Pour son 17ème album, celle qui compte sept Blues Music Awards dont le fameux BB King remis par la légende elle-même, nous plonge à la découverte de quelques trésors qu’elle a le don de régénérer en intériorisant les chansons pour les faire siennes. JANIVA MAGNESS est une interprète hors-norme et cette facilité à les personnaliser confère à ses reprises une authenticité toute flamboyante. Et si l’on ajoute le fait que « Back For Me » ait été enregistré en condition live, on constate que la blueswoman s’est à nouveau surpassée.
JANIVA MAGNESS
« Back For Me »
(Blue Élan Records)
Originaire de Detroit, Michigan, JANIVA MAGNESS est ce que l’on pourrait qualifier de diva (au bon sens du terme !), tant elle parvient à chaque nouvel album à fusionner le Blues, la Soul et l’Americana avec une grâce que l’on n’entend que très rarement. Avec sa voix rauque et puissante, elle reste toujours incroyablement captivante et, en un peu plus de 30 ans de carrière, ne déçoit jamais. Pourtant, l’Américaine est également une grande spécialiste des reprises qui, à chaque fois, sortent brillamment de l’ordinaire par leur choix.
Non que JANIVA MAGNESS ne soit pas une très bonne songwriter, bien au contraire, mais elle excelle dans l’art de magnifier les morceaux des autres en les transformant au point d’en faire de véritables déclarations personnelles. Et c’est encore le cas sur « Back For Me », où elle se montre à même de se les approprier avec un charisme incroyable pour leur offrir une nouvelle vie. Et comme cela ne paraît pas suffire, elle a même convié Joe Bonamassa (encore lui !), Sue Foley et l’électrique Jesse Dayton à la fête.
Une autre des multiples particularités de la chanteuse est aussi de dénicher des pépites méconnues d’artistes aux horizons divers. Et cette fois, c’est chez Bill Withers, Ray LaMontagne, Allen Toussaint, Doyle Bramhall II, Tracy Nelson et Irma Thomas que JANIVA MAGNESS a trouvé l’inspiration. Toujours produit par son ami Dave Darling, « Back For Me » balaie un large éventail de sonorités et de terroirs Blues et Soul, qui vibrent à l’unisson sur une dynamique brûlante entre émotions fortes et rythmes effrénés. Sompteux !
Elle chante depuis sa tendre enfance et, aujourd’hui, la force et la puissance qu’elle dégage est au service d’un Blues emprunt de Soul, de R&B, de Funk et d’Americana. Avec « August Moon », ALLISON AUGUST multiplie les écarts, passant d’un registre à l’autre avec une totale maîtrise. D’une belle authenticité et avec une sincérité très perceptible, elle interprète de manière limpide des chansons qu’elle a écrites ou co-écrites et où elle brille en offrant une sensation très familière et proche. Un moment de vie sur une musique très élégante.
ALLISON AUGUST
« August Moon »
(MoMojo Records)
Elle a le soleil dans la voix et neuf longues années après « Holy Water », elle signe enfin son retour avec un nouvel album auquel elle se consacre depuis quelques années. Et si la Californienne affiche déjà un beau parcours, ce nouvel opus vient sonner en quelque sorte l’heure d’une certaine consécration artistique pour elle. En effet, ALISSON AUGUST a fait appel au grand et awardisé Tony Braunagel, batteur auprès des plus grands noms du Blues et de la Soul, et sur plusieurs titres du disque, ainsi que metteur en son pour Eric Burdon, Mike Zito, Taj Mahal ou Coco Montoya pour ne citer qu’eux.
Autant dire que la voix de l’Américaine résonne de la plus belle des manières sur ce « August Moon », qui nous transporte sur des ambiances variées et qui, dans un écrin Blues Americana, laisse échapper des styles qui la porte depuis toujours comme le Jazz, le R&B, la Country-Soul ou la Funk. C’est d’ailleurs le cas sur « I Won’t Say No » qu’elle interprète magistralement en duo Sugaray Rayford, autre monument électrisant de la scène Soul Blues. Deux personnalités qui se complètent à merveille sur ce titre qui vient confirmer qu’ALLISON AUGUST mène sa barque avec une folle énergie.
Tendre ou survoltée, la chanteuse passe par toutes les émotions sur un groove de chaque instant, magnifiquement orchestré par un groupe qui met toute son expérience au service d’un feeling implacable. Soutenue par un trio de chœurs vibrants et chaleureux, elle enchaîne des morceaux au songwriting efficace et elle laisse respirer les chansons tout en évoquant des sujets souvent très personnels, traités avec délicatesse. ALLISON AUGUST livre ici l’une de ses plus belles performances sur album et on se délecte de chaque instant (« Blue Eye Boy », « Blues Is My Religion », « I Ain’t Lyin’ »). Somptueux !
Pas totalement personnel, « Recordings : 2020-2025 » offre un beau panel des goûts et surtout du talent de SIMON McBRIDE et permettra à qui ne le connaîtrait pas vraiment de mieux comprendre pourquoi il a été le choix de Deep Purple pour remplacer Steve Morse. Entre Rock, Classic Rock et Hard Rock, le guitariste a enregistré quelques inédits, en une seule prise et au studio Chameleon à Hambourg en Allemagne, en complément de reprises réinventées, qui ne laissent pas de doute sur ses influences et encore moins sur sa virtuosité.
SIMON McBRIDE
« Recordings : 2020-2025 »
(earMUSIC)
En 2023, la carrière du musicien originaire de Belfast a pris un sacré tournant avec son intronisation au sein de Deep Purple et une implication conséquente sur « =1 », dernier et très bon opus en date de la légendaire formation. Cela dit, le parcours de SIMON McBRIDE est aussi assez éloquent. Compositeur, musicien et producteur, il signe ici son sixième album studio après avoir évolué au sein de Sweet Savage, Snakecharmer et aux côtés de Don Airey. Une carte de visite plus que conséquente et de haut vol.
Cette fois, l’Irlandais revient avec un disque un peu spécial, qui regroupe des enregistrements datant des cinq dernières années et même finalisés juste avant son arrivée chez Deep Purple. Composé de titres originaux et de reprises, « Recordings : 2020-2025 » résume plutôt bien la vision du Rock de SIMON McBRIDE et permet aussi de constater sa facilité à s’approprier à peu près tous les genres avec beaucoup de facilité. Pour autant, pas complètement caméléon, c’est essentiellement sa touche qu’on retrouve ici.
Après « The Fighter » en 2022, c’est donc un panorama plus Rock qu’il propose sur 15 titres, qui montrent une belle homogénéité. La production est assez sobre, mais le toucher est toujours aussi singulier. Nette et avec des accroches souvent Hard Rock, la fluidité de SIMON McBRIDE est un modèle du genre que ce soit sur les riffs ou les solos. Par ailleurs, c’est assez bluffant aussi de constater qu’il s’inscrive à ce point dans des sonorités ‘so british’, dans ses compositions comme dans le choix des reprises. Un bon moment !
Photo : Jim Rakete
Retrouvez la chronique de « The Fighter », celle du dernier album de Deep Purple et du coffret de Snakecharmer :
Très explosif et féminin, ce nouvel album de la Finlandaise vient bousculer le Blues déjà très Rock, auquel elle nous a habitués depuis une vingtaine d’année maintenant. Toujours aussi virtuose, elle sait aussi se faire plus sensuelle vocalement, soufflant le chaud et le froid à grand renfort de cette slide incroyable, dont elle a le secret. « Smell The Roses » sonne comme un retour aux fondamentaux, où le superflu n’a pas sa place. ERJA LYYTINEN offre une production très personnelle, intime et la fougue dont elle fait preuve ici ne laisse pas de place à l’hésitation. Rencontre avec une artiste passionnée et grande technicienne, qui se nourrit d’une sincérité de chaque instant.
– « Smell The Roses » est l’un de tes albums le plus Rock et le plus brut, et pourtant on te voit poser avec une belle rose rouge. Quel contraste, ou sur quel paradoxe, as-tu voulu jouer sur cette pochette ?
Mon intention était de créer quelque chose de nouveau sur la pochette de l’album. Dès que j’ai su que le titre serait « Smell The Roses », j’ai voulu poser avec une rose, mais sous un angle différent de d’habitude. Sur la pochette, je la tiens dans ma bouche et mon expression légèrement surprise me dit : mais qu’est-ce que c’est ? Je voulais faire quelque chose de rafraîchissant, quelque chose qui donne envie de s’arrêter et de regarder à nouveau et de se demander ce qui se passe. Et pour les photos promotionnelles, nous avons opté pour un style plus classique, où la rose est idéalement placée entre les cordes de ma guitare. Il y a donc deux types de poses avec la rose. Et je trouve qu’elle va très bien avec le Rock !
– L’impression qui domine à l’écoute de « Smell The Roses », c’est cette production très épurée et sans fioritures, très instinctive. Est-ce que ton objectif était d’aller à l’essentiel, de ne pas trop d’encombrer d’arrangements superflus en livrant une expression très directe de tes chansons ?
Avec « Smell The Roses », je voulais faire un album purement Rock avec un groupe en formation classique. Et une guitare électrique, un orgue Hammond, une basse et une batterie constituent une base solide. Il n’y a pas beaucoup de superpositions. Nous voulions une ambiance live et créer des chansons et des sonorités qui donnent envie de se dire ‘Ouais, c’est du Rock !’. C’est mon album le plus heavy à ce jour, et j’y ai joué beaucoup de riffs de guitares. C’était rafraîchissant de faire simple. Je trouve qu’on a trop de fouillis de nos jours… trop de matériel, trop de tout. Donc, rester simple et directe, avec un esprit Rock des années 60 et 70 était vraiment l’objectif et nous y sommes parvenus.
– Cette fois encore, tu produis ce nouvel album. On peut facilement comprendre ton désir d’avoir la main sur tes chansons du début à la fin. Cependant, avec l’expérience que tu as aujourd’hui, tu n’as jamais été tenté par faire appel à un producteur américain, ou anglais, de renommée mondiale et qui t’ouvrirait peut-être nouveaux horizons musicaux, comme tu l’avais déjà fait avec David et Kinney Kimbrough dans le passé, par exemple ?
Oui, bien sûr, j’ai été tentée de faire appel à des producteurs de renommée mondiale ! Cependant, j’ai moi-même une vision claire et je n’ai pas peur de prendre des décisions. J’ai aussi enregistré moi-même mes solos de guitare et mes voix pour l’album, et j’apprécie beaucoup ce processus. Pour beaucoup d’artistes indépendants, produire ses propres enregistrements est aussi une option économique. J’ai adoré travailler avec Chris Kimsey et nous restons en contact. L’enregistrement de « Stolen Hearts » aux studios ‘State Of The Ark’ à Londres avec lui a été une expérience formidable en 2016. Il y a aussi des producteurs avec qui il serait intéressant de produire les prochains albums. On verra bien ce que l’avenir nous réserve pour la suite. Mais produire « Smell The Roses » seule était intéressant et assez facile, car je travaille avec mon groupe et mon ingénieur du son depuis un certain temps déjà. Tout s’est donc bien passé.
– Sur ce nouvel album, il y a des chansons comme « Going To Hell », « Abyss » ou « Empty Hours », qui sont très profondes avec des textes forts pleins de sens. Ce n’est pas la première fois que tu fais preuve d’autant d’audace, mais la thématique est peut-être plus sombre et plus dure aussi cette fois. C’est le monde actuel avec ses allures de chaos qui t’a poussé à aller dans ce sens ?
