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Lucie Sue : la force et le fun [Interview]

Pétillante, déterminée et hyper-Rock’n’Roll, LUCIE SUE remonte sur le ring avec « Battlestation », un deuxième album où elle plonge littéralement dans un Heavy Rock qui vient trancher avec son premier opus, « To Sing In French ». Cette fois, les riffs sont massifs et tranchants et on imagine sans mal à quel point la terre de Clisson a du trembler lors du dernier Hellfest. Non sans beaucoup d’humour, la frontwoman évolue en totale liberté à grand renfort de décibels, tout en maîtrisant un projet qui lui ressemble tellement. Entretien avec une artiste inspiré, volontaire et profondément sincère.

– Tout d’abord, j’aimerais que l’on remonte un peu le temps jusqu’en juin 2022 où tu tenais la basse avec Steel Panther au Hellfest, lors d’un featuring mémorable. Pourtant, ton premier album n’est sorti que l’année suivante et l’aventure n’avait pas encore réellement commencé…

Ce jour-là, je m’en souviendrai toute ma vie ! C’était tellement incroyable ! Jouer devant 60.000 personnes avec un de mes groupes préférés, c’est exceptionnel. En revanche, j’avais déjà fini l’écriture de l’album avant de monter sur scène avec eux. Mais c’est sûr que cet événement a été un véritable propulseur pour moi, car j’ai marqué les esprits auprès du public, mais aussi des pros. Ton dossier de presse a une autre saveur quand tu peux dire que tu as fait ce genre de chose !

– Et cette année, quelques semaines avant la sortie de « Battlestation », tu as de nouveau foulé la mainstage du Hellfest avec ton groupe. Trois ans après, comment as-tu abordé ce concert ? As-tu eu tout de même cette impression de ‘première  fois’ ?

J’avais gardé en tête les images et la sensation de mon premier passage avec Steel Panther. J’étais préparée psychologiquement. Et puis, j’avais déjà vu les backstage, l’organisation, vécu l’attente et le stress avant de monter sur scène. La vue de la marée humaine depuis la scène. Ca faisait le même effet que dans le film « Gladiateur », avant qu’il entre dans l’arène, le sol tremblait, la foule criait, le vent était chaud…

Cette année, c’était à la fois moins stressant, car on jouait le matin à 11h. Il y avait donc moins de monde, et en même temps c’était beaucoup plus stressant parce que c’était ma musique, mes chansons, ma crédibilité vis-à-vis du Hellfest et vis-à-vis du public. Il ne fallait vraiment pas se planter. On était obligés d’assurer. Et je pense qu’on s’en est bien sortis ! Prochain objectif, jouer à 19h, comme Steel Panther ! (Sourires)

– Pour clore ce chapitre, on retrouve Satchel, le guitariste de Steel Panther, sur ton nouvel album pour le solo de « Ride The Wired Wild Tiger ». Comment est née cette idée de collaboration ? Avez-vous gardé le contact ces trois dernières années ?

Oui, j’ai toujours su que je voulais faire une collab’ avec lui. Je le lui avais dit à l’époque, parce qu’on a le même humour et les mêmes gouts musicaux. Alors naturellement, c’est à lui que j’ai pensé pour cette chanson et il a super gentiment accepté. Je lui écris de temps en temps, pour le tenir informé de mon évolution. Je prends de ses nouvelles, sans le harceler non plus. C’est vraiment un mec super cool et super doué.

– Revenons à « Battlestation », qui marque un tournant aussi par rapport à « To Sing In French » qui sonnait clairement plus Rock, voire Pop. Cette fois, le ton est nettement plus Metal et Heavy avec toujours cette sensation très 90’s. Pourquoi et comment as-tu amorcé ce virage plus ‘musclé’ ?

Pour « To Sing In French », je sortais d’une période de ma vie qui m’avait littéralement vidée. J’ai du tout reprendre à zéro. J’étais dans un moment dur, sombre et triste. Et ça se ressent dans l’album. Et depuis, je me suis reconstruite, j’ai trouvé en moi une force incroyable, comme si je naissais à nouveau, comme si j’étais une belle fleur qui s’ouvrait enfin ! J’ai retrouvé une patate de malade, l’envie de tout défoncer et dans un sens très positif ! (Sourires)  Et c’est pour ça que « Battlestation » est bien plus percutant. Il reflète l’énergie dans laquelle je me trouve !

– Tu as entièrement écrit, composé et aussi produit ce deuxième album et même conçu sa pochette. Au-delà d’une démarche très DIY évidente, « Battlestation » donne aussi l’impression d’être très personnel. C’est pour cette raison que tu as tenu à maîtriser l’ensemble du processus ?

Je ne ‘tiens’ pas spécialement à quoi que ce soit. Ca s’est fait comme ça. Par manque de moyen aussi et parce que je n’avais pas le choix. Mais finalement, ce n’est pas plus mal, car en maîtrisant tout, ça reste forcément cohérent et fidèle à ce que je veux. Ca reste moi. Et c’est important, je crois. J’essaie de plus en plus de faire confiance à mon instinct profond. J’essaie de plus en plus de m’écouter et de m’autoriser à dire non, si je ne le sens pas.

– Ton Heavy Rock est franchement explosif et mêle à la fois des moments de rage et d’autres plus sensibles. Cependant, il y a beaucoup de joie et d’humour aussi, le tout dans un univers très 90’s assez Glam. C’est important pour toi que l’esprit fun soit si dominant dans ta musique pour peut-être ne pas donner dans une certaine noirceur ?

Je pense qu’on peut beaucoup plus facilement faire passer un message en rigolant plutôt qu’en accusant, ou en étant trop premier degré. Etre moralisateur, ça peut vite braquer les gens. Et ça peut vite faire genre : ‘t’as un énorme melon’. C’est pour ça que l’humour et l’autodérision sont super importantes. Chez moi, c’est naturel et c’est en prenant du recul que je me rends compte que, finalement, c’est parfait pour communiquer, emballer les gens, les encourager et leur ouvrir les yeux !

– Ce qui ressort également de « Battlestation », c’est la durée des morceaux qui n’excède pas les trois minutes, et qui offre un sentiment d’urgence parfois. C’est une volonté d’efficacité et d’immédiateté, ou plus simplement ta vision personnelle du songwriting et de ton univers musical ?

(Rires) Bien vu ! Oui ça, pour le coup, c’était réfléchi en amont, contrairement au reste de ma vie que j’aborde plutôt de manière spontanée. Je me suis toujours dit qu’il valait mieux faire court et donner envie aux gens d’en reprendre, plutôt que de trop en donner et de saouler.

– Avant la sortie de l’album, tu as sorti huit singles en huit mois, ce qui est pour le moins atypique. Quel était l’objectif, voire l’enjeu, d’une telle démarche et « Battlestation » est-il d’ailleurs prêt dès le départ ?

« Battlestation » était prêt un an avant sa sortie. Mais on a du attendre pour démarcher des tourneurs, RP et autres partenaires. Et puis, comme j’observe comment font les autres, j’avais vu que Julien Doré sortait single sur single, chaque mois, et je me suis dit que l’idée était forcément bonne. Ca maintient l’algorithme et tu ne changes rien auprès de ta communauté, non plus. Donc on a chauffé, chauffé, chauffé avec huit singles, huit clips et huit promos pour que la sortie de l’album arrive en mode apothéose ! C’est un boulot de dingue, sachant qu’on a du tout faire tout seuls avec zéro budget. Mais ça valait le coup.

– Même si l’industrie musicale demande aujourd’hui une forte présence sur les réseaux et les plateformes, où est, selon toi, le sens de dévoiler à ce point un album avant sa sortie ? Sur les treize morceaux de « Battlestation », on en connait déjà huit et il en reste seulement cinq à découvrir. Le format du disque traditionnel est-il devenu obsolète, avalé par le numérique ?

J’ai vécu les années 90, donc pour moi le concept de l’album est super important. Mais j’ai conscience que ce ne l’est plus pour la majeure partie des gens, qui préfèrent écouter des playlists plutôt qu’un album de A à Z. Le numérique a tout chamboulé, et bien et en pas bien. Mais ça, c’est un autre débat. J’ai sorti huit singles, mais les cinq titres qui restent sont tout aussi cools, voire encore plus originaux. Je les adore et je pense sincèrement que vous allez les aimer aussi. D’ailleurs, je vais leur faire un clip à chacun, car ils le méritent tout autant que les huit autres.

– Enfin, j’imagine que le prochain objectif est la scène, mais as-tu aussi dans un coin de la tête l’envie de trouver un label, sauf si continuer à évoluer en indépendant te convient pour le moment et te semble la meilleure option ?

On a fait tout le boulot d’un label. On a constitué une super équipe de RP, on a les meilleurs tourneurs, je bosse sur la partie marketing, car je suis graphiste et mon manager est à fond sur les contacts et le développement. Il connait tout le monde et il est malin. Donc à part pour faire du ‘name dropping’ et se faire pomper un pourcentage impressionnant de droits, on n’a pas besoin d’un label. Dans ce schéma-là, on maitrise tout. Je préfère. Mais il ne faut jamais dire jamais. On verra ce qui se présente. Ce qu’il nous faut à présent, c’est un tourneur pour l’international, les Etats-Unis, l’Australie, l’Asie, l’Amérique du Sud, etc…

Le nouvel album de LUCIE SUE, « Battlestation », sera disponible le 29 août sur le site de l’artiste et sur toutes les plateformes : www.luciesue.com

Photos : Xavier Ducommun (1, 2, 4) et Tisseau (5).

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Blues Rock France Soul Southern Blues

Jessie Lee & The Alchemists : nourrir l’héritage [Interview]

Fort d’un nouvel album dont les morceaux ont déjà été bien éprouvés sur scène, JESSIE LEE & THE ALCHEMISTS livre « Legacy » à travers lequel il revient sur ses racines. On y décèle un hommage, bien sûr, mais pour autant les Français continue d’œuvrer dans la démarche qui les guide depuis leurs débuts. Très live et organique, la production dégage une chaleur enveloppante, inhérente au style et avec une touche très 70’s. La chanteuse et son groupe ont une fois encore façonné une belle réalisation et ils reviennent sur sa conception.

– Ce troisième album est assez spécial pour plusieurs raisons. La première est que vous avez composé les morceaux pour ensuite les roder sur scène Qu’est-ce qui vous a mené à ce processus ?

Nous avons toujours fait comme ça, dès le début du groupe. Nous répétons peu les nouveaux morceaux, nous les laissons évoluer et s’affiner sur scène, ensuite seulement nous répétons pour préparer l’album. Cela nous permet aussi de ne pas nous poser de question au moment de l’enregistrement. Les titres sont digérés tout en gardant la fraîcheur de la nouveauté. En studio, nous jouons live en essayant de garder le même feeling que sur scène, c’est donc important pour nous que tous les titres aient été rodés avant.

– D’habitude, les groupes attendent la sortie du disque pour le défendre sur scène, ce qui créée aussi une certaine émulation pour le groupe comme pour les fans. Comme vous avez joué ces morceaux lors votre dernière tournée européenne, est-ce que cela vous a consolidé dans la composition de certains, et d’ailleurs en avez-vous retiré de votre répertoire suivant les réactions ?

Plein de petits détails s’affinent à force de jouer les nouveaux titres en live et ils continuent d’ailleurs à évoluer même après l’enregistrement de l’album. Et les réactions du public peuvent aussi contribuer à conforter nos choix, bien sûr.

– Si on reste sur l’aspect scénique, la sortie de « Legacy » signifie aller tourner de nouveau avec ces mêmes morceaux. Comment, et allez-vous d’ailleurs le faire, réinventer vos setlists ?

En réalité, nous introduisons des nouveaux titres à l’intérieur de la setlist précédente, donc ils arrivent par ‘roulement’, un ou deux, comme une sorte d’exclusivité pour le public. Seulement maintenant, nous jouons tous les titres du nouvel album avec un nouveau show. Il est d’ailleurs possible, d’ici quelques temps, que des nouveautés se glissent dans ce dernier !

– Musicalement aussi, votre démarche peut paraître surprenante. On a tendance à imaginer un troisième album comme celui qui vient conforter la personnalité d’un style. Or, ici, vous rendez hommage à vos racines musicales. C’est tout aussi enthousiasmant, mais c’est le genre de réalisation qu’on attend peut-être plus tard dans une discographie. Qu’est-ce qui a motivé cette démarche ?

Il n’y a rien de bien différent. Ce sont toujours des compositions originales avec notre son et notre personnalité, plus affirmée que jamais. Chaque album se doit d’être différent, et chaque morceau une histoire et un tableau à lui seul. La démarche était plutôt de revenir à ce par quoi nous avions commencé, s’inspirer de nos racines tout en mettant en avant le groupe live et ‘jam band’ que nous sommes. Nous nous laissons avant tout porter par nos envies du moment.

– « Legacy » a aussi été enregistré en studio dans des conditions live. Est-ce justement parce qu’il a été joué sur scène que vous avez opté pour cette façon de procéder ?

Tous nos albums ont été enregistrés de cette façon, tout en produisant de façon plus ou moins sophistiquée les morceaux, en ajoutant des guitares, des claviers, etc… C’est important pour nous de garder cette énergie live, qui doit rester la base des titres.

– Ce nouvel album est aussi un beau voyage musical à travers le Blues bien sûr, la Soul, le Rythm’n’ Blues et le Southern Rock, tout ce qui vous caractérise. Justement, comment avez-vous réussi à éviter les clichés des habituels hommages, tout en gardant votre identité artistique ?

Merci ! Les morceaux sont avant tout des originaux, notre identité artistique et musicale est partout. Ce sont plus des évocations, des clins d’œil, une manière de jouer et une façon de composer, qui rendent hommage à certains artistes et certains morceaux.

– Un mot aussi sur la production de l’album, qui est entièrement analogique et réalisée sur du matériel vintage. Est-ce que ce n’est finalement pas ça l’essence-même du Blues et ce qui retranscrit le mieux son âme ?

