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post-Rock Progressif Stoner/Desert

Stranger In My Town : un Stoner expansif et volubile

Superbement bien produit, « Vol. II » des Italiens de STRANGER IN MY TOWN montre de nombreuses facettes du groupe, qui parvient sur une base Stoner Rock à nous embarquer dans des sentiers Desert Rock, Heavy, Doom et post-Rock de belle manière. Dans un registre entièrement instrumental, les Transalpins font preuve s’autant de créativité que de technicité et d’audace.

STRANGER IN MY TOWN

« Vol. II »

(Independant)

Issu de la bouillonnante scène italienne, STRANGER IN MY TOWN livre son « Vol. II », cinq ans après le premier. Toujours autoproduit et entièrement instrumental, le quatuor distille un Stoner Rock varié et créatif, qui n’hésite pas à s’évader vers des sphères plus progressives. L’absence de chanteur offre au groupe une liberté musicale dans laquelle il s’engouffre très volontiers.

Solides et aérés, les neuf morceaux qui composent « Vol. II » brillent par leurs nombreuses ambiances et STRANGER IN MY TOWN évolue au fil des titres avec une grande facilité et une belle fluidité. Armé d’une solide rythmique composée d’Enrico Sperone (batterie) et de Silvano De Franco (basse), le quatuor passe de compositions purement Stoner (« Indian », « Sun Tension ») à des styles plus aérés.

L’énorme travail effectué par les deux guitaristes, Allan Pigliacampo et Issaco Frigerio, rend ce « Vol. II » saisissant. Les riffs sont acérés et massifs et le lead porte des mélodies qui tendent vers un Desert Rock parfois aux frontières du post-Rock, où les Italiens se font plaisir (« Flying Leaf », « Moon Fog », « Shadow Trip »). STRANGER IN MY TOWN gagne franchement à être connu et surtout reconnu.

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Black Metal Doom Viking Metal

Ereb Altor : offrande païenne

Le puissant Metal Pagan d’EREB ALTOR refait surface avec un neuvième album déchainé et impressionnant de maîtrise. Typiquement Black Metal dans l’approche de certains morceaux et plus atmosphériques et Doom sur d’autres, le quatuor viking propose avec « Vargtimman », un album complet et varié, jouant sur les ambiances dans des joutes vikings mémorables.

EREB ALTOR

« Vargtimman »

(Hammerheart Records)

Cela fait bientôt 20 ans que les valeureux Vikings d’EREB ALTOR montent à l’assaut et passent à l’attaque armés d’un metal sombre et fracassant. La thématique païenne et nordique guide le groupe dont le registre s’affine au fil des albums, et ce neuvième opus est très certainement le meilleur d’une déjà belle discographie. Le quatuor suédois n’est pas prêt de rendre les armes, ça c’est clair ! 

Sur « Vargtimman », EREB ALTOR fait parler la poudre, ou plutôt les glaives, et monte en puissance au fur et à mesure que les morceaux défilent. Les riffs sont tranchants, les rythmiques lourdes et le travail effectué sur le chant, tout en nuances, montrent que le combo scandinave est parvenu à ses fins. Entre Black Metal et des influences Folk traditionnelles, le groupe impressionne par sa noirceur et son énergie.

Si quelques passages nous renvoient à Bathory, Grand Magnus et Wardruna, EREB ALTOR se révèle sous une identité plus personnelle à travers « Vargtimman ». Féroces et guerriers, les Suédois oscillent entre titres violents et d’autres plus atmosphériques et Doom (« Fenris »). Parfois Folk et épiques (« Alvabot ») ou plus puissants (« Rise Of The Destroyer »), le groupe perpétue la tradition Viking Metal et Pagan avec force.

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Doom Post-Metal Psych

King Bastard : une odyssée cathartique

Montrer autant d’audace et d’assurance dès son premier album est une chose plutôt rare. Avec « It Came From The Void », KING BASTARD s’embarque dans un vagabondage spacial et agité à travers un Doom puissant, moderne et psychédélique où le quatuor flirte avec le post-Metal. Presqu’entièrement instrumental, l’opus des New-Yorkais côtoie le surnaturel avec minutie.