Le monde est dans un état étrange en ce moment et cela doit aussi se refléter dans la musique. Il y a aussi quelques ‘démons personnels’ que je libère toujours dans mes albums. Bien sûr, il y a aussi beaucoup de fiction, l’objectif étant d’émouvoir l’auditeur, de l’inciter à s’arrêter, à écouter et à trouver sa propre signification dans les chansons. Mais oui, cet album est bien plus sombre que mes précédents. Je n’ai pas peur d’aborder des sujets difficiles et d’apporter une touche de mysticisme à mes chansons. Par exemple, « Stoney Creek » est une histoire mystérieuse, qui n’a pas encore été résolue. Je trouve fascinant d’écrire des paroles dignes d’un film… de peindre un tableau pour l’auditeur.
– Tu as également multiplié les collaborations tout au long de ta carrière, dont beaucoup de très prestigieuses. Avec « Smell The Roses », tu donnes l’impression de vouloir revenir à quelque chose de plus personnel et de plus intime. Tu avais l’envie de revenir à l’essence-même de ton Blues Rock et à un style peut-être plus débridé ?
Personnel et intime, voilà ce dont nous avons besoin en ce moment. De l’honnêteté et de la sincérité. C’est la meilleure façon de toucher les gens : être ouvert et franc. C’est difficile pour nous, les gens, d’avoir ce genre de choses. Cet album doit être nouveau de ce point de vue, et je suppose que c’est pour cela que les gens l’apprécient. En écrivant les chansons, je ne voulais me limiter en aucune façon. La simplicité réside dans la production, mais les solos de guitare sont très intenses et je me suis efforcé de jouer différemment sur cet album que sur le précédent, « Waiting For The Daylight ». L’album est donc orienté Blues et Rock avec quelques touches de Hard Rock.
– Tu as déjà sorti cinq albums live et, justement, « Smell The Roses » a une sonorité très live et immédiate. Toi qui es une artiste de scène, tu as ressenti le besoin de revenir à un enregistrement qui se rapproche de tes prestations en concert ?
J’adore jouer en live. Et en écrivant pour cet album, j’ai aussi réfléchi à ce que j’aimerais jouer sur scène ces deux prochaines années. Nous avons aussi répété les morceaux avec mon groupe pendant les balances de notre tournée européenne et cela a dû influencer le matériel : les chansons fonctionnent sur scène comme sur l’album. Il est très organique. Nous avons déjà joué beaucoup de morceaux en concert et ils fonctionnent très bien en live. Je n’ai pas eu besoin de composer grand-chose pour mes parties de guitare. Donc, pour moi, c’est parfait !
– Justement, puisqu’on parle de concert, tu as aussi sorti il y a quelques semaines l’album « 20 Years Of Blues Rock ! » enregistré dans ta ville natale d’Helsinki pour marquer les 20 ans de ton premier album « Wildflower ». C’est un disque très fort émotionnellement. Quel regard portes-tu sur cet album par rapport à « Diamonds on the Road – Live », notamment, qui était sorti l’année précédente ? Le premier est-il plutôt destiné à tes fans de la première heure ?
« 20 Years of Blues Rock! » est un album live que nous avons enregistré lors de mon concert pour les 20 ans de ma carrière au légendaire ‘Tavastia Club’ d’Helsinki. L’album comprend deux CD et un DVD, ce qui en fait un disque vraiment sympa. J’avais invité toutes mes sections rythmiques depuis 2003 à jouer ce soir-là. Il y avait donc cinq bassistes, cinq batteurs et plein d’autres invités. C’était très nostalgique, très exaltant, une longue soirée pleine de souvenirs ! Nous avons joué des morceaux de chacun de mes albums studio avec les formations originales. C’était vraiment génial ! C’est donc un produit que nous allons continuer à proposer pendant un certain temps, car il s’adresse vraiment à mes fans de longue date, qui suivent ma carrière depuis l’enregistrement de mon premier album en 2003.
– En réécoutant ton album précédent, « Waiting For The Daylight », mais surtout tes albums live, j’ai noté une évolution dans ton jeu, pas au sens strictement technique, mais plutôt dans le jeu et la façon d’aborder les mélodies. Quel regard poses-tu justement sur ta façon de jouer ? Qu’est-ce qui a le plus changé, selon toi, dans ton rapport à ton instrument ?
Je joue de la guitare depuis plus de trente ans et c’est agréable d’entendre que les gens perçoivent mon évolution. Je n’ai pas peur de dépasser les limites et, aujourd’hui, j’essaie d’utiliser ouvertement tout ce que j’ai appris au fil des ans sur la guitare et la musique. Je suis donc très ouverte à l’exploration de cet instrument. J’apprécie également la musique progressive et la fusion. À l’époque, lorsque je jouais principalement dans les clubs de Blues, je ne pouvais pas vraiment jouer de musique progressive, mais aujourd’hui, je m’exprime plus librement, en espérant que mon public l’appréciera aussi. Et il semble qu’ils aient été plutôt satisfaits de mon approche plus Rock et progressive, que ce soit dans les mélodies ou les harmonies.
– Tu as toujours eu un son européen qu’on pourrait même qualifier de ‘nordique’ au regard de la scène britannique, par exemple. C’est ce qui te rend immédiatement identifiable et unique sur la scène Blues Rock mondiale. Justement quel regard portes-tu sur l’actuelle et effervescente scène Blues, et notamment sur les femmes qui commencent enfin de plus en plus à occuper les premiers rangs ?
Mes origines finlandaises ont forcément un impact sur ma musique. C’est pourquoi je mélange mes racines nordiques avec la tradition du Rock et du Blues britannique et américain. C’est fascinant de voir de plus en plus de femmes évoluer dans le monde de la musique. Cela diversifie le secteur, offre davantage de possibilités aux femmes et aux jeunes filles et les encourage à suivre leur propre voie. Je pense que cela contribuera à l’essor de toute l’industrie. Quand j’ai commencé la guitare électrique à quinze ans, le paysage musical était très masculin, et le changement a été considérable ces dix dernières années.
– Enfin, avec son côté presque frontal, très Rock et parfois rugueux, « Smell The Roses » est peut-être l’album qui te ressemble le plus dans ses textes, mais aussi dans ton jeu, où tu sembles revenir à l’essentiel avec beaucoup de facilité d’ailleurs. Est-ce que tu te sens à un sommet de ta carrière aujourd’hui artistiquement ?
Eh bien, j’apprécie vraiment cette aventure ! Certaines choses me semblent beaucoup plus faciles aujourd’hui. J’ai un groupe et une équipe formidables avec qui travailler, j’aime jouer en live et écrire des chansons. Je suis heureuse et c’est particulièrement important. Le chemin a été long pour en arriver là, mais je sens qu’il y a encore beaucoup à faire. En tout cas, j’ai très envie de continuer et de découvrir ce que l’avenir nous réserve de génial !
Le nouvel album d’ERJA LYYTINEN, « Smell The Roses », sort le 28 mars chez Tuohi Records. Elle sera par ailleurs en tournée en Angleterre du 2 au 13 avril. Toutes les infos et les dates sont à retrouver sur son site : https://erjalyytinen.com
Photos : Ville Juurikkala
Retrouvez aussi les chroniques de ses derniers albums :
Artiste accomplie au parcourt assez étonnant, ZZ WARD sort un quatrième opus plein de surprises en suivant ses choix et ses envies. Sur « Liberation », chaque titre est concis et direct et traverse les courants du Blues avec passion et beaucoup de facilité. A la fois Roots, Blues Rock, Southern, aux sonorités du Delta comme sur un groove Honky-Tonk, la frontwoman se fait brûlante, poignante, délicate et forte. Vibrante et intense, l’Américaine est exaltante et conquérante. Une belle démonstration de feeling et de maîtrise.
ZZ WARD
« Liberation »
(Dirty Shine/Sun Records)
Chaque nouvelle sortie de ZZ WARD est dorénavant scrutée de très près et quelques mois après son arrivée sur le mythique label Sun Records qui avait été marqué par l’EP « Mother », elle nous livre « Liberation ». Et la songwriter de Roseburg, Oregon, se présente avec un quatrième opus étonnant à bien des égards. En effet, le successeur de « Dirty Shine », sorti il y a deux ans, est composé de quatre des six morceaux de son récent format court paru en octobre dernier, ainsi que de quelques classiques revisités et, bien sûr, de chansons originales.
Celles et ceux qui auraient manqué « Mother » ont donc le droit à une petite séance de rattrapage. La multi-instrumentiste a renouvelé sa confiance au producteur Ryan Spraker, ayant lui-même plusieurs cordes à son arc, et « Liberation » est un album qui n’aura jamais aussi bien porté son nom. Au fil des morceaux, on découvre ZZ WARD déclamant son amour du Blues, sans filtre et sans fard, que ce soit sur ses propres titres ou sur les reprises qu’elle a savamment choisi et qu’elle s’est approprié avec brio…. Une expression de la liberté plus flamboyante que jamais.
Libre et libérée, la chanteuse fait ce qu’elle veut et elle sait tout faire. A travers les 14 chansons de « Liberation », elle démontre sa polyvalence tout comme sa connaissance d’un répertoire Blues très large. Parmi les covers de Big John Hamilton, Son House, Robert Johnson ou Fats Domino, ZZ WARD fait plus qu’explorer l’Histoire du genre, elle la réinvente et lui offre une toute nouvelle couleur. Et en marge, on se délecte de ses compositions très personnelles et intimes (« Love Alive », « Liberation », « Lioness », « Clairvoyant », « Next To You »). Brillante !
Originaire de la Nouvelle-Orleans, ERIC JOHANSON n’aura pas mis très longtemps à s’imposer sur la scène très prolifique des jeunes bluesmen américains. Ayant fait ses gammes aux côtés de Cyril Neville, Anders Osborne et des Neville Brothers, il tape ensuite dans l’œil de Tab Benoit qui le signe aussitôt sur son label Whiskey Bayou Records, où sort « Burn It Down » en 2017. Depuis, le guitariste et chanteur ne cesse d’arpenter les scènes du monde entier et on le retrouve tout naturellement avec « Live In Mississippi », qui fait suite à son dernier opus studio « The Deep And The Dirty ». Entretien avec un artiste qui s’exprime pleinement en concert, où il transmet sa passion d’un Blues relevé.
– Trois ans après le « Live at DBA: New Orleans Bootleg », tu es déjà de retour avec un autre album live. Cela peut paraître un peu surprenant, surtout après quatre albums studio et deux autres de reprises. C’était le bon moment d’en sortir un nouveau, selon toi ?
Pour moi, ce qui compte vraiment, c’est de pouvoir capturer ces moments et de les partager avec les gens. Le dernier album live n’était disponible physiquement que lors de nos concerts et sur ma boutique en ligne. Faire celui-ci avec Ruf Records signifiait qu’il serait disponible en vinyle ainsi qu’en CD, et dans les magasins partout en Europe et en Amérique du Nord. C’est donc cet autre aspect qui m’a enthousiasmé.
– Avoir sorti deux albums live sur une assez courte carrière laisse à penser que c’est vraiment su scène que tu te sens le mieux. Qu’y a-t-il de si spécial dans le fait d’enregistrer un disque en public ? C’est l’échange ?
