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Emanuel Casablanca : on the way

« Hollywood Forever » est un disque assez troublant, le troisième pour le New-Yorkais. En effet, sous des traits bluesy, il nous embarque dans un univers très disparate, éclectique à souhait et qui, finalement, se cherche encore un peu. Il ne propose pas de fil conducteur, de sorte de voie à suivre et dans laquelle il pourrait s’affirmer pleinement. EMANUEL CASABLANCA séduit par sa voix feutrée et un jeu solide, mais peine un peu à convaincre en tant que véritable bluesman. Si la modernité de ses compositions est incontestable et agréable, elle pèche par un manque d’authenticité criant.

EMANUEL CASABLANCA

« Hollywood Forever »

(Bad Boy Of Blues Media)

Bad boy, EMANUEL CASABLANCA ? Pas vraiment, si l’on se refère à sa musique. Car l’Américain a plusieurs cordes à son arc, dont quelques aventures cinématographiques, un passé de basketteur et la création d’une fondation dédiée à la promotion des droits humains et de la justice sociale dans le monde, et qui est aussi le nom de son label. Donc, le musicien de Brooklyn est plutôt du côté des gentils. Et c’est tant mieux, même s’il reste sur des thèmes chers au Blues, sans vraiment toucher aux problèmes qui fâchent. Mais parlons musique !

Troisième album donc pour le guitariste et chanteur, et le moins que l’on puisse dire, c’est que « Hollywood Forever » est particulièrement riche et généreux. 16 chansons au total pour une durée d’une heure, dont un morceau-titre qui atteint presque les neuf minutes. C’est d’ailleurs peut-être là où le bât blesse. EMANUEL CASABLANCA se disperse un peu, montre des difficultés à afficher un style personnel et à insuffler sa touche à un opus qui aurait peut-être pu (et dû ?) être plus resserré, tant sur les compositions que les registres abordés.

Cela dit, la diversité de « Hollywood Forever » livre aussi de très bons moments, où alternent des passages clairement Blues Rock, d’autres plus légers et presque Pop et des parties acoustiques à l’approche pus traditionnelle. Sans être un virtuose de la six-corde, EMANUEL CASABLANCA se rattrape très bien sur les mélodies et sa voix douce très Soul lui permet bien des écarts. Dans ce dédale de titres, « The Squeeze », « Me And The Devil », « Black Man’s Burden », « India Stoker », « Lust And Lie », « Juggernaut » et « Flying » sortent du lot. 

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Blues Rock International

Jennifer Lyn & The Groove Revival : 70’s passion [Interview]

Originaire du Minnesota et dorénavant basée dans le Dakota du Nord, la chanteuse, guitariste et compositrice JENNIFER LYN poursuit son chemin avec sa formation, THE GROOVE REVIVAL, devenue une redoutable machine. Dans un Blues Rock costaud, entraînant et mélodique, elle nous fait part aujourd’hui d’une évolution notable, que ce soit dans son jeu, mais aussi dans cet esprit de groupe, forgé au fil du temps, et que ce troisième album vient véritablement consacrer. Live et organique, « Retrograde » nous plonge dans des atmosphères très 70’s que la production très actuelle parvient à parfaitement conserver. Entretien avec une artiste passionnée et touche-à-tout, qui semble avoir trouvé le parfait équilibre dans sa musique.   

– Je t’avais découvert en 2019 à la sortie de « Badlands », qui faisait suite à ton premier album « I’m All Wrong For You Baby ». Tu as ensuite enchaîné avec les EP « Nothing Holding The Down » et « Gypsy Soul », puis « Live From The Northern Plains ». Alors que sort « Retrograde », quel regard portes-tu sur ton parcours de ces six dernières années ?

Quelle aventure ! Se remémorer les débuts de l’album rend le voyage encore plus surréaliste. Des albums comme « Badlands » et « I’m All Wrong for You Baby » semblent comme des échos d’une autre époque. D’ailleurs, il s’agissait plutôt de démos brutes : je dirigeais alors un trio et je commençais tout juste à façonner ma voix d’auteure-compositrice. Maintenant, avec un groupe de cinq musiciens derrière moi, nous créons enfin le son que j’ai toujours imaginé et nous construisons un répertoire, qui capture exactement ce que nous voulions créer. Ce fut une évolution aussi folle qu’enrichissante.

– Alors que tu ne fait qu’aller de l’avant ces dernières années, ton troisième album s’intitule « Retrograde », ce qui peut surprendre. Tu as souhaité faire un contraste fort entre le titre et le contenu, ou y a-t-il un autre message ?

Mon co-auteur et membre du groupe, Richard Torrance, et moi composons une musique imprégnée de cette ambiance Rock si caractéristique des années 70. C’est cette époque qui a façonné nos goûts et qui alimente encore aujourd’hui tout ce que nous créons. Parce que notre son s’inspire de cet esprit vintage, nous avons intitulé l’album « Retrograde », en clin d’œil à cette tendance à contre-courant. C’est notre façon de prendre le contre-pied et de rendre hommage à la musique qui nous touche le plus.

– Pour te suivre depuis un moment maintenant, je trouve que ton chant a considérablement évolué. Il est nettement plus libre et le registre plus ample aussi. C’est un aspect de ta musique que tu as beaucoup travaillé et sur lequel tu t’es plus concentrée, car il est également plus fluide et varié ?

Merci, j’apprécie que tu me dises cela. Je perfectionne constamment mon jeu. Une routine régulière et ciblée m’a aidé à élargir ma tessiture et ma technique vocales au fil du temps. Chanter est une exploration continue, et j’essaie de l’aborder avec patience et curiosité : il s’agit de découvrir ce qui est possible, une note à la fois.

– Avant de parler de ce nouvel album, j’aimerais que l’on dise un mot de ton jeu de guitare. J’ai noté une évolution, pas au sens strictement technique, mais plutôt dans la façon d’aborder les riffs et les mélodies. Qu’est-ce qui a changé, selon toi, dans ton rapport à ton instrument ?

La guitare a toujours été une passion. Je m’y mets dès que j’en ai l’occasion et cette motivation constante m’a permis de progresser. Ecrire avec mon partenaire Richard, qui est un guitariste exceptionnel, me permet d’aller encore plus loin dans cette évolution. C’est lui le maître des riffs, tandis que je me concentre sur la mélodie. Ensemble, c’est un véritable processus collaboratif et créatif.

