur de « Blues Siren » ?
Oui, je compte désormais me consacrer intensément au live et avec un super groupe anglais. Mais… De nouvelles chansons bourdonnent déjà dans nos têtes. Je vous tiendrai au courant de tout ça plus tard ! (Sourires)
Le nouvel album d’EVA CARBONI, « Blues Siren » est chez Mad Ears Productions et sur le site de l’artiste : https://evacarboni.com/
Chacune de ses réalisations est toujours surprenante et avec « Mother », ZZ WARD ne déroge pas à la règle. Imprévisible, c’est sur le légendaire label Sun Records qu’elle publie cette fois quelques chansons. Avec beaucoup de vitalité, elle témoigne de ses expériences en tant que mère. Vulnérable et forte, elle n’élude aucun passage et aborde plusieurs domaines de la parentalité en jouant aux montagnes russes. Ca sent le vécu et lorsque tout cela est décliné dans un Blues épuré, où se croisent instants Gospel et envolées de cuivres sur des guitares ardentes, on ne peut que tomber sous le charme.
ZZ WARD
« Mother »
(Sun Records)
Un an tout juste après l’excellent et très éclectique « Dirty Shine », la néo-Californienne originaire de l’Oregon fait un retour express, mais très qualitatif, avec « Mother ». Composé de six titres, ZZ WARD apparait cette fois sur Sun Records et livre ses sentiments sur les sensations que procure la maternité. Et plutôt que de se disperser, ce qu’elle fait d’ailleurs très bien, c’est dans un registre Blues très roots qu’elle a choisi d’évoluer. Et il faut reconnaitre que l’approche très sincère et authentique du style s’y prête à merveille. Avec une attitude totalement décomplexée, on ne peut que succomber à autant de fougue et de vérité.
C’est une sorte de retour à ses premières amours pour ZZ WARD qui renoue avec ses racines musicales dans une version très brute et profonde. D’ailleurs, ce nouveau format court réserve aussi quelques surprises, la songwriter étant pleine de ressources. L’intensité passionnée et l’énergie sans filtre qui émanent de « Mother » nous rappelle à quel point elle est une incroyable chanteuse et une multi-instrumentiste de haut vol. Elle prend beaucoup de plaisir à explorer ses six chansons en les révélant sous un jour nouveau et un son également différent. Directe et sans détour, on brûle avec elle dans ce (trop !) court moment musical.
L’Américaine ouvre son EP avec le morceau-titre, gorgé de riffs épais et sur un ton puissant, histoire de poser l’ambiance. La production très live et Rock’n’Roll de « Mother » et « My Baby Left Me » accentue cette impression d’urgence et ce dynamisme. Puis, ZZ WARD reprend « Put My Gun Down » et « Lil Darling » de son dernier opus en leur offrant un traitement de choc. « I Have No One » est l’instant le plus tendre et sa voix monte encore d’un cran dans l’émotion. Vocalement irrésistible, elle plonge ensuite dans un Chicago Blues vif sur « Cadillac Man », sorte d’hommage appuyé et généreux à l’esprit agité du Blues. Une tranche vie sans far.