Oui, il y a quelque chose de spécial qui se produit quand on ressent la chanson et l’énergie du public. Avec les enregistrements en studio, on joue presque tout en live, mais c’est différent, parce qu’on sait qu’on crée la version album. Lors d’un concert, on prend plus de risques et le public peut aussi nous inciter à jouer avec plus d’intensité. C’est un moment partagé, et les gens jouent un rôle très important dans l’ambiance.
– « Live In Mississippi » fait, bien sûr, la part belle à ton dernier album « The Deep And The Dirty », qui a été couronné de succès. Ton envie première était-elle de donner des versions différentes de tes morceaux avec peut-être les modifications que la scène leur a apportées au fil des concerts ?
Nous avons pris beaucoup de plaisir à jouer les chansons de ce nouvel album, et comme la précédente sortie live est sortie avant celles-ci, il était logique d’en inclure davantage sur « Live in Mississippi ». Lorsque nous les jouons en live, nous pouvons étirer certains passages ou explorer un peu plus les solos. Nous trouvons tout le temps de nouvelles choses à inclure aux morceaux.
– « Live In Mississippi » présente dix chansons au total. J’imagine bien sûr que tes concerts sont bien plus longs. Comment s’est passé le choix de conserver celles-ci pour l’album ? Tu as décidé en fonction de tes interprétations, ou il s’agit plutôt d’un équilibre dans ton répertoire qui te définit finalement le mieux ?
Oui, le concert était bien plus long que ce disque. On ne peut pas mettre autant de musique sur un vinyle, donc on a dû le réduire à ce qui semblait être un bon échantillon de la soirée. Bien sûr, une partie de moi veut sortir un coffret avec deux ou trois vinyles, ou quelque chose comme ça, mais ça devient une sortie vraiment chère à ce stade. Je repense aussi à certains grands disques live qui sont devenus des classiques, même s’ils étaient suffisamment courts pour tenir sur un seul disque. Et puis, parfois, ça vous fait réaliser qu’on peut transmettre l’ambiance sans que ça dure pour autant deux heures.
– Pour ton dernier album, « The Deep And The Dirty », tu as beaucoup tourné, que ce soit aux Etats-Unis comme en Europe. J’imagine que les émotions sont nombreuses et très diverses. Dans quel pays et par quel public as-tu été le plus surpris ou séduit ?
J’adore vraiment voyager partout. C’est l’un des meilleurs aspects des tournées, celui de rencontrer des gens du monde entier et de ressentir cette connexion entre tous les peuples à travers la musique. Nous avons joué dans des festivals incroyables en Espagne, en Suède et aux Pays-Bas, et ce sont toujours des moments géniaux, parce que les gens vous entendent pour la première fois. Mais j’aime aussi beaucoup conduire à travers l’Europe pour faire la tournée des clubs et voir la campagne. Nous serons d’ailleurs à nouveau en Europe à la fin de l’année et j’ai vraiment hâte !
– Comme son nom l’indique, l’album a été enregistré dans le Mississippi au ‘Ground Zero Club’ de Biloxi. Pourquoi as-tu fait le choix de ce concert en particulier ? Correspond-il à un moment spécial de ta tournée, à un endroit que tu connaissais déjà, ou plus simplement c’est le public a été le plus réceptif ?
J’aime l’idée de capturer la musique dans l’environnement d’où elle provient. Notre dernière sortie live a été réalisée ici à la Nouvelle-Orléans, en Louisiane, et le Mississippi est un autre lieu de naissance important du Blues et de la musique roots. Nous voulions également trouver un concert où nous savions que la salle serait prête à nous aider à le réaliser, et les gars de ‘Ground Zero’ sont tout simplement super sympas et serviables.
– L’enregistrement d’un album live n’est jamais quelque chose que l’on fait au hasard, il demande aussi de la préparation et pas uniquement du côté des musiciens. Est-ce que, justement, c’est un rendez-vous spécial avec le public avant même de commencer le concert, car on sait qu’il va être immortalisé sur disque ?
Non, car je ne veux pas que les gens se comportent différemment parce que c’est enregistré. Je veux juste capturer un instantané authentique de l’expérience. Je crois avoir mentionné une fois au micro que nous étions en train d’enregistrer, mais pour l’essentiel, nous nous sommes juste concentrés sur le fait de nous amuser avec le public, comme on le fait toujours.
– Partir en tournée dure quelques semaines, voire quelques mois, et les concerts sont forcément nombreux. Est-ce que tu as fait évoluer ta setlist au fil des dates, ou peut-être même suivant le public ou le pays, voire plus simplement au fil de tes envies ?
Je n’écris plus de setlist, sauf s’il s’agit d’un concert très court, comme une première partie ou une brève apparition dans un festival. Je me base simplement sur mon ressenti et sur la chanson qui me semble la plus appropriée à jouer ensuite. Certaines ont tendance à être placées au début ou la fin, mais j’essaie toujours d’éviter de faire le même set.
– L’album passe par des émotions et des atmosphères très différentes. Tu avais aussi le désir de livrer le panel le plus large de ton répertoire avec des instants parfois opposés et qui font aussi bien sûr ton jeu et ton style plus largement ?
Oui, je pense que le défi de choisir une sélection de morceaux pour un concert est de montrer différentes facettes de ce que tu fais. Je pense que ce disque est une bonne représentation du mélange de styles qui composent mon son.
– Tu as la particularité d’évoluer en trio, ce qui offre beaucoup de proximité entre les musiciens, mais aussi une grande immédiateté avec le public. On te sent justement très proche des gens. C’était vraiment ce que tu souhaitais capter de ces moments en concerts ?
Bien sûr, j’ai toujours été attiré par le son du trio, parce qu’on peut entendre tellement de détails de chaque musicien. Nous occupons chacun un espace sonore différent, donc rien ne masque vraiment quoi que ce soit de l’autre. Cela met tout le monde en avant, donc il faut vraiment tout donner dans sa performance. Je pense que cela se traduit également par une intimité avec le public, ce que j’aime beaucoup.
« Live In Mississippi » d’ERIC JOHANSON sera disponible le 21 mars chez Ruf Records.
Retrouvez la chronique de « The Deep And The Dirty »…
Enrobée de belles guitares et d’une slide scintillante, la musique de CHRIS BERARDO est d’abord accueillante. Profondément ancré dans une culture musicale du Sud des Etats-Unis, son Americana se télescope très naturellement avec un Rock véloce, laissant parfois quelques teintes Pop et Country s’y déposer. Et c’est cette singularité qui fait de cette réalisation tant attendue un modèle du genre. Un style qui touche tout le monde, brille par son accessibilité et ne renie rien d’une technicité implacable dans le songwriting et dans l’interprétation des musiciens hors-pair, qui l’accompagnent.
CHRIS BERARDO
« Wilder All The Time »
(Blue Élan Records)
Le retour de CHRIS BERARDO se sera fait longuement attendre, précisément depuis « All the Warning Signs » sorti en 2017 et qui avait été couronné de succès. Empêché par des problèmes de santé, le songwriter effectue un come-back magistral avec « Wilder All The Time » et semble même plus inspiré que jamais. Originaire du Connecticut, il signe là son quatrième album sur lequel on retrouve les membres de son groupe, à savoir Douglas Berardo (guitare), Billy Kelly (Guiatre), Lloyd Maines (steel guitare) et Bukka Allen (orgue).
Toujours produit par David Abeyta, ancien du groupe Country Reckless Kelly d’Austin, « Wilder All The Time » contient dix chansons d’un optimisme contagieux et d’une grande fraîcheur. Le genre de disque qui vous grave un grand sourire pour un bon moment. Très personnels, les textes de CHRIS BERARDO sont d’une bienveillance assumée et ils sont subliment portés par sa voix légèrement éraillée. Sincère et authentique, son univers est riche, léger et captivant à la fois… et les autres musiciens présents y sont aussi pour beaucoup.
Avec un optimisme forcené, l’Américain évoque pourtant les coups durs de la vie pour n’en garder que l’espoir et la volonté de les surmonter. Très Southern l’ambiance qui enveloppe son Americana Rock offre une vague de chaleur et de proximité à l’ensemble de « Wilder All The Time ». Pour autant, il ne faut pas s’attendre à une réalisation contemplative, CHRIS BERARDO présente un Roots Rock plutôt relevé (« Last Great Chance », « Wanda Leigh », « Somebody Like Me », « Underchiever », « The King Of Fun »). Une vraie bouffée d’oxygène !
A mi-chemin entre Rock, Pop, Blues, Folk et Americana, NINA ATTAL trace sa route depuis plus d’une quinzaine d’année et elle semble avoir trouvé une belle allure de croisière. A quelques jours de la sortie de son cinquième album, « Tales Of A Guitar Woman », la guitariste et chanteuse affiche la sérénité d’une artiste accomplie et toujours en quête de renouveau et de découverte. Ce nouvel opus en est le parfait exemple, puisqu’il parcourt les styles qu’elle affectionne en mettant en lumière son instrument de prédilection avec beaucoup de délicatesse et une fougue jamais très loin. Entretien avec une musicienne passionnée, sincère et qui fait fi des frontières musicales pour mieux suivre sa voie.
– Comme son titre l’indique, « Tales Of A Guitar Woman » est un album de guitariste, mais où tu te mets véritablement au service des chansons. On est loin de quelque chose de démonstratif et tu alternes l’électrique et l’acoustique avec du dobro, de la slide, une guitare 12 cordes, etc… Musicalement, l’idée première était-elle de jouer le plus large éventail possible ?
C’est exactement ça, j’avais envie de mettre mon instrument au centre de l’album. J’ai voulu élargir la palette sonore de la guitare, d’autant que depuis quelques années, leur nombre a bien augmenté chez moi. L’idée était de montrer un peu tout ça. Et c’est très joliment dit quand tu dis que je me suis mise au service des chansons, car c’est vraiment mon instrument qui m’inspire. Je me laisse toujours guidé par ce que j’ai en main. Je suis entourée de toutes mes guitares et lorsque j’en prends une, cela peut être le dobro, la douze cordes ou une autre et je me laisse un peu mener par l’instrument. Les chansons se fondent dans ce côté guitaristique. Et puis, j’aime bien chiader un peu mes parties, que ce soit un peu complexe, sans que ce soit forcément très technique, mais aller au-delà de trois accords. Je suis guitariste avant tout. J’aime aussi me dire que je me challenge à jouer mes parties en même temps que de chanter et que tout cela forme une jolie chanson avec des aspects plus Pop, plus Folk ou Rock, selon les envies.
– Chacun de tes albums est différent dans son approche, même si tous se baladent autour du Blues et on te reconnaît immédiatement. Est-ce que tu considères chaque disque comme une sorte de défi à travers lequel tu te dévoiles un peu plus à chaque fois ?
Oui et c’est vrai qu’un album est toujours un morceau de vie, car l’idée est aussi de partir en tournée avec ensuite. Ça te caractérise à l’instant où tu le fais. Il y a toujours un challenge, même si à la base, tu fais de la musique pour qu’elle soit écoutée. Ce n’est pas une question d’ego-trip, même si certains sont là-dedans. Mais, pas moi. (Rires) Tu as toujours envie de faire mieux que ce soit dans la guitare, dans le chant ou le songwriting. Au final, je me suis aperçue au fil du temps que j’avais de moins en moins besoin et envie de fioritures. J’ai le désir d’être plus brute et authentique dans ma manière de m’exprimer et c’est ce que j’essaie de faire. C’est vrai que maintenant, je compose guitare-voix, seule et mes chansons sortent comme ça. Cela m’aide à concrétiser ma musique dans une forme plus épurée vers laquelle je tends de plus en plus.