– Avec toujours cette touche 70’s, ton Blues Rock est toujours aussi percutant et sonne aussi très actuel. Cette dynamique, on la doit aussi aux musiciens qui t’accompagnent. On sent une réelle connexion entre vous. Est-ce qu’ils ont aussi participé à l’écriture de l’album, ou as-tu composé seule les chansons de « Retrograde » ?

Chaque chanson de l’album a été co-écrite avec Richard. Ensemble, nous gérons tous les aspects de l’écriture, de la composition aux arrangements jusqu’aux paroles, créant ainsi une structure complète pour chaque morceau. Une fois les chansons écrites, nos compagnons de groupe leur donnent vie en concevant chaque partie dans le respect de ces limites. S’ils ne contribuent pas à l’écriture en elle-même, leur musicalité, leur expérience et leur interprétation ajoutent profondeur et dimension à la performance finale.

– Au niveau du son, « Retrograde » est très bien produit et il offre un relief et un volume irréprochable. Dans quelles conditions l’avez-vous enregistré et as-tu aussi participé à son élaboration ?

Richard et moi coproduisons nos albums et tous nos albums studio sont enregistrés dans mon home-studio, où je m’occupe de l’ingénierie, du mixage et du mastering. Le studio est devenu mon sanctuaire créatif. J’adore le processus du début à la fin. Prendre le contrôle total de l’enregistrement est à la fois un défi et une étape extrêmement enrichissante de notre parcours.

– « Retrograde » a aussi un aspect très live. C’est important pour toi de conserver cette approche directe et toujours très Rock ?

Lors de l’enregistrement, notre objectif est de capturer le plaisir de faire de la musique ensemble. Il ne s’agit pas seulement des morceaux : nous apprécions sincèrement la compagnie des autres et cette connexion nourrit l’énergie créative qui règne dans la pièce. On nous a dit que l’album avait un côté live et nous pensons que cela reflète le plaisir et l’alchimie que nous avons partagés pendant l’enregistrement.

– Ce qui ressort aussi de « Retrograde », c’est cette belle complicité avec Richard Torrance à la guitare. Y a-t-il beaucoup d’échange entre vous sur le jeu et de quelle manière vous répartissez-vous les rôles entre la rythmique et le lead ?

Richard est notre guitariste principal et il a une façon unique de s’exprimer à travers ses solos : ils sont vraiment parlants. Lorsqu’un morceau nécessite deux parties de guitare solo, c’est là que j’interviens. J’aime échanger et superposer des lignes solo avec lui lorsque cela enrichit le morceau. Côté rythmique, nous nous concentrons sur la création de parties complémentaires qui étoffent la gamme de fréquences de la guitare, en utilisant des voicings (la disposition des notes pour réaliser un accord – NDR) et des textures variés qui se complètent et soutiennent le son global.

– L’album fait aussi la part belle aux émotions avec des chansons plus calmes et mid-tempos, et l’orgue apporte aussi beaucoup de chaleur. L’objectif était-il aussi d’être le plus organique possible, de rester connecter au Blues originel, tout en restant très électrique et actuel dans l’ensemble ?

Absolument. La musique que nous aimons créer est profondément ancrée dans le Blues, et puiser dans ces racines apporte richesse et profondeur à tout ce que nous faisons. Barb Jiskra, notre claviériste, apporte ce caractère vintage au mix, ajoutant des sonorités Soul et Old School, qui complètent parfaitement les guitares et le groove de Jim Anderson à la batterie et de Nolyn Falcon à la basse. C’est ce mélange qui donne à notre son sa signature.

– Enfin, ces dernières années, tu as été plusieurs fois nominée aux ‘Independent Blues Music Awards’ et tes trois derniers disques se sont touts classés dans le Top 10 des radios Blues américaines. Malgré toutes ces reconnaissances, tu n’es pas intéressée par une signature sur un label, ou est-ce que tu tiens à garder ta liberté artistique ?

Les labels ont leur place dans l’industrie, mais nous n’avons jamais laissé l’absence de représentation majeure nous freiner. Notre lien avec les fans a toujours été notre principal moteur. Au-delà de la musique elle-même, c’est le fondement de tout ce que nous faisons. Rester indépendant présente de réels avantages. Des artistes comme Joe Bonamassa ont ouvert la voie et cela se produit désormais dans tous les genres. Certes, il faut se démener pour ouvrir des portes qui autrement resteraient fermées sans label, mais elles ne sont pas verrouillées. Il suffit de continuer à frapper.

Les albums de JENNIFER LYN & THE GROOVE REVIVAL sont disponibles sur le site de l’artiste : https://jlynandthegrooverevival.com/

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Blues Rock folk

Vanja Sky : access all Blues

Si à l’Est de l’Europe, la Serbe Ana Popovic brille de mille feux, il faudra dorénavant aussi compter aussi sur la Croate VANJA SKY, qui n’a rien à lui envier. Elle se dévoile comme une musicienne accomplie, une chanteuse polyvalente et une songwriter très inspirée. Avec « Access All Areas – Live », elle démontre sur la totalité d’un concert qu’elle est une incroyable et captivante frontwoman. Sans filet et avec audace, elle séduit sans mal un auditoire attentif et conquis.

VANJA SKY

« Access All Areas – Live »

(Flick The Flame)

Depuis la sortie de « Bad Penny » en 2018, VANJA SKY multiplie les concerts et semble même passer sa vie à en donner. Quittant parfois la route, elle a tout de même enregistré « Woman Named Trouble « (2020), puis « Reborn » (2023) et figure même aux côtés de Mike Zito et de Bernard Allison sur le « Blues Caravan Live 2018 », chapitre de la belle série en trio de Ruf Records. Autant dire que la chanteuse et guitariste ne manque pas d’expérience, bien au contraire, et que la scène, comme cela s’entend ici, est véritablement son jardin.

C’est finalement assez normal de retrouver un témoignage discographique en public aussi rapidement dans son parcours. Et l’enregistrement est même très récent, puisque « Access All Areas – Live » a été capté en une soirée au Theaterstübchen de Kassel en Allemagne le 28 janvier 2024. Le temps d’un double-album, VANJA SKY présente 16 chansons marquantes de son répertoire, dont quelques reprises comme « Shadow Play » de Rory Gallagher (l’une de ses références), ou les plus connues « Louie, Louie » et « Wild Thing ».