KING BASTARD

« It Came From The Void »

(Independant)

Rarement un album aura aussi bien porté son titre. « It Came From The Void » résume à lui seul les intensions et l’aboutissement des compositions du quatuor new-yorkais. Et il s’agit d’un trip musical dans les ténèbres de l’espace auquel nous invite KING BASTARD et dans lequel il nous propulse sans prévenir. Et si ce premier opus autoproduit ressemble à s’y méprendre à une jam cosmique, il n’en est pourtant rien.

N’allez pas croire que « It Came From The Void » a quoique ce soit de cacophonique, il est plutôt chaotique dans sa conception, même si son aspect expérimental a été soigneusement pensé. KING BASTARD sait où il va et il y court sans aucune hésitation, ni retenue. Enregistré en conditions live le temps d’un week-end dans le Queens à New-York, ce premier effort est une déflagration Doom Psych unique.

Dans univers très cinématographique, KING BASTARD développe un style basé sur l’épaisseur et l’impact des riffs, la puissance de sa rythmique et l’exploration d’atmosphères souvent proches d’un post-Metal fracassant, fondu dans un psychédélisme de chacun instant (« From Hell To Horizon », « Bury the Survivors/Ashes To Ashes », « Blackhole Viscera »). Aussi imprévisible que libérateur, l’album est un lâcher prise total.  

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post-Rock Progressif

Toundra : de sombres tourments

A chaque nouvel album, TOUNDRA déconcerte autant qu’il envoûte et « Hex » ne faillit pas à la règle. Fort d’un univers très personnel, le quatuor espagnol joue de sa technicité pour rendre son style immersif à travers des morceaux pourtant très pêchus et relevés. Toujours instrumental, ce huitième opus est hypnotique et musclé.

TOUNDRA

« Hex »

(InsideOut Music)

Groupe incontournable de la scène post-Rock espagnole et même européenne, TOUNDRA est de retour moins de deux ans après « Das Cabinet Des Dr. Caligari », son précédent album. Comme beaucoup, le quotidien des Madrilènes a du faire face à de nombreux bouleversements et obstacles ces derniers mois. C’est donc dans une ambiance particulière qu’a été composé « Hex ».

Bravant des conditions pénibles, inhabituelles et inconfortables, le quatuor ibérique a fait de cette période une source d’inspiration. Forcément, ce huitième album de TOUNDRA est assez sombre et tourmenté et a, par ailleurs, été conçu à l’image d’un vinyle (format dans lequel il est disponible) en deux faces bien distinctes et musicalement très différentes et complémentaires.

« El Odio », qui constitue la première partie et aussi la première moitié de l’album, s’étale sur 22 minutes d’un post-Rock à la fois immersif et entraînant. Posant une atmosphère percutante et aérienne, TOUNDRA nous propulse dans un univers obsédant. Le très Electro « La Larga Marcha », le langoureux « Watt » et bien sûr « Fin » qui vient clore l’album sont tous d’une finesse et d’une précision rare.

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Blues Rock Folk/Americana Rock

Lata Gouveia : raviver les traditions

Dans un style très américain forgé de Rock, de Blues, de Folk et d’une touche de Red Dirt parfaitement assimilée, LATA GOUVEIA se fend d’un troisième album vivifiant et plein de panache. « Stay The Same » dévoile au fil des morceaux un songwriter aguerri, sensible et pertinent.

LATA GOUVEIA

« Stay The Same »

(Timezone Records)

Luxembourgeois d’adoption, le songwriter, guitariste et chanteur LATA GOUVEIA est devenu au fil du temps un pilier du Rock du Grand-duché. A la tête de son groupe depuis une dizaine d’années, il est toujours accompagné de Jeff Herr (batterie), Paul Porcelli (guitare) et Daniela Kruger (basse) et leur complicité est manifeste sur ce très bon « Stay The Same ».

Il faut reconnaître que ce troisième album dégage une énergie folle, probablement due à l’enregistrement en conditions live qui apporte beaucoup de fraîcheur au registre du natif de Lisbonne. A base de Rock, de Blues et du Red Dirt d’Oklahoma, LATA GOUVEIA livre un opus résolument optimiste, très américain dans l’esprit et parfaitement réalisé par le producteur luxembourgeois Charles Stoltz.

