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Red Beans & Pepper Sauce : magic souls [Interview]

Rarement un groupe aura laissé échapper autant de liberté et de joie sur un même album. Pour RED BEANS & PEPPER SAUCE, c’est un huitième opus haut en couleur qui vient marquer une nouvelle étape dans la carrière des Montpelliérains. Si l’esprit de corps dominait déjà dans le son et faisait la force du groupe, avec « Supernova », il prend une incroyable dimension. Autour de sa charismatique chanteuse, le quintet a fait un peu de place pour accueillir pas moins de neuf invités, français comme étrangers. Une très belle célébration de son Classic Rock teinté de Soul et de Blues, dont Laurent Galichon, le guitariste et principal compositeur, nous parle avec autant de fierté que d’émotion.

– Avant de parler de « Supernova », j’aimerais qu’on revienne un instant sur votre parcours. Huit albums studio et un live en 14 ans, le tout ponctué de tournées bien fournies, est un rythme vraiment effréné. Ca vous arrive quand même de prendre quelques pauses ?

Je trouve que c’est dur de se remettre au travail après une pause, j’ai pu le constater quand il a fallu s’y remettre après la pandémie de Covid. Alors je préfère éviter les pauses et battre le fer tant qu’il est chaud.

– Justement avec un tel rythme, toi qui signes l’ensemble des morceaux hormis « I Want To Take You Higher » de Sly & The Family Stone datant de 1969, quand prends-tu le temps de te poser pour composer ? Tu le fais aussi en tournée, ou tu t’imposes des moments dédiés ?

Dès que j’ai une idée, je l’enregistre sur mon smartphone, parfois même en voiture où je chante simplement la mélodie ou le riff pour archiver. Et quand vient le moment de travailler des morceaux, alors je pioche dans le tiroir à idée. Mais c’est vrai que quand on se retrouve à moins de six mois de la deadline pour envoyer le master au pressage, le travail s’intensifie et à chaque fois les derniers mois de production sont très intenses.

– « Supernova » est l’un de vos disques le plus direct et le plus clairement axé sur le Classic Rock, parfois Hard, avec toujours un côté Bluesy et Soul. Est-ce qu’il y a une envie cette fois-ci de prendre les morceaux plus à bras-le-corps et d’aller vers quelque chose de plus essentiel et de dense ?

Oui, tout à fait. Bien avant de commencer le travail, quand on parlait de ce nouvel album avec Niko Sarran (également batteur du groupe – NDR) qui les réalise, on avait en tête d’aller vers plus d’efficacité avec des titres plus courts et plus directs. Quand on attaque un nouvel album, on a souvent des discussions en amont, souvent dans le van en tournée, où on cherche des axes de travail, de nouvelles directions pour continuer d’évoluer et rester créatif.

– D’ailleurs, est-ce qu’au moment de commencer l’écriture d’un tel album, tu avais une sorte de ligne directrice ou une intention en tout cas de faire émerger une atmosphère et une énergie différente, plus massive ?

L’album précédent, « 7 », était très axé sur le Classic Rock et cette fois-ci, il y avait une envie de revenir à un équilibre entre Rock et Soul, mais toujours avec des riffs qui viennent du Blues. En fait, on essaie de faire des albums qui auraient pu sortir dans les 70’s et cette fois-ci, on a essayé de mettre du groove dans le Rock et inversement. Et puis, Niko a fourni un véritable travail d’orfèvre sur le son de l’album. Il y a passé quasiment deux fois plus de temps que sur les précédents.

– L’une des caractéristiques de « Supernova » est bien sûr le nombre d’invités, qui sont tout de même au nombre de neuf, ce qui fait beaucoup sur un même disque. Comment cela se décide-t-il, car c’est assez rare ? Tu as composé certaines chansons en fonction d’eux, ou les choses se sont faites plus naturellement en laissant une petite place à l’improvisation ? 

Inviter des musiciens faisait partie de ces axes qu’on se donne avant de commencer la production. On a donc laissé sur certains titres des plages pour permettre à nos invités de s’exprimer, mais sans savoir à l’avance de qui il s’agirait. Et c’est quand on se rapprochait de l’arrangement définitif qu’on prenait le temps de réfléchir à qui le proposer. Parfois, on est resté dans le style de l’invité comme avec Rabie Houti qui à l’habitude de jouer son violon arabo-andalou sur des rythmiques Rock, ou avec Johnny Gallagher sur une ballade Blues Rock. D’autres fois, on s’en est un peu éloigné comme avec Fred Chapellier qui nous rejoint sur un titre très Classic Rock avec un riff de guitare très ‘fat’, ou avec Sax Gordon qui vient jouer sur un titre vraiment très funky et plus éloigné de son Rocking Blues.

