Décidemment, il semblerait que tout le monde se tourne vers la scène du Sud et peu importe le style. Certes, dans le Blues, il paraît assez normal et évident d’aller vers des origines avérées. Quand les musiciens issus du milieu du Metal, et pas des plus tranquilles, s’y mettent, on y regarde tout de même à deux fois… et en scrutant le pédigrée de l’aventurier. MARK MORTON, six-cordiste en chef de Lamb Of God, fait mieux de s’immiscer dans un genre pourtant loin de ses (bonnes) habitudes. Grâce à un jeu brut et direct, son côté roots fait même de son album une belle surprise. « Without the Pain » est un disque bien exécuté et convaincant.
MARK MORTON
« Without The Pain »
(Independant)
Tout d’abord, je tiens à rassurer les fans de Lamb Of God et ceux de Country Music aussi car, contrairement à ce que j’ai pu lire dans un très, très fameux magazine rocailleux français, MARK MORTON n’a pas sorti d’album de Country. Enfin, pas encore à ce jour, il me semble… Donc, histoire de rectifier un peu le tir hasardeux plein de graviers de notre belle presse nationale, le guitariste et chanteur s’est essayé (et plutôt bien !) au Rock Sudiste, c’est-à-dire au Southern Rock pour être le plus politiquement correct possible. Désolé, mais comme je sais que l’heure est aux fake news, je tenais à apporter quelques précisions. Direction donc le Sud des Etats-Unis avec ce « Without The Pain » de très bonne facture.
Alors, c’est vrai que notre tendre métalleux s’est fait plaisir en invitant quelques jolis noms plutôt associés au genre, comme le leader de Cadillac Tree, Jaren Ray Johnston, la chanteuse Country Nikki Lane, le rugueux Texan Matt James des Blacktop Mojo, le jeune Travis Denning de Georgie, ainsi que Charlie Starr et Jason Isbell de Blackberry Smoke, le très Outlaw Cody Jinkx, la jeune et talentueuse guitariste Grace Browers déjà chroniqué ici, ‘Mr Larkin Poe’ Tyler Bryant, le frontman de Clutch, Neil Fallon, le guitariste de Blues Rock Jared James Nichols et enfin le bassiste et chanteur de Mastodon Troy, Jayson Sanders… Il manque donc Dolly Parton à cette grand-messe de la Country orchestrée par MARK MORTON !
Assez éloigné donc des Miranda Lambert, Lainey Wilson et autres Carrie Underwood, on est plutôt ici dans les pas du Pride & Glory de Zakk Wylde, voire plus récemment de Cory Marks. Ne nous y trompons pas, le musicien originaire de Virginie, a mis le cap au Sud en sortant les muscles, et on n’en attendait pas moins de lui. Il prend à bras le corps le Southern Rock avec l’héritage très Metal qu’on lui connaît. Et ça sonne ! Les riffs épais et tranchants, un songwriting aux petits oignons et des solos de grande classe font de ce deuxième effort en solo de MARK MORTON un moment bien pensé et agréable. Proche des standards du genre, il lui manque cependant encore un peu d’identité franchement Southern. Propre et soutenu.
Spontanée et ambitieuse, la nouvelle réalisation de SMITH/KOTZEN dévoile surtout un réel et palpable désir de jouer et de composer ensemble. S’ils peuvent évidemment s’appuyer sur une technique exceptionnelle et très complémentaire, les deux artistes, qui se partagent aussi le chant, sont guidés par une culture musicale commune ponctuée d’étonnants contrastes dans le jeu. Et c’est justement toute la force de « Black Light / White Noise », qui est un modèle du genre, entre élégance sonore et puissance Rock.
SMITH/KOTZEN
« Black Light / White Noise »
(BMG)
Il y a quatre ans ADRIAN SMITH et RICHIE KOTZEN avaient surpris tout le monde avec un premier album éponyme d’une grande classe. Au-delà de cette union artistique assez improbable de prime abord, les deux guitaristes s’étaient trouvés naturellement autour d’un Classic Rock moderne et forcément affûté, s’ouvrant même de belles perspectives. D’ailleurs, quelques mois plus tard sortait l’EP « Better days », puis une version augmentée l’année suivante de cinq titres live. Rien d’un one-shot donc, et c’est tant mieux !
