Reconnu pour ses productions brutes, roots et chaleureuses, Dan Auerbach applique depuis trois albums maintenant ses recettes d’enregistrement avec ROBERT FINLEY, ce qui a pour effet de faire ressortir ce qu’il y a de plus beau, de fluide et d’expressif chez le sexagénaire. Profonde, sensible et d’une verve narrative saisissante, le chanteur et guitariste nous embarque dans son « Black Bayou », duquel il est difficile de s’extraire… et alors ? Quand le plaisir est là !
ROBERT FINLEY
« Black Bayou »
(Easy Eye Sound)
Non seulement le parcours de ROBERT FINLEY impose le respect, mais il a aussi quelque chose de réjouissant et d’inspirant. Patient, tenace et a priori faisant confiance à son destin, c’est à l’âge de 62 ans qu’il sort « Age Don’t Mean A Thing » le bien nommé, son premier album. Et depuis 2016, il jouit enfin de cette reconnaissance tardive, puisqu’il a ensuite tapé dans l’œil de Dan Auerbach, l’hyperactif producteur, co-leader des Black Keys et patron du label Easy Eye Sound, qui n’a pas hésité une seule seconde à le signer.
Après « Goin’ Platinum » (2017) et « Sharecropper’s Son » (2021), « Black Bayou » est le troisième opus que les deux hommes réalisent ensemble et ROBERT FINLEY semble s’épanouir un peu plus à chaque disque. Gorgé de feeling et souriant, il distille de bons mots plein d’humour à travers des chansons authentiques et touchantes. Entre Soul, R&B, Gospel et Blues, le musicien originaire de Bernice en Louisiane n’a pas choisi et c’est dans cette ambiance très Southern qu’il se livre en toute simplicité.
Auerbach a parfaitement saisi l’univers plein de tendresse de ROBERT FINLEY. Dès les premières notes de « Livin’ Out A Suitcase », on plonge dans le bayou à travers un savoureux mélange d’harmonica et de suaves guitares, porté par une voix exceptionnelle et profonde. Intense, l’Américain multiplie les atmosphères passant du Hill Country Blues au Swamp et au funk avec une souplesse inouïe (« Sneakin’ Around », « Waste Of Time », « Nobody Wants To Be Lonely », « You Got It (And I Need It) », « Alligator Bait »). Délicieusement addictif !
L’inspiration est hors-norme, la production ne souffre d’aucune lacune et l’ensemble est techniquement imparable. Avec ces deux volumes issus d’une journée unique, où les membres de Yawning Man et Bob Balch de Fu Manchu se sont rassemblés, non pour batailler mais pour communier, YAWNING BALCH révèle des aspects musicaux insoupçonnés de la part de ces quatre musiciens très expérimentés. Le voyage est total et les images défilent…
YAWNING BALCH
« Volume Two »
(Heavy Psych Sounds Records)
Suite à un somptueux « Volume One » en juillet dernier, voici la suite et elle est aussi exceptionnelle que l’entame. Pour rappel, Gary Arce (guitare), Billy Cordell (basse) et Bill Stinson (batterie) de Yawning Man ont convié il y a un an presque jour pour jour le guitariste et claviériste de Fu Manchu, Bob Balch, à une belle et longue jam à Joshua Tree dans le désert californien. De ces cinq heures, YAWNING BALCH en a extrait deux albums vraiment incroyables, où il s’est livré à de multiples expérimentations.
Toujours entièrement instrumental, ce « Volume Two » tient bien sûr toutes ses promesses et il s’inscrit dans une continuité, dont la créativité reste le moteur principal. Balch et Arce s’étaient juste entendus sur le fait qu’ils souhaitaient tous les deux multiplier les effets de guitares en utilisant un maximum de pédales. Et le résultat est saisissant. Sur une base Desert Rock, YAWNING BALCH nous replonge dans un post-Rock psychédélique, dont l’élan semble si naturel qu’on peine toujours à croire à une simple jam.
