Avec sa classe naturelle, beaucoup d’élégance dans le jeu et une polyvalence rare, le natif du New-Jersey a fait du Blues Rock sa seconde maison. Avec « Sign Of TheTimes », WALTER TROUT élève encore son niveau et avec le même groupe que sur son précédent opus, il régale en multipliant les ambiances avec une grande facilité et une dextérité fascinante. En fin observateur qu’il est, il jette un coup d’œil bleuté sur un mode qu’il juge devenu obsolète et en perte de repères.
WALTER TROUT
« Sign Of The Times »
(Provogue/Mascot Records)
A 74 ans et avec une quarantaine d’albums à son actif, WALTER TROUT a conservé cette énergie qui le pousse depuis ses débuts aux côtés du grand John Mayall au sein des fameux Bluesbreakers. S’il mène une carrière en apparence assez discrète, il n’en est pas moins l’un des meilleurs bluesmen du circuit depuis des années. Auteur, compositeur, guitariste, harmoniciste et chanteur, il surgit après un « Broken » (2024) de haute volée avec « Sign Of The Times », une sorte de récit observateur des maux de notre époque et le sens qu’elle prend… ou pas.
Autoproduit et coécrit pour les textes avec son épouse, manageuse et auteure Marie, WALTER TROUT sonde cette fois encore les recoins de sa propre histoire et de la société qui nous entoure, non sans beaucoup d’humour et sur un mode souvent satirique. Mordant et perspicace, son Blues Rock est peut-être plus dur et plus sombre qu’à l’habitude (« Sign Of The Times », « Struggle To Believe »), mais la fougue à l’œuvre ici le rend encore plus saisissant de vérité. L’Américain se livre complètement et toujours le sourire au bord des lèvres, malgré le propos.
Parti enregistrer à Los Angeles, WALTER TROUT est accompagné de Michael Leasure (batterie), John Avila (basse) et Terry Andreadis (claviers) et le quatuor déploie un groove absorbant et surtout affiche une complicité évidente. « Sign Of The Times » contient dix morceaux qui sont autant d’atmosphères différentes. Costaud à deux reprises, son Blues se fait aussi plus classique (« Blood On My Pillow », « Too Bad ») et évolue aussi avec souplesse vers l’acoustique. Et on retiendra « Mona Lisa Smile », « No Strings Attached » et « I Remember ». Brillant !
Originaire de Birmingham, ROME IS BURNING surgit avec un premier album éponyme, qui en dit déjà long sur ses intentions et son état d’esprit. Entièrement autoproduit, « Rome Is Burning » vient faire le lien entre une scène Grunge alternative estampillée 90’s et un Hard Rock intemporel musclé et efficace. Un savoureux mix qui le rend explosif. Composé de musiciens chevronnés, les Anglais sont d’une sincérité et d’une honnêteté qui s’entendent jusqu’au cœur de leurs morceaux. Ici, on ne triche pas et on ne se planque pas derrière des bidouilleries numériques. Entretien avec le guitariste Chris Flanagan et Leigh Oates, frontman du quatuor, tous les deux aussi directs et attachants que leur Alternative Hard Rock.
– La première question que j’ai envie de vous poser est si votre nom vient du morceau de Junkyard, sorti il y a cinq ans et qui est dans un registre assez proche du vôtre ?
Chris : C’est juste une coïncidence ! En fait, à l’époque, on observait l’état du monde et on se demandait : ‘Mais qu’est-ce qui se passe ?! C’est fou !’. Et on voulait un nom qui reflète ça.
Leigh : Oui, ROME IS BURNING était clairement notre favori, dès notre première conversation pour le nom du groupe.
– On ne sait pas encore grand-chose de ROME IS BURNING, car vous vous êtes formés l’an dernier et votre premier album sort tout juste. J’imagine que vous avez fait vos premières armes sur la scène de Birmingham. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur vos parcours respectifs et la création du groupe ?
Chris : Je parcours la scène britannique depuis des années maintenant, et il m’a fallu beaucoup de temps pour trouver un partenaire musical qui partage ma passion. Heureusement, j’ai trouvé en Leigh un partenaire d’écriture, qui nous a permis à tous les deux d’exprimer pleinement nos idées.
Leigh : D’une certaine manière, on peut dire que je suis un vétéran. Je crois que c’est mon dixième album commercialisé. J’ai vécu de belles expériences, des succès et de grosses déceptions au fil des années dans l’industrie musicale. Mais j’adore faire de la musique et Chris et moi partageons vraiment la même vision pour ROME IS BURNING. Ça a été facile d’écrire l’album et de l’enregistrer comme on le souhaitait.
– L’une de vos particularités est aussi de présenter un style et un son plus américain que britannique, je trouve. Vos influences se situent-elles clairement de l’autre côté de l’Atlantique ?
Chris : Je dirais que je suis quand même plus influencé par la scène musicale britannique en général. La plupart de mes groupes préférés sont anglais, donc par osmose, j’ai absorbé ce type de musique dans une certaine mesure. J’aime beaucoup de groupes américains, comme Alice In Chains et Soundgarden, donc peut-être que cette influence a déteint sur moi à un moment ou à un autre. C’est possible, oui. (Sourires)
Leigh : Pour être honnête, mes influences viennent de partout, même si, dans l’ensemble, j’ai surtout été influencé par les groupes britanniques et américains. Grandir avec le Grunge a été une énorme influence pour moi et par nature, la plupart, voire tous les meilleurs groupes de cette époque, étaient américains !
– Pour rester sur l’aspect sonore de ROME IS BURNING, c’est toi Leigh, le chanteur, qui a mixé et produit l’album. C’est un atout supplémentaire, d’autant que le résultat est très convaincant. Est-ce important, selon vous, de pouvoir savoir gérer un maximum de domaines lorsqu’on sort un premier album aujourd’hui ?
Chris : Absolument. L’industrie musicale est morte. 99 % des musiciens que j’ai connus ces quinze dernières années ont démissionné, donc il faut tout faire de nos jours. C’est vraiment positif d’avoir quelqu’un dans le groupe avec une oreille aussi fine que celle de Leigh.
