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Rock Progressif

Airbag : la beauté et l’élégance

Aérienne et immersive, deux adjectifs qui reviennent régulièrement et de manière inévitable qualifier la musique d’AIRBAG. Pleine d’émotion et hors du temps, elle possède ce don de transcender un Rock Progressif qui, s’il ne manque pas de références, a su les gommer au fil des disques pour devenir parfaitement identifiable. Le combo possède un son et une élégance inimitable qu’il parvient à restituer en concert, grâce à un répertoire pointu et d’une sophistication non-exagérée. « Dysphoria (Live In The Netherlands) » vient couronner et se faire le témoin d’une dernière tournée qu’il fallait immortaliser.

AIRBAG

« Dysphoria (Live In The Netherlands) »

(Karisma Records)

Un peu plus de 20 ans après leur première invitation en format court, « Come On In », AIRBAG est devenu incontournable dans le petit monde du Rock Progressif. Alors qu’on les retrouve souvent à cinq sur scène, c’est surtout le trio composé d’Asle Tostrup (chant, claviers, programmation), Henrik Bergan Fossum (batterie) et Bjørn Riis (guitare, basse, claviers et chant) qui œuvrent à la création. Cette fois au complet, c’est au Poppodium Boerderij de Zoetemer au Pays-Bas, qu’ils ont capté l’une de leurs prestations et le plaisir s’étend ici sur près d’une heure quarante pour un voyage aux paysages captivants.

Les fans apprécieront, d’autant que malgré une discographie de six albums, les Scandinaves n’avaient pas encore enregistré d’album live. C’est donc chose faite avec « Dysphoria (Live In The Netherlands) », doublement fourni et qui, en plus de proposer l’intégralité du dernier opus studio « The Century Of The Self », rassemble leurs désormais classiques. Afin de retrouver toute la finesse et la précision de leur travail en studio, c’est leur ingénieur du son de longue date, Vegard Kleftås Sleipnes, qui s’est chargé de restituer la couleur et la brillance du répertoire d’AIRBAG. Un travail minutieux et exemplaire en tous points.

Artistiquement, les Norvégiens sont probablement à leur apogée, tant leurs dernières productions sont d’une créativité toujours renouvelées et c’est cette énergie forte combinée à une beauté très délicate qui transparaît sur ce live. Amples et cinématographiques, les morceaux prennent ici une dimension supplémentaire pour livrer des moments assez époustouflants (« Machines And Men », Redemption », « Dysphoria », « Erase », « Tear It Down » et ses 16 minutes, ou encore « Homesick » qui clot le concert sur plus de 20 minutes). AIRBAG confirme qu’il est aussi un véritable groupe de scène à l’intensité rare.

Photo : Anne-Marie Forker

Retrouvez les dernières chroniques et interviews du groupe, ainsi que celles des albums solo de Bjørn Riis :

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France Post-Metal

Maudits : perseverare metalium [Interview]

Cinq ans après sa création, les Parisiens sont un modèle de progression et surtout de constance dans leur créativité. D’un line-up en trio qui a évolué en quatuor et d’un registre entièrement instrumental qui s’offre aujourd’hui quelques guests vocaux, MAUDITS n’a pas forcément choisi la facilité et pourtant son Post-Metal est l’un des plus audacieux de la scène hexagonale… et de loin ! De retour sur son label originel, le groupe surgit avec un nouvel album surprenant, très bien produit, d’une technicité irréprochable et d’un sens du songwriting rare. Guitariste et fondateur de cette belle entité, Olivier Dubuc revient sur l’élaboration et la composition d’« In Situ » et pose un regard serein sur la démarche de la formation.

– MAUDITS est de retour avec un quatrième album et quelques nouveautés. Tout d’abord, vous réintégrez Klonosphere où vous aviez sorti l’éponyme « Maudits » en 2020 et « Angle Mort » en 2021. Retour au bercail ?

En fait, nous avons toujours été satisfaits du travail de Klonosphere pour la promotion et la distribution, et nos échanges ont constamment été harmonieux. Sortir « In Situ » avec eux a donc été une évidence. Concernant Source Atone Records, cela n’a tout simplement pas été pleinement satisfaisant pour les deux parties, et si on les remercie d’avoir travaillé sur le split avec Saar et sur « Précipice », nous ne souhaitions juste plus continuer la collaboration avec eux. On ne leur souhaite en tout cas que du bon ! (Sourires)

– Vous avez aussi officialisé Raphaël Verguin, votre violoncelliste de longue date autant en studio que sur scène, comme le quatrième membre de MAUDITS. De trio à quatuor, vous changez un peu de format, est-ce à dire que vous avez aussi modifié quelques habitudes dans la composition, par exemple ?