– Il est beaucoup question de ‘fusion’ sur cet album, et dans tous les sens du terme. En y prêtant bien l’oreille, on note le soin apporté aux arrangements notamment, tout comme à la production plus largement. « Supernova » a nécessité six mois de travail en studio. Vous êtes-vous laissés quelques respirations, histoire peut-être de prendre parfois un peu de recul, ou au contraire, les choses étaient déjà clairement définies dans ce que vous souhaitiez obtenir ?

C’est un travail de longue haleine, plus un marathon qu’un 100 mètres. Certains titres fonctionnent immédiatement, mais d’autres doivent passer par plusieurs étapes avant que nous soyons satisfaits du résultat. Et le travail continue même après la sortie de l’album, car certains morceaux doivent être repensés pour la scène. C’est un peu comme bâtir une maison : on passe des fondations à un bâtiment couvert très rapidement, mais les finitions, elles, prennent beaucoup plus de temps, car on entre dans les détails.

– Un mot sur les guests en commençant par les artistes français où l’on retrouve Manu Lanvin, Fred Chapellier, Yarol Poupaud ou encore le violoniste Rabie Houti. Ce sont tous des musiciens avec lesquels vous avez déjà joué sur scène. Ces rencontres se sont-elles transformées en collaborations que vous teniez vraiment à réaliser depuis un moment déjà ?

Ce sont surtout des rencontres marquantes qui ont lieu parfois en tournée avec tout le groupe, ou alors par un seul d’entre nous en dehors. Mais dans tous les cas, elles sont si importantes qu’elles donnent l’envie de faire de la musique ensemble. Et on a été ravi que tout le monde nous réponde ‘Oui’ ! Certains enregistrements ont dû être faits à distance à cause de l’éloignement et des emplois du temps, et d’autres ont donné lieu à des séances en studios qui nous ont marqué. J’ai kiffé de passer du temps avec Boney Fields dans le studio de Niko à Montpellier, ou avec Manu Lanvin dans son studio à Paris. Des belles sessions, où tu sens qu’il se passe quelque chose.

– Et puis, il y a l’aspect ‘international’ de l’album avec les présences du Camerounais Emmanuel Pi Djob, des Américains Boney Fields, Fred Wesley et Sax Gordon, sans oublier l’Irlandais Johnny Gallagher. Là encore, le casting est époustouflant. Est-ce que chacun d’entre-eux avait une partition à respecter, ou est-ce qu’on laisse plus facilement des talents comme les leurs s’exprimer librement avec une sorte de carte blanche ? 

Pour chacun d’entre eux, c’était carte blanche. Mais forcément, il y avait des échanges. Parfois, notre invité avait une idée très précise, parfois, il hésitait entre plusieurs. Alors, on discute, on échange, on essaye des choses. Par exemple, c’était vraiment génial de passer du temps avec Manu et de le voir proposer tellement de choses avec la générosité qu’on lui connaît. Mais surtout, ils nous ont tous offert ce qu’on attendait, c’est-à-dire le meilleur d’eux-mêmes. On peut entendre la voix incroyable et le groove d’Emmanuel Pi Djob, l’explosivité et le ‘fonk’ de Yarol, le toucher tout en finesse de Fred Chapellier, la générosité et la puissance de Manu Lanvin, le groove qui claque de Boney Fields, l’énergie de dingue de Sax Gordon, la maîtrise et le son envoûtant de Rabie Houti et le feeling de Johnny Gallagher. Et puis, il y a eu la session avec Fred Wesley. J’étais là quand il a commencé à jouer dans le studio : c’était un voyage dans le temps. J’entendais le « Doing It To Death » de James Brown que j’écoutais en boucle plus jeune. C’est un moment précieux que je garderai en moi toute ma vie. Il fait partie des gens qui ont inventé cette musique. En deux notes, tu sais qui est dans la pièce. Tous ces musiciens exceptionnels ont été d’une grande générosité avec nous. Ils ont élevé chacun des titres auxquels ils ont participé à un niveau supérieur, et nous leur en sommes éternellement reconnaissants.