Leigh : Fini le temps des grandes avancées, alors maintenant plus que jamais, on revient au DIY ! On aime être aussi autonomes que possible. Evidemment, nos budgets sont serrés, donc plus on peut faire de choses nous-mêmes, mieux c’est.
– D’ailleurs, « Rome Is Burning » sort en autoproduction. Beaucoup de groupes considèrent que les labels ne sont plus franchement indispensables dans une industrie musicale bousculée par les plateformes et les réseaux sociaux. C’est aussi votre sentiment et est-ce également ce qui explique votre démarche ?
Chris : J’emmerde les maisons de disques. J’emmerde Spotify. J’emmerde Apple. J’emmerde Instagram. Ce sont tous des escrocs et j’ai hâte de voir toutes les plateformes brûler ! (Et moi donc ! – NDR)
Leigh : On nous a proposé des choses et on les a refusées. Pourquoi donner à quelqu’un la propriété de votre musique et une part des revenus potentiels pour avoir fait ce qu’on sait faire soi-même ? Il suffit de télécharger sa musique sur une plateforme, de payer une petite commission et n’importe qui, partout dans le monde, peut l’écouter.
– L’album a une résonnance très 90’s, basée sur un Hard Rock aux touches Grunge et Stoner. Sans y voir une quelconque nostalgie, cela rend votre jeu terriblement efficace. Votre intention est-elle de renforcer l’impact et le groove et, finalement, proposer des arrangements assez minimalistes, afin de rendre ROME IS BURNING plus compact ?
Chris : En tant que guitariste, il est très facile d’en faire trop. Lors de la composition de l’album, nous avons délibérément choisi de mettre en avant les accroches vocales, car nous voulions avant tout que notre musique aille vraiment dans ce sens. Avec un chanteur aussi talentueux que Leigh, ce serait une folie totale d’essayer d’intégrer encore plus de guitares au détriment du chant. Nous savons que nous sommes capables de jouer, mais le plus difficile est d’écrire une bonne chanson. Les arrangements minimalistes fonctionnent donc plutôt bien avec ce que nous recherchons.
Leigh : Chris est très gentil ! (Rires) C’est vrai que nous voulions rester assez épurés et laisser les accroches briller, et je pense que nous y sommes parvenus. Je suis ravi que tu apprécies la façon dont nous avons présenté les chansons. Nous avons fait en sorte que l’album sonne exactement comme nous le souhaitions, ce qui peut être difficile au départ. J’ai travaillé avec de très bons producteurs au fil des ans, et il arrive que le résultat soit excellent, mais pas toujours celui que l’on imaginait pour la chanson.
– L’ensemble de l’album a une saveur très alternative, légèrement sleaze, et avec un côté très underground, comme une volonté d’éviter toutes velléités mainstream. Est-ce que l’indépendance commence, selon vous, par une couleur musicale marquée et presque revendicatrice aussi dans sa forme ?
Chris : Tu sais, on n’a pas vraiment pensé au courant dominant quand on a créé l’album. On a juste écrit de la musique qu’on aimait.
Leigh : Je trouve qu’il y a aussi beaucoup d’émotion dans notre musique et on a le cœur sur la main. Rien de ce qu’on fait n’est artificiel.
– Pour rester sur cet aspect underground de ROME IS BURNING, malgré des thèmes sombres et rageurs aussi, vous présentez un élan très fédérateur dans les refrains, ainsi que dans les riffs. L’un n’empêche pas l’autre ? Et l’idée reste-t-elle de propager cet esprit de liberté que vous véhiculez ?
Chris : Ma philosophie pour composer de la musique à la guitare est de créer une tension, puis de la relâcher dans le refrain. J’essaie toujours de donner à Leigh une palette sonore optimale pour créer un bon refrain.
Leigh : J’aime que les gens puissent s’identifier aux paroles et en tirer leur propre interprétation. Franchement, qui n’aime pas un long refrain sur lequel chanter ? (Sourires)
– Là où beaucoup de groupes aujourd’hui jouent sur des arrangements souvent pompeux et des albums surproduits, ROME IS BURNING touche par son authenticité et un son presque épuré. Il y a une honnêteté qui transpire de vos morceaux. C’est là-dedans et sous cette forme que vous trouvez toute cette énergie ?
Chris : L’objectif principal de l’album était de créer quelque chose de brut et de vrai. De nos jours, tout le monde peut obtenir un son studio incroyable dans un garage, mais est-il possible de le rendre authentique ? D’après ce que j’entends d’autres groupes, la réponse est non. La plupart des nouvelles musiques sonnent vraiment mal. On ne dirait pas un groupe en train de jouer dans une pièce. ROME IS BURNING, si ! (Sourires)
Leigh : Merci pour cette remarque, je suis content que tu aies saisi notre intention ! On reste réalistes, ce qu’on entend sur l’album est ce qu’on entend en live. Il n’y a pas de trucs, pas de gimmicks.
– Enfin, j’imagine que le prochain objectif est de diffuser au maximum votre musique en Angleterre pour commencer, et au-delà par la suite. Et cela commence bien sûr par les concerts, avez-vous déjà des projets de ce côté-là ? Une tournée peut-être ?
Chris : On a quasiment enregistré notre deuxième album et les démos sont superbes. Pour la tournée, on veut toucher le plus de monde possible. On est un groupe Old School avec une mentalité Old School, donc si les gens veulent qu’on joue, on le fera ! (Sourires)
Leigh : Absolument ! Plus de concerts et on commence déjà le deuxième album. En tout cas, merci beaucoup pour ton intérêt et ton soutien à ROME IS BURNING. Nous t’en sommes vraiment reconnaissants !