C’est quelque chose de très naturel finalement, car il est avec nous depuis notre deuxième album, « Angle Mort », et son importance au sein du groupe est aussi de plus en plus importante en termes de composition et sur notre son également. La différence est que maintenant on se connaît parfaitement musicalement et humainement, donc pour « In Situ », le processus a été encore plus fluide et efficace que sur les précédents. Et Raphaël a été comme à son habitude très inspiré et pertinent. Nous sommes extrêmement chanceux de l’avoir avec nous. Par ailleurs, nous ne jouons en live avec lui qu’à titre exceptionnel et essentiellement sur le format duo/trio acoustique, qui sied bien mieux à son instrument. Il n’est pas exclu que l’on fasse des concerts en configuration électrique un jour en sa compagnie si l’occasion se présente, mais c’est logistiquement compliqué à organiser. De plus, il a une vie familiale et professionnelle dense, qui ne lui permettrait actuellement pas de suivre le rythme pour toutes les répétitions et les concerts.

– « In Situ » marque aussi la fin d’une musique entièrement instrumentale avec deux titres chantés. D’ailleurs, vous reprenez le morceau de Portishead, « Roads », sorti en 1994. Vous sortez donc de différentes manières du répertoire ‘strict’ de MAUDITS ? Est-ce la fin d’un cycle ?

L’idée était surtout de nous faire plaisir ! « In Situ » a volontairement été conçu sur une période très courte, et tout ce que nous avons fait sur cet album a été décidé et concrétisé spontanément. Portishead est un groupe important dans mon parcours musical et « Roads » est juste un morceau magnifique. Avec Chris, le batteur, nous l’avions déjà repris avec notre formation précédente, et nous avons eu récemment l’occasion de l’interpréter avec MAUDITS lors de concerts en formation duo/trio, en invitant d’ailleurs des chanteuses différentes à chaque fois. Et c’est Mayline du groupe Lůn qui l’interprète sur l’album.

– On découvre ensuite Olivier Lacroix, membre des groupes Erlen Meyer et Novembre, dans un style très spoken-word, parfois scandé et screamé en toute fin. C’est une façon de provoquer une cassure, sachant aussi que MAUDITS avait également des teintes Post-HardCore à ses débuts ?

C’est vrai que cela tranche un peu avec ce que nous faisons habituellement. Cela nous plait beaucoup. Et la voix d’Olivier et ses textes nous ont totalement happés dès le départ, plus particulièrement sur Novembre du fait de l’originalité de sa démarche artistique avec ce Slam/Rap très sombre truffé d’ambiance quasi Black Metal. Son niveau d’écriture est hors du commun, et son flow traînant et hanté correspondait parfaitement à ce que l’on imaginait pour « Carré d’As ». Nous sommes plus qu’enchantés de cette collaboration et pour nous c’est l’un des morceaux les plus forts d’« In Situ ». A titre personnel, je n’aurais jamais imaginé produire un morceau avec du chant rappé en français, et je suis heureux d’avoir dépassé ce préjugé grâce au talent et à la pertinence d’Olivier !

– Ces deux chansons sont inédites dans votre parcours, car l’essentiel se passe en version instrumentale. Que retenez-vous de ces expériences et est-ce que l’idée d’intégrer du chant a pu vous traverser l’esprit, un moment pour la suite ?

Nous sommes totalement satisfaits de ces deux morceaux chantés et ils affirment un peu plus l’aspect libre de notre démarche artistique. On ne peut jamais dire jamais, mais aujourd’hui nous restons un groupe instrumental. Nous collaborerons probablement avec d’autres chanteuses et chanteurs dans le futur, mais cela devrait rester ponctuel. Nous verrons bien ce que nous dira l’avenir ! (Sourires)

– L’un des particularités aussi est le morceau « In Situ », qui se présente comme un interlude sur le disque. Il a été enregistré en live et en extérieur entouré d’oiseaux. Que représente-t-il pour vous, car il donne tout de même son titre à l’album ?

Pour nous, il symbolise parfaitement l’état d’esprit et la manière dont cet album a pris vie. Je tenais vraiment à l’enregistrer en live, en extérieur et en one-shot, avec juste des micros posés devant la guitare acoustique, le violoncelle et les bruits environnants. Ce morceau représente donc l’essence même et l’âme de cet album avec aussi le concept de l’artwork où le trèfle continue de vivre au milieu d’une ville abandonnée et où la végétation reprend progressivement ses droits.

– On découvre aussi la troisième partie du morceau « Précipice », qui s’étend sur plus 30 minutes au total. Ce triptyque est très long et très cinématographique aussi. L’idée d’adopter une démarche proche d’une bande originale lors de la composition a-t-elle été évidente dès le départ ?