Ce qui est toujours étonnant dans le jeu de la Croate, c’est qu’elle a parfaitement assimilé de très nombreux courants du Blues pour atteindre une personnalité musicale forte. Si l’on perçoit du Chrissie Hynde dans la voix, c’est plutôt du côté du Texas et chez SRV que son jeu de guitare prend racine. Grâce à une setlist savamment étudiée, VANJA SKY nous embarque pour plus d’une heure et demi entre Blues Rock, moments Folk et Southern, ou d’autres plus Old School et Classic Rock. Attachante et virtuose, elle subjugue et on en redemande !

Photo : Adam Kennedy

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Blues Chicago Blues Hill Country Blues Soul / Funk

Tony Holiday : une classe éblouissante

Si TONY HOLIDAY se présente avec des réalisations surpassant les précédentes sur un tel rythme, il devrait toucher la perfection d’ici peu. D’une écriture éclatante et entouré d’incroyables musiciens, il parvient à un somptueux mélange des genres, où les guitares rivalisent avec les cuivres, l’orgue et l’harmonica dans une rare harmonie. Avec « Keep You Head Up », le bluesman s’affirme comme une valeur sûre et incontournable de la scène Blues actuelle.

TONY HOLIDAY

« Keep Your Head Up »

(Forty Below Records)

TONY HOLIDAY a de la suite dans les idées et c’est peu de le dire. Septième album depuis « Porch Sessions », son premier opus sorti en 2019, et alors qu’on pourrait imaginer un certain essoufflement, c’est tout le contraire. Le chanteur se bonifie disque après disque et son style s’affine d’autant plus vite. Originaire de l’Utah et installé à Memphis depuis 2017, le songwriter distille un Soul Blues très expressif, basé sur un savant mix de Blues texan, de celui de Chicago aussi et de Blues Rock auquel il faut ajouter une touche de Hill Country. Et le pont entre les styles est solide.

Et le plus surprenant chez l’Américain est qu’il parvient à conserver une touche Old School tout en se présentant avec des chansons modernes dans leur écriture comme dans le son. Et pour « Keep Your Head Up », TONY HOLIDAY a fait appel à de très nombreux musiciens, dont quelques invités de renom. Enregistrés entre le Tennessee et la Californie par Eric Corne, les huit morceaux sont impressionnants de feeling et de finesse d’interprétation, et la profondeur, tout comme le relief et la chaleur, de la production sont exceptionnels. En somme, on cherche en vain les défauts.

Même si « Keep Your Head Up » ne s’étend que sur une demi-heure, les surprises sont nombreuses. Avec Eddie 9V sur le funky « She’s A Burglar », en duo avec le brillant Kevin Burt sur « Twist My Fate », accompagné par la guitare de Laura Chavez sur « Shoulda Known Better » ou aux côtés d’Albert Castiglia sur « Drive It Home », TONY HOLIDAY est à l’aise dans tous les registres. Y allant de son tonique harmonica sur trois titres, il porte littéralement ce nouvel album de sa voix enveloppante et tellement Soul. Une fois encore, il nous régale avec talent et on en redemande.

Photo : Mary Gunning

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Blues Rock Delta Blues Soul / Funk

Kustan Adam : on the way to the summits

Compositeur, guitariste et chanteur, KUSTAN ADAM présente un deuxième album constitué de Blues Rock énergique et de titres plus Funky et Soul. « Pretty Black Suit » est un beau condensé du savoir-faire et du raffinement musical du Hongrois. Entre accords bien sentis et solos enflammés, il réussit à capter l’attention grâce à une approche très élégante et des mélodies imparables. Toujours réalisé en indépendant, le musicien ne devrait pas tarder à être approché par de sérieux labels.

KUSTAN ADAM

« Pretty Black Suit »

(Independant)

Après un  premier effort convaincant en 2021, « I Ain’t Got A Car », KUSTAN ADAM confirme ses débuts prometteurs avec « Pretty Black Suit ». Le Hongrois a passé du temps sur la route, s’est aguerri et cela s’entend. De retour avec son power trio, son Blues Rock aux saveurs Soul a pris du volume et, grâce à une production très soignée, son jeu de guitare resplendit et pas seulement. Ses talents de songwriter montrent aussi un artiste plus mature et qui élargit aussi son spectre musical dans une polyvalence stylistique très bien maîtrisée.

Très imprégné d’un Rock 60’s savoureux, KUSTAN ADAM distille un Blues moderne qui ne renie pas non plus ses racines, notamment celles du Delta. Dynamique et jouant sur une certaine légèreté qui rend ses morceaux assez aériens, le bluesman s’avère être aussi un très bon chanteur. Sa jeunesse apporte également beaucoup de fraîcheur sur ce « Pretty Black Suit », bien trop court au final. Rock, Funky ou Soul, il s’approprie tous ces registres avec facilité et une séduisante décontraction, qui rend l’ensemble très fluide.

En libérant un riff bien fuzz dès le départ sur « Little Blue Man », KUSTAN ADAM montre qu’il n’a pas froid aux yeux et ce deuxième opus s’annonce haut en couleur. Même si la suite est plus posée (« I’m Alone »), le très Funky « We Were Born » remet du tonus avant la belle slide de « Young Boy ». Et c’est « Travellin’ Man » et son Blues Rock contagieux qui emporte tout grâce aussi à un superbe dialogue avec sa choriste. Des douces notes de trompette sur le morceau-titre, jusqu’au délicat « Going Down To Memphis », on est tenu en haleine.

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Blues Rock Heavy Blues

Erja Lyytinen : un Blues épiné

Suave et percutante, ERJA LYYTINEN a le don de se renouveler à chaque réalisation, comme si elle partait à la recherche d’elle-même. Avec « Smell The Roses », c’est l’efficacité qui prime. Non qu’elle ait perdu la délicatesse de son jeu, ou toutes les nuances de son chant, bien au contraire, mais la songwriter a délibérément choisi une approche plus épurée… Et que cela lui va très bien ! Entre une lumière presqu’éblouissante et la noirceur des abysses, la frontwoman s’affirme comme jamais, faisant preuve d’une maturité artistique élégante et forte.

ERJA LYYTINEN

« Smell The Roses »

(Tuohi Records)

A peine avait-elle sorti ce treizième et très électrique nouvel album qu’ERJA LYYTINEN reprenait la route pour y délivrer son Blues Rock. Il faut dire que la Finlandaise n’est jamais aussi bien que sur scène, son terrain de jeu favori, là où sa musique prend toute son ampleur. D’autant qu’avec « Smell The Roses », la musicienne a sérieusement musclé son jeu poussant son registre jusque dans des contrées aux riffs Hard Rock. Bien sûr, l’ensemble porte toujours cette touche inimitable guidée par une féminité affirmée et un Rock moderne, nappé d’un Blues audacieux.