– Même si « Tales Of A Guitar Woman » traite de sujets parfois douloureux, je le trouve d’une grande douceur avec ses moments plus fougueux aussi. Il dégage beaucoup de sérénité. Est-il le reflet de ton état d’esprit actuel, ou du moins de celui qui t’animait lors de sa composition ? Je le trouve presque zen dans ses sonorités…
Oui, c’est ça. Tu sais, on vieillit. Maintenant, j’ai 33 ans et, forcément, je suis plus sereine et plus en adéquation avec moi-même. Ma vie va aussi dans ce sens. Là, on parle et je suis devant les montagnes en Suisse. Il y a aussi une forme de sérénité là-dedans, même si les sujets de l’album sont très intimes. C’est ce que j’aime faire dans mes chansons : raconter des choses à la fois très personnelles et qui fassent aussi écho en chacun de nous pour que l’auditeur puisse également s’y retrouver. L’album est en adéquation avec des questionnements que tout le monde peut avoir aujourd’hui sur l’état du monde. Cela peut être l’environnement, les guerres qui se déroulent autour de nous ou des choses plus immédiates comme la maladie d’un proche, par exemple. Je ne voulais pas, non plus, que cela soit déprimant, car il y a toujours une lueur d’espoir. C’est d’ailleurs pour ça qu’on fait de la musique. Et tout ça est aussi représentatif de la personne que je suis aujourd’hui.
– Cette fois aussi, tu renoues avec des chansons en français (« L’hiver », « Jimmy » et « Pas La Peine »), ce qui était aussi le cas sur ton EP « Verso » en 2016, ainsi que sur l’album « Jump » deux ans plus tard. Quel est a été le déclic ? Un désir de retrouver d’anciennes sensations, ou plus simplement de t’exprimer dans ta langue maternelle ?
Il y a un peu de tout ça. J’ai une relation très simple avec le français. Quand je compose un morceau, j’entends la sonorité des mots et quand mon instinct me mène vers le français, je le fais. Je ne me pose pas trop de questions à ce niveau-là, quant à savoir s’il faut que l’album soit en français, en anglais ou moitié-moitié. Est-ce que ça va marcher, ou pas… Je pense que si tu ne le fais pas naturellement, ça ne fonctionne pas. En fait, je me pose avec ma guitare et certaines sont venues en français. Et puis, utiliser sa langue maternelle permet aussi de parler d’autre chose avec peut-être moins de filtres et de barrières. Je suis contente de ça. J’ai aussi une relation plus fusionnelle avec l’anglais, car mon compagnon ne parle pas français et ma langue du quotidien est devenue l’anglais depuis cinq ans. Je développe une relation plus intime avec l’anglais.
– D’ailleurs, qu’est-ce qui change dans le processus d’écriture ? Est-il le même en français et en anglais ? Ou est-ce que l’approche est assez éloignée, car les mots sonnent différemment également ?
Je ne saurais pas trop t’expliquer. Je pense que ça vient beaucoup des accords que tu choisis et de ta mélodie. On a tous une oreille musicale et je pense que certaines sonorités nous amènent inconsciemment vers des choses que l’on connait comme la chanson française, par exemple, qui sont en nous et qu’on a entendues dans notre vie. Quand je chante en français, j’essaie de ne pas trop me rapprocher de ces ‘clichés’, car ce n’est pas vraiment ma musique. Et puis, je pense aussi que ça marche, parce que la musique peut avoir des sonorités plus Americana, ou même Country, et qui vont aller à l’encontre de ce qu’on peut attendre d’une chanson en français. C’est ma vision de la chose ! (Sourires)
– Tu as écrit et composé seule l’ensemble de ce nouvel album. C’est important pour toi de rester seule aux commandes, même si Gunnar Ellwanger et Mathieu Gramoli qui le co-produit avec toi ont participé à son élaboration finale ?
C’est déjà ce que j’avais fait pour « Pieces Of Soul » en 2021 et c’est quelque chose sur laquelle je ne reviendrai pas. C’est hyper-important que je commence le processus de composition seule, parce que c’est comme ça que je me sens libre de m’exprimer et d’être aussi la plus authentique possible dans ce que je fais. C’est ce que je vais proposer aux gens et il faut que ce soit 100% moi. Et c’est la meilleure manière de l’être. En général, je compose la chanson en guitare-voix jusqu’à ce qu’elle fonctionne comme telle. Ensuite, je fais une maquette sur ordinateur où j’ajoute la batterie, la basse et les claviers. Puis, le processus d’arrangement est très important avec les musiciens, car ils le font beaucoup mieux que moi. Il faut que les morceaux les inspirent pour qu’ils amènent leur propre touche. Mon objectif est que ce soit suffisamment bien composé pour que ce soit évident pour tout le monde dans la manière dont la chanson doit être jouée. Gunnar m’aide aussi pour les paroles, même si j’ai déjà les thèmes et les grandes lignes. Il peaufine un peu les paroles pour exprimer au mieux ce que j’ai à dire. Avec Mathieu, nous avons co-produit l’album ensemble et là, il s’agit d’enregistrement des instruments, du son et globalement de ce vers quoi on va aller. J’arrive avec des références et on essaie de développer tout ça ensemble pour que ça fasse une belle unité et un bel album. C’est important d’avoir des gens qui ont un peu plus de recul que moi.
– Lorsque l’on prend « Tales Of A Guitar Woman » titre par titre, on constate qu’il s’articule autour de 13 histoires différentes. C’est un schéma que l’on retrouve aussi dans l’Americana. C’est un registre qui a été une source d’inspiration cette fois, au moins dans les structures des morceaux ?
Oui, c’est une idée qui était assez claire dans ma tête depuis le départ. Je voulais vraiment que chaque chanson raconte l’histoire d’un personnage. Elle contienne d’ailleurs toutes le nom d’un personnage que ce soit Ben ou Suzy, par exemple. C’est à travers eux que je raconte des histoires personnelles. C’est une source d’inspiration que l’on retrouve aussi chez Lou Reed, Bob Dylan, David Bowie, Billy Joel et beaucoup d’autres. C’est une façon de raconter des histoires à travers les chansons. Ce processus m’a toujours beaucoup inspiré et je voulais le retranscrire dans cet album.
– Autre nouveauté sur l’album, on te retrouve en duo à deux reprises avec Victor Mechanick sur « Missed Something » et « Pas La Peine ». Même si tu es une habituée des collaborations, c’est plus inédit sur tes albums. Comment sont nées ces chansons avec cette envie d’en partager le chant ?
On se connaît depuis longtemps avec Victor. On s’est souvent croisé sur la scène parisienne avec nos amis Yarol Poupaud, Raoul Chichin et quelques autres. J’aime beaucoup ce qu’il fait sur son projet personnel. Cela faisait longtemps que l’idée me trottait dans la tête. Quand j’ai fini l’album avec Mathieu, nous nous sommes dit que ce serait sympa qu’il partage le titre « Missed Something » avec moi. La chanson était déjà composée et il est venu la chanter en studio. C’était cool et on s’est dit que c’était dommage qu’on n’écrive pas un titre ensemble. On a pris nos guitares en essayant d’écrire quelque chose et voir ce que cela donnait. On est parti sur une grille d’accords, puis sur des idées différentes et cela s’est fait assez rapidement. Ensuite, on s’est chacun mis dans un coin de la pièce pour écrire nos paroles, je faisais le couplet et lui le refrain. Et ce qui est drôle, c’est que nous ne nous sommes pas du tout concertés, ni donné de thème, de mot ou de champ lexical, et pourtant on avait pris la même direction. On a gardé la chanson, on n’a rien touché et on l’a enregistré comme ça. Et c’est devenu « Pas La Peine ». Ca fait partie des petits moments magiques en studio, c’est très sympa ! (Sourires)
– Un petit mot également au sujet de l’aventure ‘Electric Ladyland’. En t’écoutant attentivement, on perçoit facilement l’empreinte de Jimi Hendrix sur ton jeu, mais ce qui rend unique ce projet, c’est que le groupe est entièrement féminin. C’est important pour toi de faire vivre cette belle sororité sur scène ? Même si le mot est aujourd’hui un peu galvaudé…
Oui et ce qui était important pour nous, c’était de faire une sorte de pied de nez pour dire qu’il y a beaucoup de femmes qui savent très bien jouer du Rock’n’Roll en France. Et le projet hommage à Jimi Hendrix est aussi un challenge en soi, car c’est l’un des plus grands guitar-heros. Ca peut faire peur et il n’y en a d’ailleurs pas beaucoup qui s’y frottent ! (Rires) Techniquement et musicalement, ce n’est pas évident. On connaît toutes les chansons et on a toutes essayé de les jouer adolescentes. Alors aujourd’hui, les jouer sur scène et rendre un bel hommage à Jimi est quelque chose qui nous rend fières. En ce qui concerne ce groupe entièrement féminin, c’est quelque chose qui nous tenait vraiment à cœur, car on souhaitait mettre les femmes en avant, les femmes talentueuses. Et c’était aussi l’occasion de mettre en lumière des musiciennes qui n’ont pas forcément leur projet à elles en tant que lead, qui sont accompagnatrices, pour les mettre au centre d’un projet. Il y a Antonella Mazza à la basse, Laëza Massa à la batterie, Léa Worms aux claviers, … Ce sont de super musiciennes et c’était important qu’elles soient très centrales, d’autant qu’elles ont une belle carrière. Alors, même si le côté ‘femmes sur scène’ est un concept en soi, l’idée est quand même de venir nous voir en concert et de vite oublier ça ! L’essentiel est de kiffer la musique et de trouver que c’est un bel hommage à Hendrix. En tout cas, on s’amuse beaucoup sur scène, on tourne toujours et n’hésitez surtout pas à venir nous voir !
– Enfin, ce qui peut paraître étonnant, c’est que tu ne sois pas signée sur un label. On a d’ailleurs de plus en plus le sentiment que beaucoup d’artistes souhaitent évoluer en marge de l’industrie musicale traditionnelle. C’est vrai aussi que les plateformes ont bouleversé la donne, et pas forcément en bien. Cela dit, l’indépendance est-elle le salut pour de nombreux musiciens comme toi ?
Vaste sujet ! Je pourrais t’en parler des heures. Tout d’abord, cet album est co-produit par mon batteur Mathieu Gramoli et il sort sur son label LVCO, qui est indépendant. J’ai pu avoir des rendez-vous avec des gros labels ou des gens intéressés par le passé. Malheureusement, ce sont toujours des gens qui veulent te changer, te façonner à une image qui n’est pas la tienne. Cela fait 16 ans que je fais ce métier avec des valeurs et des choses auxquelles je crois. Donc, répondre à certaines attentes dans ce milieu n’est même imaginable pour moi. On essaie de vivre, parfois même de survivre, on ne va pas sentir, dans cette industrie qui est bien chargée. Se faire une place sur les plateformes est très difficile vu le nombre de sorties quotidiennes. Alors, je joue le jeu en sortant des singles en streaming, car on ne peut pas aller non plus à l’encontre du système. Mais je pense que si mon projet dure depuis si longtemps, c’est parce que tout ça est ailleurs et notamment chez ma fan-base, les vrais gens qui me suivent depuis 16 ans. D’ailleurs, on a co-produit l’album avec Mathieu, mais il a aussi été soutenu par les KissKissbankers via un financement participatif. Je me suis vraiment rendu compte à quel point les gens me suivaient et étaient au rendez-vous quand il fallait l’être. Ça m’a beaucoup ému et touché. La vraie vie se passe sur scène, sur la route et c’est là que tu vois à quel point ton projet peut durer dans le temps. On essaie de construire les choses sur la durée et pas en créant le buzz. Mais on doit aussi s’adapter pour suivre une certaine cadence. Et il faut continuer ce métier avec passion et en se faisant plaisir aussi. Et la démarche de sortir un album complet est également une chose très importante à laquelle je tiens beaucoup, même si ça peut paraître aujourd’hui un peu obsolète. L’idée est vraiment de fédérer des gens autour de la musique et ça, c’est cool et plutôt gratifiant.