Rien de calculé donc, le quatuor se laisse simplement aller à une improvisation que le talent des Américains rend incroyablement immersive et rapidement addictive. Avec seulement trois morceaux (« A Moment Expanded (A Form Constant) », « Flesh Of The Gods » et « Psychic Aloha »), qui s’étendent sur 40 magnifiques minutes, YAWNING BALCH envoûte comme personne et réalise la jonction parfaite entre Desert Rock, post-Rock et psychédélisme. Ces quatre-là savent y faire et le plaisir est tellement bien partagé.
Bercés de Classic Rock, de Southern, de Blues et de Hard Rock, les membres de DIRTY HONEY sont parvenus à en garder l’essentiel pour poser les solides fondations d’un style devenu très personnel et qu’ils expriment avec classe et conviction. « Can’t Find The Brakes » est un modèle du genre et il s’inscrit hors du temps en s’imposant comme le renouveau du Rock US. Les quelques saveurs très 70’s montrent la voie, vite temporisées et accompagnées d’élans très funk et gravées dans un Rock que seuls les Etats-Unis produisent.
DIRTY HONEY
« Can’t Find The Brakes »
(Dirt Records)
Après un passage remarqué et savoureux lors de la dernière édition du festival breton ‘God Save The Kouign’ à Penmarc’h (29) cet été, les Californiens sont de retour avec leur deuxième album et celui-ci vient confirmer la dimension prise par le groupe depuis 2019. D’ailleurs, les spectateurs les plus attentifs avaient pu s’apercevoir que, le 24 juin dernier, DIRTY HONEY nous avait livré deux titres inédits que l’on retrouve sur ce très intense « Can’t Find The Brakes » (« Dirty Mind » et « Won’t Take Me Alive »). Il y a des rendez-vous à ne pas manquer, tant ils peuvent être révélateurs pour la suite…
Cette fois encore, le quatuor a fait le voyage jusqu’en Australie, au mois d’avril, dans le studio de Nick DiDia (Springsteen, Pearl Jam), une bonne habitude déjà prise pour son précédent et éponyme opus en 2021. C’est aussi l’occasion de découvrir sur disque la belle frappe de Jaydon Bean, qui a remplacé Corey Coverstone derrière les fûts en janvier. Pour le reste, pas de changement dans ce brillant line-up. Marc LaBelle et sa voix bluesy font des merveilles, John Notta livre des riffs de vieux briscard inspiré et Justin Smolian reste la machine à groover de DIRTY HONEY.
Considérés à juste titre comme l’un des groupes les plus prometteurs du Rock US, les Américains confirment avec la manière qu’ils en sont même l’avenir. Bouillonnant et accrocheur, « Can’t Find The Brakes » affiche de multiples facettes et l’ensemble est réjouissant et frais. Si les ombres de Led Zeppelin, Aerosmith et The Black Crowes planent toujours, c’est tout simplement une question de style, tant DIRTY HONEY montre de l’originalité dans son approche (« Get A Little High », « Ride On », « Rebel Son », « Satisfied », et les ballades « Roam », « Coming Home » et « You Make It Alright »). Déjà un classique !
C’est de l’autre côté de l’Atlantique que le bluesman ROBIN TROWER est allé chercher sa nouvelle muse artistique en la présence de SARI SCHORR, rayonnante chanteuse de la ‘Big Apple’. Et cette rencontre fait des étincelles sur ce « Joyful Sky », dont on espère qu’il ne soit pas un simple one-shot. Très Soul et R&B dans l’ensemble, le Blues resplendit à travers la guitare du maître, tandis que sa partenaire multiplie les variations en jetant le trouble sur des titres taillés sur mesure. Du grand art !