L’impatience commençait à grandir depuis quelques temps accompagnée de nombreuses questions. Et dès la première écoute, on ne peut que se réjouir de voir nos deux virtuoses toujours aussi inspirés et créatifs. « Black Light / White Noise » apporte beaucoup de certitudes, à commencer par la plus éclatante : il existe une touche et un son SMITH/KOTZEN. Assez loin de leur chapelle respective (quoique l’Américain en ait plusieurs), le duo côtoie les sommets, s’appuie sur ses héritages et les fructifie avec talent.
Enregistré à Los Angeles, mixé par Jay Ruston et produit par les deux musiciens et chanteurs, ce deuxième opus fait briller cette alchimie anglo-américaine, qui transcende les courants sur de solides racines Hard Rock et Blues. Accompagné par l’excellente Julia Lage (femme de Kotzen) à la basse et Bruno Valverde d’Angra derrière les fûts, SMITH/KOTZEN a plus que belle allure et cette nouvelle odyssée musicale devient immédiatement familière (« Muddy Water », « White Noise », « Blindsided », « Black Light », « Life Unchained »). Eblouissant !
Retrouvez la chronique du premier album et de « Better Days… And Nights » :
Réellement investie, la formation viennoise se présente avec « Fast Lane », un deuxième effort qui vient confirmer le potentiel aperçu à ses débuts. Sur de solides fondations Hard Rock, les musiciennes savent se faire Heavy, Glam aussi à l’occasion et laissent même échapper quelques gimmicks Punk. Bien produite, polyvalente et survoltée, cette nouvelle réalisation est intense, rafraîchissante et assure à VULVARINE une nouvelle stature dans l’univers Heavy Rock européen qu’elles s’apprêtent à conquérir armées d’un farouche caractère.
VULVARINE
« Fast Lane »
(Napalm Records)
En l’espace de cinq ans, on a pu assister en temps reel à la métamorphose, du moins à la saisissante progression, de VULVARINE. Depuis « Unleashed » en 2020, suivi de l’EP « Witches Brew » fin 2023, les Autrichiennes ont peaufiné leur style, resserré leur jeu et gagné en efficacité. Les compos sont plus racées, leur débordante énergie canalisée et avec « Fast Lane », elles franchissent un nouveau cap. Toujours aussi fougueuses, leur Hard Rock trouve son identité dans un élan Heavy, teinté de Punk et de Glam. Sexy & Raw au final !
Certes, il y a du Girlschool, une touche de Joan Jett dans l’attitude aussi et un brin de The Runaways chez VULVARINE, qui s’inscrit dans la lignée des groupes 100% féminin à l’ADN hyper-Rock’n’Roll. Mais sans compromis, ce deuxième album est explosif et vivifiant avec un côté sauvage qui sert parfaitement des refrains très accrocheurs. Même si elles évoluent dans un registre assez classique, « Fast Lane » est résolument moderne et impactant. Fruit d’une collaboration entre trois producteurs, l’ensemble est très homogène et costaud.
Avec une approche féministe et volontaire, VULVARINE affirme ses convictions et ses valeurs, tout en libérant une bonne dose d’adrénaline. Brut et rentre-dedans, le quatuor affiche puissance et détermination, et met en avant des mélodies bien ciselées (« The Drugs, The Love And The Pain », « Demons », « Alright Tonight », « Equal, Not The Same », « Polly The Trucker » et l’acoustique « She’ll Come Around »). Au final, « Fast Lane » ne renverse pas la table, mais y pose comme il faut tous les ingrédients d’un avenir serein. La scène sera révélatrice.
Avec seulement deux albums à son actif, sortis avant et après la pandémie, AZILIZ MANROW s’est pourtant et naturellement fait une place sur la scène bretonne au point d’en être aujourd’hui incontournable. Dans la lignée de son premier opus « Earth », la chanteuse fait son retour avec « Et Tout Prend Vie », où s’entremêlent Pop et Folk dans une atmosphère celtique omniprésente. Ecrit en français, en anglais et en breton, elle impose sa personnalité dans un univers musical dorénavant facilement identifiable. Entretien avec une artiste aimantée et inspirée par un pays qui se rappelle constamment à elle.