L’album de NINA ATTAL, « Tales Of A Woman Guitar », sera disponible le 28 mars chez LVCO et vous pouvez précommander le vinyle et le CD en suivant les liens ci-dessous :
C’est dorénavant depuis la Belgique, où elle a pris son envol il y a quelques années, que MYLENE CHAMBLAIN déploie un Americana, teinté de Blues et de Folk, très personnel. Chanteuse, guitariste et compositrice, elle sort « Drive Me Mad », un album complet aux variations multiples et d’une fluidité envoûtante. Dans un univers fait avant tout de partage, elle s’affirme pleinement comme artiste et aussi en tant que femme libre et déterminée. La douceur de sa musique se mesure au caractère entier qu’elle distille sur ce nouvel opus très inspiré. Entretien (fleuve !) avec une artiste talentueuse qui met tout son cœur à l’ouvrage avec beaucoup d’émotion et de sensibilité.
– Avant de parler de ce nouvel album, j’aimerais qu’on dise un mot de ton parcours qui est assez atypique. Tu es originaire de Toulouse et pourtant tu vis depuis 20 ans en Belgique. C’est un choix de vie personnel ou artistique, car on sait le public belge très réceptif à ton style de musique justement ?
Mon arrivée en Belgique en 2005 n’émane pas du tout d’un choix de vie artistique, mais il l’est devenu aussi en prenant la décision de faire le grand saut en 2005, alors que je revenais justement d’un concert dans un grand festival Country en France. En cause, une autre histoire atypique et en plusieurs temps. C’est l’histoire d’une jeune fille française de 12 ans qui tombe amoureuse pendant ses vacances d’été 1992 d’un jeune garçon belge de la région liégeoise, venu passer ses vacances avec ses parents du côté de Fréjus, dans le sud de la France. A l’époque, il était âgé de 15 ans. Nous avons correspondu plus de 12 ans au total avant que cela devienne plus qu’un amoureux de vacances, puisqu’il est devenu le père de ma fille des années plus tard. Auparavant, nous nous étions retrouvés une nouvelle fois au moment de la sortie de mon premier album « Hold Fast », et après mon retour d’une date au ‘Festival Country’ de Craponne S/Arzon. A l’époque, j’envisageais de vivre aux pieds des Pyrénées, et je me voyais faire ma musique dans une maison en pierre, au calme, comme une vieille hippie. Puis, il est revenu dans ma vie. Je n’avais rien à perdre, lui tout (il était rangé avec job et maison) s’il venait vivre avec moi dans le Sud de la France. J’ai donc sacrifié ma vie en France, mais en sachant que les rencontres musicales en Belgique étaient tout aussi possibles, voire même pouvaient donner de belles opportunités. J’ai fait le grand saut en mars 2005 aux côtés de mon premier prince charmant et j’ai travaillé non-stop pour remettre mon projet sur pied en recrutant des musiciens belges. J’ai été bookée l’année suivante sur plus de dix dates en Belgique, et même en Lituanie pour l’énorme ‘Festival Visagino’, rassemblant plus de 10.000 personnes à l’époque. Je me souviens aussi de mon premier passage à la RTBF Classic 21 en 2006. Mon album « Hold Fast » avait été diffusé dans les découvertes Country pendant plusieurs semaines, un grand moment de reconnaissance pour moi. Depuis, bien des choses ont changé, ce prince charmant est donc devenu le père de ma fille, mais nous avons chacun refait notre vie. Je suis restée simplement pour être auprès de ma fille et ne pas la couper de son père.
– Tu as sorti ton premier album à 24 ans, fais une longue pause avant d’effectuer ensuite plusieurs collaborations, notamment avec Plain Jane. Et ce n’est qu’en 2021 qu’on te retrouve avec l’EP « Body & Soul ». Tu as ressenti le besoin d’écrire et de composer une musique qui te ressemblait peut-être plus à ce moment-là ?
Mon écriture a évolué en même temps que moi et lorsque j’écoute chaque titre, que ce soit les compositions Country-Blues de mon premier album, les titres Pop-Folk pour Plain Jane, ou les titres plus Americana de « Body & Soul » et « Drive Me Mad », tous les sons de chaque production correspondent parfaitement à une époque, un état d’esprit et des demandes particulières. C’était surtout le cas pour Plain Jane, où le process de création était assez différent, car il fallait que je me détache émotionnellement de mes créations pour qu’elles s’envolent avec le son de Plain Jane. Au gré des épreuves, du temps, de l’expérience, mon son révèle vraiment mon état d’esprit à chaque étape et celui plus ancré, plus roots, plus assumé d’aujourd’hui concorde parfaitement aussi avec la femme épanouie que je suis devenue. Et il révèle aussi la confiance acquise et le fait de savoir mettre des mots et des idées plus claires sur les arrangements de mes titres. Tout est venu en même temps. Mon retour à ma carrière en 2018, Plain Jane qui se créait et l’appel de Julie Compagnon pour collaborer sur ce projet.
Ensuite en 2019, j’avais déjà bien avancé pour moi, en parallèle à ce projet pour lequel je devais travailler sans trop travailler pour ne pas m’accaparer les morceaux. En tant qu’auteure-compositrice, c’était une opportunité pour moi de composer différemment pour un projet qui n’était pas le mien et ce n’était pas non plus inné et naturel pour moi, mais cela m’a tellement apporté aussi. Je vivais une période difficile et le projet Plain Jane m’a sans doute permis de trouver un autre échappatoire, un autre souffle avant de continuer. Il fallait néanmoins que je reprenne les rennes de ma vie et de mon projet de carrière musical personnel. J’ai dû choisir de me distancer du projet de Plain Jane, tout en suivant l’actualité du groupe et en étant présente sur scène avec eux. Ce sont mes amis et nous nous soutenons beaucoup.
Enfin, en 2020, le confinement m’a laissé du temps pour reprendre ce que j’avais entamé en 2018. Cette période m’a aidé à me focaliser sur mon projet et j’ai croisé la route de l’arrangeur, orchestrateur et producteur musical Cyril Orcel, qui a découvert mes compositions après la publication sur Facebook de mes nouvelles compos prévues pour « Body & Soul ». Il a voulu sublimer le style Americana que j’étais en train d’élaborer. Il a compris où je voulais aller et depuis nous n’arrêtons plus de produire ensemble.
– Plain Jane était assez différent de ce que tu fais actuellement et sur « Body & Soul », l’ensemble était déjà plus américain dans le style comme dans le son. Est-ce que ce sont toutes ces étapes, qui ont finalement forgé et affirmé ta direction musicale d’aujourd’hui ?
Les choses se sont déroulées naturellement. Je suis plutôt intuitive et je ne calcule rien. Je savais en collaborant sur le projet Plain Jane que la direction musicale allait être légèrement différente. La méthode de travail et le son n’allaient donc pas être les mêmes qu’en ayant un contrôle total sur ma musique. Les influences étaient suffisamment similaires pour permettre la collaboration. Je devais aussi vivre parallèlement le projet Plain Jane pour comprendre que j’étais déjà en train de prendre un autre envol dans ma vie et dans ma carrière. J’ai décidé aussi de sortir de la Folk et de la Country Music, tout en ne reniant absolument pas ce caractère musical que j’aime toujours énormément, mais qui ne prend plus le dessus sur un besoin de retrouver un son plus roots et organique.
J’ai mis ma sensibilité du moment dans les compositions de Plain Jane tout en prévoyant des titres pour ma propre carrière musicale en parallèle. Si on écoute « Don’t Swear », « Five », « Fire In The Shade » ou « Human Scale » composés en intégralité pour Plain Jane et arrangés par ses musiciens, on entend les influences Pop, Alt-Country et Americana, parce que les musiciens de Plain Jane sont aussi portés vers ces sonorités vintage et qu’ils ont à peine touché aux titres. Les mélodies sont restées intactes, mais elles ont été remaniées comme Julie Compagnon l’entendaient. Avec ce projet, j’ai compris que je devais juste effleurer du doigt la musique pour Plain Jane en dosant suffisamment pour ne pas trop y mettre la patte ‘Chamblain’.
Dans « Body & Soul », il y a toute ma vérité, ma façon de jouer, d’entendre mes morceaux, mon esprit et les mots qui illustrent mon vécu, une production personnelle et la liberté de créer mon son. Que ce soit « Last Long Road », « Losing Game » ou « Something Instead », je retrouve l’âme Americana et l’esprit de la Road Music, qui me collent à la peau depuis longtemps mais que je n’avais pas encore tout à fait exploré. Après ces 10 ans de pause, j’avais tracé ma route et forgé ma musique vers quelque chose de plus roots, plus ancré et plus abouti aussi. Tout est devenu plus précis, assumé et affirmé avec le nouvel album « Drive Me Mad ». J’aime proposer ma signature artistique, mais aussi une diversité portée par le Rock des années 70, le Blues, la Country, ainsi que le Pop-Rock. Et tout ça avec une bonne dose de guitares slide, dont le son m’emmène absolument là où je veux être. Je me sens à ma place et libre de m’envoler vers ce que je veux au gré de mes inspirations et de mes émotions sans chercher à plaire ou viser un public en particulier et tout en produisant quelque chose d’accessible et sans doute moins complexe musicalement.
– Depuis ton EP, tu travailles avec le directeur artistique Cyril Orcel. Comment est-ce que vous fonctionnez à deux et en quoi cela a-t-il pu changer ou faire évoluer ta vision artistique ?
Lorsqu’on écoute l’EP et le nouvel album, il y a une belle continuité musicale et de la maturité artistique. Lui, autant que moi, avons mutuellement appris de l’autre depuis cinq ans en nous écoutant notamment. On apporte nos compétences, mais aussi nos visions et notre ‘touche’ pour faire évoluer les morceaux. Ce travail a démarré à distance pendant le confinement et ce mode de fonctionnement a tellement bien fonctionné que nous avons continué à travailler ainsi, lui étant à Bruxelles, moi au sud de Liège. Il n’y a pas de pression, de contrainte de temps, mais un suivi et une façon de travailler très proactive. Nous nous adaptons bien aux journées de l’un et de l’autre.