ROBIN TROWER featuring SARI SCHORR
« Joyful Sky »
(Provogue/Mascot Label Group)
A travers sa belle et longue carrière, ROBIN TROWER n’a eu de cesse de faire preuve de créativité que ce soit en solo ou au cours de ses très nombreuses collaborations. Avec la New-Yorkaise SARI SCHORR, le guitariste a visé juste tant le duo fonctionne à merveille. Partageant aussi le même manageur, les deux artistes se trouvent très naturellement sur des chansons que le Britannique a composé spécialement et d’autres plus anciennes qu’il a réarrangé en fonction de la voix de l’américaine. La combinaison de ces deux talents est tout simplement exceptionnelle, le tout dans une chaleur d’un groove irrésistible.
Si SARI SCHORR n’a pas bénéficié des mêmes lumières que certaines de ses consœurs, elle compte deux albums studio et un live à son actif, est membre du ‘New-York Blues Hall Of Fame’ et fut longtemps la choriste de Joe Louis Walker et de Popa Chubby avant de former un groupe avec Innes Sibun, le guitariste de Robert Plant. Autant dire que la blueswoman n’est pas la première venue comme on peut l’entendre sur « Joyful Sky », où sa voix puissante, délicatement éraillée et sensuelle fait des merveilles. Sa présence aux côtés de ROBIN TROWER ne doit donc rien au hasard.
Interprète des compositions de l’Anglais, elle se meut subtilement entre ses notes pleines d’émotion enveloppées de la wah-wah de sa célèbre Stratocaster rendues inimitables par ce toucher unique. Avec un registre vocal dont on peut retrouver des similitudes chez Beth Hart notamment, SARI SCHORR illumine littéralement « Joyful Sky », qui porte si bien son nom (« Burn », « The Distance », « The Circle Is Complete » avec ses sept minutes très 70’s, « Joyful Sky », « Flatter To Deceive », « I’ll Be Moving On »). Tandis que l’Américaine séduit par une intonation sublime et flottante, ROBIN TROWER éblouit par sa justesse et un feeling brûlant.
Qui aurait pensé à l’écoute de « Cycle Of Day », sa précédente production, que la bassiste Laura Phillips aurait eu autant de facilité à endosser le rôle de chanteuse au sein de la formation de l’Oregon ? Et la seconde question que l’on peut se poser, c’est pourquoi est-ce que ce changement n’a pas eu bien avant ? Tout en conservant son identité musicale, HIPPIE DEATH CULT s’ouvre de la plus belle des manières de nouveaux horizons avec ce très bon « Helichrysum » électrisant.
HIPPIE DEATH CULT
« Helichrysum »
(Heavy Psych Sounds)
Si l’univers de HIPPIE DEATH CULT est progressif, brut et rugueux, il tend surtout vers un Psych Rock aux gimmicks zeppeliniens et sabbathiens, avec ainsi des tessitures très proto-Metal. Jamais très loin du Doom avec des guitares âpres et une rythmiques aussi lourde que véloce, le style du groupe de Portland combine toutes ces influences dans une dynamique très créative. Après « Cycle Of Days », sorti il y a deux ans, « Helichrysum » montre bien des différences et elle sont de taille.
La première vient du line-up qui voit HIPPIE DEATH CULT passer de la formule en quatuor au power trio, suite au départ de Ben Jackson. C’est Laura Phillips qui reprend le chant, en plus de la basse qu’elle assure avec une fougue et une technique imparable. La frontwoman apporte un peu de douceur et sensualité, tout en restant terriblement Rock, volontaire et dorénavant guide du combo. Réduit à trois donc, les Américains sont encore plus soudés, percutants et aériens.
Accompagnée par Eddie Brnabic à la guitare et Harry Silvers à la batterie, la chanteuse et ses compagnons ont resserré les rangs et cela se ressent tout au long de ce troisième opus. Et pourtant, les arrangements sont toujours très judicieux et élégants (« Arise », « Better Days »). En portant son dévolu sur les thèmes de l’endurance, de la guérison et de l’immortalité, HIPPIE DEATH CULT se fond dans un domaine qui transpire littéralement dans sa musique (« Toxic Annihilator », « Nefelibata », « Tomorrow Sky »). Transcendant.