– « Earth », ton premier album, est sorti il y a six ans déjà. S’il y a eu la pandémie, bien sûr, c’est un délai assez long entre deux disques. Tu as eu besoin de plus de temps cette fois-ci pour la réalisation de « Et Tout Prend Vie » ?
Même si les années me semblent être passées en un clin d’œil, il est vrai que mon parcours artistique a été stoppé en plein vol, suite à la crise que nous avons traversée. 2020 et 2021 ont été des années à la fois sombres et surprenantes. Elles m’ont amené à réfléchir à mon avenir dans le milieu musical, il m’a même traversé l’esprit de me lancer dans une autre activité professionnelle. C’est ma rencontre et ma collaboration avec Denez (Prigent – NDR) qui m’a convaincu de continuer. Avec le recul, je me rends compte que j’ai beaucoup appris et grandi pendant cette période plus qu’inédite. Le confinement m’a ramené dans ma chambre d’adolescente, dans laquelle j’ai beaucoup écrit et composé, ce qui a d’ailleurs donné naissance à la chanson « Emotion ».
– Sur « Et Tout Prend Vie », tu as également conservé la même équipe de musiciens. C’était important pour toi de garder ce socle avec lequel tu as commencé ? Pour garantir ta touche sonore, ou peut-être juste maintenir une certaine confiance ?
Je suis une personne assez fidèle et la stabilité de l’équipe qui m’accompagne a toujours été importante pour moi, pour créer en toute confiance. Mais au milieu du parcours de réalisation de ce deuxième album, une nouvelle collaboration avec le label One Hot Minute m’a ouvert d’autres possibilités pour la suite du projet. Aussi, certaines chansons ont été arrangées par John Sainturat, le guitariste qui m’accompagne depuis de nombreuses années, et d’autres chansons par Thierry Gronfier. Ce qui apporte une nouvelle direction à ma musique, et c’est plutôt positif !
– Sur ce nouvel album, tu chantes encore en français, en anglais et en breton. Cela convient d’ailleurs parfaitement à ton registre. Tu ne t’es jamais résolu à faire un choix ?
Je chanterai toujours dans ces trois langues, et dans bien d’autres si l’occasion se présente. C’est mon identité artistique et ma vision personnelle de la création ‘libre’. L’inspiration qui me traverse dans mes séances d’écriture a une vraie raison d’être pour moi et je ne veux pas perdre cette vérité, cette spontanéité.
– D’ailleurs, chaque langue a aussi sa propre couleur musicale. Le breton penche naturellement vers des mélodies celtiques, le français a un côté plus Pop, tandis que l’anglais apporte une touche Folk, Americana et Country. Est-ce une distinction volontaire, ou quelque chose qui se fait naturellement au moment de l’écriture ?
Je commence toujours par composer les mélodies à la guitare, en ayant déjà une idée du thème que je vais aborder, j’ai parfois même déjà le titre de la chanson. C’était d’ailleurs le cas lorsque j’ai composé « Douar ». En revanche, la langue choisie n’est pas toujours déterminée. Lorsque je compose, je chante toujours dans une langue imaginaire et ce sont les sonorités qui ressortent et qui me guident jusqu’aux paroles que je vais écrire.
– S’il y a quelques collaborations sur « Et Tout Prend Vie », comme c’était aussi le cas sur « Earth », tu signes l’essentiel des paroles et de la musique. Y a-t-il un processus d’introspection dans ta manière d’écrire et de composer qui nécessite d’être seule ? Dans un premier temps du moins…
Hormis une certaine pudeur qui me bloquait dans l’écriture de textes en français, je ne me sentais pas légitime d’écrire, pensant ne pas avoir le talent pour ça. Mais ces dernières années d’introspection, depuis le premier album, m’ont appris à me ‘lâcher la grappe’, apprivoiser la feuille blanche, me connecter à mon jardin secret et me laisser guider par l’énergie qui en ressort, au plus près de la vérité qui m’anime.
– Entre tes deux albums, il y a donc aussi eu ta rencontre avec Denez, dont on connaît le talent et l’attachement viscéral à la Bretagne. Tout a commencé en 2021 avec le morceau « Waltz Of Life » avec Oxmo Puccino, puis sur scène à plusieurs reprises. Il signe d’ailleurs aussi l’adaptation du texte en breton de « Merch’ed Kelt ». Outre la connexion musicale, vous avez en commun l’amour de la Bretagne. Quelle relation artistique entretenez-vous justement ?