Notre duo sur la composition, l’orchestration et les arrangements est la première étape et a prouvé son efficacité. Nous arrangeons ensemble le squelette de chaque titre, lui respectant la musicalité des compositions, de ce que je veux entendre mais en me proposant les arrangements qui vont pouvoir les faire s’envoler et prendre du relief. Ensuite, j’envoie les titres aboutis aux musiciens et on organise les enregistrements. Ils viennent chez Cyril pour les plus proches de Bruxelles, ou chez moi. On se partage les enregistrements de session et Cyril gère la plus grosse partie, ainsi que la phase finale du choix des pistes, du mixage et du mastering également. D’un point de vue stratégique et pratique, nous gagnons aussi beaucoup à créer ainsi. Et puis, le studio est prévu, mais ce sera pour travailler en live et retrouver ce côté humain et direct et accéder aussi à des sons qui libèrent encore plus les chansons.
– D’ailleurs, lorsqu’on écoute l’EP et le nouvel album, il y a une réelle continuité musicale avec aussi un côté plus roots et plus direct sur le nouvel opus. Tu as souhaité aller à l’essentiel en privilégiant les détails dans le songwriting à travers quelque chose de plus sobre et efficace ?
Oui tout à fait, je crois que « Drive Me Mad » révèle une certaine maturité et le fait que j’arrive à aller à l’essentiel, sans devoir réfléchir au moyen d’y aller. C’est certainement dû à l’âge, car ça a du bon d’avoir 45 ans et de ne plus avoir envie de perdre du temps et de l’énergie inutilement. « Body & Soul » était surtout la trace d’une vie qu’il fallait que je grave à jamais pour m’en libérer. L’écriture de ce cinq-titres a été influencée par un coeur, un corps et une âme meurtrie, c’est la trace d’une relation toxique et de violences qui m’ont marquée à vie et c’était nécessaire pour pardonner et passer à la suite. Tout est lié à mes émotions, la vie plus simple que je mène aussi et un état d’esprit apaisé. Disons que cela caractérise la vie qui a repris. Sûrement parce que je grandis encore et que la vie est une infinie suite de mouvements et ma musique évolue en même temps que moi. Aujourd’hui, je sens mon mental plus apaisé, moins complexe, je vais en effet plus à l’essentiel au quotidien et ce chemin psychologique se révèle dans mes écrits et ma façon de composer. Et je sais aussi que cette évolution artistique a été aidée par Cyril qui m’a dirigé artistiquement, doucement mais sûrement, en me conseillant de puiser en moi pour trouver une manière plus simple de composer pour marquer les esprits. Il m’a appris à écrire avec autant d’âme et de force et il a essayé de me pousser dans mes retranchements. Je croyais devoir calculer mes émotions, puis au fil des mois et des années, ma façon de penser a évolué et tout est devenu plus simple. Je pense avoir réussi à aller à l’essentiel pour moi et pour ma musique, sans pour autant perdre mon identité… et c’est un beau cadeau.
– Ce qui peut surprendre sur « Drive Me Mad », c’est la variété des styles qui vont de l’Americana à la Soul avec une légère touche Pop/Rock, et l’ensemble est relié autour du Blues, qui apparaît comme le point d’ancrage. Tu le considères comme ton influence première, celle qui guide l’ensemble ?
Oui, je pense que tu as vu juste. Si je devais choisir un style qui me résume, il y aurait toujours le mot ‘Blues’, bien que cela me gêne un peu étant donné que je ne fais pas du pur Blues, comme on peut l’entendre dans la musique des pionniers du Blues noir américain. Disons que les sons utilisés dans le Blues, les lignes et les blue notes doivent toujours être présentes dans ma musique, parce que je me sens profondément reliée à cette musique qui me parle depuis l’enfance, mais aussi aux sons et à l’âme du Blues. Il a été le point de départ de mon éveil musical. Et lors de mon passage à Clarksdale aux Etats-Unis en 2002, j’ai été complètement remuée, lorsque je suis entrée dans le bar qui a accueilli pour la première fois le grand B.B King à ses débuts. Quand j’écris, je me sens comme une âme solitaire, évoquant les injustices de ce monde, les besoins de liberté, d’égalité, mes chansons sont toutes des vieux Blues mis en musique avec les sons que je veux y mettre. C’est une recette avec des ingrédients de base essentiels. Cependant, je ne choisis jamais des instruments simplement pour que cela sonne Blues ou Folk. Ils vont surtout faire vibrer mes mots.
– L’album est aussi très organique, très bien arrangé et produit et avec une sensation d’immédiateté qui rappelle la scène. Est-ce que, justement, tu as en tête le rendu live de tes chansons au moment de la composition dans l’éventualité d’un échange avec le public ?
C’est ce que je voulais retrouver. Je suis très satisfaite et heureuse des choix réalisés avec Cyril mais il est vrai, et nous en discutons déjà, que je veux absolument retrouver ce son live et pourquoi pas, oui, en réalisant un album directement depuis la scène d’un concert. Tout est envisageable. C’est d’ailleurs comme cela que j’ai enregistré l’album « Hold Fast » en 2004, pas en public mais en live avec tous les musiciens en studio. J’ai eu la chance à 24 ans d’être épaulée par deux membres du groupe de Blues Awek, qui ont très vite cru au potentiel de ma musique. Nous avons répété une seule journée avant de rentrer en studio et 11 titres ont été enregistrés en deux jours et en live. Certaines sessions ont été réalisées séparément, mais la méthode a été entièrement analogique et artisanale. Un enregistrement sur bande et un mixage en temps réels est une incroyable expérience à laquelle j’ai participé aussi. C’est l’ingénieur-son Roger Shepherd que l’on m’avait conseillé qui fait ses armes chez E.M.I Music à Glasgow, qui est venu installer son studio à Toulouse. Depuis cette expérience, j’aspire à la renouveler, mais les conditions financières sont problématiques et demande d’agir en conséquence. Une captation live vidéo est envisagée cette année et pourquoi pas un enregistrement sur vinyle ? Le top pour moi ! (Sourires)
– Une chose m’a intrigué sur « Drive Me Mad », c’est justement le titre « It Drives Me Mad » que tu as composé il y a 20 ans. Qu’est-ce qui a changé pour cette chanson au fil du temps ? Pourquoi ne pas l’avoir sorti plus tôt et a-t-elle beaucoup changé par rapport à la version originale ?
Je l’ai composé en 2003 et je la jouais seule à Toulouse avant d’enregistrer l’album. Je ne l’avais pas vraiment terminée et c’était plus un défouloir pour moi. Je ne me sentais pas encore assez proche de ce morceau qui parlait d’une histoire d’amour. Je n’aimais pas cette relation et cette époque. J’ai voulu écrire cette chanson sans qu’elle m’accompagne vraiment. Et puis, trois ans plus tard, je l’ai rejoué avec un détachement émotionnel total, en concert avec les musiciens belges que j’avais recruté à mon arrivée. En récupérant mon projet, je n’ai pas tout de suite pensé reprendre ce titre qui ne me correspondait pas vraiment au temps de « Hold Fast », ni de « Body & Soul », mais avec le temps, j’ai remis sur pied de nouveaux arrangements. Je l’ai ensuite joué plus de deux ans à la fin de mes concerts et j’ai réalisé que le public adorait ce morceau. Comme je voulais inclure un titre plus Rock à ma musique, « It Drives Me Mad » était une évidence. Sans toucher à mes arrangements, ma mélodie et mes riffs, Cyril a rendu ce morceau plus abouti et nous avons compris qu’il serait parfait pour débuter l’année 2025 et lancer l’album en tant que single.
– D’ailleurs, « It Drives Me Mad » est un moment fort de l’album et on imagine facilement l’impact en concert avec ce côté Classic Rock. Pourquoi l’avoir placé en toute fin du disque ? C’est un choix qui peut surprendre…
Je n’ai rien calculé, ni planifié. Je crois que tout coulait de source, « It Drives Me Mad » ayant été finalement choisi pour lancer l’album. Je le trouve néanmoins toujours très bien à sa place, en dernière position, comme en concert où il emporte le public et clôture sur une note dynamique, positive et un mouvement Rock qui permet à tout le monde de danser, de chanter et de se défouler. Retenir ce morceau en fin d’album était aussi évident que de présenter l’album avec lui.
– L’album dégage aussi beaucoup de féminité et de sensualité et cela correspond d’ailleurs parfaitement à notre époque où les femmes sont enfin mieux représentées dans le monde du Blues, de l’Americana et même de la Country. Est-ce que cela veut aussi dire que c’est plus facile de s’exprimer aujourd’hui dans le milieu de la musique ? Et est-ce que c’est quelque chose que tu ressens aussi en tournée ?
Naturellement, je n’ai jamais cessé de produire ma musique avec foi et conviction, tout en sachant que déjà que c’était difficile de s’imposer d’abord en tant qu’artiste dans cette société. Ce n’est qu’après que j’y ai vu encore d’autres difficultés, c’est vrai. M’exprimer n’a jamais été difficile, mais être acceptée dans ce milieu n’a pas toujours été chose aisée. Ma difficulté était plus portée vers le fait que nous sommes toujours entourées d’hommes, que ce soit le public, les organisateurs ou les musiciens. Les hommes sont là et, en tant que femme, il est très difficile de passer à travers cette masse, sans se faire toucher les fesses. C’est une image un peu facile, mais c’est toujours bel et bien une réalité. La musique d’une femme passera un peu après l’intérêt physique qu’elle suscitera. Avec les années, ce qui est bien, c’est que j’ai non seulement gagné en confiance en moi, mais aussi en féminité, en sensualité, je m’assume beaucoup plus à 45 ans en tant que femme et ma sensualité se dégage davantage dans ma musique. Maintenant, j’ai aussi forgé un caractère, des moyens de défendre mes intérêts et surtout les mots pour me faire respecter. Ainsi, mon corps ou ma sensualité m’appartiennent, rendent service à mes compositions, mais je tiens à surtout rester certaine que ce soit bien par ma musique qui suscite d’abord de l’intérêt.
Je ne crois pas que ce soit plus facile en tant que femme de faire de la musique aujourd’hui en comparaison au temps de Ma Rainey ou d’Elizabeth Cotten. Mais ce que je réalise, c’est que les choses ne changent pas réellement à ce niveau. Nous devons toujours faire des efforts. Je sais, vu mon expérience, que nous devons encore et toujours faire nos preuves, présenter et proposer plus que les hommes ne le font. Il faut être séduisante en plus de proposer quelque chose de technique et artistique. La difficulté est toujours présente et le côté naturel et le produit abouti ne suffissent parfois pas. Il faut être charismatique, jolie et envoyer du lourd. Une femme doit avoir ce petit truc qui excite l’intérêt des organisateurs et s’il faut être honnête avec ça, il est évident que pour percer, une femme devra être tellement originale que son physique n’aura alors plus d’importance.
Nous sommes encore dans cette ère où la femme doit dégager sa sensualité en plus de réaliser une belle musique. Nous devons naturellement plus nous battre pour nous immiscer dans le milieu et nous imposer. Regardons les affiches de festivals et on comprend aisément que l’homme est bien plus représenté. En Belgique, nous devons d’ailleurs nous sentir fières de participer à des festivals 100% Women ! Etre fière de recevoir des subventions, parce que nous veillons à la parité homme-femme en tant qu’organisateur et organisatrice.
Nous avons juste une épreuve de plus à franchir, je pense, avant d’arriver sur scène. A nous de voir si nous considérons plus facile de jouer le jeu, de miser sur un jeu de séduction malsain, ou juste aimer sa sensualité et être soi. S’il faut accepter certaines conditions ou plutôt nous battre et résister à ce principe tout en nous imposant. Du caractère, il en faut indiscutablement plus que les hommes en plus d’avoir des choses à dire.