Depuis deux décennies, ERJA LYYTINEN est devenue une artiste incontournable de la scène Blues Rock mondiale, rivalisant sans peine avec ses consœurs les plus médiatisées. Il y a chez elle un parfum et une saveur très nordiques, qui offrent des sonorités spéciales à ce Blues Rock explosif. Cette fois, elle a souhaité faire de ce « Smell The Roses » un disque résolument Rock, à base de riffs puissants et massifs, de refrains imparables et entêtants, portés par des solos incandescents et où la reine de la slide se fait immensément plaisir. Il y beaucoup de vie et d’énergie sur les neuf titres de cet opus.   

En formation classique et dans un style peut-être plus frontal qu’à l’habitude, la guitariste et chanteuse ne s’économise pas une seul instant, même si elle laisse toujours une belle place à des chansons plus intimes et personnelles, laissant ainsi sa douceur s’exprimer (« Empty Hours »). Et si le morceau-titre est déjà incontournable, d’autres surprises se nichent au cœur de « Smell The Roses ». «  Going To Hell », « Abyss » ou « Stoney Creek » captivent par leur relief, tandis que « Dragonfly » ou « The Ring » laissent cette impression de contrôle et de détermination, si présente chez elle. Et quelle voix !  

Photo : Adam Kennedy

Retrouvez la récente interview de l’artiste et les chroniques de ses deux derniers albums :

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Blues Folk/Americana Rock

Nina Attal : les cordes sensibles

Compositrice, chanteuse et guitariste accomplie, NINA ATTAL se présente avec une cinquième réalisation très aboutie, remarquablement bien produite et d’une belle diversité. Fluide et instinctif, son jeu paraît évident, malgré une technicité de chaque instant qui se niche au creux de chaque arrangement. Avec beaucoup de fraîcheur et d’énergie, « Tales Of A Guitar Woman » est la signature d’une artiste aguerrie et pleine de ressources. Organique et moderne.

NINA ATTAL

« Tales Of A Guitar Woman »

(LVCO)

Ce qui caractérise notamment NINA ATTAL depuis ses débuts il y a un peu plus de 15 ans, c’est son indépendance et sa liberté artistique. Et c’est sûrement ce qui a contribué à son éclosion et sa longévité… au-delà de son talent, bien sûr. Devenue incontournable sur la scène Rock et Blues française, elle s’est affranchi des frontières musicales depuis longtemps déjà pour laisser éclore un style très personnel où la Folk, le Rock, l’Americana et la Pop trouvent refuge autour d’un Blues rassembleur, qui fait le guide.

Quatre ans après un resplendissant « Pieces Of Soul », NINA ATTAL livre son cinquième album et il se montre largement à la hauteur des attentes. Très introspectif dans les textes, il est aussi une véritable déclaration d’amour à son instrument : la guitare. Et sur « Tales Of A Guitar Woman », elle passe de l’électrique à l’acoustique, de la 12 cordes au dobro avec la même dextérité, le même feeling et cette même technique qui fait d’elle l’une des plus impressionnantes et éclectiques musiciennes du paysage musical actuel.

Composé de 13 chansons, ce nouvel opus nous conte aussi 13 histoires, qui sont autant de propos intimes que de réflexions sur l’état de notre monde. NINA ATTAL joue sur les émotions avec douceur, toujours chevillée à cette explosivité qu’on lui connaît. Incendiaire ou délicate, la musicienne reste d’une spontanéité constante, et peu importe le style abordé. Enfin, « Tales Of A Guitar Woman » compte également trois titres en français et des duos, qui viennent confirmer sa polyvalence et un sens du songwriting imparable. Intense !

Retrouvez également sa récente interview et la chronique de « Pieces Of Soul » :

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International Rock US

Miss Velvet : Cinematic Rock [Interview]

Lorsque l’on vit sa musique sur grand écran, autant être armé de fortes certitudes. C’est précisément le cas de MISS VELVET, qui signe un nouvel EP, « Triptych », dans la lignée de son premier album « Traveler ». Audacieux, passionné, sensible et sauvage, son Rock est à son image : moderne, brute, puissante et insaisissable. Derrière ce personnage qu’elle s’est entièrement créé et qu’elle façonne au fil du temps, se cache une chanteuse et compositrice à la vision claire et qui offre un nouvel éclat au Rock US, estampillé californien, avec beaucoup de force et de nuances. Entretien (fleuve) avec une artiste décidée, intrépide et féministe, qui marie son univers à celui de la mode dans un grand écart qu’elle vit et qu’elle assume pleinement.

– Avant d’arriver sur la côte ouest des Etats-Unis, tu vivais à New-York où tu chantais dans le groupe The Blue Wolf. Le style était plus urbain, avec beaucoup de cuivres et un petit côté funky. Pourquoi vous êtes-vous séparés après deux albums, et est-ce ce split qui a motivé ton déménagement pour la Californie ?

Avant la pandémie, j’ai eu un grand coup de chance à New-York en auditionnant pour George Clinton et Parliament Funkadelic au ‘B.B. King’s’ de Times Square. C’était un appel de dernière minute : un des programmateurs, qui connaissait mon manager à l’époque, m’a demandé si nous pouvions monter sur scène pendant la balance. Je jouais avec mon groupe depuis des années, dont certains d’entre nous depuis sept, huit, voire dix ans, et nous nous démenions sur la scène new-yorkaise. Ce soir-là, on nous a dit qu’on pouvait jouer un morceau, et qu’un membre de l’équipe de Parliament Funkadelic l’enregistrerait sur son téléphone et le montrerait à George, assis dehors dans son van. Et c’est ce qu’ils ont fait. Cinq minutes plus tard, on nous annonçait que nous avions le concert.

On était censé monter sur scène à l’ouverture des portes, mais George nous a fait l’incroyable cadeau de nous laisser monter sur scène à 20h, son créneau le plus important, dans une salle comble. Ce soir-là, tout a changé. Le lendemain, on a reçu un appel : 45 dates avec George. Cela a donné lieu à 60… puis 80… puis plus de 120 concerts et deux tournées mondiales. C’était électrique. Nous formions une équipe soudée et nous avions l’impression d’avoir enfin percé.