Il est important pour nous de ne jouer que sur du matériel analogique, des lampes dans les amplis, un vrai piano, un vrai orgue Hammond, etc… C’est ce avec quoi nous avons grandi et, effectivement, c’est ce que nous aimons et avons dans les oreilles. Nous n’allions pas faire de clins d’œil aux Allman Brothers, Edgar Winter ou à Jeff Beck, pour n’en citer que quelques uns, en utilisant des modélisations numériques ! (Rires)

– Enfin, vous reprenez « You’re The One That I Want » de John Farrar, rendu populaire par le film « Grease ». Vous en faites même une version presque Reggae, même si le final est beaucoup plus puissant. L’objectif de départ était-il de déconstruire l’original pour vous l’approprier ensuite complètement ?

Exactement, y mettre de nous, et prendre à contre-pied ce morceau que nous adorons ! La chose amusante est le refrain. Alors, nous avons modulé la tonalité, changé l’harmonie et la mélodie, ainsi que le rythme et pourtant on le reconnait. Il n’y a qu’une petite guitare qui fait un clin d’œil aux choeurs originaux du morceau. C’était un vrai challenge !

Le nouvel album de JESSIE LEE & THE ALCHEMISTS, « Legacy », est disponible chez Binaural Production/Absilone.

Photos : Eric Martin

Retrouvez aussi la chronique de leur album précédent, « Let It Shine » :

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France Metal Pop Rock

Sun : une signature unique [Interview]

Sorti il y a un peu plus de deux mois, « Krystal Metal » marque un bond dans la carrière de la guitariste-chanteuse et fait suite à deux EP, « Brutal Pop I & II » en confirmant un style assez unique où Metal et Pop s’entremêlent naturellement. Egalement productrice, SUN aura pris son temps pour peaufiner son premier long format, ponctué depuis des années par de nombreuses prestations live dont la récente mainstage du ‘Hellfest’. Aguerrie et déterminée, la frontwoman présente un album très abouti et solide sur lequel, vocalement, elle navigue entre un chant clair et un scream ravageur… L’art de conjuguer les opposés. Entretien avec une artiste qui vise toujours plus d’authenticité.

– Tout d’abord, comme tu as récemment fait le festival ‘Kreizh y Breizh’ à Glomel (22) et que tu reviens tout juste du ‘Hellfest’ où tu as joué sur la mainstage, j’aimerais que tu me donnes des impressions. Comment le public Metal t’a-t-il accueilli, et te sens-tu d’une manière ou d’une autre faire partie de cette famille-là ? 

Oui, le ‘Hellfest’ s’est très bien passé, au-delà de mes espérances. Il y avait beaucoup de pression sur cette date que j’attendais avec impatience. Et puis, on m’avait dit que lorsqu’on ouvrait une journée sur la mainstage, il arrive qu’il n’y ait pas trop de monde. Et en fait, c’était blindé ! Je n’avais jamais vu ça de ma vie ! J’étais sciée et secouée par ça. Et le ‘Kreizh y Breizh’ juste avant était super sympa, dans une ambiance beaucoup plus bretonne, chaleureuse et très agréable. En ce qui concerne le public Metal, je viens du Metal Extrême à la base, du Brutal Death où je suis guitariste rythmique. Même si mon ‘Brutal Pop’ est un mélange différent, j’ai toujours été bien accueillie par le public, même au ‘Festival 666’ l’année dernière. Je n’avais pas trop peur du côté Metal. En revanche, être sur la mainstage pour mon premier ‘Hellfest’, c’était un peu flippant ! (Rires

– Il y a six ans déjà, on te découvrait avec un premier EP, « Brutal Pop », suivi en 2023 du second volet, toujours en format court. C’est un univers assez unique, qui va puiser autant dans la Pop que dans des sphères Rock plus musclées. Est-ce que tu te considères un peu comme une sorte de chaînon manquant ? Un pont entre ces deux styles musicaux ?

Peut-être pas, mais c’est assez naturel dans mon processus. Tout ça est né quand j’étais petite, car j’adorais écrire des chansons. Etant franco-allemande, j’habitais en Forêt Noire en Allemagne où je m’ennuyais un peu, mais j’avais accès à la guitare électrique de mon frère et un livre sur la guitare Metal. Et il se trouve que lorsque j’écrivais mes chansons, au lieu de m’accompagner au piano pour plaquer les accords, j’allais directement à la guitare entre la voix et un gros riff. A l’époque, j’écoutais autant Janet Jackson que Hate Eternal ou Morbid Angel, donc des trucs assez vénères. Pour moi, c’était une façon de faire très organique. En fait, au moment de faire la chanson fabriquée autour de ce jeu de guitare et du scream, qui me permet d’atteindre un point culminant sur les paroles, tout cela se fait assez naturellement finalement. Je ne sais pas si je peux me considérer comme un chaînon manquant, c’est plutôt à d’autres de le dire. En tout cas, je suis heureuse si je peux faire le pont, parce que je ne me suis jamais limitée aux styles musicaux. La seule chose que j’aime est le songwriting, donc si c’est seulement un enchainement de riffs, je m’ennuie rapidement.

– Malgré les quatre ans qui les séparent, tes deux premiers EPs se rejoignent et pourraient même constituer un seul et même album, même si des productions sont un peu différentes. Avais-tu besoin de mieux cerner les contours de ton jeu et de ton style avant de t’aventurer dans un format long ?

En fait, j’ai retenu l’album pendant très longtemps. Je ne me suis jamais dit que le ‘Brutal Pop’ serait mon plan de carrière. Pendant des années, j’ai chanté dans des comédies musicales, joué dans des pièces de théâtre, j’ai fait du cinéma en tant qu’actrice… Et tout ça en ayant mon projet à côté. Je ne me suis pas dit que c’était une bonne idée, mais plutôt que j’étais une fille un peu bizarre, voilà ! (Sourires) Ce sont surtout les gens et des producteurs que j’ai rencontrés sur la route comme Dan Levy de The Dø et Andrew Sheps, qui m’ont dit que c’était vraiment ça mon projet. Donc, j’ai vraiment retenu mon album pendant longtemps, parce que je savais que la carte du premier album est quelque chose qu’on ne peut jouer qu’une seule chose. Alors, si on peut le faire partir du plus haut possible de la montagne, c’est plus avantageux. Et c’est pour ça que j’ai aussi mis du temps, car je suis en indépendant et je voulais vraiment trouver les partenaires qui m’aideraient.  

– Cela dit, « Krystal Metal » est lui aussi assez court et très resserré. Cherchais-tu un certain sentiment, ou tout au moins une impression, d’immédiateté et d’urgence ?

Pour être sincère, j’ai enregistré beaucoup plus de choses que ce qui figure sur l’album. J’ai vraiment voulu créer le geste qui coulait le mieux avec une grande variété dans les signatures rythmiques, les tempos et les accords pour qu’il n’y ait pas de redites. Et comme je trouvais que ça collait bien, je me suis arrêtée là-dessus, tout simplement.

– Depuis tes débuts, tu t’occupes de tout : de l’écriture à l’interprétation des instruments et du chant jusqu’à la production et le mastering. Tu n’as jamais été tentée de partager tes chansons en groupe, ou avec des arrangeurs par exemple, ou sont-elles trop personnelles à tes yeux ? Ou peut-être que tu as aussi une idée très précise de ce que tu souhaites obtenir ?

En fait, j’ai fait le chemin inverse. Le premier EP a été coproduit avec Dan Levy. Ensuite, j’ai produit le second, mais j’ai travaillé avec des personnes au mix comme Andrew Sheps justement. Lui, il a bossé avec Metallica, Smashing Pumpkins, Beyoncé, … et c’est lui qui m’a dit d’arrêter de me cacher derrière les gens et qu’il fallait que je produise tout de A à Z. Il m’a dit que, comme je savais exactement ce que je voulais, il fallait que je me fasse confiance. Et donc, « Krystal Metal » est vraiment le fruit de tout ça. Tu sais, même avant SUN, je tournais sous mon nom, Karoline Rose. J’ai bossé avec Babx et d’autres et je me suis beaucoup diluée et perdue avec des producteurs, car ils ont tous une vision de toi. C’est bien quand tu fais un truc depuis 20 ans et que tu veux le rafraîchir, ou quand tu es un artiste qui n’a pas trop de matière et que tu es surtout interprète.  Mais dans mon cas, ça m’a toujours fait du tort. Et « Krystal Metal » est une sorte de retrouvaille avec moi-même et le meilleur choix de ma vie. Je savais très bien ce que je voulais entendre et je me suis lancée.

– Par ailleurs, tes textes sont souvent engagés, notamment en faveur de la cause féminine, mais pas uniquement. A leur écoute, on découvre aussi beaucoup de colère et de rage. Pourtant, il y a toujours un message d’espoir et surtout une énergie très positive. Ce mélange des genres est-il finalement un appel à l’éveil des consciences à travers un jeu brut et direct ?

J’essaie de rester quand quelque chose de sincère et d’organique, un peu à l’image des disques de Pop qui m’ont marqué et où il y a toujours une accroche direct sur des thèmes universels. Je fais passer ça dans mes chansons et ça traverse des émotions très diverses. J’ai vraiment essayé de faire un disque Pop dans ce sens-là, c’est-à-dire quelque chose que les auditeurs puissent s’approprier. Je laisse sortir les choses avec cette approche-là.

– L’une de tes particularités est d’alterner le chant clair et le scream. C’est un choix qui peut paraître étonnant, même si cela devient aussi très courant sur la scène Metal féminine. Qu’est-ce que cela apporte, selon toi, à tes chanson, car tu pourrais apporter plus de puissance à ton chant clair ?

J’ai cette voix claire qui est assez longue, comme on dit, et qui me donne beaucoup de possibilités et dans ma boîte à outils, j’ai aussi le scream. Et donc à des moments précis où la voix de poitrine ne suffirait plus, je vais laisser le scream venir. Je le fais dès la composition et c’est effectivement souvent lié aux paroles sur une intensité qui arrive, ou un bel accord. La plupart du temps, je le fais à des moments qui sont des points culminants positifs ou majeurs. Ca fait aussi partie de mon registre, tout simplement.

– Ce premier album, « Krystal Metal », vient donc de sortir et la première surprise vient de sa production qui est beaucoup plus organique et se détache de l’aspect assez synthétique de tes deux EPs. C’est pour cette raison que tu as fait appel à un batteur et ponctuellement à un bassiste ? Pour retrouver une certaine chaleur ?

J’ai toujours engagé des musiciens pour les enregistrements en studio, et notamment un batteur, que ce soit sur « Brutal Pop » et « Brutal Pop II ». Le reste, je le fais moi-même. En fait, pour « Krystal Metal », j’ai plutôt fait ce qu’on appelle une ‘non-prod’, c’est-à-dire que je range tous les effets avant qu’on ne les entende. Je ne laisse jamais dépasser ou déborder un réverb’ ou un delay, parce que je veux qu’on écoute la chanson à travers la voix et la guitare. Mais, et cela a été longtemps l’une de mes particularités, c’est parfois une véritable usine à gaz, mais tu ne l’entends pas. C’est important pour moi que la production soit vraiment au service de la chanson et que ce soit l’humain qui joue. C’est vrai que j’ai engagé quelques personnes, mais j’ai aussi beaucoup trifouillé et édité. J’aime avant tout le son organique et ensuite, je passe ma vie à bouger tout ce qu’il a dedans.

– Et puis, il présente également beaucoup plus de profondeur et de consistance avec un spectre sonore plus rempli et massif. Outre le travail sur les morceaux, l’idée était-elle aussi de leur offrir plus de relief et donc de peaufiner le plus possible les arrangements, comme c’est le cas ?

Oui, c’est ça. J’avais vraiment envie qu’il y ait des arrangements, de la largeur, du gros son et à l’époque du Metal moderne, tu as aussi envie de ça. Tu as envie de remplir l’espace, que ce soit massif et aussi, comme je te le disais, de ranger aussi les effets pour les sortir au bon moment. Je préfère qu’on me dise qu’on adore la voix plutôt que la réverb’. Et c’est pareil pour tout, que ce soit au niveau du mix, de la batterie… Les synthés sont là aussi, mais je les ai enregistrés en analogique pour retrouver justement cette chaleur qui me plait beaucoup plus.

– « Krystal Metal » se distingue également par l’utilisation de la double-pédale par ton batteur, de distorsion sur les guitares et ton scream est toujours aussi présent. On se rapproche donc avec ces divers éléments de l’univers du Metal. Justement, d’où viennent tes inspirations de ce registre ? Y a-t-il des artistes ou des groupes qui influent directement sur tes compositions ?

Comme toutes les petites filles, j’ai commencé par les Riot Girls, le Grunge et tout ça. Et comme j’aimais les guitares, j’ai glissé vers le Nu-Metal avec Kitty, My Ruin, Korn, Slipknot ou Machine Head. Et petit à petit, j’ai écouté du Thrash Old comme Testament et très vite, tu arrives à Morbid Angel, Hate Eternal, Immolation ou Cannibal Corpse. C’est vraiment ces groupes-là qui m’ont inspiré niveau Metal. Mais côté ‘mainstream’, il y a Gojira aussi, qui a d’ailleurs été influencé par ces artistes-là. C’est ça qui m’a vraiment parlé, et ensuite Strapping Young Lad et l’album « City » et enfin Devin Townsend, qui est pour moi l’inventeur du Pop Metal à la base. J’ai vite compris que c’était ce mélange-là qui m’intéressait le plus.

– Enfin, à l’avenir, tu comptes rester sur ce registre-là, ou est-ce que tu penses explorer encore d’autres univers musicaux ?

Non, je pense rester là-dessus. En fait, j’ai un peu fait l’inverse du cheminement. Au départ,  je ne savais pas vraiment que faire, je ne pensais pas que c’était une bonne idée et plus je sortais des choses, plus j’étais confirmée dans ma démarche. J’essaie d’aller vers toujours plus d’authenticité.