Oui, nous composons toujours à la manière d’une B.O., c’est une chose instinctive. Nous cherchions une manière d’arranger « Précipice Part 1 » pour l’adapter à cette configuration. En le travaillant, nous avons presque totalement changé la structure et revu différemment toutes les parties, à tel point qu’il en est concrètement devenu un morceau à part entière. Nous l’avons donc réarrangé en studio avec la basse/batterie et enrichi de beaucoup d’autres éléments comme des claviers et des effets. Et étant donné qu’il était basé sur les thèmes mélodiques des « Part 1 & 2 », l’idée d’en faire la « Part 3 » s’est imposée à nous !

– Enfin, j’aimerais qu’on dise aussi un mot de la production, car vous avez expérimenté beaucoup de choses au fil des albums et, avec « In Situ », MAUDITS semble montrer son environnement sonore le plus abouti. Est-ce aussi votre sentiment ?

Totalement. On s’en rend compte maintenant avec un peu de recul, et des dires même de notre producteur Frédéric Gervais des Studios Henosis, que c’est certainement notre sortie la plus variée en termes d’ambiances et d’arrangements. Nous avons tenté plein de choses nouvelles sur cet album que nous n’avions jamais faites auparavant, mais toujours dans la spontanéité et guidés par le plaisir et l’envie. La seule contrainte que l’on s’impose depuis le début avec MAUDITS est de rester cohérent, ce qui je pense est le cas avec « In Situ ». Nous sommes parfaitement heureux du résultat final. Mais l’album, désormais, ne nous appartient plus. Ce sera aux auditeurs de juger si nous avons transformé l’essai, ou pas ! (Sourires)

Le nouvel album de MAUDITS, « In Situ », est disponible chez Klonosphere.

Photos : Alexandre Le Mouroux

Retrouvez les interviews et les chroniques des réalisations de MAUDITS depuis ses débuts :

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Desert Rock Stoner Rock

Yawning Man : rockin’ nomads

Deux ans après l’étonnant « Long Walk Of The Navajo », YAWNING MAN semble plus apaisé et moins apocalyptique dans l’approche sur ce « Pavement Ends », qui renoue avec les saveurs arides qui font son ADN depuis sa création. D’ailleurs, Mario Lalli fait aussi son retour à la basse et, malgré le talent de Billy Cordell, il est l’un des piliers essentiels de la mythique formation. La rondeur et le groove de son jeu reste l’une des pièces maîtresses de la couleur artistique des pionniers de la côté ouest, comme en témoigne ce septième opus.  

YAWNING MAN

« Pavement Ends »

(Heavy Psych Sounds)

Près de 40 ans déjà après sa formation dans la vallée de Coachella, YAWNING MAN continue de nourrir ce Desert Rock aux contours psychédéliques tellement identifiables qu’il a d’ailleurs lui-même créé. Toujours guidé par ses fondateurs Gary Arce (guitare) et Mario Lalli (basse) accompagnés depuis 2013 par le batteur Bill Stinson, qui a lui aussi fait grandir cet univers sonore, le trio ne cesse d’alimenter ses longues jams instrumentales, qui traversent le désert de Mojave avec une fluidité quasi-hypnotique et un magnétisme constant. Il y a de la poésie et du rêve chez ces musiciens.

Suite aux expérimentations Yawning Sons et Yawning Balch, le noyau dur est de nouveau à l’œuvre et « Pavement Ends » vient marquer un chapitre supplémentaire de la discographie et du style insaisissable des Américains. Toujours instrumentale, la musique de YAWNING MAN garde les pieds dans le sable chaud de Californie et les yeux tournés vers le ciel et ses étoiles. Sur six titres, l’envoûtement ne tarde pas entre contemplation, textures éthérées et tempos bruts et aérés. La recette des maîtres du genre évolue peu, certes, mais reste d’une redoutable efficacité.  

« Burrito Power » donne le ton avec un riff très Stoner, où l’on retrouve le sens de l’humour décalé du groupe toujours attaché au Surf Rock. Car, YAWNING MAN est avant tout un état d’esprit et une vision très atypique d’un Desert Rock écrasé par la chaleur et la lumière. Entretenant un aspect mystérieux, souvent proche du mystique, le combo avance sur les incroyables lignes de basse de Mario Lalli, véritable architecte du groupe, tandis que les guitares prennent de la hauteur et se projette dans un horizon mouvant (« Dust Depression », « Bomba Negra », « Gestapo Pop » et le morceau-titre). Magistral !

Retrouvez la chronique du précédent album :

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Desert Rock Drone post-Rock

SoftSun : une projection lumineuse

L’entente américano-norvégienne entre Gary Arce et Pia Isaksen continue d’œuvrer dans un même élan avec un style qui s’affirme sur « Eternal Sunrise ». Changement de label et aussi de batteur pour le trio dont le Post-Rock au saveurs Desert Rock trouve son harmonie dans une lueur qu’a priori tout oppose. Cette nouvelle réalisation est dense, presque onirique, et invite autant à la rêverie qu’au voyage. L’immersion proposée par SOFTSUN brille aussi grâce à un jeu d’une incroyable minutie et des arrangements très soignés.