Retrouvez la chronique de l’album « Circle Of Days » :
Ils sont rares les artistes qui parviennent à faire la quasi-unanimité chez les fans de Rock, de Hard et même de Metal. Pourtant, depuis quelques années, RIVAL SONS est sur le point de réussir ce tour de force. Au début de l’été, « Darkfighter » a provoqué un séisme avec cette approche nuancée et vibratoire si particulière. « Lightbringer » est exactement dans la même veine et prolonge le plaisir avec beaucoup d’intensité et d’émotion.
RIVAL SONS
« Lightbringer »
(Low Country Sound/Atlantic Records)
Présenter deux albums d’un même groupe à quelques mois d’intervalle est plutôt inhabituel. Et lorsque les trois sont bons, le groupe et les albums, c’est un vrai plaisir… devenu tellement rare. En juin dernier, en sortant « Darkfighter », RIVAL SONS avait déjà annoncé qu’un second opus arriverait en complément du premier. Si la surprise n’en est donc pas une, le résultat, en revanche, va bien au-delà des espérances. « Lightbringer » fait plus que tenir ses promesses, il vient couronner une inspiration hors-norme.
Pour rappel, l’écriture des morceaux avait commencé avant la pandémie et en reprenant là où ils en étaient, les Américains se sont aperçus que deux types d’atmosphères se détachaient. Avec suffisamment de matériel pour en livrer deux parties, RIVAL SONS vous a régalé avec « Darkfighter » et voici la belle cerise sur le gâteau : « Lightbringer ». Si « Feral Root » (2019) avait déjà secoué le monde du Rock et fait prendre une nouvelle dimension au quatuor, ce coup double les place au firmament.
La splendide production de Dave Cobb, grand artisan du son des gars de Long Beach, est toujours d’une authenticité brute et lumineuse. En ouvrant judicieusement avec le dantesque « Darkfighter » et ses neuf minutes, RIVAL SONS présente la parfaite transition entre les deux disques. Porté par un Jay Buchanan magnétique au chant, un Scott Holiday étincelant à la guitare et guidé par une rythmique lourde, « Lightbringer » est envoûtant de bout en bout, notamment sur l’incroyable « Before The Fire » et « Mosaic ». Abyssal !
Quasi-métamorphosé depuis son retour dans son groupe Guns N’Roses en 2016, l’emblématique bassiste à la crinière blonde semble presque démarrer une deuxième vie. Il écrit, est devenu un musicien de session très demandé et surtout il sort des albums solos dans des territoires musicaux où on ne l’attend pas forcément. Entre Rock et Folk, légèrement Southern et bluesy, DUFF McKAGAN rayonne littéralement sur ce très bon « Lighthouse ».
DUFF McKAGAN
« Lighthouse »
(The World Is Flat)
C’est avec toute la sobriété qu’on lui connait désormais que DUFF McKAGAN se présente avec son troisième effort solo (quatrième même si l’on inclue « Beautiful Disease » qui n’est jamais sorti, mais dont on peut apprécier trois morceaux sur l’album « Dark Days » de son groupe Loaded). Assagi et apaisé, on le retrouve cependant dans un registre plus électrique que ne l’était « Tenderness » (2019), essentiellement acoustique. Avec « Lighthouse », le songwriter, bassiste, guitariste et chanteur affiche un visage authentique comme toujours, ainsi que plus réfléchi et dépouillé musicalement.
Le membre fondateur de G N’R reprend les choses là où il les avait laissées il y a quatre ans. Toujours aussi introspectif et intimiste, il passe en revue avec une évidente sincérité les étapes et les épreuves traversées ces dernières années, non sans humour. Et il en ressort des titres Rock, globalement mid-tempo à travers lesquels DUFF McKAGAN se dévoile comme étant un très bon narrateur (« Lighthouse », le truculent « I Saw God On The 10th Street », « Holy Water », « Longfeather »). Au fil du disque, l’Américain se fond dans des atmosphères très roots avec quelques clins d’œil Country et un brin bluesy.