L’album de SUN, « Krystal Metal », et toutes les infos (concerts, etc…) sont disponibles ici : linktr.ee/sunbrutalpop

Photos : Jonathan Lhote (1, 4), Bassem Ajaltouni (2) et Alex Pixelle (3).

Retrouvez la chronique de « Brutal Pop II » :

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Classic Rock France Hard 70's Rock 70's Southern Blues Rock

Emerald Moon : céleste [Interview]

Arrivé il y a quelques jours dans les bacs, le premier album d’EMERALD MOON est LA sensation Classic Rock française de l’année. Il faut aussi avouer que le quintet compte dans ses rangs des musiciens chevronnés et bouillonnant d’idées. Guidés par leur chanteuse, les deux guitaristes multiplient les combinaisons sur une rythmique groovy à souhait et ce très bon « The Sky’s The Limit » vous renvoie avec bonheur dans les 70’s sur une production très actuelle et organique. Le fondateur et guitariste, Fabrice Dutour, revient sur la création du groupe, sa façon de travailler et surtout sur cette musique qui lui tient tellement à cœur.

– Au regard de vos parcours respectifs, j’imagine que vos chemins ont dû se croiser assez souvent au gré de vos projets. Quel a été le déclic pour monter EMERALD MOON et surtout pour en définir le style ?

Pour ma part, je joue déjà avec Laurent (Falso, batterie – NDR) et Vanessa (Di Mauro, chant – NDR) dans deux projets différents. J’ai eu le bonheur de partager l’aventure ‘United Guitars’ avec François (C. Delacoudre, basse – NDR), dans laquelle figurait également Michaal (Benjelloun, guitare – NDR). Tous les deux ont d’ailleurs eu plusieurs fois l’occasion de partager la scène, lorsque les chemins de Gaëlle Buswel, avec qui joue Michaal et de Laura Cox, avec qui jouait François, étaient amenés à se croiser. Vanessa et Laurent ne connaissaient donc pas Michaal et François. J’ai été l’entremetteur… Pour revenir à la genèse du projet EMERALD MOON, cela s’est passé en 2021, après l’enregistrement du « Volume 2 » d’’United Guitars’. Nous venions d’enregistrer un titre avec Fred Chapellier, le courant est vite passé et l’envie était commune. C’était aussi une évidence pour nous que François était le bassiste idéal. Yann Coste serait donc le batteur. Chacun de notre côté, Fred et moi avons composé plusieurs titres pour ce nouveau groupe, qui s’appellait alors Silverheads et que nous envisagions, logiquement au vu de nos influences, de faire sonner dans un style Classic Rock. Après plusieurs mois à la recherche d’un chanteur, j’ai proposé Vanessa, qui a fait l’unanimité. Nous devions enregistrer en mai 2022. Mais à quelques semaines du début des sessions, l’emploi du temps de Fred est bousculé en raison de sa collaboration à la tournée des Dutronc. L’album ne se s’est donc jamais ensemble. Mais début 2024, Vanessa, François et moi avons eu envie de faire aboutir ces titres que j’avais composés et sur lesquels Vanessa avait écrit des textes. J’avais quelques idées en tête pour cette place de guitariste et Michaal était mon choix numéro un, il a tout de suite accepté de rejoindre l’aventure. Et Laurent s’est imposé à moi comme une évidence également et il s’est joint à nous.

– Vous avez tous un CV conséquent et une connaissance affûtée du métier. Comment est-ce que cela s’organise pour la composition des morceaux et l’écriture des textes ? Chacun apporte-t-il ses propres idées, ou faites-vous confiance à certains d’entre-vous en particulier ? Je pense au noyau dur ayant évolué ensemble sur ‘United Guitars’ notamment…  

L’organisation, pour cet album, a été en partie dictée par nos emplois du temps respectifs et la distance qui nous sépare. Je dis en partie, car j’ai depuis longtemps l’habitude de composer ainsi, c’est-à-dire que je maquette l’ensemble du titre avec la batterie, la basse et les deux guitares. Les structures sont figées, les parties de  guitares harmonisées également mais, évidemment, la réinterprétation des lignes de chaque instrument est libre pour chacun. J’avais déjà six titres pour le projet initial, j’en ai composé cinq autres avant l’enregistrement de l’album et Michaal a également amené une composition. Après, toutes les idées et les contributions ont été les bienvenues.

– On vous avait découvert en octobre dernier avec « Phase One », un premier EP, presque de présentation finalement. Pourquoi le choix du format court ? C’était faute de temps en raison d’emplois du temps chargés, ou plutôt une manière de prendre la température et de voir quel en serait l’accueil, d’autant que l’on retrouve les quatre morceaux sur l’album ? 

Question très intéressante. Pour tout te dire, cet EP est la restitution de notre première session de répétition. Il n’y avait pas, initialement, l’idée de sortir quelque chose, nous enregistrions juste pour pouvoir prendre du recul. Il faut dire aussi que nous répétions chez Laurent qui, en plus d’être batteur, est plutôt très bon dans le domaine du son. Son local est équipé et il a coutume d’enregistrer toutes les répétions qui se font chez lui. Nous nous étions donc fixés quatre titres, trois compos et une reprise, « Ramble On » de Led Zeppelin, et nous nous sommes retrouvés pendant deux jours. L’objectif était juste d’aboutir un titre, « What You’re Told » et de le clipper, histoire d’avoir la possibilité de démarrer l’aventure. A ce moment-là, le groupe n’avait même pas de nom. Et puis, à la réécoute de cette session, on se dit que ça sonnait plutôt bien et cela confirmait la sensation de cohésion que nous avons tous ressentie dès les premières notes. Et de là a germé l’idée de sortir ces quatre titres. Vu l’esthétique, le format vinyle s’imposait aussi. Et tout cela a permis, effectivement, d’accélérer la naissance d’EMERALD MOON. 

– D’ailleurs, avez-vous apporté des modifications sur ces morceaux entre l’EP et l’album ?

Déjà, il était évident pour moi que ces trois titres faisaient partie d’un tout. Ils devaient figurer sur l’album. Sur la version EP, ils sont joués live, les amplis sont dans la même pièce que la batterie, il n’y a pas d’overdub ou de guitares additionnelles. Pour l’album, ils ont été totalement réenregistrés, au propre, avec plus d’arrangements, notamment sur les parties de guitares. Le fait de garder ces trois titres a également eu une incidence sur l’écriture. Il fallait que les personnes qui avaient déjà découvert ces trois premières compositions aient de la matière avec la sortie de l’album. Avant l’EP, l’idée était plutôt un album de neuf ou dix morceaux, « Phase One » a changé la donne et nous voilà avec 12 titres.

– Lorsque l’on voit par où vous êtes tous passés, le côté Rock et bluesy semble une évidence. EMERALD MOON présente donc un Classic Rock très 70’s dans l’esprit, mais pas forcément dans le son. On sent aussi beaucoup de plaisir entre vous en vous écoutant. C’est ce qui vous guide depuis le départ ?

Le plaisir est ce qui nous guide dans notre métier de musicien. C’est une chance infinie de vivre de notre passion. C’est déjà vrai lorsque l’on joue la musique des autres, c’est encore plus intense lorsque l’on défend ses propres chansons. Pour ce qui est de nos influences et nos parcours, nous avons beaucoup de choses en commun comme des racines Blues et le Rock/Hard Rock Seventies. On a voulu restituer ça avec un son plus contemporain, sans aller trop loin, de sorte à garder la dynamique, le grain et les nuances propres à ce style. 

– D’ailleurs, même si votre registre retrouve des couleurs depuis quelques temps maintenant, est-ce qu’EMERALD MOON est là aussi pour palier un certain manque, car il y a vraiment un public en demande concernant le Classic Rock notamment ?

Il n’y a pas de calcul sur le bon endroit ou le bon moment. Il y a juste l’envie de faire ce que l’on aime faire et que l’on fait chacun depuis longtemps : Michaal avec Gaëlle Buswel, François avec Laura Cox, Laurent avec Jack Bon et moi avec Back Roads. Et surtout, de le faire ensemble. C’est une magnifique équipe et il nous tarde d’être sur scène tous les cinq.

– Vous êtes en autoproduction, ce qui n’est pas franchement une surprise étant donné que vous êtes tous rompus à l’exercice du studio et que trouver votre son n’a dû pas être très compliqué. Est-ce un avantage aussi de pouvoir mener votre projet vous-mêmes, et avez-vous tout de même fait appel à des personnes extérieures pour l’enregistrement, le mix ou le mastering ?

Il est certain, comme je te le disais tout à l’heure, que le fait que Laurent ait les compétences et le matériel pour enregistrer et mixer un album est un atout essentiel. On a pu avancer à notre rythme. De la même manière, Michaal et François peuvent gérer leurs prises chez eux. On peut travailler ensemble ou à distance, c’est très confortable. Et pour ce qui est de la production et des choix artistiques, on avait déjà des idées, puis le temps et les propositions ont affiné tout cela. On a passé, Laurent et moi, le temps nécessaire pour aboutir les titres comme nous le souhaitions. 

– Avec Michaal Benjelloun, vous formez un beau duo de guitaristes. L’esprit est très zeppelinien avec des teintes Blues et Southern. Comment est-ce que deux musiciens aussi aguerris se partagent-ils les rôles, même s’il y a aussi de beaux passages de twin-guitares ?

De manière très naturelle. Déjà, dans l’écriture, il y avait beaucoup de place laissée aux guitares. Et c’est logique, puisqu’initialement, c’est un projet de guitaristes… On aborde un titre avec comme question : ‘tu préfères faire le premier ou le deuxième solo ?’. Après, tout est libre, les idées d’arrangements sur les parties rythmiques, le choix des guitares et des sons. On s’écoute, l’idée de l’un fait rebondir l’autre, on cherche toujours à se compléter et à mettre en valeur nos qualités respectives.

– Est-ce que, lorsque l’on joue et compose du Classic Rock comme EMERALD MOON, l’idée est de toujours faire évoluer le style en y apportant quelques touches modernes, ou plus simplement juste de se faire plaisir ? Car cela impliquerait de fait une certaine finitude du registre… 

Je me souviens d’une chronique d’album qui se concluait par cette phrase : « Ils n’ont pas inventé la poudre, mais ils savent la faire parler ». C’est une très belle formule. Quand je compose, il m’arrive de faire des citations volontairement appuyées comme pour « What You’re Told », qui sonne très Thin Lizzy. Il arrive également que l’on me dise que telle composition est inspirée de tel titre, alors que ce n’était pas une piste de départ consciente… Il est évident que nous sommes imbibés de toutes nos écoutes et que ces influences transpirent fatalement dans notre écriture. Je n’ai absolument pas l’idée de révolutionner le style, mais j’essaie de m’appliquer, lorsque je compose un titre à lui donner une première lecture fluide. J’essaie également de le remplir de petites surprises à travers les arrangements, la réexposition des thèmes, la structure et un ensemble de choses qui fait que la première impression d’évidence évolue au fur à mesure des écoutes. Parce que l’idée est là : façonner et penser notre musique dans l’esprit de celle que nous écoutions il y a trente ans, lorsque les moyens technologiques ne nous permettaient pas d’accéder à tous les albums de tous les groupes en un clic. On avait, en gros, un album par mois, on prenait le temps de l’écouter et d’en extraire la totalité des subtilités. Si les gens qui s’intéressent à notre album nous font l’honneur de prendre le temps de se l’approprier, je veux qu’ils puissent découvrir des choses au fil des écoutes. 

– Enfin, avec un tel premier album, on attend forcément une suite à cette belle aventure. Est-ce que vous vous projetez déjà dans l’avenir avec des concerts à venir, par exemple, et/ou déjà le projet d’un deuxième album en tête ? Comme vous êtes tous les cinq engagés avec dans d’autres formations, j’espère qu’EMERALD MOON n’est pas un one-shot…  

L’album est sorti le 13 juin, via Inouïe Distribution, et nous étions sur scène ce jour-là, ainsi que les trois jours qui ont suivi. Mais nos emplois du temps respectifs ont effectivement limité les possibilités de concerts pour 2025. On travaille sur 2026 pour pouvoir mieux s’organiser et avoir plus de visibilité. Et effectivement, l’idée du deuxième album est déjà là.

Le premier album d’EMERALD MOON, « The Sky’s The Limit », est disponible chez Inouïe Distribution.

Photos : Christian Viala (3) et Richard Guilhermet (4).

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Patrick Rondat : back to the light [Interview]

Considéré à juste titre comme le premier guitar-hero français, PATRICK RONDAT nous aura fait patienter plus de 20 ans pour livrer « Escape From Shadows ». Et comme toujours avec lui, l’attente en valait vraiment la peine. Si l’on retrouve immédiatement son toucher, son phrasé et sa technique implacable, l’ensemble sonne nettement plus organique que ce qu’il a pu produire par le passé. Ce sixième album est très instinctif, fait de flâneries musicales et de belles attaques musclées et toujours aussi progressives. Entouré d’amis, le virtuose nous fait même la surprise d’un morceau chanté, une première pour lui sur un disque solo. Entretien avec un musicien, dont l’univers musical n’a pas fini de nous surprendre.

– On te sait très occupé entre différents projets que tu as mené ces dernières années, à savoir les masterclass, les cours et les concerts. Pourtant, de ce que j’ai pu lire, tu travailles sur ce nouveau disque depuis 2018. Est-ce que chacun de tes albums a besoin de mûrir plus ou moins longtemps ? Est-ce qu’une immersion totale t’est nécessaire ?