– J’aimerais qu’on dise un mot sur cette reprise de Sly & The Family Stone sur laquelle il y a du beau monde et où le line-up de RED BEANS & PEPPER SAUCE est le plus élargi de l’album. Comment est-ce qu’on tient tout le monde dans ce cas-là, car il règne un esprit jam manifeste ? Et par ailleurs, pourquoi avoir choisi ce morceau-là en particulier ?

J’ai plutôt l’impression que c’est ce morceau qui m’a choisi, car j’ai une histoire particulière avec lui. Je l’ai découvert au début des années 90 à la télévision, en voyant des musiciens que je ne connaissais pas le jouer sur une énorme scène, devant des milliers de spectateurs aux États-Unis. Il s’agissait en fait de George Clinton et de Funkadelic/Parliament, avec Larry Graham et d’autres invités. Ce titre m’a transpercé et j’ai adoré le fait qu’il soit interprété par autant de musiciens sur scène : tout le monde dansait, tout le monde chantait, c’était la grosse teuf. J’ai ensuite découvert qu’il s’agissait d’un morceau de Sly & the Family Stone, et l’album « Stand » fut une nouvelle claque. A la même époque, d’autres artistes que je ne connaissais pas se sont produits à Béziers : FFF, puis les JB’s avec Maceo Parker, Fred Wesley et Pee Wee Ellis. Ces trois découvertes, en quelques mois, ont été ma porte d’entrée vers la Soul Music : James Brown, la Stax (avec les disques d’Otis Redding de mon père), la Motown, etc… Alors qu’à l’époque, j’écoutais plutôt du Rock des années 60/70 comme Led Zeppelin, Jimi Hendrix, Deep Purple… Cette période a complètement bouleversé mon orientation musicale. Alors aujourd’hui, enregistrer ce morceau avec Yarol de FFF et Fred Wesley des JB’s qui ont également participé à ce changement, dans une version avec un groupe élargi en mode ‘jam’ comme dans la version de George Clinton, c’est une histoire complètement folle.

– Enfin, « Supernova » est probablement aussi votre album le plus varié avec des aspects Southern, Heavy Rock, Blues, Funky et plus largement très Rock’n’Roll. RED BEANS & PEPPER SAUCE devient de plus en plus inclassable et c’est une très bonne chose. Est-ce une façon aussi de vous débarrasser peut-être de certaines cases dans lesquelles on a pu vous mettre auparavant, ou plus simplement un signe de maturité qui se traduit par beaucoup plus de liberté affichée ?

Ce n’est pas vraiment calculé. Tout le monde dans le groupe a des influences diverses et variées et c’est l’association de nos personnalités musicales qui fait ce qu’est RED BEANS & PEPPER SAUCE. Je ne suis même pas sûr qu’on puisse y changer quoi que ce soit. On peut seulement l’encadrer en se donnant quelques directions, mais au final on sonne comme on sonne et il me semble qu’on reste cohérent d’un album à un autre.

Le nouvel album de RED BEANS & PEPPER SAUCE, « Supernova », est disponible chez Crossroads/Socadisc.

Photos : Cristina Gomes Morgadinho (1), Thierry Wakx (2, 3, 5) et Monsieur Mind (4).

Retrouvez aussi l’interview du groupe à l’occasion de la sortie de l’album « 7 » :

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Blues Blues Rock Soul / Funk

Grace Bowers & The Hodge Podge : so spicy !

Déjà nominée aux fameux Americana Music Association Honors & Awards cette année, la nouvelle sensation féminine guitaristique a aussi partagé la scène avec Slash, The Red Clay Strays et The Osbourne Brothers en livrant à chaque fois des prestations époustouflantes. C’est dire si son arrivée sous le feu des projecteurs est tout sauf un hasard. Solidement épaulée par un redoutable combo, THE HODGE PODGE, GRACE BOWERS dégage une énergie incroyable et passe du Blues à la Funk, comme du R’n B à la Soul et au Rock avec une facilité déconcertante. Dire qu’elle a de l’or au bout des doigts est un doux euphémisme. 

GRACE BOWERS & THE HODGE PODGE

« Wine On Venus »

(Independant)

Ne vous fiez surtout pas à son âge car, à 18 ans tout juste, la jeune musicienne originaire de Nashville et de la Bay Area a déjà tout d’une grande. Sorti dans la torpeur de l’été, début août, son album est tout simplement exceptionnel et il aurait été dommage de ne pas en dire quelques mots. Gorgé de Soul et dans un esprit revival Funk 70’s, ce premier effort de GRACE BOWERS avec son groupe THE HODGE PODGE est tellement abouti, tant au niveau de la composition que de la production, qu’il laisse présager, sans trop prendre de risque, d’un bel avenir. Car, sur « Wine On Venus », tout y est… rien ne manque !