Grâce à un songwriting très efficace, le quatuor nous emporte dans un univers d’où s’échappent des sonorités Folk, parfois Southern, et une certaine nostalgie des 80’s plutôt bienvenue. « Stay The Same » est surtout porté par une vague bluesy, qui rend cet album chaleureux, sincère et authentique (« Wrong », « Mirror Night », « Renegade Train »). LATA GOUVEIA dégage une intensité addictive.

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Alternative Metal Groove Metal Progressif

Rest In Furia : furieusement groove

En général, un EP est un premier effort qui permet de se lancer, de tâter le terrain et de poser de solides bases. REST IN FURIA, quant à lui, en est à son troisième format court, ce qui peut paraître étonnant vu la qualité du quatuor francilien. A la fois groove, alternatif et légèrement progressif, le Metal acéré du combo révèle et dévoile un registre affiné et de plus en plus personnel.  

REST IN FURIA

« Silent Beholders »

(M&O Music)

Pour les suivre depuis un bon moment maintenant, il faut admettre que le style des Franciliens est en constante évolution. Et il se pourrait qu’avec ce troisième EP, « Silent Beholders », le quatuor se soit véritablement trouvé. Metal, REST IN FURIA l’est assurément, ainsi que groove grâce à la forte présence de la basse, mais aussi extrême par moment et légèrement progressif.  

Pour sa nouvelle réalisation, le groupe se présente dans un registre hybride où l’on perçoit dorénavant plus de cohérence et d’unité. Ne s’interdisant aucune embardée, REST IN FURIA maintient le cap et les cinq morceaux proposés forment un bel ensemble harmonieux. Assez alternatif globalement, le chant clair domine le growl et apporte donc plus de mélodie aux nouveaux titres.

Très bien produit et mettant en avant une puissance bien distillée, « Silent Beholders » montre également que le combo s’est débarrassé de ses influences et a peaufiné son Metal (« No Project », « Waving Crowds »). REST IN FURIA multiplie les riffs entêtants et millimétrés en avançant sur un groove efficace et souvent très Rock (« Those Empty Eyes », « Out Of The Kingdom »). On attend l’album !

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Death Metal International Technical Metal

Silent Obsession : apocalyptique [Interview]

En près de cinq d’existence, le quatuor algérien SILENT OBSESSION compte deux EP à son actif. Si les formats sont très courts, l’ambition du combo est à l’image de son Death Metal : déterminé et volontaire. Dans un registre assez technique et brutal dans l’intention, le groupe évolue dans un univers sombre et chaotique pour ce qui est des textes. Entretien avec Max, leader de la formation.   

– Max, on te connait comme fondateur, leader et principal compositeur de SILENT OBSESSION. Amorcé sous la forme d’un projet solo en 2017, tu es entouré aujourd’hui d’un groupe. Peux-tu nous présenter les musiciens qui t’accompagnent et votre parcours commun ?

Le line-up du groupe date en effet de 2017, et il a débuté avec Randa Benamara au chant, Manil à la basse et Ben Der à la batterie. Nous avons commencé à composer les titres du premier EP, « Lost », ce qui nous a pris deux ans. Peu après, Randa a dû quitter le groupe pour des raisons personnelles et a été remplacé par Danny au chant pour finaliser l’enregistrement. En juillet dernier, notre deuxième EP, « Countdown », est sorti et a été enregistré au studio Fermata à Alger avec Redouane Aouameur au chant, qui a depuis rejoint le groupe.

– Justement, vous avez sorti « Countdown » en autoproduction et il contient trois pistes dont une intro. C’est très court pour se faire une véritable idée de SILENT OBSESSION sur seulement deux morceaux. L’objectif de départ était de faire court, ou sont-ce d’autres paramètres qui vous y ont contraint ?

« Countdown » est une continuité du premier EP « Lost ». C’est vrai qu’il est court, mais on s’était lancé le défi de le faire comme ça, tout en abordant les thèmes de l’apocalypse et de la dégradation humaine.