C’est pire que ça ! J’ai toujours besoin d’un peu de temps pour être convaincu de ce que je fais, que je puisse écouter les morceaux six mois ou un an après et me dire que ça tient la route. C’est la première chose et ensuite, j’ai traversé des périodes difficiles dans ma vie avec le décès de ma femme, puis j’ai commencé à enregistrer le premier morceau, « From Nowhere », en 2010. J’ai poursuivi jusqu’en 2013 en maquettant deux/trois titres. Après, j’avais la tête ailleurs avec des moments de doute et j’ai recommencé à m’y mettre de manière assez ponctuelle sur un laps de temps assez long, finalement. En fait, je n’ai pas bossé longtemps dessus, mais il y a eu des périodes de vide de cinq/six ans. C’est ce qui explique la durée entre l’album précédent et celui-ci.

– Si on considère « An Ephemeral World » comme ton véritable dernier album en solo, il date déjà de 2004, soit plus de 20 ans. En dehors de tes nombreuses collaborations, tes réalisations instrumentales semblent les plus personnelles. Tu as besoin de décrocher de cet univers pour mieux y revenir ?

Oui, et ce dont j’ai aussi besoin, c’est de prendre le temps parce que, si tu prends mes albums et même s’il y a une ligne commune, il y a aussi une identité propre à chacun. Cela se ressent dans le son, dans le compos et, même si on retrouve des choses, je ne pense pas qu’on puisse confondre les disques entre eux. Ils sont tous différents et pour celui-là, c’est pareil. J’ai voulu une empreinte sonore et des morceaux différents et pour faire ça, il faut du temps. Quand tu démarres avec tes premiers albums, tu as bossé plein de choses, tu as plein d’idées nouvelles, etc… Mais quand tu en as déjà fait trois ou quatre, tu as déjà utilisé pas mal de cartouches. Pour te renouveler et trouver de nouvelles choses, c’est une sorte de quête. Sinon, tu enchaînes les disques et tu fais toujours les mêmes. Et je n’ai pas envie de ça. Après, ce n’est pas une critique, beaucoup le font, mais je veux que chaque album ait une réelle identité. Et pour ça, j’ai besoin de temps pour trouver des pistes, avoir une vision de ce que je veux faire au niveau du son, des compos et de mon jeu aussi. Sur ce nouvel album, mes solos sont assez différents, il y a des choses que je ne faisais pas non plus auparavant. Il me faut de plus en plus de temps pour me renouveler, mais j’espère que je ne mettrai pas 20 ans pour le prochain ! (Sourires)

– « Escape From Shadows » est donc ton sixième album, et je lui trouve une tonalité et une production beaucoup plus organiques. Il y a une grande proximité à son écoute. Est-ce que cela a aussi été une volonté dès le départ ?

Totalement ! J’ai voulu aller à contrepied de ce que qui se fait. Aujourd’hui, beaucoup de groupes de Metal sont dans le tout numérique avec des amplis numériques, des guitares à huit cordes, les batteries super-éditées presque mécaniques, … On a voulu aller vers une batterie qui sonne plus acoustique et de mon côté, j’ai juste une tête d’ampli, un Blackstar à lampe, un baffle et un jack. Je n’ai même pas de pédales. La guitare est dans l’ampli et on a juste rajouter quelques effets au mix. Globalement, l’ensemble est très organique. Aux claviers, Manu (Martin – NDR) a utilisé un B3 Hammond enregistré à l’ancienne avec un micro. Je ne voulais non plus faire un truc qui sonne 70’s et qui soit daté. Mais en même temps, je voulais que ça fasse groupe et organique, parce que je pense que c’est ce qui vieillit le mieux et qu’il ne soit pas lié à une mode, non plus. Je ne voulais pas faire un album qui s’écoute deux ans, mais quelque chose qui dure dans le temps. Et plus c’est naturel, plus ça vieillit bien. On a juste ré-ampé les guitares, ce qui m’a permis aussi de mieux me concentrer sur le son.

– On retrouve sur « Escape From Shadows » des amis musiciens de longue date comme  Patrice Guers à la basse, Dirk Bruinenberg à la batterie et Manu Martin aux claviers et même pour la première fois un titre chanté sur lequel on reviendra. Et puis, il y a la présence de la guitare de Pascal Vigné, qui pose d’ailleurs un solo sur le monumental « From Nowhere ». C’est assez rare qu’un guitariste, qui plus est joue en instrumental, laisse une petite place à un autre. Comment cela s’est-il mis en place ?

Pascal est un ami de longue date et on a aussi traversé des épreuves difficiles à quelques mois d’intervalle, ce qui nous a soudés. Nous nous sommes retrouvés seuls avec nos enfants, on a ensuite retrouvé quelqu’un tous les deux aussi. Après, j’ai eu une période où je ne voulais plus finir l’album et il m’a invité à venir chez lui enregistrer des grattes et cela m’a débloqué à un moment où l’album n’aurait peut-être pas été terminé sans lui. Et comme c’est un guitariste que j’adore, c’était un moyen de le remercier d’être allé au bout, ainsi que l’occasion de partager quelque chose ensemble. Et sur ce passage, je me suis dit qu’il pouvait poser un truc chouette, et c’est ce qu’il a fait. C’est un solo magnifique et comme il joue vraiment différemment de moi, cela donne quelque chose de vraiment cool. Je suis très content. C’est d’ailleurs le tout premier morceau que j’ai composé pour l’album et il date de 2010. Il est très naturel dans le sens où tu passes par plein d’ambiances et tout s’enchaine très bien. On suit un chemin…

– Et comme je le disais, pour la première fois sur l’un de tes albums, il y a un morceau chanté, « Now We’re Home », interprété par Gaëlle Buswel. Tout d’abord, c’est une rencontre qui peut surprendre compte tenu de vos univers musicaux très différents. C’est une sorte de challenge, ou quelque chose qui s’est fait naturellement entre vous deux ?

Ca fait plus de 15 ans que je connais Gaëlle, depuis 2010 environ. Je l’ai connu avant même qu’elle n’ait sorti d’album. Je l’ai aussi vu grandir musicalement, je l’avais déjà invité à jouer avec moi sur scène. C’est une belle personne, tolérante et vraiment cool. Et j’adore sa voix, elle a vraiment quelque chose. Lorsque j’ai composé le morceau, « Now We’re Home », il était totalement instrumental et je me suis dit que ça ne collait pas. Alors, soit je le virais, soit j’en faisais quelque chose d’autre. J’ai pensé à elle. Je lui ai envoyé le titre il y a longtemps, en 2015, je crois. Elle m’avait fait une voix témoin, qui m’avait convaincu. Il ne s’est rien passé pendant plus de 10 ans et je l’ai rappelé en lui disant que l’album allait sortir. On a parlé du texte, de ce que je voulais et elle l’a écrit. Et puis, j’aime bien aller là où ne m’attend pas. On s’attendait sûrement à un truc Prog Metal avec une voix à la Symphony X ! Et puis, j’aime sa voix Rock/Blues, qui amène vraiment quelque chose et qui, une fois encore, appelle au voyage que ce soit dans le texte comme dans la musique. D’ailleurs, le solo rappelle un peu « Amphibia ». Je ne voulais pas non plus d’un truc Pop décalé, mais que ça reste du PATRICK RONDAT avec une partie solo assez longue, instrumentale et planante.

– Connaissant ton affection aussi pour la musique classique et le Metal néo-classique initialisé par Yngwie Malmsteen notamment, on retrouve une reprise de « Prelude And Allegro » du violoniste autrichien Fritz Kreisler. C’est un morceau de 1910 et pas forcément très connu d’ailleurs, sauf des amateurs éclairés. Comment et pourquoi l’avoir choisi, sachant en plus qu’il le voyait comme un canular, dont il était assez coutumier ?

En fait, en 1993/94, je faisais une grosse tournée avec Jean-Michel Jarre et en plus de lui, il y avait trois claviers dont Sylvain Durand, qui est malheureusement décédé et qui était pianiste à l’Opéra de Paris. Il était donc musicien classique et il adorait mon jeu de guitare. Il m’avait dit qu’il me verrait bien jouer ce titre-là, que je ne connaissais pas. Je l’ai écouté et je me suis dit qu’en effet, il était chouette. J’avais commencé à le bosser, et même s’il paraît assez simple, il est compliqué à jouer. Je l’ai mis de côté avant de le reprendre en voulant vraiment me l’approprier et en le faisant vraiment sonner guitaristiquement. Tu me parlais de Malmsteen, mais dans ma musique, je suis aujourd’hui beaucoup moins néo-classique que ce que j’ai pu l’être. Ca m’intéresse, mais pas juste pour mettre un morceau classique par album, comme un tic. Celui-ci, je voulais simplement le reprendre et le faire sonner à ma manière.

– J’aimerais aussi qu’on dise un mot d« Amphibia », sorti en 1996, qui était un concept-album très prémonitoire, puisque l’écologie en était le thème principal. Quel regard y portes-tu aujourd’hui dans le monde dans lequel nous vivons et le considères-tu, comme moi, comme une sorte d’apogée musicale de ton style ?

Je ne sais pas. C’est vrai que c’était déjà quelque chose d’un peu écolo. Mais je trouve que l’écologie a tourné d’une manière un peu bizarre récemment. Il y a un côté culpabilisant et moralisateur lié à la taxe sur tout, sans s’attaquer vraiment aux réels problèmes. C’est plus une écologie dogmatique que réelle et je me suis un peu désolidarisé de tout ça. Même si je trouve que c’est un combat complètement légitime, je n’aime pas ce qu’il est devenu. Il y a trop d’hypocrisie et de trucs que je ne supporte pas. Maintenant, sur « Amphibia », c’est dur à dire, parce que les gens ont leur album préféré. Je ne peux pas nier le fait qu’il a été un album marquant, parce qu’il a été le tournant vers un aspect plus Prog avec des morceaux longs. Ca a été le début de quelque chose que l’on retrouve d’ailleurs sur le nouvel album avec plein d’ambiances et de thèmes différents. Cela a aussi été le point de départ d’une nouvelle façon de composer. C’est vrai que c’est un album marquant dont je suis très content, oui.

– Enfin, il y a quelques mois, tu as aussi pris la route avec Pat O’May et Fred Chapellier pour le ‘Guitar Night Project’. J’imagine que ce fut une belle expérience. Toi qui a participé au G3 de Satriani, l’idée était-elle de faire un G3 à la française ? Ca pourrait s’exporter !

C’est très différent. A l’époque quand j’ai fait le G3 avec Satriani, il n’y avait pas de groupe, mais juste une jam de deux/trois titres en fin de concert. Ici, on n’est pas du tout là-dedans, car c’est un seul concert. On fait trois morceaux à trois, puis à deux, après j’en fais un tout seul. Ensuite, j’invite Pat et Fred et après chacun joue seul, puis invite l’un d’entre-nous, etc… Sur les deux heures et demie, on est tout le temps ensemble avec différentes combinaisons et chacun joue sur les morceaux des autres. Ce n’est pas le même concept, la démarche est très différente. Je pense que c’est plus près de ce que Satriani va faire avec Steve Vai (le SATCHVAI Band – NDR). C’est vraiment un concert à trois, et non trois concerts et une jam. On a d’ailleurs plusieurs dates à venir, et notamment à partir de septembre et surtout en 2026. D’ici là, je vais aussi jouer mon nouvel album sur scène.

– Y a-t-il une chance qu’un album sorte dans les mois à venir ?

Pas en studio, mais il y a un Live qui est en cours. On a enregistré un concert et Pat est en train de bosser sur le mix. Et on aimerait le sortir en fin d’année, oui. C’est cool ! (Sourires)

Le nouvel album de PATRICK RONDAT, « Escape From Shadows », est disponible chez Verycords.

Photo ‘Guitar Night project’ : Mat Ninat Studio

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Blues Rock France Rock 70's

Pacôme Rotondo : les songes bleus [Interview]

Il y a deux ans, le jeune guitariste-chanteur faisait une entrée fracassante avec un premier effort, « World Of Confusion », d’une maturité déjà bluffante. Le voici déjà de retour avec la même fougue, les mêmes convictions et un son qui s’est franchement étoffé. Plus percutant encore, mais également de plus en plus à l’aise dans des sphères aériennes, PACÔME ROTONDO passe haut la main le difficile exercice du deuxième album. Le Lyonnais fait preuve d’une liberté totale et enrobe son Blues Rock de teintes progressives et psychédélique avec une audace rafraîchissante sur ce « Crimson Rêverie » aux saveurs multiples. Entretien avec un musicien, qui montre déjà un savoir-faire et une maîtrise de son jeu et du songwriting rares.  

– La première question que je me pose est de comprendre comment lorsqu’on grandit dans les années 2000, on acquiert une culture et un goût aussi prononcés pour la musique Blues et Rock des 70’s. Est-ce que c’est le fruit d’un apprentissage fait en famille, ou au contraire une grande curiosité de ta part ?

Je pense que c’est un tout. Effectivement, l’environnement familial joue un rôle, mais la curiosité y est aussi pour beaucoup. Avant d’être musicien, je suis d’abord un mélomane. Ecouter de la musique m’a donné envie d’en faire. A la maison, j’ai toujours baigné dans un environnement musical Blues et Rock avec les goûts de mon père, tel que Calvin Russel, Gary Moore, Bonamassa, ou du côté de ma mère avec des choses plus actuelles comme Depeche Mode, Seal, Robbie Williams… Dans tous les cas, ça a toujours été de la musique joué par des instrumentistes.

Et de mon côté, j’ai écouté beaucoup de Hard Rock et de Metal et je me suis forgé ma propre expérience. C’est vraiment un style que j’affectionne et qui m’a donné envie de travailler mon instrument pour jouer à la manière des guitaristes que j’apprécie dans le style comme Zakk Wylde, Kiko Loureiro, Paul Quinn de Saxon, etc…

Les rencontres aussi sont importantes, il y a toujours un tel ou un tel qui te dit : tiens, écoute cet album, ça devrait te plaire. Que ce soit des professeurs que j’ai eu, de simples discussions entre mélomanes souvent plus âgés que moi ! (Rires) ou avec des camarades musiciens, tous ont eu un impact dans ma culture musicale. C’est d’ailleurs grâce à ce genre d’échanges que j’ai découvert, avec joie, Albert et Freddie King.