Oui, comme je le disais un peu plus haut, Denez fait partie de ces rencontres déterminantes, qui apportent à votre existence un sens tout particulier. Il est aussi pour moi un ami sincère et authentique. Nous avons, je pense, une vision artistique et humaine similaire et je suis admirative de son parcours et de sa forte identitaire bretonne. Il suit son intuition quoi qu’il advienne et c’est un très bel héritage pour la nouvelle génération d’artistes en Bretagne.
– Un mot justement sur « Merc’hed Kelt », ‘Les Femmes Celtes’, où tu as réuni six chanteuses bretonnes. Comment est née l’idée de cette chanson et quelle signification a-t-elle pour toi ? Y a-t-il un rapport, même lointain, avec #Me Too ou d’autres revendications du même genre ?
Mon projet de « L’Hymne des Femmes Celtes » me tenait à coeur depuis longtemps, mais il me semblait difficile à concrétiser, parce qu’il fallait réussir à convaincre et rassembler plusieurs artistes, ce que je n’avais encore jamais expérimenté. « Merc’hed Kelt » ne devait d’ailleurs pas faire partie du nouvel album au départ. Ce projet a finalement vu le jour grâce à ma collaboration avec One Hot Minute, qui a souhaité produire ma chanson, dans les tout derniers temps de la réalisation du disque.
Pour la création de cette chanson, j’ai souhaité travailler avec mon père, Gwendal Le Goarnig. Il a composé la mélodie, puis j’ai écrit le texte en français. Comme c’était important pour moi que cette chanson soit chantée en breton, j’ai donc proposé à Denez d’adapter le texte et il m’a fait l’honneur d’accepter.
Enfin, à travers ce projet je souhaitais mettre en valeur l’histoire de ces femmes qui, d’après les quelques écrits que j’ai pu trouver, nous racontent qu’elles avaient la même place et les mêmes droits que l’homme dans le peuple celte. Elle pouvait être reine, druidesse ou encore cheffe de guerre. Je pense qu’il est plus que temps que l’homme et la femme retrouvent cette équité et que l’on intègre enfin que chaque être humain détient une place particulière et unique sur Terre. Je trouvais donc intéressant de remettre l’Histoire de la femme celte dans le contexte actuel, en réussissant des artistes féminines, qui constituent la scène actuelle bretonne. J’ai contacté plus d’une dizaine d’artistes de Bretagne et six d’entre-elles ont souhaité faire partie de l’aventure. Merci encore à Laurène Bourvon (duo Lunis), Clarisse Lavanant, Elise Desbordes (duo Emezi), Madelyn Ann, Sterenn Diridollou et Morwenn Le Normand.
– Il y a sur l’album un thème qui revient à plusieurs reprises, c’est celui du rêve. Et c’est vrai qu’il laisse le champ libre à l’imagination au sens large. En quoi est-ce qu’il t’inspire et peut-il d’ailleurs devenir réalité ? Et est-ce que tu le souhaites ?
Je suis fascinée par la capacité que nous avons tous à rêver. Je suis quelqu’un qui rêve beaucoup, et parfois de situations tellement réelles que j’ai l’impression d’avoir une deuxième vie. Mes rêves m’ont permis de concrétiser dans la matière un souhait, une idée, une rencontre. Il m’est arrivé de rêver d’une mélodie, de me réveiller en pleine nuit et de l’enregistrer à moitié endormie.
– J’aimerais qu’on dise un mot aussi de ton rapport à la Bretagne. Tu es Finistérienne, d’un lieu que je connais d’ailleurs bien, et issue d’une famille aussi très engagée. Même si c’est difficile à exprimer de manière rapide, qu’est-ce qui t’inspire le plus dans notre beau pays ? Sa musique, ses légendes, ses paysages et ses reliefs, sa langue, sa culture celtique très opposée celle latine de la France, son peuple, son caractère, … ?