Toutes les infos sur le premier album éponyme de ROME IS BURNING sont disponibles sont le site du groupe : https://romeisburning.com/
Quelques mois seulement après l’EP « Life Inside » (inclus avec le disque) composé de reprises et d’un inédit co-écrit avec Marc Varez (Vulcain), chez qui « World Citizens » a été en partie enregistré, les pionniers du Metal Indus français sortent le grand jeu sur cette nouvelle réalisation. Tel le point d’orgue d’une carrière longue de plus de 35 ans, elle caractérise la constance artistique de TREPONEM PAL, articulée autour de riffs tranchants, de basses lourdes, de rythmiques enivrantes, d’envolées Dub subtiles et d’un chant qui prend toujours plus de hauteur pour mieux fondre sur des titres compacts et actuels.
TREPONEM PAL
« World Citizens »
(At(H)Ome)
Synthétiser son histoire pour mieux se projeter dans l’avenir, c’est en quelque sorte le credo de TREPONEM PAL qui se meut ici en collectif, comme un clin d’œil au titre de ce nouveau chapitre. A l’instar du retour du guitariste originel Laurent Bizet sur le précédent « Screamers » il y a deux ans, la formation acte aussi celui d’Amadou Sall comme ingé-son, lui qui fut de l’aventure du cultissime « Excess & Overdrive » en 1993. Tout est donc en ordre de marche et « World Citizens » atteint de nouveaux sommets, sans jamais se perdre.
Explosif et affûté, TREPONEM PAL entretient et peaufine le groove vibratoire à l’œuvre depuis « Higher » notamment. Moderne et intemporel, son Metal Indus ne ressemble à aucun autre, si ce n’est par flagrances où l’on se rappelle au bon souvenir des Young Gods et Killing Joke. Des références qui font partie de son ADN, et qui n’empiète pas sur l’identité inamovible du septet qui ne cesse de se réinventer au fil des albums. En gardien du temple, Marco Neves invective, déclame et rassemble avec une créativité parolière percutante.
Avec la fluidité et l’énergie des premiers jours, TREPONEM PAL traverse le temps avec le talent de ceux qui savent se renouveler sans jamais se répéter. En précurseur, il se joue des courants libérant Metal, Funk urbain ou Electro Punk avec un savoir-faire rare et unique. Les guitares se répondent sans se télescoper, les tempos sont vite hypnotiques et les samples deviennent envahissants pour se faire stimulants (« Humble Like A Lion », « Punk Phenomena », « Holy Money », « Mind Control », « We Are One », « False Leader »). Magistral !
Photo : Muriel Delepont
Retrouvez l’interview du frontman Marco Neves à l’occasion de la sortie de « Screamers » :
Aller au bout de ses envies tout en maintenant une exigence de chaque instant pourrait assez bien résumer la belle entreprise de WUCAN. Maîtrisant parfaitement ses classiques, les Allemands y insufflent des aspects très actuels avec une touche germanique inattendue et irrésistible. « Axioms » rassemble de nombreux styles qui cohabitent de manière très fluide, portés par une voix accrocheuse aussi douce que féroce. Un disque finalement très évident et d’une grande richesse.
WUCAN
« Axioms »
(Long Branch Records/SPV)
Depuis une décennie maintenant, le quatuor de Dresde affine, explore et peaufine son style. Sur une base Heavy Rock héritée du Hard Rock 70’s, il multiple avec beaucoup de talent les incursions diverses dans le Rock Progressif, le Metal vintage ou le Krautrock, tout en affichant des références directement issues du Rock de l’ex-Allemagne de l’Est. Une belle mixité qui prend forme grâce à une créativité sans frontières, ni limites et qui fait de WUCAN une formation originale et singulière, qui mélange la modernité à des sonorités Old School.
Avec « Axioms », le groupe réalise une espèce de synthèse très élaborée de ce qu’il avait entamé sur « Sow The Wind » (2015), « Reap The Storm » (2017) et « Heretic Tongues » (2022). Plus magnétique que jamais, la frontwoman Francis Todolsky guide l’auditeur dans un Rock fiévreux qu’entretiennent Rim George (guitare, claviers), Alexander Karlisch (basse) et Philip Knöfel (batterie). Inutile de rappeler que WUCAN se présente sous une production très organique, qui rend son groove irrésistible et les riffs des deux guitaristes tranchants.
Flamboyante six-cordiste et joueuse de thérémine, la chanteuse œuvre aussi à la flûte et ses sublimes interventions ne sont pas sans rappeler Jethro Tull ou King Crimson. Une ambiance vintage qui libère totalement le combo, qui peut ainsi se mouvoir dans des atmosphères chaleureuses et envoûtantes. WUCAN ne s’en prive pas et repousse un peu plus les codes d’un Classic Rock, qui a encore de beaux jours devant lui. (« Spectres Of Fear », « Wicked, Sick and Twisted », « KTNSAX », « Holz Auf Holz », « Pipe Dreams », « Fountain Of Youth »).
Loin des frasques habituelles inhérentes au Metal Symphonique, la formation hollandaise présente depuis ses débuts en 2012 un registre aéré et presque flottant. Si les arrangements et les orchestrations ont très présentes, ils n’écrasent pas les mélodies et, au contraire, évoluent dans un équilibre parfait entre des voix fortes et multiples et des parties instrumentales entièrement à son service. Porté par une frontwoman au chant puissant et délicat à la fois, BLACKBRIAR signe un troisième album très abouti, qui nous entraîne dans un Metal fait de romantisme, tout en restant véloce et percutant. Ses fondateurs, Zora Cock (chant) et René Boxem (batterie) nous parlent de ces deux dernières années et de la conception de « A Thousand Little Deaths », un nouvel opus qui vient brillamment enrichir sa discographie.
– Lors de notre dernière interview il y a deux ans à l’occasion de la sortie de « A Dark Euphony », vous confirmiez avoir pris une nouvelle dimension artistique avec cet album. Sur cette belle lancée, on peut voir « A Thousand Little Deaths » comme son successeur et une suite assez logique. Est-ce dans cette perspective que vous l’avez imaginé et composé ?