Et puis comme tu l’as très bien dit, j’ai grandi dans les années 2000 (je suis né en 2001….), avec Internet et YouTube, où il est quand même facile d’écouter de la musique et de découvrir plein de choses. Je continue d’affirmer que le streaming est, quand il s’agit de découvertes, un outil absolument formidable et fantastique. Si on est un boulimique de musique, c’est une confiserie à ciel ouvert !

– On t’avait découvert il y a deux ans avec un premier album, « World Of Confusion », dans un Blues Rock aussi explosif que sensible et déjà avec une vraie touche. Même si tes références sont assez évidentes, comment justement as-tu œuvré pour t’en détacher le plus possible ?

Je n’ai pas réellement cherché à me détacher de mes influences. Cependant, j’ai essayé d’en mettre d’autres en valeur ! Le laps de temps a été assez court entre les deux albums, il est compliqué de se ‘réinventer’ totalement dans un intervalle aussi limité (enregistrement en mars 2023 pour le premier album et novembre 2024 pour le deuxième). Mais j’ai voulu proposer une expérience nouvelle et éviter la redite de « World Of Confusion ». Et je pense que cela passe aussi par le fait de ne rien s’interdire. Avec l’ajout du clavier, le travail de composition a lui aussi été différent.

– Tu es guitariste et aussi chanteur, ce qui ne va pas forcément de soi, puisque beaucoup préfèrent se concentrer sur leur instrument ou leur voix. Est-ce que pour toi, cela a été une évidence de mener de front les deux exercices ? Et quant est-il du contenu des textes ?

Alors, peut-être que cela ne semble pas aller de soi au premier abord, mais nombreuses sont mes références de guitariste-chanteur et qui excellent dans les deux registres. Je pense évidemment à Hendrix, Gallagher ou encore les trois King dans un contexte Blues Rock, et Dave Mustaine ou James Hetfield dans un registre plus Metal. Je pourrais d’ailleurs citer aussi George Benson. Cela est donc plutôt apparu comme une évidence pour moi plutôt qu’une contrainte, même si je me sens tout de même plus guitariste que chanteur !

Evidemment, je donne beaucoup d’importance aux textes. La musique est un joli vecteur pour faire passer des messages, ou simplement raconter une histoire. Dans mes morceaux, je raconte mon rapport à l’autre, à l’amour, la mort, la déception, l’alcool, …Je décris aussi ce qu’il se passe dans le monde. J’aime bien cet exercice d’écriture, c’est une belle introspection.

– Sans parler de fossé, la différence entre « World Of Confusion » et « Crimson Rêverie » est assez flagrante. La première se situe au niveau du son, tandis qu’on te sent également beaucoup plus assuré dans ton jeu comme vocalement. Tu le dois à un travail acharné, à l’enchaînement des concerts, ou l’expérience vient forcément de ces deux aspects de la musique ?

C’est évidemment un tout. Je dirais que le retour d’expérience de « World Of Confusion » est primordial et il participe à cette différence. Le clavier apporte aussi beaucoup au son du groupe, il permet d’avoir un son de guitare tout à fait différent, de créer des ambiances et il participe fortement au climat du disque. J’ai été assez exigeant envers moi-même sur mes parties de guitares et de voix sur ce deuxième album, tout comme les comparses qui m’accompagnent. On a beaucoup travaillé de notre côté, et en groupe, pour tirer le meilleur de nous-mêmes ! Je suis content qu’on ressente cette différence.

– Sur ton premier album, l’atmosphère globale était nettement marquée par le Blues Rock avec des sonorités très British et irlandaises aussi. Est-ce qu’avant de te projeter sur la suite, tu avais besoin de faire une espèce de bilan personnel sur ton lien avec ses racines profondes ?

Avec un laps de temps aussi court, il n’y a quasi pas eu de pause d’écriture entre les deux albums. Dès la fin de l’enregistrement de « World of Confusion », le travail de composition a repris. Non, il n’y a pas de bilan personnel sur mon lien avec mes influences Blues Rock. En fait, j’ai plein d’autres influences et c’est peut-être ces dernières qui se dévoilent un peu plus sur cet opus. J’ai un gros passif de hard rockeur/metalleux, cela se ressent sur certains titres et dans ma manière d’aborder certains solos ! Mes influences Folk et Blues sont aussi à l’honneur avec un titre comme « Is The World », et même Pop sur « A Man Needs ». Sans parler du coté Prog avec le titre éponyme. Puisque je suis un boulimique de musique et que j’aime énormément de styles, il m’est difficile de trancher dans une direction précise. Finalement, toutes ces racines et influences forment la musique de PACÔME ROTONDO !

– Avec « Crimson Rêverie », on te retrouve dans un registre très 70’s et surtout avec une approche plus Classic Rock voire Hard Rock, c’est selon, avec des inspirations clairement ancrées dans les pas de Led Zeppelin, des Doors et de Deep Purple, notamment dans les parties d’orgue et les aspects plus aériens. Avant d’entrer dans les détails, est-ce que l’apport de claviers, et donc d’un nouveau membre, t’a paru indispensable pour te mouvoir plus facilement dans ce registre ?

Oui, l’apport du clavier m’a paru nécessaire. Cela me semblait essentiel, afin de proposer un discours nouveau et d’étoffer ma musique. C’est un exercice différent du power trio, deux approches singulières. Le clavier offre plus de liberté à la guitare et un certain confort. Je peux aussi me détacher de certaines parties et aborder l’aspect chant plus sereinement.

Led Zeppelin, Deep Purple et les Doors sont des groupes que j’ai beaucoup écouté et dont je maîtrise assez bien la discographie, je suis donc heureux qu’on retrouve un peu de tout ça dans ma musique ! Cet album est un peu comme le premier, une combinaison de tout ce que j’aime. Hard Rock, Hard Blues, Rock Psyché, Rock Progressif, Folk….

– Est-ce que, finalement, la formation avec laquelle tu te présentes sur « Crimson Rêverie » est celle dans laquelle tu t’épanouies le plus et qui convient le mieux pour la musique que tu as en tête ? Le groupe de PACÔME ROTONDO est-il au complet dans cette formule ?

A l’heure actuelle, oui, c’est celle avec laquelle je m’épanouis le plus et qui retranscrit au mieux mes idées. Après, rien n’est figé ! Un retour au power trio n’est pas prévu, bien que j’aime ce côté brut et l’aspect ‘sans parachute’. Je pense en avoir fait le tour, du moins pour l’instant. La formation ne pourra que s’étoffer à l’avenir !

– On l’a rapidement évoqué, mais il y a une progression assez évidente aussi dans la production de ce nouvel album. Qu’est-ce qui a changé cette fois-ci ? Ton entourage en studio a-t-il changé et surtout, qu’as-tu appris de ton premier enregistrement ?

L’entourage n’a pas changé ! Même studio, même ingénieur du son pour les prises et le mix (Pascal Coquard du Studio ‘Les Tontons Flingueurs’ – NDR) et même ingénieur du son pour le mastering (Alan Ward d’Electric City Studio – NDR). La production a été différente, on a pris le temps de travailler les sons et de tester plein de choses ! J’avais envie de faire sonner le disque différemment du premier, qui a été formateur. Il m’a permis d’aborder le deuxième de manière beaucoup plus sereine. Il y avait moins d’appréhension et un stress positif, proche de l’excitation. On savait comment donner le meilleur de nous-mêmes, sans se contraindre d’une pression négative. Et puis, je savais peut-être un peu plus où je voulais emmener ce deuxième album dans la production.

– Le morceau-titre est aussi assez angulaire sur l’album avec ses sept minutes. Là encore, c’est quelque chose que l’on n’entend plus beaucoup dans les répertoires contemporains. Est-ce une chanson sur laquelle tu t’es penché plus longuement que les autres avec l’idée, peut-être, d’en faire une sorte de ‘morceau signature’ dans ton parcours ?

Effectivement, ces sept minutes peuvent paraître comme un OVNI, à l’instar du dernier titre qui dure 7min40 ! Pourtant, ce sont ces deux-là qui sont venus le plus naturellement. Les idées se sont mises en place de manière assez fluides et cohérentes. La longueur permet de prendre le temps, de proposer un discours et de faire évoluer le morceau. C’est peut-être dans ce genre de registre que la suite se fera. Dans un monde où tout va plus vite, où les musiques sont de plus en plus courtes et où les gens perdent l’attention au bout des 15 premières secondes, c’était un pari risqué. Mais ces morceaux très longs sont aussi des références pour moi comme chez Pink Floyd, Supertramp, The Doors, etc… Dans tous les cas, je serais vraiment réjoui et flatté qu’on assimile ça à un ‘morceau signature’.

– Un mot aussi du titre « Interlude II » et son côté très Gary Moore et qui est par ailleurs instrumental. De quelle manière le perçois-tu  sur « Crimson Rêverie » ? Comme une sorte de respiration ou franchement un hommage au guitar-heros irlandais ?

« Interlude II » est le petit frère du titre « Interlude », qui était présent sur « World Of Confusion ». J’aime bien ce côté 100% instrumental. Une capsule dans un album. Faire passer un discours avec seulement son instrument n’est pas chose aisée. C’est toujours délicat et compliqué à réaliser. Je vois ça comme un challenge personnel. D’ailleurs, je ne voulais pas qu’on l’enregistre, je n’étais vraiment pas satisfait de mes parties. Et puis, mes comparses m’ont poussé et j’ai essayé d’oublier celles que j’avais composées pour la guitare, de me détacher de tout ça pour jouer dans l’instant présent et improviser pleinement le jour de l’enregistrement. Je suis très heureux du résultat, je trouve que la guitare chante et ça me fait plaisir ! C’est marrant que tu y trouves des inspirations de Gary Moore, car cela n’a pas du tout été une référence pour ce morceau de mon côte. « Interlude II » est né, au départ, d’une écoute de l’album « Genesis » de Genesis. Le climat de « Mama » a été une belle source d’inspiration. Je voulais aussi avoir un côté Pink Floyd, très Prog, avec une guitare très arienne au début du titre et ce piano très présent, qui participe au climat du morceau. Je perçois ce titre comme un hommage à mes influences Prog et comme un lien avec le premier album. Gary Moore n’est donc pas dans l’équation. Mais si jamais tu peux me trouver un morceau de lui dans cet esprit, ça m’intéresse ! (On s’en reparle sans faute ! – NDR)

– Enfin, peu avant la fin de l’album, on te retrouve aux côtés de Raoul Chichin pour une version beaucoup plus Folk et dans un Blues très aéré et puissant du standard de Buffalo Springfield, « For What It’s Worth ». C’est un choix un peu surprenant de jouer cette chanson qui date de 1966. Comment vous êtes-vous retrouvés tous les deux autour de ce morceau ? Et qui en est à l’initiative ?

Au départ, je souhaitais faire une reprise sur l’album. « For What It’s Worth » est une chanson qui m’accompagne depuis longtemps et que j’apprécie tout particulièrement. Je voulais un arrangement assez personnel du titre, éloigné de l’original, sans trop transformer l’œuvre de base ! Raoul est un bon copain. S’il devait y avoir un invité sur le disque, ça ne pouvait être que lui. Ça m’a paru tout naturel de l’inviter ! On a enregistré ses parties chez lui à Paris, mi-décembre, alors qu’il rentrait tout juste de tournée. Et c’est un chouette souvenir, on aura bien rigolé à faire ça !

Le nouvel album de PACÔME ROTONDO, « Crimson Rêverie », est autoproduit et disponible chez Inouie Distribution.

Photos : Olivier Frety (1, 3, 5) et Virgil Dupin (2, 4, 6)

Retrouvez la chronique de son premier album :

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France Stoner Doom Stoner Prog Stoner Rock

Yojimbo : astral connexion [Interview]

Trois ans après des débuts très prometteurs, les Strasbourgeois réalisent leur premier album, « Cycles », et la surprise est belle. Toujours dans un registre Stoner Rock, le spectre du quatuor s’est considérablement élargi, laissant entrer des sonorités Heavy, post-Rock, progressives et Doom. Très aérien, le groupe joue sur un groove épais pour libérer des paysages sonores très nuancés, appuyant sur les tessitures instrumentales et vocales avec soin. Et la galaxie de YOJIMBO s’élargit aussi avec de multiples projets autour d’un collectif d’artistes, afin de développer encore un univers déjà riche. Entretien collégial avec un combo plein de ressources et d’envie.

– Je me souviens très bien de votre premier EP éponyme sorti en 2022, dont les cinq morceaux m’avaient déjà fait forte impression. Que s’est-il passé ces trois dernières années ? J’imagine que les concerts vous ont permis d’acquérir de la confiance et aussi de mûrir votre projet…

Beaucoup de choses ! Déjà un changement de line-up en 2023 avec l’arrivée de Dom (Pichard – NDR) à la basse et aux chœurs, qui a remplacé Aurélien. Sophie (Steff, guitare et chant – NDR) et Flo (Herrbach – NDR) ont aussi quitté leur boulot pour se consacrer pleinement à la musique, et on a tous investi beaucoup plus de temps dans le projet. On répète deux jours complets par semaine, en plus du temps qu’on consacre à d’autres aspects du groupe, comme notre démarche multidisciplinaire et les collaborations artistiques. On travaille notamment avec le collectif M33, ce qui nous permet d’explorer d’autres champs que la musique pure. Les concerts nous ont aussi permis de gagner en assurance. On a bossé dur sur notre autonomie technique, et on a su bien s’entourer. En bref, on a fait en sorte de se donner les moyens de donner de l’ambition au projet.

– Sans parler de métamorphose, on vous retrouve avec un premier album, « Cycles », qui marque une évolution notable chez YOJIMBO. L’énergie y est décuplée, tout comme votre univers qui s’affirme clairement. Quelles ont été les principales étapes de cette maturité acquise ?