SOFTSUN

« Eternal Sunrise »

(Heavy Psych Sounds)

Depuis deux maintenant, la connexion entre les terres norvégiennes balayées par le froid et les paysages arides du désert de Mojave en Californie est établie et pas le moindre parasite à l’horizon. Un horizon justement aussi lointain qu’imprévisible que la chanteuse et bassiste scandinave Pia Isaksen et l’Américain Gary Arce à la guitare ont transformé en terrain de jeu. Assez éloigné de leurs projets musicaux respectifs (Superlynx et une carrière solo pour l’une, Yawning man et ses dérivés pour l’autre), SOFTSUN affiche une osmose évidente et un univers singulier.

Un an tout juste après un premier effort étonnant et réussi, les deux musiciens poursuivent leur belle aventure et développent encore un peu plus leur Post-Rock aux contours Shoegaze, Desert et parfois Drone. Légèrement moins expérimental, « Eternal Sunrise » s’inscrit pourtant dans la lignée de « Daylight In The Dark » avec toujours cette ambiance à la fois mystérieuse et emprunte d’une légèreté très fluide. Et puis, SOFTSUN acte aussi l’arrivée de Robert Garson, en lieu et place de Dan Joeright, derrière les fûts et la console, puisqu’il a également enregistré ce deuxième opus.

Toujours aussi aérien, le trio joue sur des tempos lents et hypnotiques, laissant tout le loisir à Gary Arce de s’engouffrer dans un flot d’effets captivants dessinant des atmosphères assez uniques. Vocalement lumineuse, Pia Isaksen distille son chant de manière très éthérée, tout en faisant bourdonner sa basse à l’envie. Sensuel, subtil et parfois mélancolique, SOFTSUN s’est façonné un registre bien à lui. Hypnotique et lancinant, « Eternal Sunrise » captive (« Sacred Heart », « A Hundred And Sixteen », « Abandoned Lands »). Le combo se dévoile ici encore un peu plus.

Retrouvez l’interview de Pia Isaksen et Gary Arce à l’occasion de la sortie de « Daylight In The Dark » :

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International Psych Prog Rock 70's

The Vintage Caravan : a taste of freedom [Interview]

Rétro, mais pas trop ! Les Islandais poursuivent leur irrésistible ascension avec « Portals », et ce sixième album vient confirmer une créativité toujours aussi présente. Audacieux, THE VINTAGE CARAVAN combine avec beaucoup de savoir-faire des élans classiques et une aspiration très moderne dans un Rock, qui s’aventure dans des contrées progressives, Folk et psychédéliques au parfum 70’s. Depuis quelques années maintenant, le power trio n’a de cesse d’écumer les scènes et cela s’en ressent dans ce nouvel opus très mature. Óskar Logi Ágústsson, chanteur et guitariste du groupe, revient sur sa conception et son enregistrement sous le soleil de Porto.

– Si l’on prend vos albums un par un, à savoir « Voyage », « Arrival », « Gateways » et « Monuments », sans compter votre premier opus éponyme, ils ont tous en commun un titre assez conceptuel. Est-ce que c’est quelque chose que vous faites consciemment, et est-ce qu’un titre peut vous inspirer la direction d’un disque ?

Oui, c’est vrai que nous avons principalement abordé le concept de mouvement en ce qui concerne les titres de nos albums, ce qui semble tout à fait approprié au nom du groupe. Nous avons parfois plaisanté en disant que le prochain album s’appellerait « Bagages encombrants » ou « Porte A23 » (« Bulky Luggage » ou « Gate A23 » – NDR). Les titres étaient généralement choisis après l’enregistrement des albums et ce n’est que cette fois-ci que le titre a influencé l’album lui-même. Stefán (Ari Stefánsson, batterie – NDR) a trouvé le titre en référence à Porto, où nous avons enregistré l’album. Et nous avons toujours voulu inclure des interludes sur l’un de nos albums, alors j’ai eu l’idée de créer « Portail I, II », etc… Alex (Örn Númason, basse – NDR) les a réalisé en utilisant de vieilles cassettes, en les étirant et en créant de véritables boucles, puis en y ajoutant des synthétiseurs, des enregistrements d’oiseaux, des conversations de personnes dans des restaurants et toutes sortes d’autres sons.

– D’ailleurs, en restant sur la notion de concept, quel est celui de « Portals », ou du moins sa ligne directrice ? En ponctuant l’album d’interludes du même nom et au nombre de cinq, quelle a été votre intention ? Marquer des chapitres ?