– Sur deux titres « Countdown » s’inspire du film « Mad Max ». C’est un clin d’œil à ton prénom, ou plutôt une plongée dans l’univers apocalyptique du mythique long métrage ?

Je suis un grand fan de « Mad Max » et cela se reflète sur « Countdown » et « Lost ». Je suis à la fois inspiré par le film et par l’énergie qu’il dégage, car il montre beaucoup de similitudes avec ce qui se passe en ce moment.

– Vous évoluez dans un Death Metal rugueux et assez technique et vos morceaux ont la particularité d’être compacts et racés. On a le sentiment que le but est d’aller à l’essentiel…

Je suis inspiré par les grands groupes de Death Metal américain depuis que je suis tout jeune. J’aime la brutalité des riffs sombres et chaotiques, ainsi que la technique et le son proposé. C’est à partir de ça que j’ai commencé à développer mon oreille musicale et à composer ma propre musique.

– Vous faites aussi partie de la communauté de Metal extrême en Algérie que l’on connait d’ailleurs assez peu. Peux-tu nous en parler ? Comment se porte-t-elle et parvient-elle à se développer dans un contexte politique et religieux assez tendu ?

Après une décennie noire en Algérie, le Metal a vécu un second souffle avec des formations comme Lelahell, Paranoid Fantasy, Jugulator, Dusk et des groupes de reprises. Mais depuis que le Covid s’est propagé, les choses sont devenues assez difficiles pour la scène qui est aujourd’hui inexistante. Les groupes n’arrivent plus à trouver de salles de répétition et d’enregistrement. Le Metal algérien a souvent été considéré comme une musique de  second plan, derrière le Rai ou le Chaabi. Cependant, elle n’a jamais été interdite ou bannie et elle existe depuis trente ans maintenant.

– Pour avoir écouté « Lost », votre premier EP, on note une grande progression qui se traduit dans l’aspect musical et créatif bien sûr, ainsi que dans l’intention. SILENT OBSESSION poursuit son ascension de manière constante et progressive…

Depuis le début, on essaie d’être à la hauteur pour nos fans et être toujours plus original en mélangeant les styles. Nous essayons aussi de développer notre concept et améliorer le son de nos EP. C’est l’objectif du groupe et c’est pour cela que nous poussons toujours plus loin nos idées.

– Maintenant que vous avez sorti deux EP, j’imagine que l’idée de sortir un premier album complet doit vous titiller. Où en êtes-vous de ce côté-là ? C’est toujours à l’état de projet ou est-ce que cela commence à prendre forme ?

L’album est en cours d’enregistrement et sera très différent des deux EP. Il sera très agressif et brutal avec un autre concept cette fois. Et on compte le sortir cette année.

Bandcamp : https://silentobsession.bandcamp.com/album/countdown

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Metal Progressif Rock Progressif

Oscil : des vagues de mélodies

Originaire de Paris, OSCIL signe son premier album, « First Step On My Moon », d’où se dégagent fraîcheur et élégance. Dans un registre progressif, le quatuor s’accapare les genres en combinant habillement un Rock mélodique et très groove avec des sonorités et des passages plus Metal et racés. Avec une approche très personnelle, le groupe se montre sous un beau visage.

OSCIL

« First Step On My Moon »

(Independant)

Dès leur pochette, certains albums laissent entrevoir la qualité de leur contenu. Et c’est le cas avec « First Step On My Moon », premier album d’OSCIL, qui fait suite à un EP, « Never Ending Road(s) », sorti il y a quelques années. Dans un univers progressif, les Parisiens se présentent avec un ton et un style bien à eux, oscillant entre Rock et Metal et portés par une voix féminine forte.

Toute en finesse, OSCIL développe son jeu avec une belle technicité en laissant à certains passages de leurs morceaux une légèreté douce et aérienne. Fort de la dextérité et du sens de la mélodie de ses membres, le quatuor développe un Rock Progressif, mais pas uniquement, puisqu’on y retrouve quelques ambiances Indie et des gimmicks Metal très efficaces.