Zora : Pour « A Thousand Little Deaths », nous n’avons pas suivi de plan fixe. J’ai accueilli tout ce qui m’inspirait sur le moment et je l’ai suivi, en étant créative quel que soit le résultat. J’aime travailler comme ça. Si je fais des plans, ou si je me dis que je veux que quelque chose soit d’une certaine manière à l’avance, je suis généralement bloquée assez facilement. Nous pensons que cet album est un digne successeur de nos précédents travaux. Rester fidèles à nous-mêmes est important pour nous, et nous avons construit cet univers BLACKBRIAR que nous aimons explorer. Nous n’avons pas ressenti le besoin de nous en éloigner, car c’est là que nous nous sentons chez nous créativement. En même temps, j’ai l’impression qu’il y a une croissance naturelle en nous et nous avons creusé encore plus profondément dans tous les détails.
– Sur ce nouvel album, vous appuyez sur vos points forts, à savoir un grand sens de la narration et des paysages sonores très cinématographiques. De quelle manière avez-vous élaboré ces nouveaux morceaux, car vous êtes aussi retournés dans le manoir où vous aviez tourné le clip de « Until Eternity Ends ». C’est un lieu propice à l’inspiration pour vous ?
Zora : D’habitude, on écrit nos chansons à deux, René et moi. On voulait faire un peu différemment cette fois-ci, et comme René bloquait sur une chanson, proposer un camp des auteurs m’est venu à l’esprit. J’ai eu l’idée romantique de retourner au manoir où nous avons tourné le clip d’« Until Eternity » et d’y passer quelques nuits avec tous les membres de BLACKBRIAR. C’est une magnifique maison du XIXème siècle avec toute sa décoration. Je suis passionnée par l’époque victorienne et l’Histoire en général, donc ça m’a vraiment mis dans l’ambiance idéale pour travailler sur notre nouvel album. La chanson sur laquelle on a le plus travaillé pendant notre séjour était « The Hermit and the Lover », qui tient une place importante dans mon cœur grâce aussi à ces souvenirs.
– Justement, vous restez fidèles à un univers musical axé sur les contes de fées sombres et gothiques, qui vous distinguent vraiment du reste de la scène symphonique. Entre ambiances macabres et Fantasy, il émane un certain romantisme que l’on retrouve dans la littérature romantique du XIXème siècle notamment. Est-ce aussi pour vous une certaine quête d’intemporalité, au moins dans le propos ?
Zora : Merci ! Mon amour pour le romantisme, la littérature et le folklore du XIXème siècle m’inspire beaucoup lorsque j’écris des chansons. Pour cet album en particulier, je me suis beaucoup inspirée de la poésie d’Emily Dickinson. Je ne dirais pas qu’il s’agit d’une quête délibérée d’intemporalité, mais plutôt d’une conséquence naturelle de mes centres d’intérêt, de mes muses et de ce qui captive mon imagination à un moment précis.
– BLACKBRIAR a aussi la particularité de présenter un registre très équilibré, alors que certains penchent soit sur le côté lyrique, soit sur l’aspect plus Metal. Est-ce une chose sur laquelle vous êtes très attentifs au moment de l’écriture ?
Zora : Les paroles sont très importantes pour moi, j’oserais même dire la partie la plus importante, peut-être. Notre processus d’écriture commence toujours par là. Ensuite, René prend mes paroles et mes mélodies et construit la musique autour, façonnant les éléments Metal, l’atmosphère et le son global. Je pense que l’équilibre que vous entendez est simplement le résultat naturel de la collaboration de deux personnes, chacune apportant des forces différentes et se concentrant sur les aspects qu’elle apprécie le plus.
– « A Thousand Little Deaths » est également votre album le plus riche musicalement, notamment au niveau des arrangements comme de l’utilisation du spectre sonore, car vous êtes tout de même six dans le groupe. Est-ce que le fait de travailler depuis vos débuts avec votre producteur Joost van den Broek vous aide dans ce sens ? Peut-être pour canaliser votre énergie créative ?
René : Joost nous accompagne depuis notre deuxième EP, « We’d Rather Burn », et au fil des années, nous avons énormément appris de lui, de l’écriture à la création d’atmosphères musicales, en passant par les arrangements et l’orchestration. Travailler avec Joost a eu une énorme influence sur nous, nous aidant à progresser en tant qu’auteurs-compositeurs et à tirer le meilleur de nous-mêmes et de notre processus d’écriture. Je me souviens très bien de la première fois où nous lui avons présenté notre musique. Nous étions arrivés avec la batterie, les guitares, la basse et, bien sûr, le chant de Zora. Mais de manière très basique, sans grand-chose d’autre en termes d’atmosphère ou d’orchestration dans ces premières versions. Aujourd’hui, des années plus tard, après d’innombrables séances avec lui, nous avons appris à approfondir nos chansons. Il nous a essentiellement appris à donner le meilleur de nous-mêmes. Désormais, nous arrivons avec quelque chose qui sonne déjà bien plus proche du son BLACKBRIAR que nous connaissons tous, et c’est grâce à cela que Joost peut aller encore plus loin.
– Là où de nombreux groupes de Metal Symphonique proposent des morceaux assez longs, ce n’est pas votre cas, alors que votre style est très narratif et pourrait s’y prêter. Est-ce un désir d’aller à l’essentiel, tout en maintenant un certain rythme et de la percussion ?
René : Nous nous efforçons d’écrire des chansons fluides et qui s’accordent parfaitement avec la narration de Zora. Je comprends que l’on puisse donner l’impression d’aller droit au but, mais ce n’est pas du tout le cas, ni ce qui, à mon avis, fait la qualité d’une chanson. Personnellement, j’aime tout simplement une chanson qui s’oriente davantage vers une structure Pop, en permettant d’avoir les moments les plus aigus et les plus graves aussi proches que possible. Dans notre cas, cela crée parfois un contraste très agréable, où l’on peut passer du sommet de la chanson à un paysage sonore très silencieux et prémonitoire qui transporte vraiment nos auditeurs dans un autre monde en un laps de temps relativement court.
– Depuis vos débuts, vos compositions s’articlent autour de ta voix, Zora, et tu proposes aussi les lignes vocales et en partie les mélodies. De quelle manière travaillez-vous ensemble, car le plus souvent c’est le riff qui conduit l’écriture d’une chanson, non ?