J’ai grandi à Moëlan-sur-Mer, dans une famille passionnée, investie, active et viscéralement attachée à sa culture bretonne. Même si nous avons toujours eu des liens très forts, j’ai eu besoin de partir loin, pour expérimenter la vie en dehors du cocon familial, découvrir d’autres cultures, d’autres paysages, d’autres ambiances et évoluer dans un environnement moins confortable, ou moins apaisant. Je crois que durant mes 20 ans de vadrouille, je n’ai finalement jamais été très épanouie loin de la Bretagne. Malgré la distance et les belles rencontres sur mon chemin, mon héritage familial m’a ramené vers la terre magnétique du Finistère. La Bretagne pour moi est un havre de paix infini, c’est à la fois mon innocence et ma plus grande force. Comme une évidence, je suis connectée à sa langue, sa lumière et sa beauté authentique, libre et sauvage. Et son énergie m’a aidé à réaliser ce deuxième album « Et Tout Prend Vie ».
– Enfin, j’ai remarqué aussi que tu étais allée un peu à l’encontre de ce qui se fait aujourd’hui à la parution d’un album, c’est-à-dire que tu l’as d’abord sorti en physique. Il sera ensuite disponible en numérique un peu plus tard. Je ne peux que saluer ton initiative et j’aimerais que tu m’en dises un peu plus sur cette démarche très rare. C’est un choix étonnant…
Avec One Hot Minute, nous avons privilégié la sortie physique de mon nouvel album en Bretagne, en collaboration avec la ‘Scarmor’, qui réunit les Espaces Culturels E. Leclerc, suite au ‘Prix de Soutien Culturel E. Leclerc’, qui m’a été attribué. L’écriture de ce nouvel album a été longue et mouvementée, j’ai mis beaucoup d’énergie et de coeur dans chacune de ses nouvelles chansons, ainsi que l’équipe qui a travaillé à mes côtés. Nous avons voulu prendre le temps de dévoiler cet album sur la toile, au juste moment. Même si je suis consciente que les lecteurs de disques sont en voie d’extinction, c’est aussi l’occasion de dire qu’il n’est pas obligatoire de livrer sa musique, en un clic, comme une évidence établie. Et puis, je fais partie de celles et ceux qui prennent le temps d’écouter un bon disque, en feuilletant son livret de paroles, tout comme l’on savoure un grand cru, au coin du feu.
Le nouvel album d’AZILIZ MANROW, « Et Tout Prend Vie », est disponible chez One Hot Minute et plus tard sur les plateformes.
Tirant son nom d’un morceau de 1975 de Grand Funk Railroad, MEAN MISTREATERannonce à sa manière la couleur concernant, si ce n’est l’époque, du moins ses inspirations concernant le Heavy Metal dans lequel il évolue. Pas complètement proto-Metal non plus, la formation du Sud des Etats-Unis livre un brûlant mix entre des dynamiques très 80’s venant d’Europe et d’autres directement de son pays, et avec la volonté d’afficher le respect d’une tradition toujours aussi passionné. Intense et électrisant, « Do Or Die » avance sur un train d’enfer.
MEAN MISTREATER
« Do Or Die »
(Dying Victims Productions)
Aussi bouillonnante soit-elle, la scène Heavy Metal mondiale ne produit pas forcément des groupes à même de renouveler, ou tout au moins d’apporter une touche originale à un genre né dans les années 80 et qui doit beaucoup à cette légendaire NWOBHM. Mais ils sont quelques uns et c’est de l’autre côté de l’Atlantique, du Texas, que vous vient MEAN MISTREATER. S’il remplit toutes les cases des incontournables atouts à posséder et des codes à respecter, le quintet va au-delà, grâce surtout à une rage et une vraie folie musicale baignant dans un ambiance vintage saillante.
Il y a moins de deux ans, le groupe était apparu avec « Razor Wire », sorte de prémisse à ce qui allait suivre aujourd’hui, « Do Or Die » se veut beaucoup plus abouti, tant dans les compositions à l’écriture chiadée qu’au niveau de la production. Certes, ce deuxième opus n’a rien à voir avec ce qui se fait à l’heure actuelle en termes de sonorités, mais cela ne l’empêche pas d’être parfaitement ancré dans son époque. Brut et incisif, c’est sur la puissance de son jeu que MEAN MISTREATER a misé et il est loin de manquer de ressources et de (très bonnes) idées.