Il n’y a pas vraiment de concept précis. On voulait simplement faire le meilleur album possible et le plus expérimental qu’on ait jamais réalisé. On a souhaité essayer de nouvelles choses, ne pas avoir peur d’expérimenter, minimiser les superpositions de guitares, installer les baffles et les amplis dans la même pièce que nous et enregistrer comme si c’était un concert en direct. L’idée était de prendre des risques. Par exemple, tous les solos sont enregistrés en direct. Si je me ratais, on devait insérer une autre prise complète avec la basse, la batterie et tout le reste. Et si ça ne marchait pas, on devait carrément refaire une autre prise.

– « Monuments » est sorti il y a déjà quatre ans et il avait marqué un tournant dans votre style, qui était devenu plus volumineux et massif notamment. Avec « Portals », vous enfoncez le clou avec une démarche peut-être plus moderne dans le son surtout. C’était votre objectif ?

Curieusement, c’était la première fois que nous enregistrions sur bande et ce fut une expérience incroyable. Nous avons utilisé beaucoup d’amplis vintage. Alex a ajouté pas mal de synthétiseurs et un vieux Farfisa (marque de claviers italienne – NDR) pour créer de belles textures sonores. Notre approche était de faire en sorte que l’on ressente les synthétiseurs plutôt que de les entendre distinctement.

– Justement, est-ce qu’en modernisant votre approche musicale, THE VINTAGE CARAVAN est-il toujours aussi vintage ?

Je pense que nous sommes simplement en train de mûrir et de trouver notre propre style et notre propre voie. Il y a toujours un aspect vintage dans notre approche, mais nous avons toujours fait figure d’exception au sein des genres auxquels on nous a associés. Nous jouons du Rock’n’Roll un peu comme un groupe de Metal. D’ailleurs, les deux autres membres faisaient partie de groupes de Metal avant de rejoindre le groupe. Tandis que moi, j’ai toujours été dans THE VINTAGE CARAVAN ! (Rires) Mais au final, nous jouons ce que nous ressentons sans trop nous poser de questions, nous laissons la musique s’exprimer librement et nous la jouons avec sincérité.

– « Monuments » vous avait permis de beaucoup tourner et c’est toujours profitable pour la cohésion d’un groupe, ainsi que pour l’aspect expérimental que cela représente en public. Qu’avez-vous appris de tous ces concerts sur votre son, car « Portals » a également une production très live ?

Nous sommes en tournée intensive depuis 2014 et nous apprenons constamment de nouvelles choses. L’une des choses que nous voulions faire différemment était de minimiser les ajouts en post-production et d’aborder l’enregistrement comme un album live. Nous avons travaillé dur pour trouver le bon son dès le départ, puis nous avons commencé l’enregistrement. L’utilisation de la bande magnétique nous a incités à jouer différemment, à prendre plus de risques et il y a beaucoup d’imprévus et d’erreurs sur l’album, mais c’est précisément ce qui le rend authentique.

– Cela nous amène au morceau « The Philosopher », qui ouvre l’album, avec la présence de Mikael Åkerfeldt d’Opeth avec qui vous avez tourné. Cette collaboration est-elle née sur la route, ou l’avez-vous contacté une fois la chanson composée ?

Je lui ai envoyé un message après l’enregistrement. Il nous avait proposé d’enregistrer du mellotron sur l’album plus tôt dans l’année, lors de notre rencontre au festival ‘Bloodstock’. Alors, quand on a parlé de trouver quelqu’un pour faire des voix additionnelles, son nom est revenu. Je lui ai envoyé la chanson et il l’a aimée. On a encore du mal à croire que ça ait marché, c’est un musicien exceptionnel et un type formidable. Nous lui sommes très reconnaissants d’avoir accepté et de nous avoir donné l’opportunité de faire leurs premières parties sur trois tournées.

– Vous avez parlé d’un pont entre générations portées par le Prog pour ce morceau. Qu’est-ce que vous entendez par là ? Vous pensez à une succession, comme l’avenir d’un héritage ou à un rapprochement ?

Je ne sais pas qui a dit ça ​​! (Rires) Mais oui, il n’y a pas de réflexion profonde derrière cette collaboration, juste nous qui jouons la musique en laquelle nous croyons et que nous aimons, et heureusement, Mikael était partant.

– Pour l’enregistrement de « Portals », vous avez quitté votre Islande natale pour le Portugal. C’est un contraste géographique saisissant. Aviez-vous besoin de nouvelles sources d’inspiration ? Pourtant, vous êtes toujours accompagnés par votre ami Axel ‘Flexi’ Árnason. Est-il le garant de votre son d’une certaine manière, d’autant que l’enregistrement s’est fait cette fois sur bande comme tu l’as rappelé ?