Très collégial dans l’approche, l’unité musicale affichée par l’Américaine semble se fondre dans une jam sans fin, où l’équilibre entre le chant, les parties instrumentales guidées par l’hyper-groovy section de cuivres et la sautillante rythmique, laisse à GRACE BOWERS tout le loisir de faire parler sa guitare. De ce côté-là aussi, elle fait preuve d’une audace et d’une virtuosité très mature. Pourtant d’une autre génération, elle maîtrise déjà tous les codes à la perfection, et sans trop en faire non plus, elle s’inscrit dans un style qui semble véritablement fait pour elle, grâce à un jeu flamboyant et sauvage.

Aérienne et percutante, une voix plane aussi au-dessus de « Wine On Venus » avec grâce et dans une réelle alchimie portée par des HODGE PODGE survitaminés et chevronnés, affichant le double de l’âge de la jeune artiste. Car, contrairement à ce que l’on pourrait penser en voyant la pochette, ce n’est pas GRACE BOWERS qui s’illustre derrière le micro, mais la chanteuse Soul Esther Okai-Tetteh. Et sa puissance vocale renvoie à une interprétation délicate et savoureuse poussant vers des tessitures profondes (« Lucy », « Tell Me Why You Do That », « Wom No Teg », « Get On Now »). Un disque déjà incontournable !     

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Blues Rock Rythm'n' Blues Soul Southern Blues

DeWolff : capturing timelessness

Lorsqu’on se rend dans un studio mythique, il faut absolument qu’il se passe quelque chose de peu ordinaire, d’exceptionnel et de nouveau. Respecter l’institution, bien sûr, mais en ressortir grandi aussi que ce soit dans ceux d’Abbey Road, par exemple, ou dans le ‘Fame’ de Muscle Shoals. Pari réussi pour DEWOLFF qui livre aujourd’hui un disque, qui a presque des allures d’OVNI dans sa déjà belle discographie. Avec « Muscle Shoals », son énergie et son sens de la mélodie franchissent un cap, bien aidé par un son incomparable et unique. Une dynamique sur laquelle il va dorénavant falloir apprendre à surfer.

DEWOLFF

« Muscle Shoals »

(Mascot Label Group)

Et si DEWOLFF avait enfin sorti l’album dont il rêve depuis ses débuts en 2007 ? Personne ne remettra en cause le potentiel évident des Hollandais, mais il semblait pourtant toujours manqué ce petit quelque chose qui leur ferait prendre une autre dimension. Après quatre Live et un EP, voici leur neuvième album studio et, une fois n’est pas  coutume, tout est dans le titre. Les amateurs de Soul, de Southern Rock et de Rythm’n Blues connaissent bien cette petite ville d’Alabama, où tant de merveilles discographiques ont été produites dans ses légendaires studios ‘Fame’ et les ‘M.S.S.S.’. Nous voici donc à Muscle Shoals sur les rives du Tennessee pour une sorte de pèlerinage, qui ne dit pas son nom.

Le groupe marche donc dans les pas d’Aretha Franklin, Etta James, Wilson Pickett, The Rolling Stones, Lynyrd Skynyrd ou Texas, qui y enregistré un monumental dernier album, et tant d’autres. Et c’est probablement ce supplément d’âme qui se fait sentir sur « Muscle Shoals ». Certes, un virage plus Soul était bien visible sur les deux derniers albums, mais cette fois DEWOLFF est littéralement imprégné, comme absorbé par de douces vibrations. Pourtant habitués des enregistrements analogiques, les frères van de Poel et Robin Piso découvrent un autre monde et se montrent particulièrement à la hauteur. Si l’endroit ne fait pas tout, il a ce pouvoir d’inspirer ceux qui y séjournent.

Car si, jusqu’à présent, le son de DEWOLFF était résolument européen, il prend ici un cachet très américain pour s’inscrire donc parfaitement dans l’esprit et l’ambiance du lieu. D’ailleurs, l’approche musicale du trio s’en ressent avec un côté langoureux, presqu’insouciant et surtout très chaleureux et aérien (« In Live », « Natural Woman », « Let’s Stay Together », « Truce », « Ships In The Night »). L’orgue et la guitare se répondent instinctivement et le trio prend de la hauteur sur des airs de jam (« Hard To Make A Buck », « Book Of Life », « Fools And Horses » et « Snowbird »). Très polyvalent, il élargit son spectre en rendant son Rock bluesy, jazzy ou funky avec des touches Gospel. Une (re)naissance.