Puis la pandémie a frappé, et tout s’est arrêté. Ce calme était déstabilisant pour un musicien en tournée. On passe d’un mouvement constant à un arrêt total. Pendant ce temps, beaucoup de choses ont changé. Nous avons commencé à parler de choses en solo, de nouveaux projets. Et sur le plan personnel, j’ai renoué avec l’amour de ma vie. Je suis tombée enceinte. Le groupe s’est séparé. C’était un étrange croisement entre perte et renouveau, et chagrin et profond épanouissement. Je faisais le deuil de la vie que j’avais construite avec mon groupe, tout en entrant dans une nouvelle, en créant littéralement la vie.

Après la naissance de mon premier enfant, nous étions encore en pleine pandémie, et mon mari et moi avons décidé de déménager en Californie. Nous en rêvions depuis des années. J’avais toujours imaginé que l’Ouest s’insinuerait dans ma musique et j’étais prête à recommencer. J’appelle cette période ma période d’incubation : la naissance de moi-même en tant que mère, en tant que femme et aussi la renaissance de MISS VELVET.

– Avoir traversé tout le pays t’a-t-il fait évoluer musicalement pour livrer aujourd’hui un Rock moderne, teinté de Hard et de Classic Rock ? Tu as finalement adopté un style qui colle à l’atmosphère de Los Angeles. Est-ce que tout cela s’est fait assez naturellement ?

La Californie a toujours porté en moi cette énergie mythique, un sentiment d’Americana ancré dans l’immensité de l’Ouest. Les sons qui sortaient de Laurel Canyon, la tradition narrative, cet esprit troubadour, comme les Eagles, Joni Mitchell, ces voix semblaient m’appeler bien avant même que j’y pose les pieds. Il y a quelque chose de particulier en Californie… La façon dont les montagnes se brisent dans la mer, les aigles au-dessus de ma tête, les routes sans fin qui mènent de la côte au désert de Mojave. C’est surréaliste et cinématographique, et en tant qu’artiste, j’avais soif de cette énergie naturelle brute.

A mon arrivée, je savais que ce nouveau chapitre de MISS VELVET refléterait cela. Sonorité, style, émotion : tout a commencé à s’harmoniser. Et oui, c’est arrivé de manière incroyablement naturelle, car j’en avais soif. J’avais cette vision en moi depuis si longtemps, et quand je suis arrivée ici, je me suis jetée à corps perdu. Les paysages ont directement inspiré la musique et les images. C’est pourquoi nous avons entièrement tourné « Triptych » dans le désert de Mojave. L’environnement n’était pas seulement un décor, il fait partie intégrante de l’histoire.

Il existe une longue tradition de musiciens puisant dans l’âme de la Californie, et je voulais faire de même, tout en la fusionnant avec les éléments modernes et surréalistes que j’explorais. J’ai adoré l’idée d’associer l’ouverture brute du désert à la haute couture, de mélanger le Classic Rock à une production moderne et à des textures inattendues. Il s’agissait de trouver cet équilibre : quelque chose d’intemporel, mais aussi résolument actuel.

– Ton premier album sous le nom de MISS VELVET, « Traveler », est sorti en novembre 2023. Ton adaptation à Los Angeles s’est donc faite très rapidement. As-tu immédiatement commencé à composer et à façonner ce personnage que tu revêts et que tu revendiques aujourd’hui ?

Tout s’est passé très vite, même si sur le moment, cela m’a semblé incroyablement intimidant. Je n’oublierai jamais l’un de mes premiers trajets sur l’emblématique PCH avec  l’océan à ma gauche, les montagnes à ma droite et, sorti de nulle part, cet oiseau massif, peut-être un aigle, qui a traversé la route devant ma voiture. Son envergure était immense. Il était si calme, planant simplement sur ce décor sauvage. Et j’ai eu cette sensation de sortie du corps, comme si le temps avait ralenti. J’ai levé les yeux vers la montagne et je l’ai ressenti : le poids de ce que j’allais accomplir. J’étais arrivée en Californie sans connaître personne. Je prenais un nouveau départ. Et cette montagne représentait l’ascension qui m’attendait. Mais voir cet aigle voler avec tant d’aisance dans le vent m’a redonné de la force. C’était comme un message. Un rappel de force, de vision, d’objectif. Ce moment est resté gravé dans ma mémoire.

À partir de ce moment-là, j’ai plongé tête baissée. J’avais passé tant de temps à garder cette version de moi-même juste sous la surface, cette nouvelle version de MISS VELVET, cette femme façonnée par la perte, l’amour, la renaissance et la maternité. J’étais prête à exprimer tout ce que je portais en moi, à le filtrer à travers cet espace exalté et fantastique qu’occupe MISS VELVET. Elle est devenue le réceptacle de ce que j’avais de plus authentique.

Et puis, comme par hasard, j’ai rencontré ensuite ma partenaire créative actuelle, Esjay Jones. C’était absolument électrique. Deux personnes avec des histoires profondes, des vérités brutes et quelque chose à dire et prêtes à créer. Dès le début, il était clair qu’il ne s’agissait pas d’une simple collaboration. C’était de l’alchimie.

– Et il y a donc eu ta rencontre avec la compositrice et productrice Esjay Jones avec qui tu as co-produit et co-écrit « Traveler », puis « Triptych » récemment. La connexion entre vous semble incroyable. En quoi ce travail à deux a-t-il fait évoluer, et peut-être aussi, grandir ta musique et ta manière de l’aborder ?

Il se produit quelque chose d’incroyablement puissant lorsque deux femmes s’unissent avec force, confiance, respect et sans ego. C’est ça, travailler avec Esjay. Dès le départ, il y avait cette compréhension tacite que nous pouvions être pleinement nous-mêmes, explorer des idées folles, repousser les limites et créer sans crainte. Ce genre de partenariat créatif est une sécurité. C’est rare. Et cela a été une véritable transformation.

Avec « Triptych », la vision m’est venue presque comme un téléchargement : cet univers visuel et cinématographique que je voulais créer. Je l’ai apporté à Esjay et je lui ai dit : « Je veux écrire une bande originale pour ce film qui n’existe que dans ma tête ». J’avais ce concept de trois singles principaux, mais sept titres au total, avec des interludes et des changements de genres : cette histoire en trois actes. Et elle a immédiatement compris. Cette confiance et cette liberté créative sont essentielles.

On en parle souvent : MISS VELVET est une voyageuse de possibilités. Cette phrase est présente dans les paroles de « Traveler », mais c’est aussi une sorte de mantra qui guide notre façon de fonctionner. On retrouve des éléments de décor dans les deux albums : philosophie, visuels et même le symbolisme du tailleur à rayures, présent dans les deux projets. Dans « Triptych », elle le porte à nouveau, cette fois en blanc, et s’éloigne. Ce sont des choix réfléchis. Nous construisons ensemble une mythologie évolutive.