Zora : On a développé ensemble un processus d’écriture qui nous convient parfaitement. Je commence toujours par les paroles, la base de l’histoire. Une fois que je pense que c’est terminé, je me mets au micro et je commence à chanter des mélodies possibles avec ces paroles, en voyant ce qui me vient à l’esprit. J’enregistre ces mélodies a cappella, j’ajoute une note de piano comme référence pour rester dans la tonalité et je décide du tempo de la chanson. Souvent, j’enregistre aussi des harmonies et des couches vocales supplémentaires à ce stade. Une fois que c’est fait, j’envoie le tout à René, qui construit la musique autour de ma voix. Donc, dans notre cas, ce sont généralement les idées vocales et lyriques qui donnent la direction, plutôt que de commencer par un riff.
– Pour ce nouvel album, vous avez de nouveau fait appel à vos fans pour les précommandes. C’est une démarche qui peut paraître assez étonnante compte tenu que vous êtes chez Nuclear Blast, qui est un label de Metal parmi les plus importants. Outre l’envie de conserver cette connexion avec votre fan-base que l’on peut comprendre, cela peut interroger aussi sur l’industrie musicale. Quel est votre regard là-dessus ?
René : Cette approche ne serait surprenante, ou déroutante, que pour ceux qui ne nous connaissent pas encore. Etre signés sur un grand label comme Nuclear Blast ne signifie pas que nous devons tourner le dos à nos fans, et encore moins que nous n’avons plus à assumer notre part de responsabilité. Etre capable de produire un album, ou de garder nos fans au plus près, est un poids que nous partageons avec le label. Notre collaboration est incroyable et fructueuse, et nous nous complétons parfaitement. En tant que groupe indépendant, c’est ce que nous avions prévu, c’est exactement comme ça que nous avons imaginé notre parcours avec un label comme Nuclear Blast à nos côtés. Respecter les souhaits de chacun et travailler ensemble, en harmonie, sur l’aventure de BLACKBRIAR.
– J’aimerais aussi que l’on revienne sur l’année dernière, car 2024 a été très riche pour BLACKBRIAR. Vous avez tournée en Amérique du Nord avec Battle Beast, vous avez participé au ‘Wacken Open Air’ et vous avez aussi sorti le single « Moonflower » avec Marjana Semkina d’Iamthemorning. J’imagine que les émotions se sont succédé avec beaucoup d’intensité. Qu’en retenez-vous et est-ce que ce rythme assez soutenu vous a convenu ?
Zora : Je me souviens de 2024 comme d’une année incroyable pour nous, remplie de tant de moments particuliers. La sortie de « Moonflower » et la collaboration avec Marjana me tenaient particulièrement à cœur. Participer à la première tournée nord-américaine avec Battle Beast était un rêve devenu réalité et jouer au ‘Wacken Open Air’, un festival incontournable pour nous, était inoubliable. Pendant ce temps, nous étions également plongés dans l’écriture de « A Thousand Little Deaths » à travers divers ateliers. Je m’en souviens parfaitement, car tout ce n’est pas passé comme un rêve lointain et c’est ça qui est merveilleux, j’ai vraiment pu en profiter pleinement. Cela dit, vers la fin de l’année, après notre tournée européenne avec Kamelot, j’ai vraiment atteint mes limites. Je suis tombée très malade vers la fin de cette tournée, et une fois rentrée chez moi, il m’a fallu un temps incroyable pour me rétablir. Le temps que je me sente enfin à nouveau moi-même, il était déjà temps de filer directement en studio pour enregistrer l’album (Rires)
– Enfin, vous êtes aussi impressionnants au niveau des statistiques de streaming, ce qui a par ailleurs aussi bouleversé le monde de la musique ces dernières années. Est-ce que, dans un sens, cela vous oblige également à sortir un certain nombre de singles avant la sortie de l’album pour maintenir votre présence et une actualité sur les plateformes ?
René : Merci de votre attention ! Nous sommes très fiers de ces chiffres et tout le mérite en revient à nos auditeurs ! On ne nous impose rien et nous ne choisissons pas le nombre de singles dans le but d’obtenir plus de streams ou d’attention. Petite anecdote : nos singles nous apparaissent généralement clairement très tôt. Il y a une logique particulière. Si nous avons une excellente idée de clip, ce morceau deviendra très probablement un single, quelle que soit sa pertinence, son côté Pop ou son synchronisme pour le streaming. Nous sommes convaincus que si nous pouvons pleinement soutenir une chanson et son histoire avec des visuels qui représentent fidèlement ce que nous essayons de raconter, alors ce morceau deviendra un single pour nous.
Le nouvel album de BLACKBRIAR, « A Thousand Little Deaths », est disponible chez Nuclear Blast.
Retrouvez aussi la précédente interview du groupe :
Chaque production de la formation de Caroline du Nord est une nouvelle exploration. Avec « The Turning », elle continue avec beaucoup de robustesse et des rythmiques appuyées sa belle aventure. Basé sur un Stoner Rock aux teintes sudistes, l’univers de BASK est aussi complexe que ses contours sont parfois si nombreux que l’on peut s’y perdre. Pourtant, l’unité artistique des Américains est évidente et c’est ce côté insaisissable qui la rend justement irrésistible.
BASK
« The Turning »
(Season Of Mist)
Il y a déjà un peu plus de dix ans, BASK faisait son apparition avec « American Hollow » (2014), un premier album audacieux qui affichait déjà beaucoup d’ambition. Depuis, le groupe n’a pas revu ses prétentions à la baisse, « Ramble Beyond » (2017) et « III » (2019) attestant de sa grande créativité. En l’espace de trois réalisations, il a créé ce qu’il nomme lui-même de la ‘Heavy Americana’, un style qui est le point de rencontre entre le Roots Rock, le Psychédélique, le Stoner et le Desert Rock avec une touche Southern des Appalaches.
Cela dit, même si toutes ces sonorités sont présentes, et auxquelles on peut aussi ajouter un soupçon de Space Rock, considérer que BASK fait partie de la grande famille Heavy Stoner Psych résume assez bien les choses. Et « The Turning » s’inscrit parfaitement dans cette veine aussi solide que tourbillonnante. Puissant et aérien, ce nouvel opus accueille également le guitariste Jed Willis, qui brille ici par son jeu de pedal steel et projette les morceaux dans une dimension encore plus Psych. Les tessitures s’y multiplient et sont sinueuses.