Photo : Satellite June

Retrouvez les chroniques des deux albums précédents :

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Blues Blues Rock Contemporary Blues

Beth Hart : une âme passionnée

Comme souvent chez elle, c’est en bousculant et en déplaçant les frontières du Blues que BETH HART s’ouvre la voie vers des horizons multiples avec cette force et ce talent, qui paraissent grandir au fil du temps. Sur « You Still Got Me », elle maîtrise plus jamais ses effluves vocaux, sans trop en faire d’ailleurs, et s’offre des flâneries musicales vibrantes et profondes. Son franc parler, parfois cru, fait d’elle la plus rockeuse des blueswomen et on se régale une fois encore de ses textes, qui n’éludent jamais rien. Entourée de grands musiciens, elle nous fait surfer sur un groove imparable et des crescendos irrésistibles.

BETH HART

« You Still Got Me »

(Provogue/Mascot Label Group)

Certaines voix sont inimitables, uniques et particulièrement marquantes. C’est le cas de BETH HART et de son légendaire trémolo. C’est deux-là sont indissociables et ils brillent une fois encore sur ce onzième et très attendu album. Car si « A Tribute To Led Zeppelin » a rapidement comblé un vide pendant la pandémie sans vraiment convaincre, son dernier opus a déjà cinq ans et parvenir à ce niveau d’interprétation et d’écriture a dû relever du défi pour l’Américaine, qui s’était donc offerte une escapade anglaise entretemps, sûrement plus facile à négocier pour elle. Car se hisser au niveau de « War In  My Mind », c’est retrouver l’émotion et une certaine rage aussi qui font d’elle une chanteuse d’exception.

On avait déjà pu la retrouver sur l’album solo de Slash consacré au Blues en mai dernier avec la reprise de « Stormy Monday » de T-Bone Walker, où elle apparaissait littéralement habitée. Sans doute d’ailleurs le moment fort du disque. C’est donc assez naturellement que le guitariste de G N’R lui rend la pareille sur le génial « Savior With A Razor », qui ouvre « You Still Got Me » et où son sens du riff fait des merveilles. Là aussi, c’est sans doute l’un des titres les plus impactants de cette nouvelle production. Et l’autre guest de marque n’est autre que le légendaire Eric Gales, dont la virtuosité est toujours saisissante et qui fait briller « Sugar N My Bowl ». Mais ne nous y trompons, c’est bel et bien BETH HART qui mène le bal.

A travers les douze chansons qui composent « You Still Got Me », la Californienne se fait plaisir et les arbore toutes dans des styles différents. Blues Rock sur l’entame avec ses deux invités, très feutrée sur « Drunk On Valentine », carrément Country-Rock sur « Wanna Be Big Bad Johnny Cash » où sa gouaille fait des étincelles, ou sur la poignante ballade « Wonderful World », rien ne résiste à la frontwoman. Avec cette émotion à fleur de peau qui la caractérise, BETH HART se montre aussi envoûtante que touchante, grâce à une interprétation toujours très personnelle et presqu’intime (« Don’t Call The Police », « Machine Gun Vibrato »). Et si elle semble parfois s’éloigner du Blues, elle ne le quitte jamais.

(Photo : Greg Watermann)

Retrouvez la chronique de son album « A Tribute To Zeppelin » :

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Blues Rythm'n' Blues Soul / Funk

Bette Smith : une gourmandise acidulée

Brute et authentique, la Soul hyper-punchy proposée par la New-Yorkaise ravive avec talent l’esprit des pionnières comme Mavis Staples et résonne même comme une version féminine d’Otis Redding. Terriblement Funky, un brin roots et doté d’un charme rétro irrésistible, BETTE SMITH livre l’un des disques les plus palpitants du style depuis un moment. Aussi intense que tendre, « Goodthing » révèle une force créative et bouillonnante avec un pied dans chaque millénaire.

BETTE SMITH

« Goodthing »

(Kartel Music Group)

Les débuts de BETTE SMITH remontent maintenant à presque 20 ans. Originaire de Brooklyn, la chanteuse et compositrice est d’abord passée par la chorale de son père avant d’éclore sous le nom de Bette Stuy avec un premier opus suivi d’un EP. C’est à partir de 2017 et « Jetlagger » qu’elle prend véritablement son envol et se produit aux côtés de Kenny Wayne Shepherd et Drive-By Truck, tout en participant à de multiples enregistrements studio. « Goodthing » est donc son quatrième album et il en impose !   