Ce qui rend ce partenariat encore plus spécial, c’est que nous naviguons toutes les deux sur des trajectoires similaires : en tant que femmes, en tant qu’artistes et en tant que créatrices trentenaires conciliant vie, identité, ambition et famille. Ce sont les sujets dont nous parlons. Ce sont les histoires que nous voulons raconter. Et en travaillant ensemble, j’ai découvert certaines des facettes les plus sincères de moi-même, celles que je souhaitais depuis longtemps exprimer en musique.

Esjay n’a jamais cherché à édulcorer quoi que ce soit. Elle respecte la voix. Elle comprend la puissance de ce qui est profondément identifiable et brut. Avoir une collaboratrice comme elle, qui comprend l’histoire dans son intégralité, qui vous rencontre dans l’histoire, c’est non seulement libérateur, mais aussi inspirant. Nous nous améliorons mutuellement.

– « Traveler » est un album explosif, mais aussi très personnel et intime dans les textes et avec des chansons qui sonnent presque Folk parfois. Est-ce que le fait d’être dorénavant en solo te permet-il d’aborder des sujets que tu n’aurais pas pu, ou oser, faire en groupe ?

Absolument. Etre solo, et surtout, avoir plus confiance en moi, m’a donné la liberté d’approfondir des sujets dont je n’aurais peut-être pas eu l’espace ou le courage d’explorer en groupe. MISS VELVET est devenue un réceptacle qui me permet d’appréhender les événements de ma vie en temps réel.

Avec « Traveler », l’accent n’était pas tant mis sur la maternité que sur le déménagement émotionnel et physique de New-York à la Californie. Ce changement, c’est-à-dire ​​quitter une ville, un groupe, une vie que j’avais construite, et s’aventurer vers l’inconnu a été radical. Ça se ressent dans la musique. Il y a des moments sur « Traveler » qui sont véritablement Rock’n’Roll dans tous les sens du terme. Et c’était très intentionnel. C’était comme si je devais honorer le son et l’esprit qui m’avaient portée jusque-là avant de pouvoir m’en libérer pleinement. Je m’accrochais encore, d’une certaine manière, au poids de ce que je laissais derrière moi.

« Traveler » est donc devenu ce pont, un disque sur l’entre-deux. Sur le mouvement, l’incertitude et le début de la transformation. Et ce n’est qu’après avoir réalisé cet album que j’ai pu m’immerger pleinement dans l’espace décomplexé de « Triptych ». C’est l’endroit où je me suis enfin autorisé à explorer non seulement des thèmes émotionnels plus profonds comme la trahison, l’amour-propre radical, le deuil et le temps, mais aussi à expérimenter pleinement le paysage sonore. C’est devenu un espace d’exploration sonore audacieux. J’ai fusionné les genres que j’ai toujours aimés comme des éléments de tragédie grecque et de chœur, de la guitare flamenco, des cordes orchestrales luxuriantes, des thèmes de cinéma jusqu’à ce que j’appelle aujourd’hui le ‘Rock cinématographique’. Il s’agissait de créer quelque chose qui soit à la fois mythique et moderne. Théâtral, mais profondément personnel. C’est le moment le plus expansif et le plus libre que je n’aie jamais vécu.

– Il y a un réel esprit de liberté sur tes deux disques, « Traveler » et « Triptych », et cela se traduit par un Rock US puissant, avec aussi beaucoup de soins apportés aux arrangements comme le piano et les cordes, par exemple. C’était important pour toi que ta musique ne sonne pas trop brut pour garder peut-être aussi un côté féminin plus appuyé ?

Absolument. Mais je pense qu’il est important d’élargir ce que l’on entend par ‘féminin’. Pour moi, le féminin ne se résume pas à la douceur ou à l’élégance : c’est la profondeur, l’intuition, l’ancrage et la férocité. Avec « Triptych », je voulais me réapproprier le véritable sens du pouvoir féminin. Et cela impliquait d’accepter la vulnérabilité et la force. La beauté et la rage. La tendresse et les limites.

Il y a tellement de liberté là-dedans. Dans « Strut », on voit MISS VELVET s’abandonner à un amour-propre féroce et sans complexe. Et dans « Hallelujah », on perçoit quelque chose d’aussi puissant : l’acceptation. Même l’amour de l’ennemi. Une compréhension où l’on peut faire preuve de compassion, tout en revendiquant ce qui nous appartient. Qu’on peut tenir bon sans perdre sa grâce. Que tracer des limites ne vous rend pas dur, mais vous rend entier.

Je voulais que la musique reflète cette dualité. Les arrangements (cordes, piano, chœur) véhiculent émotion et mythe. Ils laissent la musique respirer d’une manière expansive et cinématographique. Mais l’énergie est toujours là. La puissance. L’architecture émotionnelle qui maintient les énergies masculines et féminines en tension. MISS VELVET vit dans cet espace : la liberté de s’appuyer sur les deux, d’explorer l’androgynie, d’être fluide, autoritaire, tendre et indomptable. C’est la beauté de « Triptych ». Il ne s’agit pas seulement de reconquérir le pouvoir, mais de redéfinir ce à quoi ce pouvoir ressemble et sonne.

– Justement, tu affirmes clairement ta féminité, ce qui n’est pas très simple dans l’industrie du Rock. Est-ce que revendiquer et véhiculer à travers ta musique un certain féminisme est important à tes yeux aussi ?

Ce n’est pas seulement important, c’est indissociable de l’art. Je ne considère pas le féminisme comme quelque chose que je dois intégrer à la musique : c’est la musique. Il est dans mes choix, des histoires que je raconte et de la façon dont j’incarne MISS VELVET. Il est dans le pouvoir de revendiquer ma propre voix sans compromis, de refuser d’être réduite ou adoucie pour le confort des autres.

Ce que j’affirme, ce n’est pas seulement la féminité, c’est tout le spectre de la condition féminine. Cela inclut la rage, la sensualité, le chagrin, la douceur, le glamour, la sérénité, la sauvagerie, la maternité, l’ambition, la contradiction, la sagesse. Tout est là. Et je pense que nous sommes enfin à un moment culturel où nous pouvons cesser de demander aux femmes de choisir une version d’elles-mêmes et de l’interpréter poliment. MISS VELVET vise à briser ce binaire. Elle vit à l’intersection de la féminité et de la vulnérabilité, du sacré et du profane.