Grâce à des arrangements subtils et très soignés (« Romance », « The Pact », « Enter the Haze » et le morceau-titre), OSCIL sait aussi se faire plus incisif grâce à des guitares acérées et un ensemble très fluide en jouant habillement sur la puissance de ses titres. La chanteuse du groupe accueille aussi le chanteur Ludo Desa pour un duo de haute volée (« The Heart Of A Woman »). Addictif !

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Blues Rock Hard Rock Psych Rock Space Rock

Komodor : vintage revival

Enthousiasmant, virevoltant, Rock’n’Roll, Psych et catalyseur de bonne humeur, « Nasty Habits » est tout cela à la fois. Pour son premier album, KOMODOR livre un opus très abouti, à la production remarquable et surtout composé de morceaux entêtants, qui deviennent rapidement addictifs. Les Finistériens s’imposent avec élégance et irrévérence d’entrée de jeu.   

KOMODOR

« Nasty Habits »

(Soulseller Records)

Solaire et lumineux, ce premier album est la révélation Rock Hard 70’s de cette fin d’année. Avec «  Nasty Habits », les Bretons de KOMODOR effectuent un revival musical aux saveurs psychédéliques dans un esprit vintage assumé et surtout une joie et une fougue très communicative. Réalisé de A à Z par ses soins, le quatuor se montre particulièrement sûr de lui et très inspiré.

Solide et très aérien, « Nasty Habits » réhabilite avec élégance un son très Garage, rappelant les belles heures de la scène de Detroit. Si KOMODOR a enregistré et mixé lui-même son album, il a laissé le soin au grand Jim Diamond (White Stripes, The Fleshtones) d’y porter la touche finale en réalisant un mastering de toute beauté. Et le résultat est brillant et affiche un style vintage terriblement au goût du jour.

Guitares doublées et énorme travail sur les voix qui se font souvent hypnotiques, les morceaux de KOMODOR rentrent dans la tête pour ne plus en sortir (« Just An Escape », « Debt City », « Washing Machine », « Moondrag »). Chez les Bretons ça groove autant que ça percute. Le trip est sauvage tout en restant délicat et planant (« Nasty Habits », « Set Me Free », « Mamacita »). La classe !

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France Rock

Arion Rufus : scander la voie [Interview]

Ca ne se fait plus beaucoup dans le petit monde du Rock français, mais il reste des groupes qui font de leurs textes une priorité. C’est le cas avec ARION RUFUS (vous chercherez vous-mêmes la signification !), qui nous offre un premier album, « Dehors, c’était la nuit » (M&O Music) et qui ne manque ni d’audace, ni de pertinence et surtout pas de vérité ! Entretien avec Erwan Bargain, clameur du combo, et son bassiste (plus discret, mais super efficace) Florent Jacques.

– ARION RUFUS est né du split de votre ancien groupe e.Sens. Et vous avez décidé de poursuivre l’aventure dans un style différent, tout en conservant tout de même plusieurs aspects. Pourquoi avoir changé de registre ? Vous vous sentiez un peu à l’étroit et aspiriez à un univers plus Rock ?

Erwan : Je ne pense pas que nous nous sentions à l’étroit avec e.Sens, bien au contraire. Nous avons enregistré un troisième album, un double, enregistrement qui s’est étalé sur un an et demi. Nous n’étions plus que quatre dans le groupe et, à force de travailler sur ce disque, une certaine lassitude s’est sans doute installée et deux membres du groupe, ont alors souhaité faire une pause. L’album était prêt, mixé, masterisé, mais il nous manquait les moyens financiers de la presser et de le sortir. Je pense que ne pas avoir réussi à sortir ce disque, couplé aux envies personnelles de chacun a eu raison d’e.Sens. Avec Florent (Jacques, bassiste – NDR), , on a souhaité rapidement rebondir et avons décidé de créer un nouveau groupe. Le troisième album d’e.Sens, qui devait s’intituler « Apocope », prenait déjà une direction rock avec des longs morceaux un peu psyché, des intro de trois minutes, des passages blues un peu gras, des sons de guitare un peu traf…En gros, ce tournant rock avait déjà été amorcé. Il se peut aussi que la frustration, la déception, et peut-être une forme de colère de voir l’aventure e.Sens se terminer ainsi a influencé les compositions et les premiers textes d’ARION RUFUS. Nous jouons un rock plus frontal, plus ramassé, comme si nous étions revenus aux fondamentaux et que l’on renouait avec notre adolescence (à quarante-cinq berges passées ça la fout un peu mal, mais bon !).   