Il y a quelque chose d’iconique et d’intemporel dans la voix de BETTE SMITH. Nourrie de Gospel, de Soul, de Rock de Funk et de Blues, la frontwoman dépoussière les codes très 70’s du genre et, tout en les respectant, leur offre une couleur et une fraîcheur très contemporaines. En jouant aussi sur un côté vintage savoureux, elle fait sonner ses morceaux avec énergie et se montre très actuelle dans leur interprétation. « Goodthing » est une sorte de concentré de douceurs acidulées, dont il est difficile de se défaire.

Après avoir travaillé sur ses compositions, l’Américaine a traversé l’Atlantique pour entamer une collaboration avec le producteur Jimmy Hogarth réputé pour son travail avec Amy Winehouse et Tina Turner notamment. Et le duo fait des étincelles sur les 13 pépites que compte « Goodthing », le bien-nommé. Le chant de BETTE SMITH y est électrique (« Eternal Blessings », « M.O.N.E.Y. », « Whup ‘Em Good », « More Than A Billionaire », « Cave »  et le morceau-titre). Ce disque fait un bien fou et s’écoute en boucle !

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Metal Progressif Post-Metal Sludge

Cobra The Impaler : une odyssée sauvage

Combinant les courants les plus novateurs du Metal, COBRA THE IMPALER s’est forgé une personnalité forte et originale. Si « Colossal Gods » avait déjà posé de solides fondations, « Karma Collision » vient enfoncer le clou magistralement. Entre Sludge, Prog et post-Metal, la formation originaire de Belgique s’autorise de belles embardées, faisant d’elle l’une des plus intéressantes du moment. Un voyage musical saisissant.

COBRA THE IMPALER

« Karma Collision »

(Listenable Records)

Il y a deux ans, COBRA THE IMPALER avait littéralement propulsé un énorme pavé avec « Colossal Gods », un premier album étonnamment mature, audacieux et surtout très créatif. Les Belges se sont forgés un univers très personnel, où le Metal tend vers le Progressif, le Sludge et le Groove avec une touche très particulière. Avec « Karma Collision », ils vont encore plus loin en se frayant un chemin entre Mastodon et Gojira, tout en imposant un style désormais facilement identifiable.

Mené par son guitariste et tout aussi brillant illustrateur, Tace DC, COBRA THE IMPALER parvient encore à surprendre grâce à de nouveaux titres racés, musclés et toujours aussi intenses. Comme pour le premier opus, la production a été confiée à Ace Zec, batteur du combo, et elle s’inscrit avec beaucoup de puissance, de clarté et de densité une fois encore. Et la variété du chant d’Emmanuel Remmerie, soutenu aux chœurs par Michele De Fendis, libère un territoire mélodique très riche vocalement.

Toujours aussi lourd et dynamique, « Karma Collision » fait même preuve d’avant-gardisme grâce à un duo de guitaristes très complémentaires, qui multiplie les riffs et les solos de haut vol. COBRA THE IMPALER s’aventure aussi dans des contrées Thrash comme post-Metal et, finalement, on découvre un peu plus cette nouvelle réalisation au fil des écoutes (« Magnetic Hex », « Season Of The Savage », « The Fountain », « The Message » et le morceau-titre). Depuis sa création le quintet réalise un véritable sans-faute.

Photo : Visuels Germaux

Retrouvez la chronique du premier album :

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Crossover Funk Metal Metal Fusion

Sonic Universe : living souls

Alors que Living Coloür a repris la route, son chanteur s’offre une petite escapade avec SONIC UNIVERSE, nouveau groupe ultra-dynamique, qui évolue dans un style pas si éloigné. Entre Metal et Funk, « It Is What It Is » se montre d’une créativité gourmande guidée par quatre cadors, qui font parler leur expérience avec talent et spontanéité. Très vivant et tout aussi sensible, l’ensemble assène une bonne claque revigorante !

SONIC UNIVERSE

« It Is What It Is »

(earMUSIC)

Eternel frontman de Living Coloür depuis 1994, Corey Glover réapparait avec un nouveau projet très ambitieux et qui aurait même presque pu être une nouvelle réalisation de sa formation d’origine. Mais la touche et le son de son emblématique fondateur et guitariste Vernon Reid ne sont pas de la partie. Cependant, SONIC UNIVERSE ne manque pas de piquant et vient réoxygéner un registre à bout de souffle. Car, il est ici encore question d’un Crossover Metal Funk de haut vol.