Dans une industrie dominée par les hommes, surtout dans le Rock, affirmer une présence féminine, qui n’est pas conçue pour le regard masculin, peut être difficile. Mais je ne suis pas ici pour jouer selon les règles des autres. Je suis là pour élargir le récit. Pour montrer que le pouvoir féminin peut être raffiné et primordial. Ancré et indompté. Que le féminisme n’est pas une question de rejet, mais de revendication.

Alors oui, c’est profondément ancré dans ce que je fais. Non pas comme une déclaration, mais comme un droit inné. Comme une vérité que je vis haut et fort.

– Tu viens tout juste de sortir « Triptych », qui s’inscrit dans la continuité de l’album. Les trois nouveaux morceaux sont accompagnés d’interludes, mais aussi et surtout, il s’agit d’un véritable concept vidéo que tu as décliné sous la forme d’une tragédie grecque. D’où t’est venue l’idée à laquelle tu as aussi associé beaucoup d’esthétisme dans l’image?

L’idée de « Triptych » m’est venue lors d’un de ces moments rares et divins. J’étais assise sur ces rochers volcaniques noirs à Hawaï, lors d’un voyage avec mes enfants et mon mari. Je médite quotidiennement, cela fait partie de ma vie depuis huit ans, et ce matin-là, je venais de terminer une méditation lorsque je suis entrée dans ce magnifique espace intermédiaire : ni complètement revenue au présent, ni complètement ailleurs. A cet instant crucial, j’ai téléchargé l’intégralité de « Triptych ». J’ai revu chaque scène. L’arc narratif complet. L’Odyssée de MISS VELVET.

A l’époque, je traversais une période profondément douloureuse : la trahison de quelqu’un qu’on a aimé et en qui on avait confiance. C’est bouleversant. Cela vous bouleverse profondément. Et j’étais au point où j’avais le sentiment d’être dos au mur. Avec le recul, j’ai confié cette douleur à la seule personne capable de la porter sans se briser : MISS VELVET. Je me suis demandée : comment allait-elle affronter cela ? Et « Triptych » est devenu la solution. Dans la première partie, « Pistols At Dawn » », on voit MISS VELVET et son ennemie : MISS VELVET sur un cheval noir, l’ennemie dans une Mustang noire. On ne voit jamais le duel, mais l’image est claire : les deux forces se croisent en formation de V, filmées d’en haut. A la fin, elle se tient seule, une gaze rouge tombant de ses mains, symbolisant qu’elle a affronté l’ennemie et en est ressortie transformée, avec du sang métaphorique sur les mains. C’est la mort de l’illusion.

Puis, le chœur inspiré de la tragédie grecque la guide vers la deuxième partie : « Strut ». C’est l’instant d’un amour-propre triomphant, féroce et sans complexe. Entourée d’une communauté diversifiée de personnes s’exprimant dans leur forme la plus authentique, MISS VELVET est à la fois témoin et bénéficiaire de cet amour, et elle le lui rend au centuple. C’est une célébration de la reconquête.

Enfin, le chœur la conduit vers la troisième partie : « Hallelujah ». Un jugement spirituel. MISS VELVET est maintenant vêtue de blanc, debout sur une scène circulaire blanche, entourée du chœur, également en blanc. C’est l’acceptation totale. C’est la suite silencieuse, le moment de la transformation. Elle a affronté la trahison, revendiqué l’amour-propre, et arrive maintenant à un état de grâce, où elle peut aimer même son ennemi, tout en restant pleinement fidèle à sa vérité. « Triptych » s’achève sur la coda : une composition de cordes, sans paroles. MISS VELVET s’éloigne de la caméra, vers la suite. Ce n’est pas une fin, c’est un début.

Pour moi, « Triptych » était une forme d’alchimie émotionnelle. J’ai pris quelque chose que je pouvais à peine assimiler en temps réel et je l’ai traduit dans un monde visuel fantastique, où je pouvais l’affronter à travers l’art. Cela n’a pas fait disparaître la douleur, mais cela m’a offert un réceptacle. Une libération. Et ce faisant, je suis devenue une meilleure version de moi-même. Une meilleure mère, une meilleure épouse et une artiste plus honnête.

– Tu es aussi très présente sur les réseaux sociaux et très suivie. Accordes-tu beaucoup d’importance à ton image, car tu t’intéresses également de près à la mode ? Même si c’est très normal aujourd’hui, ça l’est un peu moins dans le monde du Rock. Comment gères-tu cela et est-ce que concilier ces deux passions te demande de bien les distinguer ?

C’est intéressant, car je ne vois pas vraiment cela comme une combinaison de deux passions distinctes. Pour moi, la mode, la musique, la narration, le langage visuel, tout cela fait partie d’une même impulsion. J’aime utiliser les réseaux sociaux comme une sorte de journal intime. Cela me permet de partager des idées au fur et à mesure qu’elles arrivent, qu’il s’agisse d’une nouvelle vision mode, d’un croquis sonore, d’un moment de ma vie de famille ou simplement d’une émotion du jour. C’est devenu un moyen de faire découvrir l’univers évolutif de MISS VELVET, non seulement en tant qu’artiste, mais comme une expérience artistique à 360°.

Et oui, il y a toujours du bon, du mauvais et du truand avec les réseaux sociaux, mais j’essaie de les aborder comme une extension de l’art. C’est là que je peux exprimer différentes facettes de MISS VELVET : un jour, ce peut être du glamour, le lendemain, une maternité brute, le surlendemain, un teaser conceptuel. Rien de tout cela n’est linéaire. C’est circulaire. Expansif. Ces derniers temps, je me sens de plus en plus attirée par le mot ‘artiste’. Pas seulement ‘artiste d’enregistrement’, même si cela fait partie de moi, mais artiste au sens large et plus sauvage du terme. J’en ai parlé avec mon label et mon équipe : cette idée que MISS VELVET est une entité créative vivante et dynamique. Et cela implique d’explorer de nouveaux espaces de performance, de nouveaux formats visuels, de nouvelles façons d’interagir avec le public au-delà du modèle traditionnel des tournées.

Je suis enthousiasmée par l’idée qu’il n’y ait plus qu’une seule façon de faire. Nous vivons une époque où les frontières entre les disciplines s’estompent, et cela me donne une immense liberté. Les réseaux sociaux font partie intégrante de cette danse. Et les ‘Velvets’, cette communauté qui m’a trouvée en chemin, en font partie aussi. C’est vraiment exaltant. Grandir et évoluer en temps réel et inviter les autres à en être témoins.