On a bossé dur, tout simplement. Beaucoup d’exploration, de remises en question, d’introspections aussi sur l’intention qu’on voulait faire porter à notre musique. On a pris le temps de chercher le bon son, de comprendre ce qu’on voulait vraiment transmettre. Le fait d’avoir Flo dans le groupe, qui est ingé son de métier, a été un vrai plus. Avec les moyens du bord, il a drivé toute la partie technique de la pré-production jusqu’à l’enregistrement avant que les copains du studio La Turbine mettent ça brillamment en forme au mix. Tout ça nous a permis d’aller loin dans les détails.

– Ce qui est aussi assez étonnant, et on le pressentait déjà sur l’EP, c’est cette sensation de liberté, qui s’épanouit dans un registre toujours aussi Stoner bien sûr, mais où l’aspect progressif, Doom et post-Rock sont plus présent. Vous aviez besoin de prendre de la hauteur musicalement ? De développer un côté plus aérien ?

Ça s’est fait assez naturellement. Quand on compose, on ne se dit pas ‘il faut que ça sonne Stoner’ ou ‘mettons une touche de Doom là’. On a un panel d’influences très large à nous quatre, et ça ouvre des portes qu’on n’hésite pas à pousser. On aime l’idée que notre musique soit écoutée comme un voyage, et on a sans doute davantage assumé ça dans « Cycles ». Et c’est vrai que les touches post/prog apportent une forme de carburant à cette volonté d’ouvrir les espaces dans ce voyage.

– Bien sûr, la production de « Cycles » n’a plus grand-chose à voir avec celle de « Yojimbo ». Est-ce que c’est une simple question de production, donc de moyen, ou au contraire, vous êtes parvenus à obtenir le son que vous aviez toujours souhaité ? Entre une puissance massive propre au Stoner et des passages plus légers et très sinueux…

Un peu des deux. On a accordé plus de temps, mais surtout on savait ce qu’on voulait. Ce n’est pas qu’une question de matos ou de studio, c’est aussi le fruit d’une vraie démarche sonore et artistique qu’on a affinée avec le temps. On a notamment beaucoup œuvré à ce que chaque instrument trouve sa place.

– YOJIMBO a toujours revendiqué ce côté cosmique que vous qualifiez même d’intergalactique. Sur « Cycles », il est encore très présent et plus poussé, je trouve. Est-ce qu’il y a, selon vous, un aspect de votre style, c’est-à-dire, le Stoner, le Prog ou le post-Rock qui prend un peu le dessus, et qui domine ce bel équilibre ?

On navigue vraiment à vue, mais le Stoner reste dans notre branche principale. Il y a des morceaux très Doom, d’autres très planants, d’autres plus Heavy… On essaie de ne pas prioriser un style au détriment d’un autre, mais plutôt de créer une continuité d’énergie ou d’évocation. L’esthétique intergalactique nous permet de lier tout ça sans cloisonner : c’est ce qui fait qu’on parle de ‘Stoner Intergalactique’.

– Même si l’on pourrait penser que votre propos pourrait être décalé, compte tenu d’une musique assez intemporelle, vos textes traitent de thématiques très actuelles comme l’écologie, le capitalisme, les conflits comme des choses plus personnelles. Comment conciliez-vous votre aspect ‘cosmique’, qui pourrait se prévaloir d’un certain détachement avec des sujets aussi concrets et sociétaux ?

Les textes sont écrits par Sophie, mais on les travaille au besoin ensemble ensuite, notamment pour chercher les bons niveaux de lecture. On veut que nos paroles aient du fond, mais aussi qu’elles laissent de la place à l’interprétation personnelle. Notre univers est peut-être cosmique, mais il parle du monde dans lequel on vit : des violences systémiques, de nos dérives politiques, de nos rapports au pouvoir ou à la nature. Le filtre science-fictionnel, ou symbolique, est là pour créer une mise à distance poétique, mais il n’y a jamais de déconnexion.

– Je trouve aussi ce premier album techniquement plus complexe. Y avait-il des choses que vous n’aviez pas osées sur « Yojimbo », car le groupe était encore jeune ? Et vous sentez-vous aujourd’hui peut-être débridé par rapport à vos débuts, car le potentiel était déjà là ?

C’est sûr qu’au début, il y a toujours une forme de retenue, d’hésitation à pousser certaines idées jusqu’au bout et un manque de maîtrise aussi. Aujourd’hui, on s’autorise beaucoup plus de libertés, que ce soit dans les structures, les textures, ou les intentions. On a aussi beaucoup évolué individuellement en tant que musiciens, notamment en travaillant nos instruments. Et puis, le groupe est soudé, donc la confiance mutuelle permet d’aller plus loin. On compose pour se surprendre autant que pour surprendre les autres.

– Vocalement aussi, l’évolution est flagrante. Sophie, est-ce que le fait que tu sois peut-être plus entreprenante vient de la scène et des facilités qu’elle enseigne ? Ou alors, comme tu es également guitariste, tu as peut-être aussi décidé d’accorder plus d’attention au chant dans une certaine mesure sur l’album ?

La maturité et le travail, clairement ! (Rires) J’ai passé plus de temps à analyser mes forces et mes faiblesses, mais aussi à davantage interpréter que simplement chanter. J’ai également un autre projet musical dans un tout autre registre (Folk Blues) avec lequel je tourne beaucoup, et qui m’a énormément fait évoluer vocalement. C’est un peu un mélange de tout ça : la tournée, le studio, la répétition, la composition et surtout … le recul. Mais j’attache un point d’honneur à évoluer guitaristiquement aussi. Je cherche à sortir de ma zone de confort pour aller plus loin, que ce soit en tant que guitariste ou chanteuse.

– Parallèlement à la sortie de « Cycles », vous avez également entamé une démarche artistique originale, celle d’écrire une nouvelle de Science-Fiction, mais sous la formule d’un collectif rassemblant différentes activités. Pouvez-vous en dire un peu plus ? Et celle-ci pourrait-elle être la base, par exemple, de votre prochain album ?     

Oui, la nouvelle est un peu notre fil d’Ariane. C’est Stef (Legrand, batterie – NDR) qui en est à l’origine et on l’a retravaillée collectivement en 2023, avec l’accompagnement de Saïda Kasmi du collectif M33. Elle avait notamment déjà accompagné l’écriture de l’album concept de Mathieu Chedid. Cette nouvelle est à la fois un socle, un outil d’inspiration et un prétexte à collaboration. On partage des extraits ou des pitchs aux artistes avec qui on bosse, pour qu’ils puissent en proposer une lecture personnelle. On leur propose aussi de privilégier le réemploi quand c’est possible pour créer autour de cet univers. C’est une façon de sortir du cadre de la commande et d’ouvrir l’imaginaire. La nouvelle est déjà très présente dans « Cycles » et elle nous servira encore pour la suite, sous plein de formes possibles. Rien n’est décidé pour le moment et on ne veut pas figer le processus. Ce qui prime, c’est l’expérimentation.

– Enfin, j’aimerais qu’on dise un mot de cette magnifique pochette d’album que vous avez confié à l’équipe de Førtifem, dont on connait le travail pour de grands groupes, ainsi que pour les deux plus gros festivals Metal français. C’est assez rare de laisser carte blanche, surtout pour un premier album à des personnes extérieures. Comment s’est effectuée la connexion entre vous et leur avez-vous tout de même donné un fil rouge, voire vos nouveaux morceaux à écouter ?

C’est en réalité des amis de longue date de Dom. Il connaissait Jesse via des collaborations photo dans les années 2000, bien avant la création de Førtifem, et il a aussi rapidement accroché avec Adrien à leur rencontre. Dom squattait souvent leur canapé lors de ses passages réguliers à Paris. Depuis, leur travail a explosé, et à juste titre. Ils bossent avec des groupes mastodonte de la scène Rock/Metal et des marques de renom. Même si on aime travailler prioritairement avec des artistes de notre région, pour cette pochette on savait que c’était eux qu’il nous fallait. Pas seulement, parce que leur taf est incroyable, mais parce qu’ils ont une vraie démarche artistique et engagée qui résonne avec la nôtre. On a tout de même donné une idée très générale. Pour le reste la magie du duo a opéré et ils ont parfaitement saisi notre intention.

L’album de YOJIMBO, « Cycles », est disponible sur le Bandcamp du groupe : https://yojimbostonerband.bandcamp.com/album/cycles

Photos : Paola Guigou (1, 3, 5), P-Mod (2) et RésiFredo (4).

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France Post-HardCore

Point Mort : polymorphic-core [Interview]

Toujours aussi abrasif, mais emprunt cette fois de beaucoup plus de sensibilité, le deuxième album des Parisiens a de quoi surprendre pour qui les suit depuis leur premier EP « Look At The Sky » sorti en 2017. Le style s’est affiné, bien sûr, mais il a aussi gagné en diversité sonore, en impact et se veut nettement plus libre aussi dans l’écriture. Jouant sur les émotions, POINT MORT passe de la lumière à la noirceur absolue d’un claquement de doigt avec une cohérence déroutante. Avec « Le Point De Non-Retour », le quintet affiche une polyvalence de chaque instant, doublée d’une fermeté imparable dans son déroulé. Quelques jours avant sa sortie, Damien Hubert (basse), Olivier Millot (guitare) et Sam Pillay (chant) reviennent sur leurs envies artistiques, l’évolution du groupe et la conception de ce nouvel opus.

– Vous sortez votre deuxième album, « Le Point De Non-Retour », après deux premiers EPs et des prestations scéniques aussi nombreuses qu’explosives. Et puis, POINT MORT a aussi franchi la décennie d’activité. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur ce parcours de dix ans d’existence ?

Damien : On regarde assez peu en arrière et d’ailleurs, on ne joue d’ailleurs pas beaucoup d’anciennes chansons en live. On a aussi beaucoup fait évoluer la musique du groupe au fur et à mesure du temps, et nous avons aussi changé, ce qui fait qu’on ressasse assez peu les événements passés du groupe au final ! 

– Depuis vos débuts, vous avez habillement enrichi et fait évoluer votre post-Hardcore, et POINT MORT reste unique en son genre avec de multiples facettes que vous nourrissez de nombreux styles. Comment procédez-vous justement pour garder une identité si forte ?

Damien : Il n’y a pas de recherche d’identité particulière. J’ai surtout l’impression que sur les textes, la compo, les visuels, on travaille sur ce qui nous parle nous et comme on est plusieurs avec des goûts différents, ça donne cette mixture. Ce qui fait qu’on est vraiment  très content quand quelqu’un clique avec nous, mais la contrepartie c’est que ça ne parle pas à tout le monde. 

Olivier : Rien n’est prémédité. Quand il y a une envie, on décide d’y aller jusqu’au bout. Peu importe si cela colle, ou pas, avec le style dans lequel on est affilié.

– Pour « Le Point De Non-Retour », vous avez de nouveau fait appel au duo Sauvé/Chaumont pour l’enregistrement, le mix et la production. Vous donnez l’impression de grandir ensemble et d’ailleurs, un palier est encore franchi. Quelle était votre ambition première pour ce deuxième album, tant au niveau de la composition que du son ?

Damien : Moins de dissonances et de guitares zinzins, plus de travail sur les voix, mais tout autant de structures à tiroir et de ‘trucs-alambiqués-qui-s’entendent-pas-à-la-première-écoute’. Moins de musique aussi en durée à enregistrer aussi, y’en a marre des albums de plus de 50 minutes !

Olivier : Quand j’ai commencé à écrire cet album, je voulais plus de lisibilité dans la narration et accentuer le côté ‘cinématographique’ des morceaux. Aussi, de prendre le temps pour aller plus loin dans les arrangements des voix et qu’il y ait plus de matière au mixage. Effectivement, on progresse ensemble avec Amaury et Thibault. La communication est plus simple et directe, donc on va plus vite. En plus, pour cet enregistrement, on a eu Etienne Clauzel, qui a complété cette fine équipe.

– Ce nouvel album va bien plus loin que « Pointless… » dans les contrastes notamment. Il est à la fois plus massif et percutant d’un côté et il aborde aussi un aspect plus mélodique et très poétique au niveau des textes. C’est un équilibre que vous avez longtemps cherché, ou s’est-il finalement fait assez naturellement ?  

Damien : Olivier et Sam ont trouvé cet équilibre-là ensemble, puisqu’ils sont les principaux compositeurs et auteurs de tout ce bazar. Rien n’est laissé au hasard. Mais oui, je crois que c’est quelque chose qu’on cherchait depuis quelques années quand même, et on a pris le temps de développer ce côté mélodique.

Olivier : Avec Sam, on voulait plus de chant clean, plus de mélodies, plus de contrepoint ! J’ai beaucoup réécrit les instrus en fonction de ce que Sam composait sur les démos. Comme disait Damien, je ne voulais plus écrire de lignes de guitare/basse qui partaient dans tous les sens. Je voulais que cela soit plus compact, sans perdre cette idée de contrepoint pour les instruments également. Donc, le tout sonne forcément plus massif ! 

– Est-ce qu’on peut parler d’album-concept pour « Le Point De Non-Retour » parce que, si les morceaux ont des durées très différentes et font même parfois le grand écart, il y a un vrai fil directeur et beaucoup de cohésion dans le déroulé ?

Damien : Pas de concept-album, mais des thèmes qui se recoupent, puisque c’est Sam qui écrit les textes. Après il y a une cohérence dans cet album, mais rien qui peut le rattacher à un concept-album.

Olivier : Je dis cela à chaque album, mais pour moi, c’est un seul morceau, découpé en mouvements, comme dans un concerto.

– Comme toujours, vous ne manquez pas d’audace, puisqu’après une intro aux saveurs Electro, vous ouvrez l’album avec « An Ungrateful Wreck Of Our Ghost Bodies », long de dix minutes. Comment prend-on une telle décision ? Ce n’est pas banal… 

Damien : Certains auraient dit qu’ils ont eu une idée de génie comme ça en buvant leur café le matin. Alors que c’était en buvant une tisane le soir. Non, comme d’habitude, rien n’est laissé au hasard, pas d’épiphanie, mais une fois que ce début d’album a été envisagé comme ça, ça n’a jamais plus évolué.