– Le groupe existe depuis quelques temps déjà, et pourtant dernièrement vous avez décidé de mettre un coup de boost avec l’enregistrement de « Dehors, c’était la nuit », votre premier album. Et dans la foulée, vous signez avec M&O Music. Finalement, il suffisait de s’y mettre ! Comment tout cela s’est-il passé ?

Erwan : Oui, le groupe existe depuis trois ans, il me semble. Nous avons pris notre temps, c’était nécessaire. Car si je connaissais Florent et que nous jouions ensemble depuis déjà quelques années, ce n’était pas le cas de Jérôme (batterie) et Jean-Marc (guitare) Le Pape, avec qui nous n’avions jamais joué. Jean-Marc était plutôt habitué à faire des reprises Rock et n’avait quasiment jamais composé, si je ne me trompe pas, quant à Jérôme, il avait joué durant quelques années dans un bagad. Je pense qu’il a fallu que nous nous trouvions… Après, nous avons enregistré l’album, il y a plus d’un an déjà, il était mixé et masterisé, mais avec tout ce qui s’est passé sur le plan mondial, je pense qu’il était plus sage d’attendre pour le sortir. D’où ce long laps de temps.

– ARION RUFUS évolue dans un registre globalement Rock sur des textes très écrits, poétiques et même politiques. Hormis ces quelques composantes, le groupe présente un style atypique où viennent se greffer beaucoup d’éléments musicaux très variés. Comment vous décrire le mieux possible finalement ?

Erwan : C’est difficile à dire. C’était une façon de nous mettre nous-mêmes dans une case, mais nous avions choisie et de créer finalement notre propre style. Il y a tellement de styles, de sous-styles, de sous-genres, dans chaque secteur de la musique que ça en devient parfois absurde. Alors pourquoi ne pas, nous aussi, créer notre propre style et être les premiers sur ce créneau… Plus sérieusement, le terme de ‘Garage Rock Poetry’ est là pour mettre en avant le côté Rock joué dans un petit local au Faou, dans le Finistère, et le côté poétique des textes déclamés en Français. Un peu comme Linton Kwesi Johnson avec son Dub Poetry.  A la base, je ne suis ni chanteur, ni musicien, mais auteur. J’ai sorti plusieurs recueils de poésie et j’attache donc une grande importance aux mots. Avec e.Sens, nous faisions un mélange de Jazz Rock et de Spoken Word. Nous avons juste durci un peu les composantes musicales, plus carrées, plus Rock et moins free qu’avec e.Sens et poursuivi dans la voie du Spoken word, même si sur certains morceaux, la voix est parlée et chantée.

– Et puis, il y a également un aspect qui prédomine, c’est ce côté un peu Punk et très Garage, plutôt dans l’esprit, l’attitude et le climat des morceaux d’ailleurs. ARION RUFUS rappelle même parfois le Rock Alternatif français des années 80 dans une version plus élaborée. C’est aussi votre sentiment, et peut-être même aussi un peu votre démarche ?

Florent : Nous avons fait notre éducation musicale dans les années 90. A cette époque tout fusionnait : le Hip-Hop, le Metal, le Reggae, le Dub, le Punk… Nous sommes un pur produit de ces années-là.

Erwan : Et, tous ces styles nous ont consciemment ou inconsciemment influencé. Ado, j’écoutais (et écoute toujours) les Pixies, The Clash, Police, Nirvana, Pearl Jam, Rancid, NOFX, Bad Religion, Tool, RATM, Noir Désir, Black Maria, et même Dick Dale, etc… Et à cela s’ajoute, pour ma part, toute la scène alternative française, avec Bérurier Noir, Les Wampas, Les Cadavres, Ludwig von 88, les Garçons Bouchers, etc… J’ai toujours aimé le Rock français. Quand j’étais ado, j’écoutais plus particulièrement la scène alternative, il y avait quelque chose d’assez jouissif, car je comprenais les paroles immédiatement et j’avais donc un rapport direct avec ces textes énervés, révoltés et agités. Alors qu’en écoutant des groupes américains ou anglais, je devais en général traduire les textes pour les comprendre et en saisir la subtilité.