Le voyage commence dès d’intro et promet d’entrée de jeu d’être immersif. « The Turning » est une sorte de labyrinthe musical, où se succèdent des atmosphères liées par un chant qui tient lieu de guide. Avec un aspect compact, BASK se montre très changeant tout en gardant un cap hypnotique (« In The Heat Of The Dying Sun », « The Traveler », « Unwound », « Dig My Heels », « Long Lost Night » et le morceau-titre). Dans un élan cosmique, le quintet se fait narratif, Sludge, progressif et même Folk. Une véritable prouesse d’ingéniosité.
Brûlant et authentique, cet album qui rassemble une belle fraternité de six-cordistes audacieux et créatifs donne un bon coup de fouet à la scène Blues Rock actuelle en allant puiser dans les fondations-mêmes du style texan, de ce Blues atypique qui ne ressemble à aucun autre. Virevoltant et explosif, TEXAS HEADHUNTERS remue la poussière d’une tradition respectée et de ses atmosphères chaudes et attachantes. Réglé au millimètre, le jeu comme le chant de Jesse Dayton, Johnny Moeller et Ian Moore éclaboussent de talent ce « Texas Headhunters », qui se veut déjà intemporel et classique.
TEXAS HEADHUNTERS
« Texas Headhunters »
(Hardcharger Records/Blue Élan Records)
Lorsque trois fines gâchettes brillent déjà individuellement, les réunir provoque inévitablement un choc musical plus que réjouissant. Biberonnés au Blues texan et l’incarnant littéralement, Ian Moore, Johnny Moeller et Jesse Dayton ont eu le privilège d’être parmi les derniers à avoir été guidés par le grand Clifford Antone à Austin. Avec un tel mentor, inutile de préciser que TEXAS HEADHUNTERS porte un héritage conséquent, qui a fait de ses membres des guitaristes et des chanteurs plus que chevronnés et particulièrement aguerris et affûtés.
Captés lors d’un séjour de cinq petites journées aux fameux studios Pedernales à Spicewood au Texas ayant appartenu au légendaire Willie Nelson, les douze morceaux sont le fruit d’une belle alchimie où chacun se relaie au chant et où les joutes guitaristiques ressemblent plus à un dialogue et un échange qu’à une confrontation technique. Chez TEXAS HEADHUNTERS, tout le monde tire dans le même sens pour atteindre la même cible. A la fois très roots et énergique, le trio sait aussi se montrer funky, Soul et plein d’émotion. Un modèle de complémentarité.
Sur ce premier opus éponyme, on sent déjà une machine bien huilée, tant au niveau du songwriting que de l’interprétation, bien sûr. Les Américains sont flamboyants, instinctifs, captivants et surgissent là où on ne les attend pas, même si leur Blues Rock est loin d’être approximatif. Au contraire, TEXAS HEADHUNTERS possède déjà une identité bien maîtrisée et s’impose habillement en surfant sur des références avec lesquelles il fait corps. Fun et rugueux, « Texas Headhunters », forme un tout que l’on se repasse à l’envie et avec délectation.
Originaire de Toscane, c’est avec un chapitre massif dont les arrangements sont d’une grande finesse que SUPERNAUGHTY vient balancer une sévère secousse séismique, grâce à un Stoner Metal intense. Agressif, mais rafraîchissant, « Apocalypso » est le mix de passages Psych épaissis par un Fuzz enveloppant et d’une rugosité guitaristique de chaque instant. Fulgurants et sans limites, les Transalpins jouent libérés et avec l’aplomb des plus grands. Imposant !
SUPERNAUGHTY
« Apocalypso »
(Ripple Music)
Le chemin parcouru par le quatuor depuis son premier EP « Welcome To My V » (2015) est remarquable d’autant qu’il monte en puissance à chaque réalisations. Après deux albums sortis chez Argonauta Records, c’est le label californien Ripple Music qui les accueille et « Apocalypso » ne va pas dépareiller un seul instant dans son somptueux catalogue. Au contraire, SUPERNAUGHTY passe à la vitesse supérieure et assoit sans mal son Stoner Metal aux saveurs Sludge et Hard Rock en se montrant compact et indomptable avec assurance.
Avec un côté lourd assez Doom qui rappelle Dozer ou Lowrider et un aspect Fuzz Rock hérité de Kyuss et Fu Manchu, les Italiens font très habillement le grand écart entre la Suède et les Etats-Unis, tout en affichant beaucoup de cohérence et un style bien à eux. Enregistré en Italie, puis mixé et masterisé par Karl Daniel Lidén (Dozer, Greenleaf), SUPERNAUGHTY a vu les choses en grand et son Stoner Metal se diffuse de manière profonde et efficace sur un mur de guitare fracassant et un groove hypnotique.
Tout en variations, « Apocalypso » développe une énergie phénoménale, hyper-Heavy et propulsée par des riffs tranchants, presque Thrash dans l’approche, un rythme appuyé et farouche, sans compter la prestation XXL de son frontman Angelo Fagni. SUPERNAUGHTY avance en bloc et en impose grâce à des morceaux aussi mélodiques que ravageurs (« Poseidon », « Amsterdamned », « Weird Science », « Queen Of Babylon » et le morceau-titre. Ce nouvel opus est plus qu’une claque, c’est un uppercut dans les règles !
Massif et très bien produit, « Who’s Who In The Zoo » vient définitivement consacrer le statut et les capacités du combo de Melbourne. THE VENDETTAS met les choses au clair grâce à des morceaux cinglants et délicats, posés sur des bases Hard Rock et Classic Rock. Avec un frontman à la présence magnétique, des guitares puissantes et un groove rythmique transpirant le Rock’n’Roll, les Aussies sortent les crocs et sont plus fédérateurs que jamais.