Olivier : C’est simple, c’est le premier morceau que j’ai écrit en pensant qu’il ouvrirait l’album. L’idée de l’intro est venue plus tard !

– Sam, vocalement, on retrouve ta grande polyvalence et cette fois, le chant clair et mélodique est aussi beaucoup plus présent. On te découvre même un peu plus, je trouve. C’était une condition pour réussir à délivrer plus d’émotion dans ces nouveaux morceaux ?

Sam : C’était un postulat de départ. On voulait plus de chant mélodique et harmonique. D’ailleurs, le dernier morceau de « Pointless… », « Ash To Ashes », annonçait déjà les fondements de cette direction artistique. La partie finale, avec toutes ces voix qui se superposent jusqu’à l’explosion, c’était en quelque sorte les prémices. J’aime varier les voix, les timbres, les interprétations. Cela enrichit forcément le discours. Le chant hurlé, pour l’usage que j’en fais, c’est la rage, la hargne, les tripes. Ça peut être déchirant, mais je pense que le chant clair permet une plus grande palette d’émotions. Quand on parle d’instrument, on dit jouer de la guitare, du piano… Et bien moi, je joue du chant. La variété de chant clair, me permet d’être espiègle, enfantine, suave, exaltée… Et j’en passe. 

– D’ailleurs, en aparté, que penses-tu du nombre croissant de femmes qui se mettent au growl ? Et lesquelles ont tes faveurs, ou t’impressionnent ? 

Sam : Chez les hommes comme chez les femmes, je suis peu impressionnée par le growl. Parce que c’est technique et non artistique. Ce serait comme dire à un chef étoilé que j’aime sa découpe de légumes, plutôt que de lui parler de l’ensemble de sa carte. Ce qui me parle davantage, c’est le timbre d’un chanteur ou d’une chanteuse, ou sa façon de livrer sa voix. J’aime une voix parce qu’elle me touche en premier lieu et du coup le seul point commun entre tous les artistes que j’affectionne, c’est que leur empreinte vocale ou leur musicalité m’émeut, me transporte. 

Concernant le nombre croissant de femmes qui growlent, comment répondre autre chose que c’est bien ? Le fait qu’il y ait plus de femmes, tout instrument confondu, dans la musique, c’est forcément bien. Je dirai même plus, c’est juste normal ! D’ailleurs, je ne vois pas pourquoi la question est adressée seulement à moi, les gars, vous avez des growleuses favorites, vous ?

Olivier : Oui, toi Sam! Je ne vais pas être original,  Julie Christmas forcément ! Pareil pour sa richesse de timbres ! Dans « The Wreck Of S.S Needle » (avec Cult Of Luna en 2016 sur l’album « Mariner » – NDR) son interprétation est stratosphérique !

Damien : Aller, pour ne pas répondre comme Olivier, à l’opposée du spectre, Candace Kucsulain de Walls of Jericho, Hard-Core à fond.

Sam : Je suis d’accord, deux voix et personnalités inspirantes !

– On l’a dit, ce nouvel album est chargé en émotion avec des passages très touchants, ce qui n’est pas si courant dans votre registre. Est-ce à dire que « Le Point De Non-Retour » est plus intime et plus personnel aussi dans son propos que son prédécesseur ?

Damien : Il y a toujours eu beaucoup de ‘personnel’ dans POINT MORT, car on ne cherche jamais la facilité, ni même la simplicité, à aucun moment, ni pendant la phase de compo, ni pendant l’enregistrement. Fatalement, cela fait ressortir des trucs qui font que la musique devient forcément intime. Mais celui-là est encore plus marqué par la personnalité des gens qui l’ont fait. En studio, quand le temps a manqué, on a mis l’accent sur l’artistique quitte à passer outre certaines étapes techniques. Ce n’était pas forcément le cas sur les disques d’avant pour lesquels le temps manquait pour tout ! (Rires)  

Olivier : Oui, il est plus intime et personnel, et surtout sans concession. « Pointless… » avait un côté plus  laboratoire et  patchwork. 

– Sam, c’est également toi qui signes la pochette de l’album qui incarne ‘La dame au cou penché’ liée, bien sûr, à votre dernier single « The Bent Neck Lady ». C’est vrai que le morceau est un moment fort de l’album. Cela a-t-il été une évidence de le mettre en avant ?

Sam : Pas forcément non, car c’est un morceau long. Et pour des raisons pratiques, il est préférable de sortir en single des morceaux courts. Ça passe mieux auprès des plateformes. C’est d’ailleurs pour ça qu’on a créé la version ‘radio edit’. C’est un morceau intense, on voulait vraiment le mettre en avant. Pour l’anecdote, tous les morceaux ont changé trois fois de noms avant d’être figés. Le titre « The Bent Neck Lady » a été trouvé sur la ligne d’arrivée. Ce n’est pas le titre qui a inspiré l’artwork, mais l’artwork qui a inspiré le titre. (Sourires)

Damien : Jetez un œil à au deuxième épisode du documentaire pour voir que ce morceau a été un temps fort de l’enregistrement également.

Olivier : Je confirme !

– Enfin, j’aimerais que l’on dise un mot de vos trois clips qui accompagnent l’album, ainsi que du making-of de sa conception. La vidéo est-elle devenu indissociable de votre musique, surtout aujourd’hui où la visibilité est devenue essentielle sur les réseaux notamment ?

Damien : Je crois qu’on aime bien le travail visuel aussi, vu que tout l’habillage est fait par les membres du groupe. Concernant le making-of, j’ai voulu documenter l’enregistrement de l’album, car je trouve qu’il y a une histoire à raconter, sans filtre, sans survendre ou minimiser quoique ce soit. Pas sûr qu’on refasse ça un jour, puisque c’est un enfer logistique. En effet, il y a plus de 50 heures de rushes et il y avait les caméras à gérer pendant que je jouais, même si pendant deux jours intenses Jessica Salitra est venue vraiment filmer. On a d’ailleurs fait le montage à deux. Pour les trois clips, d’un point de vue visuel, avec du recul, on a du clip classique (la chanson-titre), un truc plus ‘punkoïde’ à tendance nonsensique (« Skinned Teeth »), et enfin une proposition artistique hors du temps et délicate (« The Bent Neck Lady »). Finalement, cela reflète un peu la musique du « Point De Non-Retour », j’ai l’impression.

POINT MORT sortira son deuxième album, « Le point De Non-Retour » le 25 avril chez Almost Famous.

Photos : Jessica Salitra

Retrouvez la première interview du groupe à la sortie de « Pointless… » :

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France Metal Progressif post-Rock

Ash Twin Project : temporal illusion [Interview]

En associant Metal Progressif et post-Rock, ASH TWIN PROJECT s’ouvre un vaste champ d’expérimentation et c’est ce qu’il fait sur « Tales Of A Dying Sun », sorti il y a peu chez Klonosphere. Originaire du sud-ouest, les membres du quintet ne sont pas franchement des inconnus de la scène française, et leur technique comme les structures des morceaux ne laissent pas planer le doute. Guidé par le chant aérien et puissant de sa frontwoman, le quintet montre de belles choses et nous laisse même un peu sur notre faim. Thibault Claude, batteur et producteur de ce premier album, revient sur son aspect conceptuel et les multiples inspirations à l’œuvre au sein du groupe.

– Vous avez tous une expérience conséquente dans divers groupes de Metal comme Titan, Prophetic Scourge ou Silent Opera pour ne citer qu’eux. Quelles ont été vos motivations pour créer ASH TWIN PROJECT, qui évolue dans un style différent de ce que vous faisiez auparavant ?

Romain (Larregain, guitare – NDR), Robin (Claude, guitare – NDR) et moi avons effectivement surtout des expériences dans le milieu du Metal et particulièrement du Metal extrême, mais nos goûts et nos expériences ne se cloisonnent pas à ce milieu-là. La motivation à explorer de nouvelles esthétiques est donc avant tout une question de goût. J’ai proposé aux membres du groupe des compos instrumentales mêlant beaucoup de mes influences et ça a parlé à tout le monde. L’élément du groupe le plus éloigné du Metal est le chant d’Eglantine (Dugrand, chant – NDR), mais il n’y a eu aucune volonté de s’éloigner d’un style, ou de se rapprocher d’un autre. Avoir proposé à Eglantine de rejoindre le groupe a surtout été motivé par ses capacités vocales et les émotions qu’elle(s) procure(nt).

– Vous œuvrez donc dans un Metal Progressif tirant parfois sur le post-Rock. Cela vient-il de quelque chose qui vous attire depuis longtemps déjà et que vous souhaitiez explorer, ou plus simplement du fait que ces styles commencent enfin à émerger auprès du public ?

Justement, dans Prophetic Scourge, le côté Prog est pleinement assumé, c’est quelque chose qui nous parle énormément depuis toujours. On a toujours eu cet attrait pour le langage complexe de la musique : jouer avec les rythmes et les harmonies, explorer des structures progressives etc… sans perdre de vue le côté émotionnel. Là où dans les autres projets, on explore ça avec brutalité et technicité, on utilise ici un medium moins hargneux, plus axé sur le travail de l’ambiance et du relief. Le propos ne change pas, selon nous, mais il est effectivement moins cryptique ici.

– Par ailleurs, « Tales Of A Dying Sun » se montre solide au niveau du son et c’est d’ailleurs toi, Thibault, qui l’a produit. C’est quelque chose que vous teniez à gérer vous-mêmes ? Maîtriser ce premier album de A à Z ?

Oui, c’est un peu comme si la composition de cet album s’était terminée à la fin du mastering. Bon, j’exagère peut-être un peu, mais oui, la recherche du son a fait partie du processus de maquettage, puis d’enregistrement et enfin du mixage. Au-delà de ça, durant l’enregistrement, nous n’étions pas encore au courant que nous allions sortir l’album chez Klonosphere. Nous n’avions pas non plus de plan à suivre du genre ‘on va enregistrer à tel studio, puis on va faire appel à un tel pour le mixage, histoire qu’on ait un son monstrueux’. J’ai fait au mieux en fonction de mes connaissances et compétences sur le mixage (dans la continuité du travail de composition et de maquettage) et quand on a envoyé les morceaux finis à Klonosphere, ça leur a plu en l’état !

– Bien que votre musique soit très organique, vous tirez votre inspiration du jeu vidéo ‘Outer Wilds’ et donc d’un univers entièrement numérique. Comment y êtes-vous venus et est-ce un intérêt que vous partagez tous les cinq ?

Temporellement, j’ai décidé de m’inspirer de ce jeu environ dans le dernier quart de la composition de l’album. Outer Wilds m’avait profondément marqué quelques temps plus tôt et je voulais lui rendre hommage. En plus de l’aspect hommage, ce jeu est pour moi un bon exemple de ma vision de l’art et de ce que je souhaite transmettre via la musique, le lien s’est fait sur ça aussi, la dualité complexité/simplicité. Outer Wilds maîtrise selon moi l’équilibre parfait entre délire métaphysique, philosophie, soif de compréhension de l’inconnu d’une part, et émotion brute et viscérale d’autre part. En ce qui concerne les autres membres du groupe, Eglantine y a joué aussi, les autres non. Mais comme je disais plus haut, c’est le médium qui change (on n’est pas tous des joueurs fréquents), le propos tenu et les thématiques abordées nous passionnent tous les cinq.

– Quand on s’inspire d’un jeu vidéo, est-ce la recherche d’atmosphères particulières qui motive pour donner une cohérence à l’album, comme c’est le cas sur « Tales Of A Dying Sun » ?

Pas consciemment en tout cas. C’est vrai que le travail sur l’ambiance aide à ce qu’il y ait une cohérence sur tout l’album, mais pas sûr que ça ait un lien avec le fait que ça soit inspiré d’un jeu.

– Toujours à propos d’‘Outer Wilds’, le jeu tourne autour d’une boucle temporelle de 22 minutes précisément, et qui se réinitialise. C’est aussi un thème que l’on retrouve dans vos textes. Est-ce là le point de départ de l’aventure et du concept du groupe ? Et d’ailleurs, avez-vous envoyé votre album aux concepteurs du jeu ?

Non, on n’a pas envoyé l’album aux concepteurs, mais merci de le rappeler, il faut qu’on le fasse ! Alors, le point de départ est moins romanesque qu’une boucle temporelle. C’est le récital d’un examen pour que j’aie mon diplôme d’état de professeur de musique. Mais, oui, la notion de cycle est un des thèmes que l’on aborde et qu’on trouve intéressant, que ça soit pour s’intéresser à des choses abstraites (reproduction de schémas de pensée, ou de choix politiques) ou très concrètes (dynamique des astres et leur impact sur nos vies et croyances), voire les deux en même temps (liens entre la vie et la mort).

– ASH TWIN PROJECT présente des morceaux assez complexes dans leurs structures. Tout d’abord, sur quelles bases instrumentales partez-vous et est-ce que la technicité en elle-même peut aussi devenir une source d’inspiration ?

Sur cet album, la composition découlait d’une base instrumentale, car il n’y avait à l’époque simplement pas de chant. Ça pouvait venir d’une idée ou d’un exercice justement ! Par exemple, l’intro d’« Isolation » est un exercice de polyrythmie que j’avais trouvé sur internet. Arès l’avoir bossé derrière la batterie, je l’ai maquetté en jouant une basse qui suivait le rythme en 7 de la grosse caisse/caisse claire, et une guitare qui reproduisait le rythme en 5 du charley. Un exercice, ou quelque chose, qui nous attire l’oreille n’importe où peut devenir une source d’inspiration. Il s’agit ensuite de se l’approprier correctement. Dans « Isolation », cette idée a été vraiment reprise telle quelle sur la batterie, mais orchestrée différemment en faisant intervenir d’autre instruments. Et ça a inspiré la suite du morceau, où les rôles changent dans qui joue quel rythme (que ce soit les instruments ou les différents éléments de la batterie). En tout cas, la composition a été instrumentale, mais on espère pouvoir composer certains morceaux autour du chant maintenant, c’est une approche différente, mais qui permettrait à Eglantine d’apporter encore plus à l’esthétique du projet.