Resserré sur moins d’une demi-heure, le voyage que propose le combo d’Austin n’est pas de tout repos. Très américain dans son approche du Metal, il peut compter sur sa frontwoman, Janiece Gonzalez, qui n’est pas sans rappeler une certaine Leather Leone ou la Doro de Warlock avec cette hargne et ce côté hyper-Rock. La doublette guitaristique se fait aussi plaisir, redoublant d’efforts sur les échanges de solos et de riffs racés. La paire basse/batterie montre les muscles et MEAN MISTREATER laisse clairement apparaître une belle idée d’un collectif percutant.
Provocateur et explosif, DREW CAGLE & THE REPUTATION donne enfin une suite à un premier essai très concluant sorti il y a quelques années. Cette fois, le musicien de l’Illinois met les petits plats dans les grands avec beaucoup d’audace et surtout dénué de tout complexe. « Bad Attitude » montre une assurance folle et les riffs racés distillés sur des mélodies entêtantes viennent mettre en valeur une performance vocale éclatante. Original et moderne, ce deuxième opus a déjà tout d’un futur classique.
DREW CAGLE & THE REPUTATION
« Bad Attitude »
(Pavement Entertainment)
Cela fait déjà un moment que DREW CAGLE traîne sa réputation et ce serait plutôt une fierté qu’un boulet. Car, trois ans après « Haunted », il semble plus jamais déterminé à livrer au monde entier son savoureux mélange de Hard et de Rock US. Dans la lignée de la scène notamment californienne des années 80/90, le chanteur, guitariste et compositeur tire son épingle du jeu avec beaucoup d’habileté et une énergie débordante. Magistralement conçu, « Bad Attitude » ne souffre d’aucun temps mort, malgré quelques petites accalmies.
Il faut préciser que DREW CAGLE & THE REPUTATION affiche un line-up assez incroyable. Enregistré à Nashville, le frontman s’est entouré des guitaristes Sol Philcox-Littlefield (Luke Combs, Jelly Roll), Sam Hunter (Willie Nelson) et B. James Lowry (Kenny Chesney). Ajoutez-y Shannon Forrest (Toto, Taylor Swift) derrière les fûts et Craig Young (Elton John, Post Malone) à la basse et vous obtenez une véritable dream team. Et « Bad Attitude » transpire un Rock authentique, sleaze et généreux de bout en bout.
Et on prend en compte que Matt Coles (Eagles, Alice Cooper) est à l’enregistrement, au mix et à la production, on tient là un disque de haute volée. Sur huit titres (seulement !), DREW CAGLE & THE REPUTATION se montre très inspiré, que ce soit sur des chansons percutantes comme « All Figured Out », ou encore le morceau-titre où l’Américain accueille Tracii Guns dans une belle complicité. Pour le reste, on passe par toutes les émotions avec une passion sincère (« If It’s Not Love », « So Cold », « Live Right », « Wine Talkin’ »). Une bouffée d’oxygène !
Parfois à fleur de peau, mais aussi très solide et sûr dans ses écrits, l’ancien leader de Noir Désir n’a rien perdu de sa verve, de son sens du propos et de la métaphore. Aller chercher la petite bête au carrefour de ses mots est sincèrement inutile, tant les nouvelles compositions de DETROIT sont limpides, personnelles et fluides. Avec « L’Angle », le groupe nous balade dans des ambiances et des atmosphères diverses avec beaucoup de délicatesse et de force, sans jamais tomber dans ce lyrisme désuet très contemporain. Et grâce à une production lumineuse, c’est le genre de disque d’une qualité devenue très rare.
DETROIT
« L’Angle »
(Independant)
Evacuons d’abord toute polémique. Certes, on pourra toujours trouver un double-sens, voire certaines allusions dans les paroles de Bertrand Cantat, mais on peut aussi s’arrêter à l’aspect poétique de ses textes, car il reste bel et bien l’un des derniers en France à exceller dans le domaine. Et, très sincèrement, à l’écoute de « L’Angle », toutes tentatives de fouiner en quête d’éventuels règlements de compte de sa part seraient malvenus et déplacés. Surtout dans un pays où l’on célèbre un écrivain comme Céline qui a autant brillé par son rôle de fervent propagandiste du parti nazi que par sa fadasse prose, c’en serait presque vulgaire et à l’évidence ne rien connaître l’œuvre de DETROIT et de son chanteur.