– Faire coexister le Reggae Dub, le Stoner, des notes bluesy et même la Surf Music dans un ensemble très Rock peut paraître improbable, et pourtant ARION RUFUS y parvient le plus naturellement du monde. La fusion des genres semble presqu’instinctive chez vous, non ?

Erwan : Oui, il y a sans aucun doute un côté instinctif dans notre musique. Je pense qu’il est difficile de définir ce qui se passe lors de la création d’un morceau. Parfois, ça nous échappe. Chacun y met du sien, de sa personnalité, dans sa manière de jouer, d’appréhender le titre… Il y a quelque chose de magique dans la musique. On ne part de rien, ou alors d’un riff de guitare, d’une ligne de basse, de deux ou trois vers posés sur le papier et, au fur et à mesure, les pièces du puzzle s’assemblent, suivant la sensibilité de chacun. Il faut que tout le monde trouve sa place et puisse d’une manière ou d’une autre affirmer sa personnalité tout en pensant au collectif. Car la musique, en général et à mon sens, est un sport collectif

– On observe aussi que la rythmique basse/batterie a beaucoup d’importance, car elle guide les morceaux, qui sont d’ailleurs très évolutifs. Et ARION RUFUS présente des titres très épurés également. C’est votre manière d’aller à l’essentiel ?

Florent : Nous sommes un trio de musiciens, chacun doit apporter sa pierre à l’édifice. La basse ne peut se contenter d’appuyer la rythmique, elle doit avoir aussi un rôle à jouer dans les mélodies. Personnellement, j’ai un faible pour les airs qui traînent dans la tête.

Erwan : Un groupe est un collectif où chacun doit être en mesure de s’épanouir. Même si, je ne te cache pas que, dans les morceaux qui sont sur l’album, chaque membre du groupe a une « bête noire », qu’il redoute de faire en live. Car le travail en studio et sur scène n’est évidemment pas le même. Mais je dirai qu’aller à l’essentiel, vu la configuration que nous avons, est en effet une idée que nous suivons. Si on fait du Rock et qu’on le revendique, je ne vois pas vraiment d’autre solution. Même si, à l’avenir, on ne s’interdit rien. Peut-être que nous aurons envie d’explorer d’autres voies, sans pour autant perdre notre identité.

– ARION RUFUS a aussi la particularité, et c’est même une exception dans le genre, de présenter un ‘Spoken Word’ pour le moins acéré. Sans être non plus dans le Rap, on pense plutôt au Slam. C’est une volonté de se distinguer ou une manière plus évidente de faire passer un message et donc de mieux faire ressortir les textes ?

Erwan : Alors, autant l’avouer tout de suite, je ne suis pas chanteur et n’ai jamais eu cette prétention. Le ‘Spoken Word’ est, probablement, une solution de facilité en ce qui me concerne même si sur certains morceaux, je suis amené à chanter un peu. Mais ce que j’aime, ce sont les intentions que l’on peut mettre dans le texte. En le déclamant ainsi, comme par exemple sur le titre « Nos Discussions », je peux mettre une intensité dans la voix, je peux vivre le texte, jouer avec, comme je pourrai le faire avec un texte de théâtre ou un monologue cinématographique. Le ‘Spoken Word’ a finalement un côté assez théâtral… Et comme j’ai la prétention d’écrire des textes à dimension poétique, je pense que cette manière de l’offrir au public est la meilleure. Mais, je peux me tromper. En tout cas, ce côté ‘Spoken Word’ fait aussi partie intégrante de notre singularité et nous le revendiquons.