Nous nous sommes simplement délectés de leur café et de leur Super Bock, après les sessions évidemment, et c’était une source d’inspiration suffisante ! (Sourires) Tu sais, Flexi joue un rôle important dans notre histoire. Il a été un mentor, mais cette fois-ci, nous avions plus d’expérience que lorsque nous avons travaillé ensemble sur « Arrival » en 2015, et nous savions ce que nous voulions. Flexi est vraiment incroyable et il parvient à faire ressortir quelque chose de spécial en nous.

– « Portals » présente les éléments caractéristiques de THE VINTAGE CARAVAN, c’est-à-dire un Heavy Rock 70’s teinté de Blues et de Stoner. Il est cependant plus nerveux et véloce que ses prédécesseurs. Est-ce vos participations au Wacken Open Air, au HellFest et votre tournée avec Opeth, donc des univers Metal, qui vous ont conduit à durcir le ton ?

Non, pas vraiment. Nous jouons dans des festivals de Metal depuis 2012 et nous participons régulièrement au Wacken et à d’autres festivals du même genre depuis 2014. Donc, cela ne nous a pas vraiment influencés. Je pense qu’il y avait pas mal de morceaux à tempo moyen sur le dernier album et j’avais juste envie de composer des morceaux plus rapides.

– Enfin, est-ce que le Psychédélisme originel des 70’s dans lequel vous avez commencé a, selon toi, évolué ces dernières années et aujourd’hui surtout à l’ère du tout numérique ?

Oui, je pense que cette scène perd en popularité et en créativité. Il y a de moins en moins de grands groupes et c’est aussi de plus en plus difficile à bien des égards. Mais nous sommes comme l’herpès : nous revenons toujours… et plus forts que jamais ! (Rires)

Le nouvel album de THE VINTAGE CARAVAN, « Portals », est disponible chez Napalm Records.

Photos : Stefen Ari Stefensson (1, 4, 5)

Retrouvez le groupe en interview à l’occasion de la sortie de « Monuments », ainsi que la chronique de l’album et celle du Live :

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Post-Metal

Absence Of Colors : abondance de nuances

Atmosphérique et jouant sur une vélocité explosive, ABSENCE OF COLORS évolue cette fois sur la longueur et les cinq titres interprétés ici confirment la signature du groupe, qui acte aussi l’arrivée d’un troisième membre. Malgré une apparente rugosité, « Poison On Your Lips » devient très vite immersif et nous embarque sur des mélodies tout en finesse, qui ne manque pourtant pas d’épaisseur dans le ton. En multipliant les ambiances, l’homogénéité se créé d’elle-même et passe d’une dimension à l’autre avec beaucoup de fluidité.

ABSENCE OF COLORS

« Poison On Your Lips »

(Weird Noise)

Après « Cycles » en 2022, un premier EP très réussi qui a révélé l’univers et l’approche singulière du groupe français, ABSENCE OF COLORS livre « Poison On Your Lips » avec quelques changements. A commencer par le line-up, puisque Damien Bernard (batterie) et Olivier Valcarcel (guitare) accueillent en renfort le bassiste et claviériste Brice Berrerd. Et comme les trois musiciens sont également adeptes d’arrangements soignés et d’effets variés, de nouvelles possibilités s’offrent à eux et elles donnent à cet album volume et profondeur.

Cela dit, le trio ne bouche pas le spectre sonore, mais laisse respirer son post-Metal pour obtenir un son élaboré et organique. Toujours en mode instrumental, ABSENCE OF COLORS ponctue cependant « Poison On Your Lips » de quelques samples vocaux, qui viennent accentuer la sensation déjà très narrative des cinq morceaux. Polymorphe, le jeu de la formation de Chambéry montre beaucoup de relief, s’aventure aussi dans des voies où le Stoner côtoie le Doom, l’Indus et le post-Rock. Autant de courants qui ne finissent par ne faire qu’un.

Moins sombre que son prédécesseur, « Poison On Your Lips » s’étend pourtant sur un espace ténébreux, mais plus lumineux. Et il doit sans doute cet éclat à une vision distincte et plus personnelle de son style. ABSENCE OF COLORS fait habillement le lien entre l’aspect poétique de sa musique et des éléments plus brutaux et sauvages. Dès « Ignorance Is Strength », on plonge dans un précipice sonore, où l’expérimentation est aussi intense que maîtrisée (« Fury Room », « Death From Alone » et ses chœurs, « Perfect Storm »). Complet et captivant.

Photo : Bruno Belleudy

Retrouvez la chronique de « Cycles » :

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Blues Rock

Texas Headhunters : Blues Pistoleros

Brûlant et authentique, cet album qui rassemble une belle fraternité de six-cordistes audacieux et créatifs donne un bon coup de fouet à la scène Blues Rock actuelle en allant puiser dans les fondations-mêmes du style texan, de ce Blues atypique qui ne ressemble à aucun autre. Virevoltant et explosif, TEXAS HEADHUNTERS remue la poussière d’une tradition respectée et de ses atmosphères chaudes et attachantes. Réglé au millimètre, le jeu comme le chant de Jesse Dayton, Johnny Moeller et Ian Moore éclaboussent de talent ce « Texas Headhunters », qui se veut déjà intemporel et classique.