– Enfin, j’imagine que tu dois être impatiente de présenter tes nouvelles chansons sur scène. As-tu des projets dans ce sens aux Etats-Unis ou en Europe où tu étais récemment ?

Absolument ! J’ai hâte de retourner sur scène et de partager cette nouvelle version de MISS VELVET. Le spectacle vivant est le point de départ de tout pour moi, et honnêtement, c’est la raison pour laquelle je fais tout cela. Rien n’est comparable à ce contact électrique et humain avec le public. Cet échange d’énergie, ce moment où tout devient réel.

Je suis particulièrement impatiente de donner vie à « Triptych ». Je rêve de différentes manières de le présenter pleinement, pas seulement sous forme de concert, mais comme une expérience immersive. Qu’il s’agisse d’une résidence, d’une installation multi-sensorielle ou de quelque chose d’entièrement nouveau. Je travaille à la création d’un format live qui nous permette de pénétrer pleinement dans l’univers de « Triptych » : sa dramaturgie, ses visuels et son arc émotionnel.

Nous travaillons activement à la préparation de prochaines dates de tournée aux Etats-Unis et, espérons-le, en Europe. Alors oui, la scène, qui est ma maison et mon havre de paix, m’appelle. Et j’ai hâte d’y répondre.

L’album « Traveler » et l’EP « Triptych » de MISS VELVET sont disponibles chez Mother Ride Records.

Photos : Chris Quinn (1, 4), Horz (2, 3, 5, 7) et Luisa Opalesky (8).

Retrouvez également la chronique de « Traveler » :

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Americana Blues Rock

Katie And The Bad Sign : appeal to emotions

Une chose est sûre : du Nord de l’Angleterre, on distingue parfaitement le Sud des Etats-Unis, du moins les notes de musique qui s’en échappent. Et lorsque cette association trouve une telle harmonie, le résultat est réjouissant. Les débuts discographiques de KATIE AND THE BAD SIGN sonnent comme ceux d’une carrière qui démarre tambour battant. Avec « Revolution », la vigueur du Rock se fond dans l’authenticité du Blues et de l’Americana pour déboucher sur un registre passionné et captivant, porté par une voix incroyable.

KATIE AND THE BAD SIGN

« Revolution »

(Bleakheart LTD)

Farouche et chaleureuse, sensuelle et sauvage, KATIE AND THE BAD SIGN laisse déjà exploser tout son talent, et celui de ses musiciens, sur un premier album très réussi, de ceux qu’il nous arrivait encore d’entendre il y a des années. Car « Revolution » a tout d’un tremplin exceptionnel, qui devrait permettre à la formation de Manchester de se faire une place de choix sur une scène, où les artistes actuels s’entrechoquent. Et il est ici question d’un Rock infusé de Blues et d’Americana avec quelques touches Country. Un beau mix.

Katie O’Malley, de son nom complet, n’est pas franchement une inconnue. Son premier EP, « Never Be The Same », date de 2019 et elle a ensuite enchaîné avec quelques autres (« Dirt On My Knees », « Old Motel Rooms »), tout en distillant quelques singles à l’occasion. Mais avec « Revolution », KATIE AND THE BAD SIGN prend littéralement son envol. Sa voix est puissante, dégage une chaleur accueillante et, parfaitement accompagnée, l’ensemble libère un relief saisissant, d’autant que les mélodies de la songwriter sont imparables.

Puisque de nos jours, les références sont de mise, on retrouve quelques effluves d’Amy MacDonald, de Larkin Poe aussi et d’une certaine Janis pour l’aspect brut, éraillé et direct à travers une superbe performance vocale. L’avenir de KATIE AND THE BAD SIGN se présente sous les meilleurs auspices avec un style riche et varié, une attitude très Rock, un brin 70’s et un sentiment de liberté prédominant (« Wolf At The Door », « Voodoo », « The River », « Gaslighter », « Wild West » et le morceau-titre). D’une époustouflante vérité.

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Americana Blues Soul

Janiva Magness : in search of truth

Pour son 17ème album, celle qui compte sept Blues Music Awards dont le fameux BB King remis par la légende elle-même, nous plonge à la découverte de quelques trésors qu’elle a le don de régénérer en intériorisant les chansons pour les faire siennes. JANIVA MAGNESS est une interprète hors-norme et cette facilité à les personnaliser confère à ses reprises une authenticité toute flamboyante. Et si l’on ajoute le fait que « Back For Me » ait été enregistré en condition live, on constate que la blueswoman s’est à nouveau surpassée.   

JANIVA MAGNESS

« Back For Me »

(Blue Élan Records)

Originaire de Detroit, Michigan, JANIVA MAGNESS est ce que l’on pourrait qualifier de diva (au bon sens du terme !), tant elle parvient à chaque nouvel album à fusionner le Blues, la Soul et l’Americana avec une grâce que l’on n’entend que très rarement. Avec sa voix rauque et puissante, elle reste toujours incroyablement captivante et, en un peu plus de 30 ans de carrière, ne déçoit jamais. Pourtant, l’Américaine est également une grande spécialiste des reprises qui, à chaque fois, sortent brillamment de l’ordinaire par leur choix.

Non que JANIVA MAGNESS ne soit pas une très bonne songwriter, bien au contraire, mais elle excelle dans l’art de magnifier les morceaux des autres en les transformant au point d’en faire de véritables déclarations personnelles. Et c’est encore le cas sur « Back For Me », où elle se montre à même de se les approprier avec un charisme incroyable pour leur offrir une nouvelle vie. Et comme cela ne paraît pas suffire, elle a même convié Joe Bonamassa (encore lui !), Sue Foley et l’électrique Jesse Dayton à la fête.

Une autre des multiples particularités de la chanteuse est aussi de dénicher des pépites méconnues d’artistes aux horizons divers. Et cette fois, c’est chez Bill Withers, Ray LaMontagne, Allen Toussaint, Doyle Bramhall II, Tracy Nelson et Irma Thomas que JANIVA MAGNESS a trouvé l’inspiration. Toujours produit par son ami Dave Darling, « Back For Me » balaie un large éventail de sonorités et de terroirs Blues et Soul, qui vibrent à l’unisson sur une dynamique brûlante entre émotions fortes et rythmes effrénés. Sompteux !

Photo : Kimberly Fongheiser