– Justement, restons sur les textes qui oscillent entre poésie et politique et se faisant parfois même très intimes. Finalement, peu importe le thème abordé, il y a toujours cette volonté d’engagement quelque part chez vous…

Erwan : Oui. Après, c’est vrai que cet engagement passe par les textes, mes mots engagent aussi les musiciens. C’est bizarre, comme question, car que ce soit Florent, Jérôme ou Jean-Marc, ils ne m’en parlent que très rarement comme s’ils me laissaient carte blanche sur l’écriture. Mais cet engagement, même quand il concerne l’intime, est viscéralement lié à mon écriture depuis la naissance de mon premier enfant, en 2006 puis du second en 2009. Voir ce qui se passe dans ce monde qu’on va laisser aux futures générations, est révoltant et me met en colère. Ne pas évoquer cela dans mes textes, reviendrait en quelques sortes à nier la réalité qui est la nôtre à l’heure actuelle. Si j’écris en Français, avec les influences Rock que j’ai, écrire pour ne rien dire et seulement chercher le beau refrain qui fera plaisir au plus grand nombre, n’a aucun sens. ARION RUFUS n’est pas un groupe mainstream. Nous sommes dans une niche, comme ils disent. Pour mon fils, qui a bientôt seize ans, autant te dire que notre musique n’est pas sa tasse de thé. Nous passons sur des radios associatives, indépendantes, des radios universitaires avec lesquels, finalement, nous partageons les mêmes valeurs. Des valeurs humanistes, où l’humain et son avenir sur cette terre sont le cœur. Et donc évidemment, bien loin de la pensée ultra-libéraliste qu’on nous impose actuellement et qui creuse, chaque jour, les inégalités entre les plus riches et les plus pauvres. Comme diraient certains candidats, en campagne, on se coupe d’un certain électorat. Mais c’est ainsi, on ne peut pas plaire à tout le monde, et c’est tant mieux, on l’assume.

Florent : Pour moi la qualité des textes d’Erwan provient justement de cet alliage entre poésie et engagement. Cette manière de saisir les choses qui nous entourent et le courage de les traiter par le biais de la poésie. L’intimité n’est qu’une cape d’invisibilité qui a pour but de maintenir la bienséance, de faire taire les douleurs, les inquiétudes, les révoltes aussi. Car nous sommes ainsi faits : aux maux, nous préférons le silence. Les mots les font exister. Seule la poésie a le pouvoir d’énoncer avec tact, beauté, la plus vile des situations et ainsi de dépasser le dégoût pour passer à la réflexion. 

– D’ailleurs, on peut retrouver les textes des chansons dans le livret de l’album, ce qui est devenu assez rare (comme les CD d’ailleurs !), à part peut-être chez les groupes de Metal extrêmes et pour cause. C’est un réflexe de l’écrivain que tu es aussi ?

Erwan : J’ai toujours aimé avoir les textes des chansons avec l’album, que ce soit en cassette ou en CD et ce depuis que j’écoute de la musique. Je ne sais pas pourquoi, sans doute mon côté ‘Old School’. Mais il est vrai que nous tenions à avoir les textes car quand on chante en Français, je pense que c’est important. Il s’agit là aussi probablement de l’ego de l’auteur, je ne le cache pas, en me disant que mes textes peuvent aussi être lus via ce cd, d’autant qu’il y a pas mal de jeux de mots qui ne passent pas à l’oral.

– Enfin, comment est-ce que cela se passe au niveau de la composition des morceaux ? Les ambiances viennent du texte, ou au contraire les thèmes des chansons découlent de l’atmosphère musicale ? Car les deux sont d’égale importance chez ARION RUFUS…

Florent : La plupart du temps, c’est un thème musical qui est le point de départ d’un morceau. Erwan étant très productif, il nous propose ce qui lui semble adéquat afin d’appuyer l’ambiance générale du morceau. Nous en discutons et nous élaborons le titre.

Erwan : Florent est sympa, car ils sont beaucoup plus productifs que moi notamment ces derniers mois. Disons que je m’inspire de ce qu’ils proposent dans 90% des cas, que je m’imprègne de l’ambiance musicale et je vois ce que cela m’inspire. Mais il arrive parfois comme pour « Dehors, C’est la nuit », que le texte arrive avant. Mais Florent a raison, le thème musical vient en général avant et je m’en imprègne pour écrire un texte selon ma sensibilité et parfois mon humeur du moment.

L’album d’ARION RUFUS, « Dehors, c’était la nuit », est disponible depuis le 3 décembre chez M&O Music.