– Il y a des moments très intimes sur l’album et une vraie réflexion sur notre société notamment, et un morceau comme le très touchant « Lion Son » peut résonner aussi de bien des manières. Tu abordes tout ça de façon très personnelle, ou c’est l’aspect assez universel de ces thématiques qui t’importe le plus ?
Pour te répondre sincèrement, je ne sais pas écrire ou composer sans y mettre toute mon âme. Si ce n’est pas personnel ou n’émane pas d’une histoire vécue, d’une émotion ressentie, d’une rencontre qui a du sens ou d’une réflexion personnelle sur le monde, il est difficile pour moi d’y mettre la force, la profondeur et la sincérité nécessaire à rendre mon titre en vraie résonance. C’est aussi parce que je ressens ma musique comme un tableau à peindre librement, un paysage à visualiser, une émotion à partager et aussi parce que j’aime que la musique permette une certaine liberté de projection. Je fais en sorte que chacun puisse se retrouver dans un texte, une musique et que la mienne appartienne à tout le monde, que chacun puisse trouver un peu de soi dedans et l’emporte avec lui, malgré les histoires très personnelles qui se trament autour. Je veille aussi à préserver une certaine intimité en n’utilisant que des images, car les choses dites trop directement, sans amplitude, ferment naturellement cette porte que je veux ouvrir au monde, à mon public. Si je parle de ma souffrance, on me laissera ma souffrance, on ne voudra sans doute pas écouter et partir avec moi en voyage. Ce sera bien trop personnel si, comme pour « Lion Son », j’explique clairement ce qui a inspiré cette chanson, la source réelle de l’émotion. Par discrétion aussi, je prends souvent le parti de ne résumer qu’une partie de l’histoire en me focalisant sur un détail et parfois, les choses dures peuvent éclairer le chemin et donner la possibilité de mettre en lumière la beauté plutôt que la douleur.
Pour « Lion Son » ou « Losing Game », je m’aperçois que la musique a clairement bien fait son travail car les émotions, dont on me fait part à leur écoute, révèlent que nous comprenons que la dureté du fond est captée émotionnellement et que la forme musicale choisie a permis d’alléger et faire que ces morceaux sont ressentis de manière intime, belle et sans être dérangeant. J’ai alors réussi ce que je voulais. Quant à « Lion Son », j’aurais l’occasion de la mettre davantage en lumière cette année, si le single sort en radio officiellement. Cette chanson compte beaucoup pour moi, mais aussi pour quelqu’un pour qui je l’aie écrite, suite à une bouteille à la mer lancée il y a deux ans sur la toile. Une vraie histoire, un vrai hommage.
– Un petit mot aussi du duo ‘Two Women Blues’ que tu as monté avec Geneviève Dartevelle. Vous tournez d’ailleurs ensemble en marge de vos projets. Peux-tu nous en dire un peu plus ? S’agit-il de compositions personnelles et est-ce qu’un projet discographique est dans un coin de vos têtes ?
Ce projet vient d’une idée naturelle de faire tourner mes chansons en version duo pour plus de facilité de programmation en Belgique pour les petits lieux, mais cela nous permettait aussi de nous rejoindre sur un fantasme de jouer du Blues simplement en duo. Elle comme moi, voulions depuis longtemps essayer cette formule, sans même nous connaître et alors qu’elle est à temps plein dans mon projet avec le band, cela coulait de source de devoir s’y pencher plus concrètement en parallèle. Je sais que je n’ai déjà plus beaucoup de temps à consacrer à un autre projet, puisque je donne déjà 200% de mon âme, de mon temps, de mon argent, de mon corps et de mon énergie à ma carrière et que Geneviève multiplie les répétitions et les concerts avec les nombreux groupes de Blues qui l’appellent.
Ce duo marche bien et reçoit des éloges en plus de remplir à bloc les salles de 100 à 150 personnes sans difficulté. Mais il faut parfois prendre du recul, avoir le temps de le travailler correctement et c’est là que les choses deviennent plus dures à installer en ce moment. Nous avons décidé de travailler sur un répertoire purement Blues arrangé à notre sauce, avec du Blues féminin aussi, mais pas uniquement, et tout en complétant les sets avec mes chansons, car il a fallu faire vite entre l’annonce du projet et la première proposition de concert. Tout est allé très vite et l’intérêt pour le duo a été fulgurant. C’est certainement le seul duo Blues féminin Harmonica/guitare-voix d’Europe et il suscite donc de l’intérêt, vu sa singularité.
Nous avons été bookées sur pas mal de concerts et de festivals Blues en 2024, tout en étant en tournée sur mon projet. Mais depuis la production et la sortie de mon album, je suis non-stop sur la promotion auprès des médias et en recherche de booking en France et à l’étranger et j’avoue ne pas savoir pour l’instant comment gérer les deux projets de front. Nous devions organiser des captions vidéos, un enregistrement aussi et puis, prises par nos projets parallèles, tout est assez compliqué à organiser mais tout viendra à point au moment opportun. Nous aimerions aussi participer au ‘Blues Challenge Festival’ et nous gardons bien nos projets en tête pour cette raison-là aussi.
– Enfin, depuis tes débuts, tu t’es toujours autoproduite. C’est une question de liberté artistique, devenue d’ailleurs plus compliquée aujourd’hui, qui te permet aussi de naviguer dans cette industrie musicale mangée par le numérique ? Ou, au contraire, il est devenu difficile de trouver un bon label ?
J’ai toujours été très indépendante et autonome dans l’âme et dans ma liberté de mouvement, ma capacité à avoir le contrôle sur ma vie ou mes projets depuis toujours. Et surtout, il m’a fallu une bonne dose de confiance dans ce système pour lâcher mes ‘bébés’ ou mettre mon projet entre les mains de labels ou de managers. J’ai fait quelques expériences, mais je ne sentais aucune vie, aucun mouvement et je fais confiance à mon rythme avant tout, à ma cadence. Même si c’est le rêve de tout artiste de déléguer les nombreux rôles que nous devons jouer en tant qu’indépendants, il n’est pas simple de tomber sur des gens honnêtes et bienveillants. Et surtout, si tu n’es pas un artiste bankable, je sais que l’intérêt premier d’aider à développer notre carrière sera ce que cela pourra récolter. Comme les choses changent tout le temps et que l’industrie musicale et les réseaux engendrent un marché concurrentiel presque impossible à défier, il faut soit accepter de se faire transformer pour devenir la poupée de l’industrie, soit resté libre, se battre, se surpasser et risquer alors de prendre plus de temps pour s’imposer.
Je pense que la musique que je fais actuellement est plus aboutie, mais le monde est plus exigeant encore et la musique Americana en Europe est une prise de risque, dont il faut assumer les conséquences. Mais comme je le dis, je ne compose pas pour plaire ou être dans le rang de ce qui se fait, je compose cette musique, parce que je l’ai en moi. Je ne suis peut-être pas née sur le bon continent ou à la bonne époque tout simplement. Alors quitte à ce que ce soit compliqué, je préfère mener ma barque et la contrôler.
J’essaie de voir comment faire en sorte d’amener le public à moi plutôt que de courir après lui outre-Atlantique. Une évasion nouvelle sur le continent américain n’est pas à exclure néanmoins. J’ai ma petite voix intérieure qui me dit que comme j’ai trouvé mon identité musicale, je vais pouvoir en parler bien mieux qu’avant et donc trouver les bonnes cibles. La musique doit voyager et pour moi le voyage a commencé.
Par ailleurs, il se trouve qu’un booking en France est en pourparler. J’ai des contacts qui s’intéressent à moi avec la sortie de l’album, ainsi que des labels et quelques festivals qui commencent aussi à me connaître. Ma patience, ma persévérance et le discours que je tiens maintenant semblent ouvrir de belles opportunités que je suis en train d’étudier. C’est un nouvel album, et surtout une nouvelle énergie. « Drive Me Mad » est une commande passée à l’univers. Si l’on me voit guitare brandie vers le ciel, ce n’est pas pour jouer au guitar-hero, mais bien pour illustrer ce vœu, cette volonté, cette fougue et cette passion qui me guide. Peut-être que la magie est en train d’opérer ? En tout cas, j’y aurais travaillé peu accompagnée, mais avec de belles rencontres-clefs, des manifestations en cours et je commence à récolter le fruit d’un long travail. J’observe, j’écoute, je prends, je garde ou je recommence… Rien ne doit être vu comme un obstacle ou une limite.
« Drive Me Mad », le nouvel de MYLENE CHAMBLAIN, est disponible sur le site de l’artiste :
Bientôt deux décennies que les Lyonnais de DIESEL DUST distillent leur Southern Rock à travers l’hexagone. Sorti l’an dernier, « Just Another Day… » est probablement l’album le plus abouti du sextet, tant dans la qualité des compositions que dans sa production très soignée. Guitariste et fondateur du groupe, Raphaël Porcherot est l’un des garants de ce temple aussi rassembleur que généreux, et où les guitares rivalisent avec un harmonica devenu aussi emblématique de sa couleur musicale. Tout en revendiquant des références américaines, le groupe a également su trouver ses marques pour devenir une valeur sûre de la scène française. Entretien avec le principal compositeur d’une formation fraîche et pêchue.
– Il y a un peu moins d’un an, DIESEL DUST sortait son troisième album complet près de 20 ans après « Ghost Dance » en 2006. C’est un disque positif et volontaire, qui résume finalement assez bien votre parcours et votre état d’esprit, je trouve. Est-ce aussi ton sentiment : des passages d’obstacles et l’envie comme moteur ?
Oui, je pense que cela résume exactement l’état d’esprit du groupe. Le retour de DIESEL DUST puise son fondement dans le confinement dû au Covid et les épreuves qui lui ont été liées. Isolement, enfermement, décès, etc… Pendant cette période difficile, j’ai écrit et composé quelques morceaux pour dire les choses et évacuer les idées noires, particulièrement le décès de mon père. Ce sont ces premiers morceaux qui m’ont fait décrocher le téléphone et demander à Nico (l’harmoniciste – NDR) si ça lui disait de reprendre le groupe. Sa réponse a été immédiate et positive. Ainsi, l’écriture a continué avec cette envie viscérale d’entendre à nouveau le groupe déverser son Rock. Bon, nous faisons du Rock en France, qui plus est du Southern Rock, alors les obstacles sont nombreux. Mais l’envie est à son maximum ! (Rires)
– Justement, le Rock Sudiste en général a quelque chose d’intemporel qui vient de ses fondations-mêmes. Etonnamment, c’est la réflexion que je me suis faite en écoutant « Ghost Dance », puis « Just Another Day… » dans la foulée. Il y a une réelle continuité dans le son comme dans les morceaux. Est-ce le fruit d’une démarche artistique qui s’est imposée d’elle-même et qui résume l’essence de DIESEL DUST ?
L’intemporalité nous sied à merveille, elle permet d’effacer, en quelque sorte, ces années pendant lesquelles nous avons mis le groupe au repos. (Sourires) La continuité dans le son, les messages et l’expression de DIESEL DUST ont plusieurs facteurs. Le fait que je sois jusqu’alors le seul à écrire et composer en est un. Mais le groupe fonctionnant comme une famille, on trouve un équilibre certain en live, dans la vie en général et bien entendu lorsqu’il s’agit des arrangements des morceaux. C’est la source de notre couleur artistique. Enfin, la volonté de vouloir respecter le style, avec ses origines multiples teintées de Blues, de Country et de Rock, oriente notre musique vers une véritable signature sonore qui fait que DIESEL DUST se reconnait facilement et est accepté par tous comme un véritable combo Southern Rock.