Comme sur ses précédentes réalisations, le natif de Seattle revient à ses premières amours tres ancrées dans le Rock américain, si l’on excepte la forte influence des Rolling Stones du siècle dernier, bien sûr. Malgré tout, et notamment depuis « Tenderness », on sent une vrai touche et une patte très distinctive chez DUFF McKAGAN. Et « Lighthouse » affiche également une belle homogénéité. On notera aussi la présence de Jerry Cantrell d’Alice In Chains sur « I Just Don’t Know », la discrète et très classe participation de Slash sur « Hope » et celle, non-essentielle, d’Iggy Pop pour clore l’album. Beaucoup de justesse et de finesse.
Depuis son premier effort éponyme en 2018, l’ascension d’APPALOOZA est fulgurante et en l’espace de seulement trois albums, le trio s’est forgé une identité musicale très personnelle. Basé sur un Stoner Rock rugueux et massif que des sonorités et des sensations très tribales viennent percer, le style des Brestois s’affine au fil du temps et « The Shining Son » montre à quel point l’évolution est plus que palpable. Enigmatique, solaire et dévastatrice, cette nouvelle production surclasse les précédentes grâce à des envolées sismiques, des éclaircies acoustiques radieuses et un chant captivant. Sylvain, aka ‘Wild Horse’, guitariste et chanteur, revient sur l’univers du groupe et à travers lui la vision singulière de l’entité du combo.
– Il y a deux ans, beaucoup vous ont découvert avec votre deuxième opus, « The Holy Of Holies ». Quelques mois plus tard, vous reveniez avec l’EP « Live At Smoky Van Sessions ». Quels étaient l’intention et l’objectif de ce format court juste après l’album ?
L’objectif était de proposer une version live de trois titres issus de notre second album, « The Holy Of Holies ». Nous avons toujours aimé ces deux dimensions chez un artiste. En studio, il y est proposé quelque chose de complet, de produit, de colorisé. En live, il y a peut-être moins d’éléments, mais cela est compensé par l’énergie et une certaine puissance qui peut combler une seconde guitare ou d’autres arrangements.
– Vous sortez aujourd’hui « The Shining Son » toujours chez Ripple Music, légendaire label américain dédié notamment au Stoner et ses dérivés. Qu’est-ce que cette signature a changé pour vous ces dernières années ?
Nous sommes heureux d’être aux côtés d’autres artistes et groupes de cette scène, car cela permet de s’ouvrir et d’exister également dans une communauté d’artistes. C’est ce que nous avons chez Ripple Music. Nous avons également trouvé un accompagnement que nous recherchions sur du long terme, en ce qui concerne le rétro-planning lié à un album (singles, clip vidéos, etc). Il y avait aussi un souhait de réaliser des vinyles de bonne facture et de qualité, c’est en partie ce pourquoi nous avons voulu travailler avec Ripple Music.
– Avec « The Holy Of Holies », vous aviez dévoilé une identité visuelle forte que vous développez cette fois encore sur « The Shining Son ». Peux-tu nous en parler un peu plus d’autant qu’elle définit aussi le concept d’APPALOOZA ? D’ailleurs, c’est toi qui la signes…
Je suis en effet artiste plasticien et tatoueur sous le pseudonyme de ‘Wild Horse’. Lorsque j’étais enfant, je scrutais les vinyles et je découvrais les pochettes d’albums en grand format. Je passais de longues heures à contempler les visuels, chose que je ne faisais pas vraiment avec les CD à cause de leur petite taille. Inconsciemment, j’ai compris que ce format signifiait d’avantage en ce qui concerne l’art et le concept d’un album. La musique et l’univers graphique ne font qu’un.