Alors qu’en est-il donc de ce deuxième album (trois avec le live « La Cigale »), « L’Angle » ? Quand la majorité des médias s’est surtout posée la question de savoir s’il fallait l’écouter, ou pas, personne ou presque ne semble s’être penché sur son contenu. A croire que cela ne se fait pas. C’est à penser que les amoureux de la musique et des textes de Bertrand Cantat se doivent de l’écouter en catimini… Et sans mot dire, en deux mots. Bref, dix ans après « Horizons » et sept depuis « Amor Fati » sorti en solo, l’auteur, guitariste et harmoniciste poursuit l’aventure DETROIT en trio, où il est brillamment accompagné de Pascal Humbert (basse, batterie, guitare) et Jérémie Garat (violoncelle, guitare).
Très acoustique et mystérieux à bien des égards, « L’Angle » dévoile une nouvelle facette musicale, toujours aussi intense et profonde. Des terres andalouses (« Je Ne Savais Pas », « Recueillement »), en passant par le très secret Pays Basque, DETROIT met légèrement le Rock de côté (excepté sur « Oh Non Non Non » et « Au Royaume Des Aveugles ») et se consacre à des élans fiévreux, atmosphériques et captivants portés par une voix vive et percutante, qui domine dans le moindre détail ces nouvelles chansons (« La Beauté », « Les Roseaux Soucieux », « Les Âmes Sauvages », « Fleur Du Chaos » et le morceau-titre). La maturité artistique de ce nouvel opus est un écrin pour ces paroles étincelantes.
Si les pointilleux trouveront toujours quelques références, parfois évidentes, dans cette nouvelle réalisation des Français, il faut reconnaître une chose, c’est qu’ils ont franchi un cap et que le Stoner aux teintes multiples proposé ici est original et très personnel. Compact et tranchant, « Occultation » change d’ambiance au fil des titres, tout en conservant une ligne directrice claire. STARMONGER avance sur un groove épais et affirmé, et laisse de la place pour des solos de guitare bien menés et convaincants.
STARMONGER
« Occultation »
(Interstellar Smoke Records)
STARMONGER fêtera ses dix ans d’existence l’an prochain et « Occultation » sera une belle occasion de les célébrer sur scène. Sur une pente ascendante depuis ses débuts avec la sortie de quatre EPs consécutifs et d’un premier album autoproduit en 2020, « Revelation », le trio se présente avec de bonnes intentions sur ce deuxième opus solide et massif. S’il taquine toujours autant quelques registres comme le Classic et le Space Rock, l’ensemble trouve son identité dans un Heavy Stoner Psych plus assumé, semble-t-il, et surtout de plus en plus probant.
Les Parisiens gardent aussi cette couleur très Doom et un élan épique, notamment dans le chant (« Conjuction »). Composé dorénavant d’Arthur Desbois (chant, guitare), Mathias Friedman (basse) et Seb Antoine (batterie), ces deux derniers assurant aussi les chœurs, STARMONGER s’appuie sur une rythmique bétonnée, qui donne du corps à des plages instrumentales conséquentes. Avec des titres dépassant les formats standards d’autres styles, le power trio prend son temps pour installer des atmosphères tortueuses et captivantes.
Assez progressif dans la structure de ses morceaux, le groupe nous guide dans un univers sombre et souvent pesant, d’où surgissent de puissantes déflagrations. Grâce à un sens du riff aiguisé et soigné, « Occultation » se fait aussi lancinant avant de nous rattraper avec des attaques frontales flirtant avec le Metal. Et STARMONGER a également pris soin de ne pas boucher l’espace sonore et laisse intelligemment respirer ses compositions, grâce aussi à des lignes de basse irréprochables (« Black Lodge », « Serpent », « Page Of Swords », « Phobos »). L’ensemble est vif et bien ciselé !
Si ALTA ROSSA a choisi un autre angle d’attaque pour ce ténébreux « A defiant Cure », il reste musicalement aussi radical et sauvage, ce qui n’empêche d’ailleurs pas les nuances… et elles sont nombreuses. Très loin du défouloir qu’il peut inspirer de prime abord, ce deuxième opus des Français est constitué de frappes chirurgicales, assénées avec fermeté, et il nous propulse dans des passages très changeants, assommants et littéralement perforants. Une expérience qui devient de plus en plus unique, tant elle est menée avec brio.