THE VENDETTAS
« Who’s Who In The Zoo »
(Golden Robot Records)
Identifiable entre tous, le Rock australien se démarque grâce à son aspect fougueux et un alliage savamment dosé de Classic Rock, de Hard Rock et de cet épais Pub Rock qui en fait sa particularité. Et même s’il fait partie de la nouvelle génération, THE VENDETTAS véhicule avec brio cet héritage atypique et lui apporte toute la fraîcheur de sa jeunesse. Entre une puissance brute et un songwriting peaufiné, ce quatrième album témoigne d’une créativité sans complexe, qui s’inscrit dans une modernité exaltée.
Un peu plus de 15 ans après sa formation, le quatuor se présente avec un nouvel opus particulièrement énergique et varié. Après deux années passées entre les studios Cavern Sound et ColourSound, THE VENDETTAS présente un travail soigné sur une production très organique, mais n’oublie pas pour autant les fondamentaux du Rock de son île-continent, à savoir un côté sauvage et roots. Et, combiné à des mélodies accrocheuses et des riffs entrainants et solides, cela le rend franchement irrésistible.
« Who’s Who Is The Zoo » ne manque pas d’audace et est même ferme, direct et bien rentre-dedans. Globalement dominé par une sensation Hard Rock, THE VENDETTAS sait aussi se montrer sensibles (« Out In The Rain », « Fly On The Wall »). Mais lorsqu’il allume la mèche, le quatuor se fait rebelle et hargneux, capable de faire vibrer un stade comme faire trembler les murs d’un pub bondé (« Jealous And Evil », « This Time Around », « Lovesick Man », « Raise The Weary »). Habille et convaincant, le groupe franchit un cap essentiel.
En choisissant de quitter la Californie pour se délocaliser en Georgie et en faisant le choix d’un producteur multi-awardisé, ROBERT JON & THE WRECK a bousculé ses habitudes et le résultat s’entend sur ce « Heartbreaks & Last Goodbyes » d’une folle énergie, d’une fluidité incroyable et surtout d’une créativité de chaque instant. Ce nouvel album des Américains est complet et sobre tout en étant d’une grande richesse musicale. Le groupe a franchi une à une les étapes, et près de 15 ans après sa création, il se montre épanoui dans un Southern Rock devenu très personnel. Robert Jon Burrison, guitariste et chanteur du quintet, revient sur ce dixième album et les efforts accomplis ces dernières années par sa formation.
– Avant de parler de ce nouvel album, j’aimerais que l’on revienne sur ces cinq dernières années, car « Last Light On The Highway » semble vraiment avoir été un déclic dans votre carrière. En l’espace de cinq ans, vous avez sorti cinq albums studio et deux live, sans compter un nombre impressionnant de concerts. Est-ce que, pour vous aussi, tout s’est soudainement accéléré à ce moment-là ?
Oui, je dirais que depuis « Last Light On The Highway », nous n’avons jamais été aussi occupés. Avant l’album, nous n’avions pas de réel représentant aux Etats-Unis. Après notre partenariat avec Journeyman Records et Intrepid Artists ici, et notre collaboration de longue date avec Teenage Head Music pour l’Europe, il était donc naturel de travailler davantage et surtout de faire davantage ce que nous aimons.
– « Heartbreaks & Last Goodbyes » est votre troisième album chez Journeyman Records, le label de Joe Bonamassa. Est-ce que cette signature aussi a changé le quotidien du groupe et pu ouvrir les portes que vous escomptiez ?
Cela nous a surtout permis de bénéficier d’une véritable équipe sur laquelle nous pouvons compter pour presque tout. Cela nous a aussi permis de continuer à progresser tout en faisant tout le reste en même temps. Notre relation est excellente, car les deux parties s’entraident en poursuivant l’effort dans la direction que nous jugeons la plus appropriée au bon moment.
– Sans remettre bien sûr en cause le travail de Kevin Shirley sur « Red Moon Rising » et celui de ses prédécesseurs, c’est cette fois le grand Dave Cobb qui signe la production de l’album. Vu son incroyable parcours, il apparaît comme l’homme de la situation. Comment a eu lieu la première prise de contact et votre rencontre ? Et est-ce vous qui êtes allés vers lui ?
Il était dans le collimateur du groupe depuis longtemps, sachant qu’il avait produit des artistes comme Rival Sons dès 2009. On avait donc toujours ce nom en tête, tout en continuant à avancer dans la vie, à faire de la musique, à rencontrer des gens et à trouver le bon soutien. Puis le moment est arrivé et on a enregistré deux morceaux avec lui pour le double EP « Ride Into The Light ». On a super bien travaillé ensemble, donc on savait qu’on voulait renouveler l’expérience avec lui sur un album complet un jour ou l’autre. Après « Red Moon Rising », l’opportunité s’est présentée et ça a marché !
– D’ailleurs, la production sonne très live et organique et est vraiment le reflet du groupe sur scène. Avez-vous l’impression, comme moi, qu’il a parfaitement su saisir votre identité artistique et musicale ?
Oui, je pense que cet album reflète parfaitement qui nous sommes. Nous avons pu rester ensemble tout au long du projet, nous y consacrer pleinement, sans trop de distractions, et nous avons tout donné. Nous travaillons en cohésion sur de nombreux aspects de l’écriture, qu’il s’agisse des paroles ou des parties instrumentales. Si quelqu’un a une idée, nous la développons tous ensemble. Je pense donc que cet album reflète vraiment l’identité artistique de ROBERT JON & THE WRECK.
– Pour l’enregistrement de l’album, vous avez aussi quelque peu changé vos habitudes puisque vous êtes restés à Savannah en Georgie durant tout le processus. J’imagine que cela renforce aussi la cohésion d’un groupe et peut-être également votre modèle de composition. En quoi cette immersion complète a pu vous faire évoluer ?
J’en ai un peu parlé, mais oui, c’était différent pour nous. Avant, quand on enregistrait à Los Angeles, on allait au studio le matin et on rentrait chez nous tous les soirs. C’est toujours agréable d’être en famille, et aussi difficile d’être loin d’elle aussi longtemps. Mais c’est également une bonne chose de se concentrer uniquement sur l’album et d’en faire son seul objectif pendant une semaine environ. De plus, en étant tous réunis, on avait l’impression d’être tous sur la même longueur d’onde pendant l’enregistrement, ce qui, je pense, a contribué à la cohésion du son de l’album.