J’aime raconter des histoires musicalement et visuellement parlant. Il m’a donc paru nécessaire d’illustrer la musique que nous réalisons. Et en ce qui concerne la technique plastique, les visuels sont réalisés à l’encre de chine en dotwork (pointillisme) et aquarelle pour les couleurs et textures. Il y a un côté autant réaliste que graphique que j’aime lier.
– Revenons à votre musique et ce nouvel album, où l’on retrouve votre empreinte et les thématiques présentes sur le précédent disque. Votre volonté au départ était de relier les morceaux entre-eux pour les faire tenir dans une même histoire ?
Relier les morceaux et créer une sorte de concept-album n’a jamais été réalisé consciemment. Les choses viennent comme elles viennent et les chansons se composent dans la majeure partie des cas naturellement. Pour « The Shining Son », je ne savais pas vraiment s’il allait être question d’une suite. Mais j’ai plutôt été amusé de me rendre compte qu’inconsciemment tout cela racontait plus ou moins la suite des évènements de « The Holy Of Holies », tout en gardant un double-sens dans les paroles.
Le premier album, « Appalooza », raconte la bêtise de l’homme et tout ce qui en découle, c’est-à-dire la manipulation, l’exploitation de l’homme par l’homme, l’obsolescence programmée, mais aussi le temps qui passe.
« The Holy Of Holies » traite de l’absence de Dieu sur terre dû à la déception de ce dernier vis-à-vis de l’être humain. L’homme, en colère, va donc réveiller un démon pour le vénérer.
« The Shining Son » raconte comment il exerce son pouvoir sur Terre, mais aussi comment il va être terrassé par le fils prodige, le sauveur. Il y a un double-sens avec le manipulateur, le rapport de force dans un couple, la tyrannie et comment l’enfant est souvent mis à rude épreuve, comment il doit malheureusement prendre parti et se battre pour sauver sa mère des griffes du père violent et tyrannique, aka ‘The Horse’/’Azazael’. Mais il y a toujours cette bêtise humaine qui est traitée, l’homme étant l’ennemi de l’homme, à travers les guerres de religions, les génocides autochtones…
– A propos d’histoire, ‘The Horse’ semble véritablement être le quatrième membre du groupe, à moins qu’il n’incarne justement l’entité d’APPALOOZA. Peux-tu nous en dire un peu plus à propos de ce ‘démon’ ?
A vrai dire, ‘The Horse’ est le premier membre du groupe. Nous nous amusons à raconter que c’est lui qui nous a réunis. Il est en fait celui qui tire les ficelles. Mais c’est également une sorte de bouc émissaire. Il est le producteur qui crée un groupe de Rock, il représente la société de consommation et l’obsolescence programmée. Il est le père de famille tyrannique et manipulateur. Il est le démon qui exerce son pouvoir sur Terre. Il est le colon qui décime un peuple tout entier. Il représente la mort et le temps qui passe. Au final, il est la réincarnation, le fantôme et le spectre de tout ça à la fois.
– Si on retrouve toujours cette atmosphère où des sonorités Grunge et Alternative Rock se mêlent à votre Stoner Rock, « The Shining Son » semble plus Heavy que « The Holy Of Holies ». L’idée était de durcir le ton, ou c’est le contenu de vos textes notamment qui est peut-être plus sombre ?
Nous avons toujours trouvé intéressant de voir comment certains groupes évoluaient au niveau de leur son. Nous n’avons jamais vraiment trouvé grand intérêt chez certains à recréer le même album. L’idée ici était de ‘synthétiser’ le son d’APPALOOZA. Dans le premier opus nous avons affaire à un son puissant, assez ‘rentre-dedans’. Le second présente quant à lui un son peut-être ‘haché’ et ‘agressif’, mais Pop. C’est avec cet album que nous avons d’ailleurs commencé à nous amuser en terme de production, on y retrouve des colorisations, des atmosphères et des sonorités plus travaillées. Et le troisième, ce sont les deux à la fois.