ALTA ROSSA
« A Defiant Cure »
(Source Atone Records)
Il y a deux ans, ALTA ROSSA avait signé ses débuts avec le dévastateur « Void Of An Era », un premier opus fracassant taillé dans un post-Metal tentaculaire. La barre était haute et pourtant elle est largement franchie. « A Defiant Cure » vient confirmer les intentions et surtout l’identité musicale du groupe qui, elle aussi, va puiser dans les tréfonds du Sludge, du Black Metal et du Hard-Core. Pour ce qui est de la rage et de la colère qui animent le combo depuis sa création, elles sont intactes et probablement même renforcées, grâce à un objectif musical mieux ciblé.
Si habituellement, les formations de post-Metal jouent beaucoup sur l’aspect aérien du genre, chez ALTA ROSSA, le côté atmosphérique est plutôt lourd et pesant. Froid et noir, « A Defiant Cure » se veut pourtant plus positif que son prédécesseur. Là où « Void Of An Era » était un constat brutal sur notre époque, il est question ici d’un appel à la rébellion afin de vaincre cet obscurantisme ambiant. Et la vision du quintet de Besançon n’appelle pas vraiment à un changement en douceur, car dès « Exalted Funeral », la tempête bat son plein et ce n’est que le commencement.
Massive et cinglante, la doublette de guitariste offre vélocité et puissance, tandis que la rythmique basse/batterie se montre impériale et martèle avec force et assiduité. Avec un frontman qui se montre imposant, les titres prennent des allures monumentales. ALTA ROSSA offre tout de même deux courtes respirations avec « Minotaur » et « Where We Drown Our Nightmares » », qui encadre le génial « The Art Of Tyrant #slash #The Minotaur » et frayent un passage pour la seconde partie du disque. « A Defiant Cure » devient vite très obsédant (« The Emperors », « Stratisfaction », « Fields Of Solar Flames »). Vertigineux !
Il y a dans la musique de LYING FIGURES un certain mysticisme, qui la rend par certains aspects franchement monumentale. Entre riffs dévastateurs et lignes mélodiques obsédantes, le Doom Death du binôme sait aussi s’engouffrer dans d’énormes coups de blasts avant de revenir à la lumière comme pour mieux aspirer ou libérer une violence, voire conjurer une souffrance à l’œuvre sur près d’une heure. Cependant, on ne se perd jamais à l’écoute d’« Inheritance » et c’est là toute l’habileté et la maîtrise du combo.
LYING FIGURES
« Inheritance »
(Meuse Music Records)
LYING FIGURES ne manque pas de références qu’elles soient musicales, littéraires, voire même cinématographiques et picturales. Et c’est d’ailleurs ce qui fait sa force, car elles mènent à un univers singulier, original et très cérébral. Depuis 2012 (et même un peu avant sous le nom d’Insanity Prelude), Frédéric Simon (chant, basse) et Matthieu Burgaud (guitare) forment un duo très créatif et après une pause de sept longues années, les revoici avec « Inheritance », un deuxième album donc, qui fait suite à « The Abstract Escape », lui-même précédé d’une démo et d’un EP.
Ce nouvel effort marque aussi la signature des Français sur le label belge Meuse Music Records, fort d’un déjà beau catalogue. LYING FIGURES ne dénote donc pas et y a même toute sa place. Devenu duo au fil du temps, les Nancéens ont diversifié, étoffé et élevé l’intensité de leur Doom Death mélodique. A travers les neuf pistes d’« Inheritance », l’atmosphère est certes sombre, ténébreuse et souvent brutale, mais devient vite et inévitablement prenante. Et que ce soit les rythmiques, les guitares, ainsi que les parties vocales, l’ensemble est irréprochable.
Si le premier titre, « Nothing To Claim… », met une première gifle purement Death Metal, dont on retrouve d’ailleurs la suite un peu plus loin sur avec « … And Nothing To Give », LYING FIGURES fait preuve d’une grande nuance tout au long de cette nouvelle production, notamment dans le chant. Growlé, chanté et sachant aussi se faire incantatoire et presque religieux sur la toute fin (« Contemptus Mundi »), la performance est si polymorphe qu’elle en devient troublante à l’écoute des textes. Et parmi les moments forts, on reste subjugué par « Euphoria And Misery », « A Great Void » ou « Self Hatred ». Incontournable !