– Je ne sais pas si Dave Cobb vous a permis d’avoir un regard neuf sur votre travail en vous délivrant ses précieux conseils, mais on vous sent beaucoup plus libérés, plus spontanés aussi et surtout vous offrez différentes facettes du groupe avec la même intention dans le jeu. Est-ce que le maître-mot de « Heartbreaks & Last Goodbyes » a été d’être plus le plus brut, direct et authentique possible ?
Oui, nous voulions être aussi authentiques que possible. Et comme nous progressons aussi constamment en tant qu’auteurs-compositeurs et musiciens, il faut vraiment avoir cette volonté d’être bruts et directs, car ce n’est pas toujours si facile.
– Peut-être est-ce l’effet combiné de votre collaboration avec Dave Cobb, et aussi Greg Gordon pour le mix, et le fait que vous soyez restés en Georgie tout l’enregistrement, mais vos racines Southern ressortent beaucoup plus avec des sonorités Country plus présentes et un côté Classic Rock moins visible. Est-ce que tu penses que tout cela est lié d’une certaine manière ?
Je pense qu’il est difficile de ne pas ressentir ces racines sudistes et ces sonorités Country quand on est, en fait, dans le Sud et à la campagne. Pour moi, c’est assez simple : l’endroit où l’on se trouve influence vraiment nos décisions, la sonorité de notre musique et les décisions que nous prenons. Tout est donc lié, et si nous avions enregistré le même disque à Los Angeles, il aurait sonné différemment. C’est indéniable.
– Et il y a aussi cette collaboration avec John Oates que l’on connait pour son légendaire duo avec Daryl Hall, qui a coécrit « Long Gone » avec vous. C’est l’un des moments forts de l’album et il raconte une belle histoire. Comment cela s’est-il passé au niveau de l’écriture ? Avez-vous travaillé le texte et la musique ensemble ?
Nous avons rencontré John lors d’une des nombreuses croisières de Joe Bonamassa, ‘Keeping The Blues Alive At Sea’, auxquelles nous avons participé. De là, nous avons discuté de l’idée d’écrire quelque chose ensemble et le timing était parfait pendant l’un de nos séjours à Nashville. Nous nous sommes donc retrouvés et nous avons travaillé sur quelques idées. J’adore le résultat qu’on a obtenu, car la chanson a connu de nombreuses évolutions, en passant du Swing bluesy au Rock pur et dur, et l’incroyable esprit de Dave (Cobb – NDR) l’a amenée là où elle est aujourd’hui.
– Pour « Heartbreaks & Last Goodbyes », vous avez à nouveau présenté la moitié de l’album avec plusieurs singles avant la sortie officielle. C’est vrai que les plateformes numériques ont changé la donne et les réseaux sociaux aussi, mais ne regrettez-vous pas l’époque où l’on découvrait l’ensemble d’un disque à sa parution ? Aujourd’hui, est-ce que cette présence constante est devenue presque obligatoire, selon toi ?
C’est une question d’essais et d’erreurs. Avec l’industrie musicale actuelle, je ne pense pas qu’il y ait franchement une ‘bonne’ façon de procéder. On a testé cette nouvelle idée de sortir des singles, à cause du fonctionnement d’Internet, avec tous ces algorithmes et ces trucs que je ne comprends pas vraiment. Mais bon, il faut essayer, sinon on ne saura jamais. Le prochain album sera-t-il livré de la même manière ? Peut-être, ou peut-être pas. On le saura quand on y sera. Je pense qu’il y a tellement de gens dans le monde que chacun a une idée différente de la façon dont la musique devrait être diffusée, ou consommée. Notre espoir est que les gens se connectent à notre musique et ressentent quelque chose en l’écoutant.
– Enfin, avec ce rythme effréné entre les concerts et les enregistrements, avez-vous pris dorénavant l’habitude de composer surtout en tournée ? Finalement, cette énergie n’est-elle pas la meilleure source d’inspiration pour vous ?
Je pense que la route est une source d’inspiration majeure pour le groupe, mais je crois que nous composons la plupart de nos morceaux à la maison. Nous avons bien sûr profité des balances avant les concerts pour lancer des idées et voir ce qui colle, puis nous rentrons à la maison pour tout mettre en place. On n’a pas autant de temps qu’on le pense sur la route pour se poser et réfléchir. Mais nous aurons bientôt un peu de repos bien mérité cet automne grâce à l’arrivée de nouveaux membres dans nos familles, alors nous avons hâte de nous remettre à l’écriture.
ROBERT JON & THE WRECK
« Heartbreaks & Last Goodbyes »
(Journeyman Records)
En faisant appel à Dave Cobb pour la production de son nouvel album, le quintet s’est adjoint les services de celui qui lui manquait sûrement le plus depuis ses débuts. Reconnu pour son travail avec Chris Stapleton, Brandi Carlile, John Prine, Sturgill Simpson, Whiskey Myers pour le côté Country et Southern, mais aussi Rival Son, Halestorm, Slash, Sammy Hagar ou Greet Van Fleet dans des registres plus musclés, il est le producteur dont avait besoin ROBERT JON & THE WRECK, dont les derniers disques étaient peut-être un peu lisses.
« Heartbreaks & Last Goodbyes » incarne littéralement cette nouvelle vague sudiste dont les Californiens sont devenus en peu de temps des fers de lance. Plus bruts et organiques, les nouvelles compositions sont resplendissantes, accrocheuses, vivifiantes et l’osmose entre les musiciens est encore plus palpable. Si les singles ont déjà offert un bel aperçu de ce nouvel opus, les autres titres à découvrir sont autant de belles surprises, qui s’imbriquent parfaitement dans un ensemble rayonnant et finalement très attachant et chaleureux.
Photos : Rob Bondurant (1, 2, 3, 4) et Denis Carpentier (5)