– L’une des particularités d’APPALOOZA réside également dans les percussions qui sont de nouveau très présentes. Vous avez beaucoup tourné aux Etats-Unis et à deux reprises, est-ce que c’est un élément que vous avez ramené de là-bas ? Elles dégagent un côté très tribal et chamanique, qui fait écho au peuple amérindien…
Il y a quelque chose de bestial dans l’approche des percussions. Elles sont utilisées pour colorer certaines chansons et leur donner une personnalité. Elles représentent l’esprit, la liberté, la menace. Nous aimons particulièrement les sons ethniques et les percussions peuvent en effet faire références aux peuples autochtones d’Amérique. Dans les crédits, il est d’ailleurs indiqué que les percussions sont jouées par ‘The Horse’, fantôme et représentant d’un peuple autochtone exterminé.
– Pour « The Shining Son », vous avez aussi changé de studio d’enregistrement et d’ingé-son. C’était dans l’optique de faire évoluer votre son, d’expérimenter de nouveaux spectres sonores, ou c’est plus simplement une question d’opportunité et de rencontre ?
Pour « The Shining Son », nous avons fait la rencontre d’Arthurus Lauth de Brown Bear Recordings et après une longue discussion, nous avons décidé de travailler avec lui. Il a rapidement compris où nous voulions aller, quelque chose de certes plus massif, mais plus naturel. Il y a eu un travail de pré-prod et de prise de son pour avoir un rendu peut-être plus aéré que les précédents albums. Je pense également que chaque artiste cherche à améliorer certains points d’albums en albums.
– Avec ce troisième album, votre répertoire devient conséquent et il va falloir faire des choix, peut-être difficiles, pour vos setlists. Allez-vous mettre en avant « The Shining Son » comme tous les groupes qui ont de nouveaux morceaux à défendre, ou y a-t-il aussi des incontournables chez APPALOOZA ?
Il est en effet difficile de choisir et d’établir une setlist, surtout en festival, où les temps de passage sont réduits. Nous aimons proposer de nouveaux titres au public et voir leur réaction, mais il y a également des titres des deux premiers albums qui, pour nous, sont toujours un réel plaisir à jouer sur scène. Varier les setlists suivant les concerts me parait être la meilleure option.
– Enfin, et les affiches sont belles, vous êtes programmés sur les ‘Ripplefest’ de Berlin et de Cologne en novembre et décembre prochains. J’imagine que vous attendez ces dates avec impatience ?
Nous sommes très heureux de pouvoir nous produire dans ces deux festivals en Allemagne. Nous avons réalisé deux tournées américaines, mais il ne nous était encore jamais arrivé de jouer en Europe. Nous avons vraiment hâte !
Le nouvel album d’APPALOOZA, « The Shining Son », est disponible chez Ripple Music et sur son Bandcamp :
Cela fait des décennies que George Lynch nous régale de ses riffs tranchants et uniques et de ses solos aussi virtuoses que surprenants avec un feeling si personnel. Si Dokken et LYNCH MOB restent ses faits d’armes majeurs, il présente une discographie monumentale d’une incroyable diversité. A la tête d’un nouveau line-up, il nous fait la surprise d’un retour inespéré sous cette bannière, et « Babylon » nous rappelle ô combien ce musicien est tout bonnement hors-norme.
LYNCH MOB
« Babylon »
(Frontiers Music)
Si dans l’imaginaire collectif, George Lynch sera toujours l’ancien guitariste de la grande époque de Dokken, depuis son départ il n’a eu de cesse de multiplier les projets en prenant des chemins de traverse. D’ailleurs, hasard du calendrier (ou pas !), son ancien groupe sort un nouvel et plutôt bon album la semaine prochaine. Fermons la parenthèse. LYNCH MOB, qu’il avait créé après le premier split de son ex-formation, ne devait pas avoir de suite selon ses dires mais, finalement, le voici de retour avec « Babylon » et de nouveaux musiciens.