– Parallèlement à des aspects très Prog, post-Rock et parfois même Noise, ASH TWIN PROJECT reste très Metal au point même que vous accueillez le vocaliste Nicolas Lougnon pour quelques growls. En quoi est-ce pertinent compte tenu du talent de votre chanteuse Eglantine ? Est-ce devenu un passage obligé aujourd’hui, car les exemples se multiplient ?

Si on s’est senti obligés, ce n’est pas pour coller à une demande éventuelle des auditeurs, mais par goût personnel ! Certains riffs plus lourds, ou rapides, étaient propices à du chant saturé. Et comme on aime ça, cela aurait été dommage de s’en priver !

– Justement, il y a une direction artistique assez claire sur l’album. Le songwriting est efficace et la teneur des textes aussi. Malgré un univers dont on a déjà parlé, vos morceaux s’inscrivent dans une réalité authentique. De quelle manière faites-vous l’équilibre et le pont entre ce qui reste du domaine de l’imaginaire et un aspect plus concret ?

Finalement, le pont entre l’imaginaire et le réel se fait naturellement, parce que les deux sont liés. Il peut y avoir de l’abstrait et de la poésie dans n’importe quel objet concret, puisque cela réside dans l’œil de celui qui l’observe. On ne réfléchit pas toujours consciemment à cet équilibre, mais c’est vrai qu’il est présent. Disons que l’imaginaire est une porte d’entrée, une manière d’aborder certains thèmes tangibles avec plus de recul, et ça permet de laisser à chacun la possibilité de se les approprier à sa manière.

– Enfin, avec ses cinq titres, « Tales Of A Dying Sun » pourrait faire penser à un EP, mais sa durée se rapproche de celle d’un album. Avez-vous hésité entre les deux formats, car vous auriez aussi pu le compléter ?

À l’origine, on pensait sortir un EP autoproduit. Mais au fil du temps, une vraie thématique s’est imposée, avec une intention plus conceptuelle. Et ça, c’est typiquement ce qu’on associe à un album : un ensemble cohérent à écouter dans sa globalité. Aujourd’hui, le format album n’est plus forcément la norme, mais c’est celui qui nous semblait le plus adapté à ce qu’on voulait exprimer. Et puis, l’intérêt que nous a porté Klonosphere a aussi joué un rôle dans cette direction, bien sûr !

Le premier album d’ASH TWIN PROJECT, « Tales Of A Dying Sun », est disponible chez Klonosphere/Season Of Mist.

Photos : Roxane Claude

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Damage Done : closer songs [Interview]

A l’écoute de ce premier album de DAMAGE DONE, c’est tout d’abord cette ambiance très familière qui séduit, tant elle captive et peut même rappeler quelques souvenirs. La deuxième surprise vient du fait que le quatuor évolue entièrement en acoustique, soutenu par une rythmique légère et aérienne et quelques discrets claviers. Une approche qui nous renvoie forcément aux légendaires concerts d’une certaine chaîne musicale américaine dans les années 90. Cependant, pas l’ombre d’une quelconque nostalgie sur « Stranger Skies », qui nous transporte dans un univers très immersif avec une rare proximité. Les Français s’aventurent avec talent dans des chemins tracés par Pearl Jam ou Alice In Chains. Rencontre avec le chanteur Romaric Lamare et le guitariste Florian Saulnier.

– Cinq ans après un premier deux-titres, « The Fire », DAMAGE DONE livre enfin son premier album. « Stranger Skies » s’inscrit d’ailleurs dans la continuité de l’EP. Est-ce que vous avez été ralenti dans votre élan par la pandémie, ou vous a-t-il fallu plus de temps pour l’écrire et le composer ?

Florian Saulnier (guitare lead, voix) : En 2020, on ne pensait clairement pas sortir l’album cinq ans plus tard. Le contexte de la pandémie nous a beaucoup ralentis et le groupe n’était pas encore au complet. En voyant que l’on allait devoir repousser le projet de l’album, même si peut-être la moitié des morceaux étaient déjà là, on tenait quand même à offrir un aperçu de ce qu’allait être cet album. « The Fire » a été enregistré chacun chez soi et n’a pas bénéficié d’une production optimale, mais il a tout de même permis de montrer une première facette de notre univers et c’était vraiment l’objectif de ce premier EP. Par la suite, on a pu compléter le groupe et finaliser les morceaux sur les aspects rythmiques et les arrangements. Ça a pris plus de temps que prévu initialement et par la suite, l’enregistrement de l’album a dû être réalisé sur six mois environ. Finalement, « Stranger Skies » arrive plus tard que ce que l’on aurait aimé, mais il sort avec les directions sonores et les choix artistiques qui correspondent pleinement à notre vision.

Romaric Lamare (chant, guitare) : Ce qui est intéressant, c’est que c’est à peu près à cette période qu’on a commencé à trouver notre rythme de composition. Et c’est à la sortie de la  pandémie qu’on a commencé à vouloir affiner l’évolution de notre musique.

– En tout cas, l’évolution musicale du groupe est très nette. J’ai le sentiment que « Stranger Skies » vous apporte aussi cette identité claire qui vous manquait peut-être avec, notamment, un son plus personnel. Sans parler forcément de maturité, avez-vous pu cette fois aller jusqu’au bout de vos idées ?

Florian : « Stranger Skies » a été composé sur la durée et je pense pouvoir dire qu’on a évolué dans notre style, et donc dans notre son, pendant la composition de ces morceaux.  On s’est pas mal attardé sur la direction vers laquelle on voulait emmener notre musique. Finalement, on a développé ce côté ‘Rock/Grunge’ en quelque chose d’un peu plus aérien et beaucoup plus arrangé que ce qu’étaient les morceaux du groupe à la base. C’est ce qui marque la différence entre « The Fire » et « Stranger Skies ». On a pu donner plus de profondeur à nos morceaux, tout en explorant des textures sonores que l’on n’avait pas imaginées à la base. Quelque part, on a mieux défini le style du groupe, tout en restant fidèles à nos premières inspirations.

– Etonnamment, on retrouve les deux chansons de « The Fire », c’est-à-dire le morceau-titre et « Dead End Run » dans des versions plus dynamiques et avec un relief nouveau. Vous teniez absolument à ce qu’elles soient présentes sur « Stranger Skies » ? Pour quelles raisons ? Et l’idée était-elle aussi de leur donner un nouvel éclat ?

Florian : Complètement car, à nos yeux, les morceaux n’avaient pas pu profiter d’une production optimale. Et même si effectivement, l’album sort cinq ans après cet EP, ces chansons faisaient partie intégrante de l’album au début du projet. On a donc pu, plus ou moins, les développer et les réarranger dans le sens du reste des compositions.

Romaric : Ça nous tenait à cœur que ces morceaux soient sur l’album et qu’ils bénéficient du même traitement que les autres, que ce soit en termes de production, comme le dit Flo, mais aussi en termes d’exposition et de diffusion.

– Ce premier album est également très bien produit et il met en valeur des arrangements qu’on ne trouvait pas sur l’EP, qui était plus brut dans l’approche. Est-ce que lorsqu’on propose une musique acoustique, ou semi-acoustique, c’est un travail plus important dans le sens où vous vous mettez peut-être plus à nu ? 

Romaric : Tout dépend de l’approche qu’on recherche. On aurait pu faire le choix de rester sur quelque chose de plus dépouillé et brut, mais ça ne cadrait pas avec notre vision. L’idée est vraiment de faire le lien entre le côté intimiste de l’acoustique et le côté plus immersif et moderne avec des arrangements discrets, mais qui permettent d’emporter encore plus l’auditeur avec nous.

– On l’a dit, DAMAGE DONE est apparu en 2020, une période où l’acoustique n’était pas un style très répandu, pour ne parler que du monde du Rock. Comment prend-on la décision de s’aventurer dans un tel registre, qui est devenu depuis la fin des 90’s très confidentiel ?

Florian : Je ne pense pas que l’on puisse vraiment parler de prise de décision. C’est surtout une question d’envie et de ce qui nous touche depuis pas mal de temps déjà. Au début du projet, on s’est retrouvé avec la même passion pour des morceaux que l’on chantait avec notre guitare chacun de notre côté. Après avoir passé pas mal de temps sur des reprises d’Alice In Chains, Pearl Jam ou d’autres artistes plus ‘Folk’ comme Ray LaMontagne ou même Neil Young, nos premières compositions étaient largement orientées. On a parlé précédemment des changements dans notre style qui sont venus un peu après, pendant le travail sur les morceaux, mais à la base que ce soient nos compositions ou notre style en lui-même, tout est vraiment venu naturellement.

– Justement, restons un peu sur ces fameuses années 90, et les légendaires ‘MTV Unplugged’, dont vous ne cachez d’ailleurs pas l’influence qu’elle a eu sur le groupe. Est-ce qu’il y a aujourd’hui un manque de ce côté-là, celui d’un Rock plus léger et aérien, qui ne se cache pas derrière un mur de guitare et qui laisse apparaître une authenticité réelle et palpable ?

Romaric : C’est encore une question de parti-pris. Mais si on s’y intéresse, il y en a pour tous les goûts. L’idée de l’acoustique, c’est en effet de rester au plus près des émotions, avec une sorte de fragilité et de simplicité, car on est plus à nu. Il y a tout de même pas mal d’artistes qui explorent cette voie acoustique, que ce soit le temps d’un album, ou bien de façon plus permanente. Il y a même des groupes qui, tout en restant électriques, arrivent à garder cette légèreté et ce côté aérien. Donc, je ne pense pas qu’on puisse dire qu’il y a un manque, simplement différentes approches. Pour nous, l’acoustique s’est imposée naturellement, parce que c’est ainsi qu’on se sent le plus à l’aise pour s’exprimer et transmettre ce qu’on a envie de partager.

 – D’ailleurs, même si DAMAGE DONE se présente en acoustique, on retrouve cette même touche dans d’autres registres comme la Folk, l’Americana ou le Blues. Et cela revient même en force. Même si vous restez dans un style très Rock et légèrement progressif, sentez-vous une certaine proximité avec ces autres genres, essentiellement américains d’ailleurs ?

Romaric : Oui, il y a forcément une sorte de proximité, et comme l’a dit Flo, on a pas mal écouté des artistes comme Brother Dege, Neil Young, Ray LaMontagne et d’autres, qui sont issus de ces genres… Aujourd’hui je pense qu’on s’en éloigne un peu avec quelque chose d’un peu plus progressif, mais on garde toujours cette connexion avec la Folk et ce côté plus Rock, ou Grunge pour faire court. Ça restera quelque chose qui est dans l’ADN du groupe et  le mien notamment dans ma façon de chanter. Ce sont aussi les styles où je me sens le plus à l’aise pour exprimer ce que j’ai à sortir.

– Revenons à « Stranger Skies », où l’on retrouve une douce mélancolie, qui colle souvent au style, c’est vrai. La prestation vocale est d’ailleurs incroyable, tant elle dégage une vérité dans l’engagement comme dans les textes. On a presque l’impression que la voix porte l’ensemble ou, en tout cas, est là pour captiver immédiatement l’auditeur avec des intros assez courtes. C’est le style qui nécessite une telle approche, selon vous ?

Romaric : C’est certain que ce style se prête bien à cette mélancolie. Il a un côté plus organique et l’idée de départ était justement de mêler cette chaleur acoustique avec une voix qui renforce cette intimité, tout en ajoutant les harmonies de Flo pour apporter plus de profondeur et d’ambiances à l’ensemble. Le fait que nous ayons commencé à composer à deux sur une bonne moitié de l’album n’y est pas étranger non plus, car l’intention était vraiment de placer les guitares et les voix au cœur de la démarche.

– Si votre musique peut paraître très épurée de prime abord, on est finalement assez loin du compte, puisque quelques claviers et samples viennent en complément des deux guitares et d’une rythmique électro-acoustique. L’objectif était-il aussi d’apporter une richesse sonore supplémentaire à « Stranger Skies » ?

Romaric : Exactement ! L’arrivée d’Antoine à la batterie et de Victor à la basse nous a vraiment poussés dans cette direction. Victor est un touche-à-tout passionné de synthétiseurs et de samples, et nous avons pris le temps de travailler chaque morceau pour enrichir les ambiances et la palette sonore. De son côté, Antoine a apporté son toucher et sa précision rythmique, donnant à l’album un juste équilibre entre intimité et une dynamique subtile.

– Enfin, on a l’impression qu’un style comme le vôtre se prête aussi à des endroits plus petits et des ambiances peut-être plus cosy et feutrées. Est-ce que c’est quelque chose que vous recherchez : une grande proximité avec votre public, plutôt que des lieux trop grands et peut-être mal adaptés ?

Florian : Alors, c’est ce que l’on recherche, mais peut-être pas entièrement. Et c’est clair aussi que l’on adore ces concerts donnés dans des endroits plus ‘petits’, car on va pouvoir aisément créer cette atmosphère intimiste qu’on affectionne beaucoup.

Romaric : Oui, ce qui compte vraiment pour nous, c’est l’atmosphère du concert. Peu importe la taille du lieu, tant que l’on arrive à créer cette bulle où la musique prend toute sa place. La proximité avec le public, c’est quelque chose de fort, mais on a aussi besoin que les conditions soient bonnes : un bon son, une belle écoute… C’est ça qui permet de transmettre pleinement l’émotion et de faire vivre les morceaux comme ils ont été pensés.

L’album de DAMAGE DONE, « Stranger Skies », sera disponible le 28 mars chez Klonosphere.