– Raphaël, tu es le principal compositeur du groupe depuis ses débuts. On peut donc affirmer que DIESEL DUST porte ton empreinte. Pourtant, vous êtes six musiciens. Es-tu le seul à avoir des velléités d’écriture, et est-ce que certaines structures ou arrangements peuvent aussi se faire de manière collégiale parfois ?
J’ai effectivement écrit l’intégralité des précédents albums, mais la nouveauté avec le line-up actuel fait que les membres de DIESEL DUST ont aussi des velléités de composition. Nous sommes donc actuellement dans une démarche de création musicale de groupe et c’est un plaisir fantastique que d’être ensemble à chercher des idées et les mettre en forme. Cela va enrichir d’autant la palette ‘Dieseliste’ et promettre un futur album encore plus enraciné dans la continuité moderne de notre son et de nos influences diverses. Je pense que nous allons intégrer ces nouvelles compos à la setlist des lives au fur et à mesure de leur finition, afin de les présenter au public.
– Comme presque toujours dans le Southern Rock, les parties de guitares sont essentielles et DIESEL DUST ne déroge pas à la règle. Outre les riffs, les solos sont primordiaux et vous n’êtes pas en reste, loin de là. Ils font d’ailleurs souvent l’objet de beaux duels sur scène. Est-ce que vous les travaillez dans ce sens avec une marge d’improvisation pour les concerts ?
Plus que des duels, ce sont de véritables voyages en communs que représentent les chorus et les questions-réponses des solos. C’est l’un des aspects magiques indéniables du Southern Rock. Les chevauchées solistes des instruments sont permises et encouragées, comme à l’époque de ses origines, dans les 70’s. Il suffit d’écouter un live des Allman Brothers ou le « Free Bird » de Lynyrd Skynyrd pour l’entendre. Cela permet à chacun de s’exprimer pleinement et de mettre ses particularités de jeu au service de l’entité du groupe. Nous avons la chance d’avoir deux guitares et un harmonica qui peuvent envoyer des solos puissants et nous en profitons. Côté improvisation, pour le moment, nous laissons peu de place à cet aspect, même si parfois nous nous offrons la liberté de sortir du chemin tracé. Nous sommes dans une période où nous souhaitons imposer l’album « Just Another Day… » et nous faisons tout pour que le public reconnaisse les différentes parties, notamment les solos qui sont écrits note par note. Mais oui, l’impro reste une merveille sur scène et nous comptons bien lui donner plus de volume à l’avenir. C’est aussi ça l’essence du Rock, ne pas rejouer les albums à l’identique.
– J’aimerais que l’on dise un mot de l’univers visuel du groupe. L’imaginaire américain est très présent avec les peuples amérindiens également. Comment s’est fait ce choix et est-ce que c’est plus ou moins incontournable dans le Rock Sudiste, selon toi ?
Comme je le disais, nous respectons le style dans lequel nous évoluons. Le Southern Rock est né dans le Sud des Etats-Unis, là où effectivement l’image de l’Amérique est quasi sacro-sainte avec ses certitudes et ses exagérations. Ce que je retiens de cet aspect des USA dans les textes est surtout du domaine des routes poussiéreuses et du sentiment de liberté intense, réelle ou imaginaire. Le volant d’un pick-up entre les mains, du Rock Sudiste à fond dans les oreilles et on fait des milliers de kilomètres sans s’en rendre compte avec le sourire aux lèvres. C’est mon image de l’Amérique, rassurante et sans aucun doute idéalisée. Les Amérindiens ont régulièrement été évoqués dans les textes de Southern Rock, mais plutôt de manière mythologique ou poétique, souvent loin de la réalité. Toutefois des groupes comme Blackfoot ont carrément intégré dans leur chanson leur héritage, musicalement évidemment, mais aussi dans leurs traditions, ne serait-ce qu’en rappelant leur rapport à la Terre. C’est ce qui m’a frappé dans la découverte de cette culture. Elle inspire nombre de mes textes. La sagesse des lettres de Sitting Bull m’a littéralement ouvert les yeux sur ces peuples. La capacité à respecter la nature et ce qu’elle offre. La résistance de la grandeur du cœur devant les horreurs comme le massacre des familles Cheyennes à Sand Creek en 1864. De même, la générosité tribale et la force de la famille sont autant de sujets, qui font que les Amérindiens font partie intégrante de notre musique, car c’est une source d’inspiration pour tenter d’ouvrir les yeux sur les dérives de notre civilisation actuelle.
– Contrairement à ce que l’on peut penser dans l’inconscient populaire, vos textes dégagent beaucoup de générosité avec des messages de paix et de tolérance, comme c’est d’ailleurs très souvent le cas dans le registre. Est-ce que l’actualité de notre société nourrit aussi vos paroles, ou ont-elles un aspect plus intemporel et universel ?
Les deux. Nous vivons dans un monde qui n’a rien appris des leçons du passé, et qui est au bord de l’effondrement à cause de la haine, de la différence, de la religion et de l’égoïsme. Autant de sources d’aveuglement et de dissentions qui poussent les hommes à oublier que leur planète est fragile, et leur vie et leur existence encore plus. Le Southern Rock est souvent critiqué et soupçonné de diverses dérives en particulier à cause du drapeau confédéré arboré par nombre de groupes du genre. S’il est historiquement un symbole de rébellion du Sud de l’esclavage dans la guerre de Sécession, il est aujourd’hui une bannière musicale pour nous. Depuis toujours, beaucoup de musiciens du genre ont diffusé des messages d’unité et de tolérance à l’instar du Allman Brothers Band. On trouvera toujours des textes pour dire le contraire, chaque artiste est maître de ses propres mots, mais de manière générale, les messages sont plutôt positifs. Le Rock Sudiste est complexe. Il reflète la richesse de la culture du Sud d’une part et les tensions raciales des Etats qui le composent d’autre part, et il s’en trouve donc décrié. C’est pour cela que je trouve qu’il est le véhicule idéal pour prêcher la bonne parole du respect des hommes, de la tolérance et de la défense de cette mère qu’est la Terre.
– Le Southern Rock de DIESEL DUST est assez complet et ne penche pas véritablement d’un côté en particulier, comme c’est souvent le cas avec certains qui portent plus sur l’aspect Blues, le Hard Rock ou la Country. Est-ce un choix qui s’est fait dès le départ, assez naturellement, ou c’est un équilibre qu’on trouve au fil du temps ?
C’est un véritable équilibre naturel depuis la création du groupe, qui prend encore plus de sens avec le line-up actuel. Même si nous surfons toujours sur les racines du Southern Rock originel, nous intégrons nos différences pour enrichir et moderniser notre musique. Avec David (guitare) qui joue du Joe Satriani, Micka (basse) qui vient de école Punk et Jazz-Rock, Joss (batteur) qui évolue dans le Metal, Max (chant) qui est issu plutôt du Rhythm’n’Blues, Nico (harmonica) du Blues et Southern rocker convaincu, et moi-même (guitare) emprunt de Blues et de musique 70’s, il y a de quoi faire des recettes détonantes et savoureuses. C’est un aspect extraordinaire du style, car il se nourrit et s’enrichit sans cesse de toutes les musiques : Jazz, Rock, Blues, Country, irlandaises, traditionnelles, etc…
– DIESEL DUST a aussi la particularité de compter dans ses rangs un harmoniciste, Nico, et pas de manière anecdotique. C’est suffisamment rare pour être souligné. Il intervient d’ailleurs un peu en électron libre. C’est un instrument que l’on entend assez peu souvent dans le Southern Rock et il forge aussi votre identité. C’est une manière de souligner votre côté bluesy et peut-être de palier l’absence de claviers ?
Il est clair que Nico apporte une identité bluesy marquée et nécessaire dans notre style. Il ne pallie pas l’absence de claviers, il est un instrument libre à part entière, qui répond tantôt au chant, tantôt joue en solo ou crée des nappes de soutien. Il apporte de la richesse à notre palette sonore. Cela fait 20 ans que nous partageons la scène et la joie de jouer ensemble est intacte. Du coup, son harmonica est indispensable à la sonorité particulière de DIESEL DUST.
– « Just Another Day… » dispose d’une très bonne production dans un ensemble équilibré et des arrangements très soignés. Et puis, il a été masterisé aux studios Abbey Road. C’était important pour la touche finale d’apporter un certain éclat ? Et en quoi cela fait-il la différence, selon toi ?
C’est un choix dès le départ que de soigner l’ensemble de la production de l’album. C’est un investissement lourd, mais notre souhait était d’offrir un joyau, tant au niveau sonore qu’au niveau design. Les arrangements sont très importants pour nous, parce qu’ils permettent de mettre un écrin autour de la composition. Le design de la cover a été concocté par Pegpixel, un jeune créateur talentueux qui s’est appliqué à marier le texte de « Just Another Day… » à l’imagerie de DIESEL DUST et c’est une parfaite réussite. Le choix d’Abbey Road, pour la seconde fois déjà, réside dans le fait que ce studio représente pour moi en particulier, mais pour nous tous, la légende du son Rock, dans lequel j’ai été bercé et aussi une certaine fierté, reconnaissons-le. (Sourires) Mais aussi et surtout, la qualité de travail hors normes qui est la leur, a mis en valeur ce que le studio de la Soierie, où nous avons enregistré et mixé, a magistralement mis en boite. Abbey Road a fabriqué les laques pour presser le double vinyle, ce qui lui confère une qualité sonore irréprochable. Le CD et les pistes pour les plateformes numériques ont aussi été édités par eux. C’est en quelque sorte une véritable déclaration d’amour au public, qui écoutera notre album, que de travailler avec des monstres techniques pareils.
– Enfin, j’aimerais qu’on dise un mot sur la scène Southern française. Elle frémit tout doucement, mais reste bien trop discrète. Quel regard as-tu sur sa situation ? Te donne-t-elle parfois des envies d’ailleurs, surtout lorsqu’on voit l’effervescence de la scène américaine ?
Il y a tant à dire sur la France et le Rock. Trouver des dates et des débouchés dans notre pays quand on officie dans le Rock est un parcours semé d’embuches, et dans le Southern Rock, une voie presque sans issue. Ce n’est pas dans la culture de notre pays que de mettre le Rock en avant, même si on voudrait tous que cela change. Il est certain que nous avons envie d’ailleurs, de ces pays comme l’Allemagne, la Belgique ou l’Espagne pour ne citer qu’eux en Europe, qui ont un véritable amour du Rock et de tous ses styles. ‘Ailleurs’ nous apparait plus ensoleillé, c’est certain. Pourtant le Southern Rock en France possède des groupes tels que Natchez, Calibre 12, Bootleggers pour parler des plus connus, mais aussi The Owl Band, The Redneck Roots Band, Mainstreet, Gunsmoke Brothers Band et bien d’autres. C’est la confidentialité de la diffusion du genre, qui donne l’impression que ce style est peu représenté dans l’hexagone. Il faudrait que les festivals se dérident un peu dans leur programmation en arrêtant de tous programmer les mêmes choses et, pourquoi pas, que nous puissions avoir en France un véritable festival de Southern Rock. A méditer…
Le dernier album de DIESEL DUST, « Just Another Day… » est disponible chez Brennus Music.