On retrouve cependant son compagnon de longue date Jimmy D’Anta à la batterie aux côtés de Jaron Gulino (Heavens Edge, Tantric) à la basse et du Portoricain Gabriel Colon (Culprit, Savage Grace) derrière le micro. Bien sûr, l’ensemble tient la route et George Lynch reste le maître du riff (et des solos !) que l’on connait. Cependant, on est très loin des premiers disques de LYNCH MOB, même si l’intensité et l’énergie circulent toujours abondamment. « Babylon » présente un solide Hard Rock légèrement Heavy, entre nostalgie et modernité.
Assez prévisible dans son contenu, ce nouvel opus a le mérite de monter en puissance au fil des morceaux et ce crescendo donne l’occasion à notre guitar-hero de passer en revue, avec le talent et la classe qu’on lui connait, les périodes fastes qui ont ponctué son éclectique carrière (« Erase », « How You Fall », « Million Miles Away », « Let It Go », « Fire Master » et le morceau-titre). Finalement, LYNCH MOB brille essentiellement par le grand professionnalisme de son leader, qui est toujours aussi sauvage et créatif.
La lumière ne passe que très rarement sur les réalisations de CIRITH UNGOL, ce qui ne l’empêche pas, et ne l’a d’ailleurs jamais empêché, de briller grâce à une créativité toujours très mesurée pour plus d’efficacité. Le quintet semble peser chaque note comme pour mieux respecter un style savamment élaboré depuis des décennies. « Dark Parade » est un modèle du genre, l’essence-même du Metal où le Doom et le Heavy guident une cavalcade épique torturée, qui vous happe sans crier gare. Un monument… encore !
CIRITH UNGOL
« Dark Parade »
(Metal Blade Records)
CIRITH UNGOL, c’est une aventure qui démarre discrètement dans la ville de Ventura en Californie, bastion que le groupe n’a d’ailleurs jamais quitté. Tirant bien sûr son nom de l’œuvre de J.R.R. Tolkien, c’est en 1972 que les premières notes résonnent pour donner vie à un premier album neuf ans plus tard, « Frost And Fire ». S’en suivront les classiques « King Of The Dead »(1984), « One Foot In Hell » (1986) et « Paradise Lost » (1991) qui sont les bases fondatrices du son si particulier des Américains. La légende est marche et, malgré un coup d’arrêt jusqu’en 2020 et un retour avec « Forever Black », elle est restée terriblement vivante.
Malheureusement, ou heureusement selon ses membres, CIRITH UNGOL est toujours resté dans l’ombre underground d’un style auquel il a pourtant donné ses plus belles lettres de noblesse de l’autre côté de l’Atlantique. Précurseur du Doom (avec d’autres) et délivrant un registre épique que d’autres prendront d’ailleurs à leur compte, le quintet est peut-être celui qui incarne le mieux le Heavy Metal dans sa forme primale et originelle. Extrêmement pointilleux et perfectionniste, il n’y a pas trace de superflu et encore moins d’esbroufes techniques sur les disques des Californiens, et « Dark Parade » s’inscrit bien sûr dans cette lignée.
Si certains considèrent, peut-être à juste raison, que CIRITH UNGOL est une formation vintage au son prisonnier des années 80, une écoute très attentive de ce sixième album s’impose. La production est massive, d’un équilibre parfait, avec des guitares idéalement réparties, offrant ça et là une multitude détails qui donnent du coffre et surtout une énergie et une vélocité très maîtrisées et si évidentes (« Relentless », « Sailor on the Seas of Fate », « Looking Glass », « Dark Parade », « Distant Shadows »). Les riffs sont imparables, la rythmique ronronne, les solos tranchent et la voix de Tim Baker ensorcelle ! What else ?