Cette fois encore, le frontman est très bien entouré, puisqu’il a fondé le groupe avec le six-cordiste Mike Orlando d’Adrenaline Mob et les très, très bons Booker King à la basse et Tyakwuan Jackson à la batterie. SONIC UNIVERSE, c’est du lourd et la technicité du quatuor en est presqu’étourdissante. Le groove de la rythmique percute autant qu’il envoûte et, même si le jeu hyper-shred d’Orlando se perd parfois un peu, l’intense fraîcheur dégagée prend toujours le dessus. 

Et face à cette déferlante décibélique et cette avalanche de riffs, la voix gorgée de Soul de Glover surnage et son authentique émotion fait le reste. Comme toujours, ses textes prônent la tolérance et appellent à l’unité dans une Amérique plus fascisante que jamais. De rebondissements en rebondissements, SONIC UNIVERSE évolue avec une folle énergie, tout en se forgeant une identité forte (« I Am », « My Desire », « Life », « Higher », « I Want It All » et le morceau-titre). Une première qui atteint des sommets !

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Blues Rock Soul / Funk

The Black Keys : funky vibes

L’heure est à la détente pour THE BLACK KEYS, qui s’autorise le temps de ce nouvel opus une sorte de récréation nettement plus vaporeuse, mais non sans livrer un ardente prestation. Souvent galvaudée, le terme de groove prend ici tout son sens à travers 14 morceaux où l’objectif du groupe est clairement de prendre du plaisir et surtout d’en donner. Très 70’s dans les sonorités, des effluves de Soul, de Funk et d’un Blues tendre et généreux font cause commune sur « Ohio Players », qui donne autant le sourire que la patate !    

THE BLACK KEYS

« Ohio Players »

(Easy Eye Sound/Nonesuch Records)

Joie et félicité ! THE BLACK KEYS est de retour, clope au bec, avec une pêche d’enfer et sur un groove aussi démoniaque que réjouissant ! Alors ok, Dan Auerbach et Patrick Carney ne sont pas complètement seuls. « Ohio Players » n’est pas non plus complètement un album de leur composition. Et alors ? Le duo est particulièrement bien entouré et la tracklist est joyeuse, funky et, on ne va pas se mentir, ça fait plutôt du bien par les temps qui courent ! Il y a forcément aussi une explication très rationnelle à ce douzième effort studio des Américains, qui nous emmènent assez loin de l’âpreté du Blues Rock de « Dropout Boogie ».

En titrant ce nouvel opus du nom du cultissime groupe de Funk, THE BLACK KEYS annonce la couleur : elle sera festive, légère et explosive. L’idée de cette création inattendue et originale est née lors de soirées organisées par le groupe, où il passait de vieux 45tr de sa collection. Et c’est l’esprit de ces fêtes qui a constitué le fil rouge de l’album. A l’exception de « I Forgot to Be Your Lover », une chanson écrite par William Bell et Booker T. Jones, l’ensemble de « Ohio Players » est signé et produit par le tandem de la petite ville d’Akron. En revanche, les collaborations ne manquent pas et elles ont même parfois assez surprenantes.

Le guitariste/chanteur et le batteur ne renient pas une seule seconde leur patte musicale et encore moins ce son si particulier qui les distingue depuis leurs débuts. L’approche est la même et on la ressent jusqu’à cette production, certes, plus lisse cette fois, mais tellement riche en arrangements. Facile et aérien, THE BLACK KEYS a donc convié l’ami Beck sur près de la moitié de « Ohio Players », tandis que Noël Gallagher (oui, oui !) intervient aussi dans la composition de trois morceaux. Et la participation des rappeurs Juicy J et Lil Noid libère quelques instants de Hip-Hop langoureux. On sait s’amuser dans l’Ohio et ça fait du bien !

Retrouvez les chroniques de leurs deux derniers albums :

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Metal Fusion

Slope : funky blast

Le groove est monumental, les riffs aussi funky que tranchants, la rythmique virevolte et claque et le flow du frontman est aussi accrocheur que revendicatif. SLOPE a su s’approprier les codes d’un genre né au siècle dernier : le Metal Fusion. Avec « Freak Dreams », nos amis germaniques manient de multiples ambiances avec une énergie contagieuse et un songwriting dont le processus est redoutable d’efficacité. Ca slape, ça percute, ça harangue de toutes parts pour fédérer avec une malice et une légèreté qui font mouche avec talent.