TEXAS HEADHUNTERS

« Texas Headhunters »

(Hardcharger Records/Blue Élan Records)

Lorsque trois fines gâchettes brillent déjà individuellement, les réunir provoque inévitablement un choc musical plus que réjouissant. Biberonnés au Blues texan et l’incarnant littéralement, Ian Moore, Johnny Moeller et Jesse Dayton ont eu le privilège d’être parmi les derniers à avoir été guidés par le grand Clifford Antone à Austin. Avec un tel mentor, inutile de préciser que TEXAS HEADHUNTERS porte un héritage conséquent, qui a fait de ses membres des guitaristes et des chanteurs plus que chevronnés et particulièrement aguerris et affûtés.

Captés lors d’un séjour de cinq petites journées aux fameux studios Pedernales à Spicewood au Texas ayant appartenu au légendaire Willie Nelson, les douze morceaux sont le fruit d’une belle alchimie où chacun se relaie au chant et où les joutes guitaristiques ressemblent plus à un dialogue et un échange qu’à une confrontation technique. Chez TEXAS HEADHUNTERS, tout le monde tire dans le même sens pour atteindre la même cible. A la fois très roots et énergique, le trio sait aussi se montrer funky, Soul et plein d’émotion. Un modèle de complémentarité.

Sur ce premier opus éponyme, on sent déjà une machine bien huilée, tant au niveau du songwriting que de l’interprétation, bien sûr. Les Américains sont flamboyants, instinctifs, captivants et surgissent là où on ne les attend pas, même si leur Blues Rock est loin d’être approximatif. Au contraire, TEXAS HEADHUNTERS possède déjà une identité bien maîtrisée et s’impose habillement en surfant sur des références avec lesquelles il fait corps. Fun et rugueux, « Texas Headhunters », forme un tout que l’on se repasse à l’envie et avec délectation.

Photo : Daniel Sanda

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Death Metal Doom

God’s Funeral : blackened procession

Avec « El Despertar Dels Morts », c’est l’extrême douleur et la souffrance déclenchées par la Grand Guerre qu’a voulu dépeindre GOD’S FUNERAL. A travers un Doom Death constitué de riffs tranchants, d’une rythmique en suspension, mais massive, et des parties vocales dévastatrices, les Espagnols s’affirment avec force sur ce premier opus complet, en s’engouffrant à l’occasion dans un Funeral Doom, qui va puiser dans les abysses du Metal pour en extraire ce qu’il y a de plus noir et désespéré.

GODS’ FUNERAL

« El Despertar Dels Morts »

(Meuse Music Records)

Valeur sûre du Doom Death catalan, le trio formé en 2016 a pourtant du faire ses preuves avant de s’imposer d’abord dans l’underground local. Et pour cela, GOD’S FUNERAL a quelque peu modifié son approche, passant d’un mix explosif teinté d’un Black Metal agressif au Death Doom qu’il propose aujourd’hui sur « El Despertar Dels Morts » à travers lequel il se meut dans une approche beaucoup plus lente du Metal. S’il n’était si lourd et pesant, on pourrait presque l’imaginer dans une sorte de ténébreuse apesanteur.         

Après une première démo en 2017 (« El Cristo De La Trincheras »), suivi de cinq splits et d’un EP, GOD’S FUNERAL sort enfin son premier album, reflet d’une expérience patiemment acquise au fil des années. Et pour ce long format, Abel Lara (vocaux, basse), Iban Morales (guitare) et Sergi Laboria (batterie) ont ouvert les portes de leur sombre univers pour laisser y pénétrer un peu de lumière. Rien d’aveuglant pour autant, car les claviers d’Eva Molina et le violon de Núria Luis à l’œuvre ici restent très mélancoliques.

Sur le thème de la première guerre mondiale, les Hispaniques se présentent avec cinq morceaux d’une longueur de sept à treize minutes, de quoi installer une ambiance et gagner en intensité. Le growl profond et menaçant du frontman vient accentuer une atmosphère de souffrance, d’où émanent quelques variations bien senties comme l’orgue d’église sur « Itaca ». Le très martial « La Processó De La Ombres » apporte un peu plus de percussion et « Fossa Comuna » et ses chœurs ferment ce prmier chapitre très prometteur de GOD’S FUNERAL.