SLOPE

« Freak Dreams »

(Century Media)

A Duisburg, près de Düsseldorf, se trouvent cinq jeunes gens dont les goûts et les influences sont restés figés dans les 90’s et dans ce qu’elles avaient de plus imaginatif et explosif. Dans cette décennie bénie entre toutes, le Metal se mêlait avec ingéniosité, savoir-faire et beaucoup d’audace à d’autres styles, donnant lieu à une fusion des genres restée depuis inégalée. Si les modèles sont évidents, la créativité de SLOPE nous replonge avec plaisir dans une registre tellement rafraîchissant.

Dix ans après sa formation, le groupe continue sa remontée dans le temps et fait jaillir de belles sensations restées enfouies quelque part dans de nombreuses discothèques et aujourd’hui, malheureusement, submergées par de fades expérimentations dérivées du MetalCore et autres éléments sonores de supermarché. SLOPE se sert très habillement de cette scène un peu vintage et lui redonne du brillant et du lustre à travers une production moderne et irrépressible. Un régal.

Mais revenons à ce très bon album des Allemands, « Freak Dreams », qui fait suite à « Street Heart » (2021), lui-même précédé des EP « Helix » (2014) et « Losin’ Grip » (2017). Si le quintet est fortement imprégné des premiers Red Hot, le combo a également très bien assimilé les œuvres de RATM, Faith No Moire, Bad Brains, Suicidal Tendencies et même celles des Beasties Boys. Réjouissant, donc ! Le Metal Fusion de SLOPE se pare de Funk, de Rap et de Hard-Core avec brio et c’est la belle surprise de ce début d’année !

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Metal Progressif

Theraphosa : une introspection du vice

Quatre ans après « Trancendence », qui l’avait propulsé au rang des formations de Metal Progressif les plus prometteuses de l’hexagone aux côtés de quelques autres, THERAPHOSA n’en a pas terminé avec son exploration de l’esprit humain et de ses tourments dans ce qu’il possède de plus obscur. Avec Rémy Deliers aux commandes (Gojira), les Français s’assurent une production très soignée et il fallait bien ça pour saisir pleinement toute la technicité de la structure des titres d’« Inferno », un modèle de finesse, de précision et de puissance.

THERAPHOSA

« Inferno »

(Circular Wave/Season Of Mist)

Depuis plus d’un millénaire, l’œuvre de Dante inspire autant qu’elle peut rebuter, tant la noirceur qu’elle décrit au cœur d’un Moyen-âge sombre à bien des égards est à la fois captivante et terrifiante. Plongeant dans les tréfonds de l’âme humaine, ce périple traverse les trois royaumes des morts en bouleversant les représentations traditionnelles et en affrontant ainsi l’indicible. En prolongeant d’une certaine manière la thématique déjà touchée du doigt sur « Transcendence », THERAPHOSA poursuit son chemin sur des terres musicales qu’il commence à bien connaître et des atmosphères qu’« Inferno » sublime un peu plus.

Presque méconnaissable depuis son EP éponyme sorti en 2018, la fratrie semble être parvenue à faire de cette empreinte très avant-gardiste un style singulier et personnel, où son Metal Progressif, très groove et mélodique, s’exprime pleinement et surtout avec une fluidité resplendissante sur ce deuxième album. Martin (batterie), Matthieu (basse) et Vincent Dubout (chant, guitare) maîtrisent parfaitement leur sujet, se montrent techniquement intraitables et nous emportent sans mal dans des sphères presque cinématographiques avec une luminosité sonore tout en contraste avec son propos.

Envoûtant et entraînant, « Inferno » se développe sur onze plages, puisque l’intro « Vestibule » est aussitôt suivi du morceau du même nom, une habille façon de donner le ton de ce nouvel opus, qui révèle quelque surprises au fil de son écoute. A commencer par « Limbo », chanté en français, où THERAPHOSA se repose sur un texte très bien écrit. Les chœurs font aussi résonnance (« Gluttony », « Heresy »), tandis que les riffs tranchants s’enchaînent sur des rythmiques galopantes et des lignes de basse relevées (« Wrath »). Le trio ne s’interdit rien et va au bout de son ambitieux projet avec un panache éblouissant.      

Photo : Denis Goria