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Alternative Metal Alternative Rock

Volbeat : le coup de la panne

Grosse flemme ou signe des temps ? Ou les deux, tant ils sont inhérents ? Une chose est sûre, certaines formations s’usent plus vite que d’autres et atteignent leur plafond de verre une fois la reconnaissance et le succès obtenus. Cela semble être le cas de VOLBEAT qui, faute de se renouveler, régresse au fil des disques. Les Scandinaves ont perdu leur guitariste solo Rob Caggiano et, comme on s’y attendait, le coup est rude. A l’écoute de « God Of Angels Trust », on cherche vainement un peu d’imagination… avant de se rendre à l’évidence.

VOLBEAT

« God Of Angels Trust »

(Universal)

Alors qu’il n’avait fallu que trois mois aux Danois pour mettre en boîte « Servant Of The Mind » il y a quatre ans, six petites semaines, dont treize jours de studio, ont suffi à l’élaboration de « God Of Angels Trust ». Et cela s’entend ! Depuis deux albums maintenant, VOLBEAT se montre expéditif et ça ne joue pas forcément en sa faveur. La routine s’installe et avec elle une créativité qui s’étiole. Michael Poulsen peine très franchement à retrouver l’explosivité d’un « Rewind, Replay, Rebound », par exemple. Les idées manquent et l’ennui pointe très rapidement le bout de son nez.

Certes, le groupe livre toujours de bonnes mélodies et le fantomatique (car il n’est toujours pas un membre officiel) Flemming C. Lund d’Asinhell fait même de petites merveilles sur les solos, tandis que la rythmique fait le taff, tout comme Jacob Hansen à la production, mais VOLBEAT semble avoir perdu la flamme. Capable de belles étincelles ponctuellement, il ne va plus au fond des choses en présentant des morceaux qui tiennent en haleine jusqu’au bout. Sans surprise donc, le combo ne met plus le feu… ou alors, très brièvement. On a le sentiment qu’il expédie le truc sans conviction.

Se reposer ainsi sur ses lauriers n’est pas donné à tout le monde. L’ombre de Metallica pèse lourdement sur « God Of Angels Trust », tant au niveau des riffs que des nombreux gimmicks vocaux. Cependant, la bonne nouvelle vient du single au titre interminable « In The Barn Of The Goat Giving Birth To Satan’s Spawn In A Dying World Of Doom » (on ne rit pas !), où plane cette fois l’esprit de Johnny Cash. Ensuite, VOLBEAT sombre totalement sur « Time Will Heal » et « Lonely Fields », entre autres. Le désormais power trio n’a plus de power que son appellation. Circulez !

Photo : Brittany Bowman

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Heavy Stoner Psych post-Rock Stoner Prog

Ikitan : the breath of the earth

Après deux formats courts, les Transalpins passent enfin à la vitesse supérieure et après des années de travail durant lesquelles ils ont investi les Marsala Studios de leur ville de Gênes, voici « Shaping The Chaos ». Mêlant Heavy Stoner Psych et post-Rock progressif, IKITAN se fait très original et paraît avoir minutieusement assemblé ses nouvelles compos en prenant soin de chaque détail. Sur une production parfois rugueuse, mais lumineuse et organique, l’ensemble est fluide et très dynamique.

IKITAN

« Shaping The Chaos »

(Taxi Driver Records)

Découvert il y a cinq ans à l’occasion d’un EP audacieux, « Twenty-Twenty », constitué d’un seul titre de 20 minutes et 20 secondes, IKITAN avait ensuite récidivé l’année suivante avec « Darvaza y Brinicle », sorti en cassette à une poignée d’exemplaires. On retrouve d’ailleurs ces deux titres sur ce premier album que les Italiens travaillent depuis 2021. Ils y ont peaufiné leur Heavy Stoner Psych aux teintes post-Rock et progressives, et comme « Shaping The Chaos » est entièrement instrumental, il est franchement hypnotique.

Cette fois, le power trio propose près d’une heure de voyage sonore, où il nous offre sa vision d’évènements naturels ayant secoués la planète à des endroits bien spécifiques, neuf au total. Ainsi, ce concept commence avec « Chicxulud », qui fait office d’intro et livre le ressenti puissant et massif d’IKITAN sur le cratère de l’impact qui a tué les dinosaures. Deux minutes qui imposent « Shaping The Chaos » de belle manière. Et la suite nous mène dans la Vallée de la Mort, au Kenya, en Antarctique et même aux côté d’une baleine…

Toujours aussi progressif, variant les tempos et avec à un beau travail sur les tessitures, le groupe se montre particulièrement accrocheur. IKITAN monte en puissance au fil des morceaux, multipliant les riffs solides, les lignes de basse hyper-groovy et avec un batteur très aérien et parfois aussi assez Metal. D’atmosphères planantes en grondements sauvages, le combo fait preuve de beaucoup de créativité comme sur « Natron », pièce maîtresse du disque où s’invitent percussions et violon, ou encore le génial « 52Hz Whale ». Exaltant !

Retrouvez l’interview du groupe à la sortie de sa première production :